CJCE, 7 novembre 2000, n° C-168/98
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Grand-duché de Luxembourg
Défendeur :
Parlement européen, Conseil de l'Union européenne, Royaume d'Espagne, Royaume des Pays-Bas, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Iglesias
Présidents de chambre :
MM. Gulmann (rapporteur), La Pergola, Wathelet, Skouris
Avocat général :
M. Ruiz-Jarabo Colomer
Juges :
MM. Edward, Puissochet, Jann, Sevón, Schintgen, Mme Macken
Avocats :
Mes Welter, López-Monís Gallego
LA COUR,
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 4 mai 1998, le grand-duché de Luxembourg a, en vertu de l'article 173, premier alinéa, du traité CE (devenu, après modification, article 230, premier alinéa, CE), demandé l'annulation de la directive 98-5-CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998, visant à faciliter l'exercice permanent de la profession d'avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise (JO L 77, p. 36).
2. Par ordonnances du Président de la Cour des 16 septembre, 19 octobre, 11 novembre et 9 décembre 1998, le Royaume d'Espagne, la Commission des Communautés européennes, le Royaume des Pays-Bas et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord ont été admis à intervenir à l'appui des conclusions du Parlement européen et du Conseil de l'Union européenne.
La directive 98-5
3. La directive 98-5 a été adoptée selon la procédure visée à l'article 189 B du traité CE (devenu, après modification, article 251 CE), sur le fondement de l'article 49 du traité CE (devenu, après modification, article 40 CE), en tant qu'elle contient des dispositions relatives à l'exercice à titre salarié de la profession d'avocat, et de l'article 57, paragraphes 1 et 2, première et troisième phrases, du traité CE (devenu, après modification, article 47, paragraphes 1 et 2, première et troisième phrases, CE), en tant qu'elle régit son exercice à titre indépendant.
4. L'article 2, premier alinéa, de cette directive dispose que tout avocat a le droit d'exercer à titre permanent, dans tout autre État membre, sous son titre professionnel d'origine, les activités d'avocat telles que précisées à l'article 5.
5. L'article 5, paragraphe 1, du même texte énonce que l'avocat exerçant sous son titre professionnel d'origine pratique les mêmes activités professionnelles que l'avocat exerçant sous le titre professionnel approprié de l'État membre d'accueil et peut notamment donner des consultations juridiques dans le droit de son État membre d'origine, en droit communautaire, en droit international et dans le droit de l'État membre d'accueil.
6. L'article 5, paragraphe 2, réserve cependant la possibilité pour les États membres qui autorisent sur leur territoire une catégorie déterminée d'avocats à établir des actes habilitant à administrer les biens des personnes décédées ou portant sur la création ou le transfert de droits réels immobiliers, qui dans d'autres États membres sont réservés à des professions différentes de celle d'avocat, d'exclure de ces activités l'avocat exerçant sous un titre professionnel d'origine délivré dans un de ces derniers États membres. L'article 5, paragraphe 3, ajoute que, pour l'exercice des activités relatives à la représentation et à la défense d'un client en justice et dans la mesure où le droit de l'État membre d'accueil réserve ces activités aux avocats exerçant sous le titre professionnel de cet État, ce dernier peut imposer aux avocats exerçant sous leur titre professionnel d'origine d'agir de concert soit avec un avocat exerçant auprès de la juridiction saisie et qui serait responsable, s'il y a lieu, à l'égard de cette juridiction, soit avec un "avoué" exerçant auprès d'elle. Il permet par ailleurs aux États membres d'établir, dans le but d'assurer le bon fonctionnement de la justice, des règles spécifiques d'accès aux cours suprêmes, telles que le recours à des avocats spécialisés.
7. Les articles 3, 4, 6 et 7 énoncent les règles concernant respectivement:
- l'inscription, auprès de l'autorité compétente, de l'avocat souhaitant exercer dans un État membre autre que celui où il a acquis sa qualification professionnelle;
- le libellé du titre professionnel utilisé par l'avocat exerçant sous son titre professionnel d'origine;
- les règles professionnelles et déontologiques applicables;
- les procédures disciplinaires.
8. L'article 10, paragraphe 1, prévoit que l'avocat exerçant sous son titre professionnel d'origine, qui justifie d'une activité effective et régulière d'une durée d'au moins trois ans dans l'État membre d'accueil, et dans le droit de cet État, y compris le droit communautaire, peut accéder à la profession d'avocat de l'État membre d'accueil sans être tenu de satisfaire à la condition d'un stage d'adaptation d'une durée maximale de trois ans ou à celle d'une épreuve d'aptitude, conditions visées à l'article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive 89-48-CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, relative à un système général de reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d'une durée minimale de trois ans (JO 1989, L 19, p. 16).
9. L'article 10, paragraphe 3, de la directive 98-5 prévoit que l'avocat exerçant sous son titre professionnel d'origine, qui justifie d'une activité effective et régulière d'une durée d'au moins trois ans dans l'État membre d'accueil, mais d'une durée moindre dans le droit de cet État membre, peut également obtenir de l'autorité compétente dudit État, moyennant la prise en considération par celle-ci de certains éléments complémentaires, son accès à la profession d'avocat de l'État membre d'accueil et le droit de l'exercer sous le titre professionnel correspondant à cette profession dans cet État membre sans être tenu de satisfaire aux conditions d'un stage d'adaptation ou d'une épreuve d'aptitude visées à l'article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive 89-48.
10. L'article 10, paragraphe 2, réserve à l'avocat exerçant sous son titre professionnel d'origine dans un État membre d'accueil la possibilité de demander, à tout moment, la reconnaissance de son diplôme selon la directive 89-48, aux fins d'accéder à la profession d'avocat de l'État membre d'accueil et de l'exercer sous le titre professionnel correspondant à cette profession dans cet État membre.
11. Les articles 11 et 12 régissent l'exercice en groupe de la profession d'avocat.
12. Lorsque l'exercice en groupe est permis dans l'État membre d'accueil pour les avocats exerçant leurs activités sous le titre professionnel approprié, l'article 11 permet, sous certaines réserves, aux avocats exerçant dans cet État sous leur titre professionnel d'origine:
- de pratiquer leurs activités professionnelles dans le cadre d'une succursale ou d'une agence du groupe dont ils sont membres dans leur État membre d'origine;
- d'accéder à une forme d'exercice en groupe, lorsqu'ils proviennent d'un même groupe ou d'un même État membre d'origine;
- d'exercer en commun avec d'autres avocats exerçant également sous leur titre professionnel d'origine, provenant d'États membres différents, et/ou avec des avocats de l'État membre d'accueil.
13. L'article 12 prévoit que les avocats exerçant ainsi en groupe peuvent faire mention de la dénomination du groupe dont ils sont membres dans l'État membre d'origine et que l'État membre d'accueil peut exiger que soient indiqués, en plus de cette dénomination, la forme juridique du groupe dans l'État membre d'origine et/ou les noms des membres du groupe exerçant dans l'État membre d'accueil.
Sur le fond
14. Le grand-duché de Luxembourg soulève trois moyens d'annulation, tirés, respectivement, d'une violation de l'article 52, second alinéa, du traité CE (devenu, après modification, article 43, second alinéa, CE), d'une violation de l'article 57, paragraphe 2, deuxième phrase, du traité et d'une violation de l'article 190 du traité CE (devenu article 253 CE).
15. À l'appui de ses moyens, il met en cause les articles 2, 5 et 11 de la directive 98-5, relatifs, respectivement, au droit de l'avocat migrant d'exercer sous son titre professionnel d'origine, au domaine d'activité dudit avocat et à l'exercice en groupe de la profession.
Sur la violation de l'article 52, second alinéa, du traité
16. Le moyen fondé sur l'article 52, second alinéa, du traité se subdivise en deux branches, tirées, la première, de l'instauration d'une différence de traitement entre nationaux et migrants et, la seconde, d'une atteinte à l'intérêt général, d'une part, de protection des consommateurs et, d'autre part, d'une bonne administration de la justice.
Sur la première branche
17. Le grand-duché de Luxembourg soutient que l'article 52, second alinéa, du traité instaure un principe d'assimilation du travailleur indépendant migrant à son homologue national. Cette règle du traitement national impliquerait que l'égalité, ou la non-discrimination, doit se mesurer par référence à la législation de l'État membre d'accueil, et non à celle de l'État membre de provenance ou d'origine du travailleur indépendant migrant, et que le droit d'établissement ne peut être accordé en violation de principes impératifs régissant les professions indépendantes, communs aux droits des différents États membres.
18. Le requérant fait valoir que, si une harmonisation peut justifier la dispense de tout contrôle des connaissances en matière de droit international, de droit communautaire et dans le domaine du droit de l'État membre d'origine, une dispense ne peut être envisagée en ce qui concerne le droit national de l'État membre d'accueil. En effet, les connaissances à acquérir en droit national ne seraient pas identiques ni même largement semblables d'un État membre à l'autre, à la différence des connaissances dispensées dans le cadre d'autres formations, la spécificité des connaissances en droit national ayant, du reste, été reconnue par la directive 89-48.
19. Le grand-duché de Luxembourg rappelle que l'article 52 du traité constitue une expression particulière du principe général d'égalité de traitement.
20. Or, en supprimant toute obligation de formation préalable dans le droit de l'État membre d'accueil et en permettant que les avocats migrants exercent dans ce droit, la directive 98-5 instaurerait une différence de traitement entre nationaux et migrants injustifiée au regard de cette disposition du traité, laquelle n'autoriserait pas le législateur communautaire à éliminer, dans le cadre d'une directive qui ne porte pas harmonisation des conditions de formation, une exigence de qualification préalable.
21. Le requérant ajoute que, par la même occasion, la directive 98-5 nie la différence essentielle existant, et devant subsister, entre établissement et prestation de services, dans la mesure où la directive 77-249-CEE du Conseil, du 22 mars 1977, tendant à faciliter l'exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats (JO L 78, p. 17), permet elle-même à l'avocat prestataire de pratiquer dans le droit de l'État membre d'accueil sans avoir à justifier d'une connaissance de ce droit.
22. Le Parlement et le Conseil, soutenus par les parties intervenantes, contestent l'existence d'une discrimination à rebours. Ils estiment que les avocats exerçant sous leur titre professionnel d'origine et les avocats exerçant sous le titre professionnel de l'État membre d'accueil se trouvent dans deux situations différentes, les premiers se voyant soumis à plusieurs restrictions quant aux conditions d'exercice de leur activité. En tout état de cause, la fixation de limites au processus de libéralisation de l'accès aux activités non salariées ne ferait pas partie des fonctions de l'article 52 du traité.
23. À cet égard, il convient de constater que l'interdiction de discrimination édictée par cette dernière disposition n'est que l'expression spécifique du principe général d'égalité qui, faisant partie des principes fondamentaux du droit communautaire, doit être respecté par le législateur communautaire et qui exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente, à moins qu'une différenciation ne soit objectivement justifiée (voir, en ce sens, arrêts du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil, C-280-93, Rec. p. I-4973, point 67, et du 15 avril 1997, Bakers of Nailsea, C-27-95, Rec. p. I-1847, point 17).
24. En l'espèce, force est de constater que le législateur communautaire n'a pas violé ledit principe, dès lors que les situations, d'une part, de l'avocat migrant exerçant sous son titre professionnel d'origine et, d'autre part, de l'avocat exerçant sous le titre professionnel de l'État membre d'accueil ne sont pas comparables.
25. En effet, à la différence du second, qui peut se livrer à toutes les activités ouvertes ou réservées par l'État membre d'accueil à la profession d'avocat, le premier peut se voir interdire certaines activités et, dans le domaine de la représentation et de la défense d'un client en justice, se voir imposer certaines obligations.
26. Ainsi, l'article 5, paragraphe 2, de la directive 98-5 permet, dans certaines conditions, à l'État membre d'accueil d'exclure du champ d'activité de l'avocat migrant exerçant sous son titre professionnel d'origine l'établissement des actes habilitant à administrer les biens des personnes décédées ou portant sur la création ou le transfert de droits réels immobiliers.
27. De même, l'article 5, paragraphe 3, premier alinéa, permet à l'État membre d'accueil, dans certaines conditions, d'imposer aux avocats exerçant sous leur titre professionnel d'origine d'agir de concert soit avec un avocat exerçant sous le titre professionnel de cet État auprès de la juridiction saisie, soit avec un avoué exerçant auprès d'elle. Le second alinéa du même article autorise les États membres à établir des règles spécifiques d'accès aux cours suprêmes, telles que le recours à des avocats spécialisés.
28. En outre, il convient de souligner que, aux termes de l'article 4, paragraphe 1, de la directive 98-5, l'avocat exerçant dans un État membre sous son titre professionnel d'origine est tenu de le faire sous ce titre, lequel "doit être indiqué ... de manière intelligible et susceptible d'éviter toute confusion avec le titre professionnel de l'État membre d'accueil".
29. Dès lors, le grief tiré de l'existence de discriminations au détriment de l'avocat exerçant sous le titre professionnel de l'État membre d'accueil n'est pas fondé. Par suite, la première branche du premier moyen doit être rejetée.
Sur la seconde branche
30. Le grand-duché de Luxembourg affirme que sa contestation de la validité de la directive 98-5 est formée dans l'intérêt des consommateurs et dans celui d'une bonne administration de la justice. Il souligne que, selon la jurisprudence de la Cour, l'application de règles professionnelles aux avocats, notamment les règles d'organisation, de qualification, de déontologie, de contrôle et de responsabilité, procure la nécessaire garantie d'intégrité et d'expérience aux consommateurs finaux et à la bonne administration de la justice (arrêt du 12 décembre 1996, Reisebüro Broede, C-3-95, Rec. p. I-6511, point 38). Or, en supprimant toute obligation de formation dans le droit de l'État membre d'accueil, la directive 98-5 porterait atteinte à l'intérêt général, en particulier de protection des consommateurs, poursuivi par les différents États membres au moyen de l'exigence de l'acquisition, en vue de l'accès à la profession d'avocat et de son exercice, d'une qualification définie par voie législative. À cet égard, admettre l'acquisition de la formation par l'exercice impliquerait nécessairement que l'exercice précède la formation. En outre, prétendre que l'avocat exerçant sous son titre professionnel d'origine ne pratiquera pas le droit national de l'État d'accueil qu'il ne connaît pas méconnaîtrait les exigences impératives qui excluent la prise d'un tel risque, l'importance quantitative de ce dernier devant demeurer sans incidence sur l'appréciation de son caractère inacceptable.
31. Le Parlement et le Conseil, soutenus par les parties intervenantes, estiment que la directive 98-5 a pris en compte des raisons impérieuses d'intérêt général, en particulier celle de protection des consommateurs, dans ses articles 4, 5, 6 et 7. Le Parlement et le Royaume-Uni soulignent que, en vertu des règles de déontologie, les avocats sont, en tout état de cause, tenus de ne pas traiter des affaires dont ils savent ou devraient savoir qu'elles échappent à leur compétence et que toute violation de cette règle constitue une faute disciplinaire.
32. Il convient de relever que, en l'absence d'une intervention communautaire, les États membres peuvent, sous certaines conditions, imposer des mesures nationales poursuivant un objectif légitime compatible avec le traité et se justifiant par des raisons impérieuses d'intérêt général dont fait partie la protection des consommateurs. Ils peuvent ainsi, dans certaines circonstances, adopter ou maintenir des mesures faisant obstacle à la libre circulation. Ce sont notamment de tels obstacles que l'article 57, paragraphe 2, du traité permet à la Communauté d'éliminer, afin de faciliter l'accès aux activités non salariées et leur exercice. Lors de l'adoption des mesures en ce sens, le législateur communautaire tient compte de l'intérêt général poursuivi par les différents États membres et arrête un niveau de protection de cet intérêt qui paraît acceptable dans la Communauté (voir, en ce sens, arrêt du 13 mai 1997, Allemagne/Parlement et Conseil, C-233-94, Rec. p. I-2405, points 16 et 17). Aux fins de la détermination du niveau de protection acceptable, il dispose d'une marge d'appréciation.
33. En l'espèce, il doit être constaté que plusieurs dispositions de la directive 98-5 énoncent des règles visant à la protection des consommateurs et à une bonne administration de la justice.
34. L'article 4 prévoit ainsi que l'avocat migrant exerçant sous son titre professionnel d'origine est tenu de le faire sous ce titre, de sorte que le consommateur est informé que le professionnel auquel il confie la défense de ses intérêts n'a pas obtenu sa qualification dans l'État membre d'accueil et que sa formation initiale n'a pas nécessairement intégré le droit national de celui-ci.
35. Ainsi que cela a déjà été souligné, l'article 5, paragraphes 2 et 3, permet dans certaines conditions à l'État membre d'accueil d'interdire à l'avocat migrant certaines activités et, dans le domaine de la représentation et de la défense d'un client en justice, de lui imposer certaines obligations.
36. L'article 6, paragraphe 1, soumet l'avocat exerçant sous son titre professionnel d'origine non seulement aux règles professionnelles et déontologiques applicables dans son État membre d'origine, mais également aux mêmes règles professionnelles et déontologiques que les avocats exerçant sous le titre professionnel de l'État membre d'accueil pour toutes les activités qu'il exerce sur le territoire de celui-ci.
37. L'article 6, paragraphe 3, permet à l'État membre d'accueil d'exiger de l'avocat exerçant sous son titre professionnel d'origine qu'il soit couvert par une assurance de responsabilité professionnelle ou un fonds de garantie professionnelle, selon les règles qu'il fixe sur son territoire, à moins que l'avocat concerné ne bénéficie déjà d'une telle couverture selon les règles de son État membre d'origine, sans préjudice de la possibilité d'exiger, en cas d'équivalence partielle, la souscription d'une assurance ou d'une garantie complémentaire.
38. En vertu de l'article 7, paragraphe 1, en cas de manquement de l'avocat exerçant sous son titre professionnel d'origine aux obligations en vigueur dans l'État membre d'accueil, les règles de procédure disciplinaire, les sanctions disciplinaires et les recours prévus dans cet État reçoivent application.
39. L'article 7, paragraphes 2 et 3, prévoit, en matière disciplinaire, des obligations d'information réciproque et de coopération entre l'autorité compétente de l'État membre d'origine et celle de l'État membre d'accueil.
40. L'article 7, paragraphe 4, ajoute que l'autorité compétente de l'État membre d'origine décide des suites à donner en application de ses propres règles de forme et de fond à la décision prise dans le domaine disciplinaire par l'autorité compétente de l'État membre d'accueil à l'égard de l'avocat exerçant sous son titre professionnel d'origine.
41. Enfin, l'article 7, paragraphe 5, dispose que le retrait temporaire ou définitif de l'autorisation d'exercer la profession par l'autorité compétente de l'État membre d'origine entraîne automatiquement pour l'avocat concerné l'interdiction temporaire ou définitive d'exercer sous son titre professionnel d'origine dans l'État membre d'accueil.
42. Par ailleurs, il y a lieu d'observer que, effectivement, les règles déontologiques applicables aux avocats comportent le plus souvent, à l'instar de l'article 3.1.3 du Code de déontologie adopté par le Conseil des barreaux de l'Union européenne (CCBE), une obligation, sanctionnée disciplinairement, de ne pas traiter des affaires dont les professionnels en cause savent ou devraient savoir qu'elles échappent à leur compétence, sans préjudice de la mise en œuvre des règles de responsabilité applicables.
43. Dès lors, il apparaît que le législateur communautaire, en vue de faciliter l'exercice de la liberté fondamentale d'établissement d'une catégorie déterminée d'avocats migrants, a préféré, à un système de contrôle a priori d'une qualification dans le droit national de l'État membre d'accueil, un dispositif alliant une information du consommateur, des limitations apportées à l'étendue ou aux modalités d'exercice de certaines activités de la profession, un cumul des règles professionnelles et déontologiques à observer, une obligation d'assurance, ainsi qu'un régime disciplinaire associant les autorités compétentes de l'État membre d'origine et de l'État membre d'accueil. Il n'a pas supprimé l'obligation de connaissance du droit national applicable dans les dossiers traités par l'avocat en cause, mais a seulement dispensé celui-ci de la justification préalable de cette connaissance. Il a ainsi admis, le cas échéant, l'assimilation progressive de connaissances par la pratique, assimilation facilitée par l'expérience acquise dans d'autres droits dans l'État membre d'origine. Il a également pu prendre en compte l'effet dissuasif du régime disciplinaire et de celui de la responsabilité professionnelle.
44. En opérant un tel choix du mode et du niveau de protection des consommateurs et de garantie d'une bonne administration de la justice, il n'a pas méconnu les limites de son pouvoir d'appréciation.
45. En conséquence, la seconde branche du premier moyen doit également être rejetée.
Sur la violation de l'article 57, paragraphe 2, deuxième phrase, du traité
46. Dans le cadre de son deuxième moyen, le grand-duché de Luxembourg soutient que la directive 98-5 aurait dû être adoptée non pas à la majorité qualifiée selon la procédure visée à l'article 189 B du traité, mais à l'unanimité, en application de l'article 57, paragraphe 2, deuxième phrase, du traité.
47. Il rappelle les termes de l'article 57, paragraphe 2, du traité:
"Aux mêmes fins [faciliter l'accès aux activités non salariées et leur exercice], le Conseil arrête ... les directives visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres concernant l'accès aux activités non salariées et l'exercice de celles-ci. Le Conseil statue à l'unanimité, sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, sur les directives dont l'exécution dans un État membre au moins comporte une modification des principes législatifs existants du régime des professions en ce qui concerne la formation et les conditions d'accès de personnes physiques. Dans les autres cas, le Conseil statue conformément à la procédure visée à l'article 189 B."
48. Selon lui, dans plusieurs États membres, la directive 98-5 modifie précisément, en ses articles 2, 5 et 11, des principes majeurs existants relatifs à la formation et à l'accès des personnes physiques à la profession d'avocat.
49. S'agissant de la formation, la modification serait manifeste, puisque ne seraient plus exigées ni une formation préalable dans le droit de l'État membre d'accueil ni une reconnaissance de l'équivalence après une épreuve d'aptitude.
50. S'agissant de l'accès, les principes le régissant seraient également modifiés par la directive 98-5, puisque celle-ci:
- en ses articles 2 et 5, autoriserait l'exercice plein de la profession d'avocat sous le titre professionnel d'origine, ce qui était impossible auparavant dans la grande majorité des États membres, et éliminerait pour les avocats migrants l'obligation d'acquérir des connaissances dans le droit de l'État membre d'accueil;
- en son article 11, libéraliserait l'exercice en groupe de la profession d'avocat, y compris dans des États membres qui n'autorisaient pas cette forme d'exercice et cette modalité d'accès.
51. Le requérant souligne tout particulièrement que la directive 98-5 mettrait fin au principe législatif de contrôle des connaissances en droit luxembourgeois de tout candidat à la profession d'avocat, au détriment de la protection des consommateurs.
52. Le Conseil et le Parlement affirment que l'article 57, paragraphe 2, deuxième phrase, du traité doit être interprété de façon stricte, s'agissant d'une disposition d'exception, dérogatoire à la procédure de droit commun. Ils considèrent que les conditions d'application de ladite disposition ne sont pas remplies en l'espèce. Le Parlement, soutenu par le Royaume d'Espagne, souligne que la directive 98-5 établit le principe d'une reconnaissance mutuelle des titres professionnels acquis selon les modalités prévues par chaque État membre, en vue de garantir le droit d'établissement des avocats, sur la base de l'un de ces titres, sur l'ensemble du territoire communautaire. Il en déduit que, dans cette mesure, l'acte attaqué relève de l'article 57, paragraphe 1, du traité. La Commission, quant à elle, fait valoir que la directive 98-5 instaure un mécanisme de reconnaissance mutuelle des autorisations d'exercer, relevant, comme tel, de l'article 57, paragraphes 1 et 2, première et troisième phrases, du traité.
53. En ce qui concerne l'exercice en groupe de la profession d'avocat, le Conseil, le Royaume des Pays-Bas et la Commission affirment qu'il relève en toute hypothèse des modalités d'exercice de la profession et non de principes législatifs relatifs à l'accès à celle-ci.
54. Il y a lieu de rappeler que l'article 57, paragraphe 1, du traité dispose:
"Afin de faciliter l'accès aux activités non salariées et leur exercice, le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l'article 189 B, arrête des directives visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres."
55. Il doit être constaté ensuite que la directive 98-5, qui vise effectivement à faciliter, notamment, l'exercice à titre indépendant de la profession d'avocat, consacre, en ses articles 2 et 5, sous réserve de certaines exceptions, le droit de tout avocat d'exercer à titre permanent, dans tout autre État membre, sous son titre professionnel d'origine, les mêmes activités professionnelles que l'avocat exerçant sous le titre professionnel approprié de l'État membre d'accueil, y compris celle de conseil dans le droit national de celui-ci.
56. Elle institue ainsi un mécanisme de reconnaissance mutuelle des titres professionnels des avocats migrants souhaitant exercer sous leur titre professionnel d'origine. Ce mécanisme complète celui introduit par la directive 89-48, lequel vise, en ce qui concerne les avocats, à permettre l'exercice sans limitations de la profession sous le titre professionnel de l'État membre d'accueil.
57. Contrairement à l'affirmation du grand-duché de Luxembourg, les articles 2 et 5 de la directive 98-5 relèvent donc du champ d'application de l'article 57, paragraphe 1, du traité, et non pas du paragraphe 2, deuxième phrase, du même article.
58. En conséquence, l'argument tiré d'une modification de principes législatifs existants du régime des professions au sens de l'article 57, paragraphe 2, deuxième phrase, du traité, modification qui aurait nécessité l'adoption à l'unanimité de la directive 98-5, n'est pas pertinent en ce qui concerne les articles 2 et 5 de cette dernière.
59. S'agissant de l'article 11 de la directive 98-5, relatif à l'exercice en groupe de la profession d'avocat, il suffit de constater qu'il régit non pas une condition d'accès à la profession d'avocat, mais une modalité d'exercice de celle-ci. De surcroît, ainsi que le soulignent le Parlement, le Conseil, le Royaume d'Espagne et la Commission, cette disposition n'impose pas à l'État membre d'accueil d'admettre une telle modalité s'il ne permet pas l'exercice en groupe pour les avocats exerçant sous le titre professionnel approprié. Dès lors, l'adoption des règles relatives à l'exercice en groupe a pu légalement avoir lieu sur le fondement de l'article 57, paragraphe 2, première et troisième phrases, du traité.
60. Il résulte de ce qui précède que le deuxième moyen doit être rejeté.
Sur la violation de l'article 190 du traité
61. Le grand-duché de Luxembourg soutient que la directive 98-5 viole l'obligation de motivation énoncée à l'article 190 du traité, en ce qu'elle ne contient pas une justification sérieuse de l'abandon de toute exigence de qualification préalable dans le droit national de l'État membre d'accueil. Elle ne contiendrait pas davantage l'explication de la nécessité d'admettre, d'une part, un accès immédiat avec plénitude de compétence dès le premier jour, y compris en droit national, à l'avocat exerçant sous son titre professionnel d'origine, et, d'autre part, un exercice ultérieur illimité sous ce titre. Le requérant estime enfin que la motivation des troisième, quatrième et quatorzième considérants est partiellement contradictoire. Les énonciations de ces considérants, qui se réfèrent à l'objectif de l'obtention par l'avocat migrant du titre professionnel de l'État membre d'accueil au terme d'une certaine période, seraient en contradiction avec le choix de légitimer l'exercice sous le titre professionnel d'origine sans limitation de durée.
62. Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la portée de l'obligation de motivation dépend de la nature de l'acte en cause et que, s'agissant d'actes à portée générale, la motivation peut se borner à indiquer, d'une part, la situation d'ensemble qui a conduit à son adoption et, d'autre part, les objectifs généraux qu'il se propose d'atteindre. Si l'acte contesté fait ressortir l'essentiel de l'objectif poursuivi par l'institution, il serait excessif d'exiger une motivation spécifique pour les différents choix techniques opérés (voir, notamment, arrêt du 19 novembre 1998, Royaume-Uni/Conseil, C-150-94, Rec. p. I-7235, points 25 et 26).
63. En l'espèce, la directive 98-5 contient une description cohérente et suffisante de la situation d'ensemble qui a conduit à son adoption:
- l'abolition, entre les États membres, des obstacles à la libre circulation des personnes et des services constitue l'un des objectifs de la Communauté, cette libre circulation comportant notamment la faculté pour les ressortissants des États membres d'exercer une profession, à titre indépendant ou salarié, dans un État membre autre que celui où ils ont acquis leurs qualifications professionnelles (premier considérant);
- un avocat pleinement qualifié dans un État membre peut d'ores et déjà, en application de la directive 89-48, demander la reconnaissance de son diplôme pour s'établir dans un autre État membre afin d'être intégré dans la profession d'avocat de l'État membre d'accueil et d'y exercer sous le titre professionnel de celui-ci (deuxième considérant);
- dans le domaine de la prestation des services, la directive 77-249 permet déjà aux avocats d'un État membre, sous certaines réserves, d'exercer leur activité dans un autre État membre, en pratiquant le droit de leur État membre d'origine, le droit communautaire, le droit international et le droit de l'État membre d'accueil (dixième considérant);
- seuls quelques États membres permettent, sur leur territoire, l'exercice d'activités d'avocat, autrement que sous forme de prestations de services, par des avocats venant d'autres États membres et exerçant sous leur titre professionnel d'origine; toutefois, dans les États membres où cette possibilité existe, elle revêt des modalités très différentes, une telle diversité de situations se traduisant par des inégalités et des distorsions de concurrence entre les avocats des États membres et constituant un obstacle à la libre circulation (sixième considérant).
64. La directive 98-5 contient également une indication des objectifs généraux qu'elle se propose d'atteindre:
- des avocats pleinement qualifiés qui n'intègrent pas rapidement la profession de l'État membre d'accueil, notamment par le moyen de la réussite à une épreuve d'aptitude, telle que prévue par la directive 89-48, doivent pouvoir obtenir cette intégration au terme d'une certaine période d'exercice professionnel dans l'État membre d'accueil sous leur titre professionnel d'origine ou poursuivre leur activité sous leur titre professionnel d'origine (troisième considérant);
- une action en la matière au niveau communautaire vise, d'une part, à offrir aux avocats une voie plus aisée d'intégration dans la profession dans un État membre d'accueil par rapport au système général de reconnaissance et, d'autre part, à répondre aux besoins de conseils des usagers du droit lors des transactions transfrontalières (cinquième considérant);
- elle vise également à résoudre les problèmes liés à la distorsion de concurrence et à l'obstacle à la libre circulation résultant des modalités très différentes d'exercice de la profession sous le titre professionnel d'origine dans les États membres qui autorisent déjà un tel exercice (sixième considérant);
- la directive vise à garantir une bonne information des consommateurs en prévoyant que les avocats non intégrés dans la profession de l'État membre d'accueil sont tenus d'exercer dans cet État sous leur titre professionnel d'origine (neuvième considérant).
65. Il apparaît ainsi que le législateur communautaire a satisfait, dans le cadre de l'adoption d'un acte de portée générale, à l'obligation de motivation édictée par l'article 190 du traité.
66. Au titre de cette obligation, il n'était pas tenu de motiver spécialement le choix qu'il a opéré, aux fins de la mise en œuvre de ses objectifs généraux, d'une dispense de justification d'une qualification préalable dans le droit national de l'État membre d'accueil ainsi que de l'octroi du droit corrélatif d'exercice immédiat de la profession dans le domaine de ce droit. Il n'était pas davantage tenu de motiver spécialement le choix, effectué aux mêmes fins, de ne pas limiter dans le temps le droit d'exercer dans l'État membre d'accueil sous le titre professionnel d'origine. Au demeurant, le législateur communautaire n'est pas tenu d'assortir de limites dans le temps une mesure visant à faciliter l'exercice de la liberté d'établissement, dans la mesure où, par définition, cette liberté suppose la possibilité d'une participation stable et continue à la vie économique de l'État membre d'accueil.
67. Enfin, aucune contradiction ne peut être constatée entre, d'une part, les considérants qui se réfèrent à l'objectif de l'obtention par l'avocat migrant du titre professionnel de l'État membre d'accueil au terme d'une certaine période et, d'autre part, le choix du législateur communautaire d'autoriser sans limitation de durée l'exercice sous le titre professionnel d'origine. En effet, les deux types d'exercice de la profession sont soumis à des régimes distincts, le second connaissant des limitations propres encadrant la dispense de justification d'une qualification préalable dans le droit national de l'État membre d'accueil. En outre, ainsi que cela a été souligné, une mesure communautaire visant à faciliter la liberté d'établissement n'exige pas une limitation de son effet dans le temps.
68. Dans ces conditions, le troisième moyen doit également être rejeté.
69. Aucun des trois moyens soulevés n'ayant été accueilli, le recours doit finalement être rejeté.
Sur les dépens
70. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Le grand-duché de Luxembourg ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions en ce sens du Parlement et du Conseil. Aux termes de l'article 69, paragraphe 4, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Le Royaume d'Espagne, le Royaume des Pays-Bas, le Royaume-Uni ainsi que la Commission supporteront donc leurs propres dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
déclare et arrête:
1) Le recours est rejeté.
2) Le grand-duché de Luxembourg est condamné aux dépens.
3) Le Royaume d'Espagne, le Royaume des Pays-Bas, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord ainsi que la Commission des Communautés européennes supporteront leurs propres dépens.