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Décisions

TPICE, 5e ch., 20 octobre 2008, n° T-487/07

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Imperial Chemical Industries Plc

Défendeur :

Office de l'harmonisation dans le marché intérieur

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vilaras

Juges :

MM. Prek, Ciuca (rapporteur)

Avocat :

Me Malynicz

TPICE n° T-487/07

20 octobre 2008

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

Faits et procédure

1 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 décembre 2007, la requérante, Imperial Chemical Industries Plc, a introduit un recours contre la décision de la quatrième chambre de recours de l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) du 24 octobre 2007 (affaire R 668/2007-4), rejetant la demande d'enregistrement de la marque verbale Factory Finish comme marque communautaire pour les produits relevant de la classe 2 au sens de l'arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l'enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié.

2 La requête indique que la requérante est conjointement représentée par M. S. Malynicz, barrister, et M. W. Johnston, " Patent Attorney Litigator ". La requête est conjointement signée par MM. Malynicz et Johnston.

3 Lors de la procédure administrative devant l'OHMI, la requérante était représentée par M. Johnston en sa qualité de " Patent Attorney Litigator ".

4 Par acte séparé enregistré au greffe du Tribunal le 21 décembre 2007, la requérante a introduit la présente demande, par laquelle elle demande à être représentée conjointement par MM. Malynicz, barrister au barreau d'Angleterre et du pays de Galles, et Johnston, " Patent Attorney Litigator ".

5 L'OHMI a déposé ses observations écrites en réponse à cette demande le 17 mars 2008.

Conclusions des parties

6 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal d'habiliter M. Johnston à la représenter dans le cadre du recours introduit devant le Tribunal dans la présente affaire.

7 L'OHMI conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter la demande formée en vertu de l'article 114 du règlement de procédure du Tribunal ;

- condamner la requérante aux dépens.

Appréciation du Tribunal

8 Aux termes de l'article 114 du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur un incident de procédure sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire. En l'espèce, le Tribunal s'estime suffisamment éclairé par l'examen des pièces du dossier pour statuer sur la demande sans ouvrir la procédure orale.

9 Il y a lieu de rappeler qu'il ressort clairement de l'article 19 du statut de la Cour de justice que seul un avocat habilité à exercer devant une juridiction d'un État membre ou d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen (EEE) peut représenter ou assister les parties autres que les États et les institutions visés aux premier et deuxième alinéas du même article. Cette exigence trouve sa raison d'être dans le fait que l'avocat est considéré comme un collaborateur de la justice, appelé à fournir, en toute indépendance et dans l'intérêt supérieur de celle-ci, l'assistance légale dont le client a besoin. Cette protection a pour contrepartie la discipline professionnelle, imposée et contrôlée dans l'intérêt général par les institutions habilitées à cette fin. Une telle conception répond aux traditions juridiques communes aux États membres et se retrouve également dans l'ordre juridique communautaire [ordonnance du Tribunal du 9 septembre 2004, Alto de Casablanca/OHMI - Bodegas Chivite (Veramonte), T-14-04, Rec. p. II-3077, points 9 et 10].

10 Le Tribunal a déjà jugé, en tenant compte de ces considérations, qu'un " Patent Attorney " (agent en brevets), membre du Chartered Institute of Patent Attorneys (CIPA, ordre des agents en brevets du Royaume-Uni) n'était pas un avocat et n'était pas, par conséquent, habilité à représenter une partie devant le Tribunal, quand bien même il serait en droit de représenter des parties dans certains recours devant les juridictions du Royaume-Uni [ordonnance Veramonte, précitée, point 11 ; voir également, s'agissant d'un " Patentanwalt " habilité à représenter une partie devant certaines juridictions allemandes, arrêt du Tribunal du 8 juin 2005, Wilfer/OHMI (Rockbass), T-315-03, Rec. p. II-1981, point 11].

11 La requérante ne conteste pas cette jurisprudence, mais fait valoir que le cas de M. Johnston est différent, dès lors que celui-ci serait habilité à conduire une procédure devant certaines juridictions supérieures, incluant, notamment, le droit de donner un mandat à un barrister sans qu'il soit nécessaire de faire appel à un solicitor. À la différence d'un " Patent Attorney ", le " Patent Attorney Litigator " serait autorisé à conduire une procédure devant la High Court of Justice (England & Wales), y compris devant la Patent Court (chambre des brevets), et devant la Court of Appeal (England & Wales), en appel des décisions des Patents County Courts (England & Wales) ou de la High Court of Justice, (England & Wales), dans toute affaire concernant les brevets, les modèles, les marques ou la documentation technique. Selon la législation du Royaume-Uni, applicable en Angleterre et au pays de Galles, ainsi que selon son statut professionnel, le " Patent Attorney Litigator " remplirait les critères de l'article 19 du statut de la Cour établis dans l'ordonnance Veramonte, précitée (points 9 et 10).

12 La requérante ajoute que la notion d'avocat au sens de l'article 19 du statut de la Cour devrait être interprétée au sens large, conformément aux différentes traditions juridiques des États membres, ce qui inclurait le " Patent Attorney Litigator ". À cet égard, la requérante soutient que le " Patent Attorney Litigator " serait soumis à une discipline professionnelle spéciale et à des règles de conduite spéciales. Enfin, la requérante invoque le Legal Services Act 2007 (loi sur les services juridiques de 2007), lequel attesterait du statut d'avocat du " Patent Attorney Litigator ".

13 Le Tribunal relève que, en vertu de l'article 19, quatrième alinéa, du statut de la Cour, une personne ne peut valablement représenter devant le Tribunal une partie non privilégiée que si cette personne remplit deux conditions cumulatives, à savoir, d'une part, qu'elle ait la qualité d'avocat et, d'autre part, qu'elle soit habilitée à exercer devant une juridiction d'un État membre ou d'un autre État partie à l'accord sur l'EEE (ordonnance de la Cour du 20 février 2008, Comunidad Autónoma de Valencia - Generalidad Valenciana/Commission, C-363-06 P, non encore publiée au Recueil, point 21).

14 Ainsi, l'habilitation à exercer devant une juridiction ou même devant toutes les juridictions d'un État membre ne saurait suffire pour conférer le droit de représenter une partie requérante devant les juridictions communautaires à M. Johnston [voir, en ce sens, ordonnances du Tribunal du 28 février 2005, ET/OHMI - Aparellaje eléctrico (Unex), T-445-04, Rec. p. II-677, point 9, et du 26 juin 2006, Vonage Holdings/OHMI (Redefining Communications), T-453-05, Rec. p. II-1877, point 13].

15 Partant, l'affirmation de la requérante, selon laquelle M. Johnston serait habilité à conduire une procédure devant certaines juridictions supérieures du Royaume-Uni, ne suffit pas à elle seule à lui reconnaître la qualité de représentant de la requérante. Ainsi, il résulte de la jurisprudence évoquée au point 10 ci-dessus que la conclusion selon laquelle un agent de brevets du CIPA n'est pas habilité à représenter une partie devant le Tribunal découle de la circonstance qu'un tel agent n'est pas un avocat, et ce bien qu'il soit habilité à représenter des parties devant certaines juridictions du Royaume-Uni.

16 Dès lors, ce n'est que s'il était démontré que, à la différence d'un agent de brevets ordinaire, un " Patent Attorney Litigator " doit être considéré comme étant un avocat que M. Johnston pourrait être admis à représenter une partie devant le Tribunal.

17 La requérante fait valoir que tel est effectivement le cas et invoque à cet égard, d'une part, la circonstance qu'un " Patent Attorney Litigator " serait soumis à une discipline professionnelle et à des règles de conduite spéciales et, d'autre part, la législation du Royaume-Uni, applicable en Angleterre et au pays de Galles, qui assimilerait une telle personne à un avocat.

18 S'agissant, en premier lieu, de la discipline professionnelle et des règles de conduite spéciales prétendument applicables aux " Patent Attorney Litigators ", il ressort des considérations et de la jurisprudence évoquées au point 9 ci-dessus qu'un avocat, au sens de l'article 19 du statut de la Cour, est notamment caractérisé par le fait qu'il est soumis à une discipline professionnelle, imposée et contrôlée dans l'intérêt général par les institutions habilitées à cette fin, telles que les barreaux.

19 Selon les propres affirmations de la requérante, les règles de conduite et de discipline professionnelle applicables aux " Patent Attorney Litigators " ont été arrêtées par le CIPA, qui en contrôle également l'application. Or, le CIPA étant l'organisme professionnel dont relève tout " Patent Attorney " et pas seulement les " Patent Attorney Litigators ", il ne saurait être assimilé à une institution habilitée au sens de la jurisprudence évoquée aux points 9 et 10 ci-dessus. Il s'ensuit que les règles et la discipline professionnelle invoquées par la requérante ne sauraient justifier la conclusion selon laquelle un " Patent Attorney Litigator " doit être considéré comme étant un avocat, au sens de l'article 19 du statut de la Cour.

20 S'agissant, en second lieu, des arguments de la requérante tirés de la législation du Royaume-Uni, applicable en Angleterre et au pays de Galles, il convient de relever que, contrairement à l'habilitation à exercer devant une juridiction d'un État membre ou d'un autre État partie à l'accord sur l'EEE, la notion d'avocat ne comporte aucun renvoi exprès au droit desdits États pour déterminer son sens et sa portée. Dès lors, et selon une jurisprudence constante, il découle des exigences tant de l'application uniforme du droit communautaire que du principe d'égalité que les termes d'une telle disposition du droit communautaire, en l'occurrence le terme " avocat ", doivent normalement trouver dans toute la Communauté une interprétation autonome et uniforme, qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition et de l'objectif poursuivi par la réglementation en cause (voir ordonnance Comunidad Autónoma de Valencia - Generalidad Valenciana/Commission, précitée, point 25, et la jurisprudence citée).

21 Il en résulte que l'argumentation de la requérante selon laquelle le terme " avocat ", au sens de l'article 19 du statut de la Cour, devrait être interprété au sens large conformément aux différentes traditions juridiques des États membres ne saurait être accueillie. Ainsi qu'il ressort de la jurisprudence citée au point 20 ci-dessus, le terme " avocat ", non défini dans le statut de la Cour, doit faire l'objet d'une interprétation communautaire.

22 Il résulte des considérations qui précèdent qu'un " Patent Attorney Litigator ", tel que M. Johnston, n'est pas un avocat au sens de l'article 19 du statut de la Cour et, par conséquent, n'est pas habilité à représenter une partie devant le Tribunal.

23 Cette conclusion est confirmée par les dispositions, d'une part, de la directive 77-249-CEE du Conseil, du 22 mars 1977, tendant à faciliter l'exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats (JO L 78, p. 17), et, d'autre part, de la directive 98-5-CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998, visant à faciliter l'exercice permanent de la profession d'avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise (JO L 77, p. 36).

24 La directive 77-249 définit l'avocat dans son article 1er, paragraphe 2, comme suit :

" 2. Par 'avocat', on entend toute personne habilitée à exercer ses activités professionnelles sous l'une des dénominations ci-après :

[...]

au Royaume-Uni : Advocate/Barrister/Solicitor. "

25 La même définition du terme " avocat " est employée par la directive 98/5 dans son article 1er, paragraphe 2 :

" 2. Aux fins de la présente directive, on entend par :

a) 'avocat' : toute personne, ressortissant d'un État membre, habilitée à exercer ses activités professionnelles sous l'un des titres professionnels mentionnés ci-après :

[...]

au Royaume-Uni : Advocate/Barrister/Solicitor. "

26 Or, le titre de " Patent Attorney Litigator " ne figure pas parmi les titres qui définissent la notion d'avocat dans la directive 77-249 et dans la directive 98-5. Il s'ensuit que M. Johnston, en sa qualité de " Patent Attorney Litigator ", ne porte pas un titre conférant la qualité d'avocat et n'est ainsi pas formellement reconnu en tant qu'avocat.

27 Il est, certes, exact que les deux directives susvisées tendent à faciliter l'exercice effectif de la libre prestation de services et l'exercice permanent de la profession d'avocat dans la Communauté et ne se réfèrent pas à la représentation d'une partie par un avocat devant les juridictions communautaires.

28 Toutefois, aux fins de l'application, à la fois de l'article 19 du statut de la Cour et des directives susvisées, la notion d'avocat doit faire l'objet d'une interprétation uniforme. En effet, cette approche est la seule qui permette d'éviter l'admission paradoxale, en tant que représentant d'une partie devant les juridictions communautaires, d'une personne qui ne serait pas habilitée à la représenter devant les juridictions nationales des États membres autres que son État d'origine.

29 Il résulte de tout ce qui précède que la présente demande doit être rejetée.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

ordonne :

1) La demande tendant à ce que le Tribunal reconnaisse à M. W. Johnston la qualité de représentant d'Imperial Chemical Industries Plc est rejetée.

2) Les dépens sont réservés.