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Décisions

Cass. com., 9 mars 2010, n° 09-11.330

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Serna (Epoux), TB Art international (SARL)

Défendeur :

Thieffry, Les Grands Magasins de la Samaritaine Maison Ernest Cognacq (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Rapporteur :

M. Sémériva

Avocat général :

M. Bonnet

Avocats :

Me Foussard, SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, SCP Thomas-Raquin, Bénabent

TGI Paris, du 9 mars 2007

9 mars 2007

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 décembre 2008), que M. et Mme Serna, titulaires d'une marque semi-figurative dont l'élément verbal est le terme "Le Verre français", enregistrée afin de désigner notamment des lampes et lampadaires en classe 11, ainsi que d'autres produits et services en classes 21 et 42, ont, aux côtés de la société TB Art international, licenciée de cette marque, fait pratiquer des saisies contrefaçon le 15 juin 2005, puis ont agi à l'encontre de M. Thieffry et de la société Les Grands Magasins de la Samaritaine Maison Ernest Cognacq en contrefaçon et concurrence déloyale, pour avoir offert à la vente des lampadaires fabriqués en Italie, revêtus du signe ainsi protégé et reprenant certaines caractéristiques des produits fabriqués et commercialisés par leurs soins ;

Sur le premier moyen : - Attendu que M. et Mme Serna et la société TB Art international font grief à l'arrêt d'avoir prononcé la déchéance, à compter du 26 juin 2003, des droits attachés à cette marque, désignant des produits dans les classes 11 et 21 et des services dans la classe 42, et d'avoir en conséquence rejeté leur action en contrefaçon, alors, selon le moyen : 1°) qu'en prononçant la déchéance de la marque "Le Verre français" pour l'ensemble des produits et services qu'elle désigne en classes 11, 21 et 42, cependant que la société La Samaritaine ne sollicitait la déchéance que pour les produits des classes 11 et 21, mais ne formulait aucune demande en ce sens pour les services de la classe 42, la cour d'appel a méconnu les termes du litige en violation de l'article 4 du Code de procédure civile ; 2°) que si la déchéance pour défaut d'usage sérieux peut être demandée en justice par toute personne qui a intérêt à ce que le signe soit rendu disponible, pour les produits et services autres que ceux visés par l'action en contrefaçon, n'est recevable à agir en déchéance pour défaut d'usage sérieux que celui qui justifie que le maintien de la marque est susceptible de causer une entrave à son activité économique, notamment en l'empêchant de commercialiser ces produits et services ; qu'en l'espèce, les époux Serna et la société TB Art international faisaient valoir, dans leurs conclusions d'appel, que la société La Samaritaine ne justifiait d'aucun intérêt à agir en déchéance, dès lors que sa demande en déchéance n'était pas limitée aux lampes et lampadaires, seuls produits concernés par l'action en contrefaçon, et que le maintien de la marque "Le Verre français" ne pouvait par définition entraver son activité économique, étant donné que son unique établissement était fermé pour une durée indéterminée ; qu'en se bornant à relever que "la demande en déchéance de la marque contestée doit être, préalablement, examinée, dès lors que la solution apportée est susceptible d'avoir une influence au regard de la demande au fond (...) au titre de la contrefaçon", sans rechercher, comme elle y était invitée par les conclusions des époux Serna et de la société TB Art international, si la société Grands Magasins de la Samaritaine Maison Ernest Cognacq justifiait d'un intérêt à agir en déchéance pour les produits autres que les lampes et lampadaires visés par l'action en contrefaçon, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 714-5, alinéa 3, du Code de la propriété intellectuelle ; 3°) qu'une marque fait l'objet d'un usage sérieux pour des produits lorsqu'elle est utilisée sur le marché, conformément à sa fonction essentielle de garantie d'origine, pour désigner les produits en cause, sans qu'il soit nécessaire que la marque soit matériellement apposée sur lesdits produits ; qu'en l'espèce, les époux Serna et la société TB Art international versaient aux débats des factures se rapportant, notamment, à des lampes et lampadaires et portant la mention "fabrication et diffusion Le Verre Français", ainsi qu'un catalogue et des listes de tarifs, se rapportant également à des lampes et lampadaires et portant la mention "Le Verre français" ; qu'en retenant que ces factures, ce catalogue et ces listes de tarifs n'apportaient pas la preuve de l'usage sérieux de la marque "Le Verre français", parce que rien n'indiquerait que les produits qui y étaient mentionnés seraient revêtus de cette marque, sans rechercher si ces pièces n'établissaient pas que la marque était utilisée pour désigner les produits en cause, la cour d'appel s'est prononcée par motifs inopérants en violation de l'article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu, en premier lieu, que si le juge ne peut accorder plus que ce qui a été demandé, le prononcé sur des choses non demandées ne constitue pas un cas d'ouverture à cassation mais une irrégularité qui ne peut être réparée que selon la procédure prévue aux articles 463 et 464 du Code de procédure civile ;

Et attendu, en second lieu, qu'une marque fait l'objet d'un usage sérieux lorsqu'elle est utilisée conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l'identité d'origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée ; que l'arrêt retient qu'il n'est pas démontré que les produits commercialisés par ses titulaires et exploitant aient été revêtus de la marque faisant l'objet de l'action en déchéance ; qu'il relève encore qu'à supposer même une telle utilisation, le signe employé à cette occasion diffère de la marque enregistrée, en ce qu'une croix de Lorraine est substituée à la libellule figurant au dépôt, de sorte qu'il ne saurait être regardé comme une forme modifiée n'altérant pas le caractère distinctif de la marque ; que de ces constatations, la cour d'appel a justifié sa décision selon laquelle la marque n'avait pas fait l'objet d'un usage sérieux ; d'où il suit que le moyen, irrecevable en ses deux premières branches, n'est pas fondé pour le surplus ;

Et sur le second moyen, pris en sa seconde branche : - Attendu que M. et Mme Serna et la société TB Art international font grief à l'arrêt du rejet de leur action en concurrence déloyale, en ce qu'elle se fondait sur le caractère trompeur de l'apposition du terme "le verre français" sur des produits fabriqués à l'étranger, alors, selon le moyen, que se rend coupable d'actes de concurrence déloyale l'opérateur économique qui utilise des allégations de nature à tromper les consommateurs sur l'origine et la qualité des produits qu'il commercialise ; qu'en rejetant l'action en concurrence déloyale des époux Serna et de la société TB Art international, sans rechercher, comme elle y était invitée par les conclusions d'appel de ces derniers, si M. Thieffry et la société Magasins de la Samaritaine Maison Ernest Cognacq n'avaient pas commis des actes de concurrence déloyale par tromperie sur l'origine et la qualité de leurs produits, en utilisant la dénomination "le verre français" pour vendre des produits de qualité très inférieure qui n'étaient pas fabriqués en France, selon les méthodes de fabrication traditionnelles, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusions, en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'en retenant qu'aucun lien particulier n'était établi entre l'adjectif français et les lampes ou luminaires en pâte de verre de style art nouveau, la France n'étant pas dans son ensemble réputée pour ce type de produits, mais uniquement certaines de ses régions, la cour d'appel a répondu aux conclusions prétendument délaissées ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur ce moyen, pris en sa première branche : - Vu l'article 455 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour rejeter l'action en concurrence déloyale, en ce qu'elle était fondée sur l'imitation des caractéristiques des produits fabriqués et commercialisés par les demandeurs, l'arrêt énonce d'abord exactement que le simple fait de copier un produit concurrent qui n'est pas protégé par des droits de propriété intellectuelle ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale et que la recherche d'une économie au détriment d'un concurrent n'est pas en tant que telle fautive mais procède de la liberté du commerce et de la libre concurrence, sous réserve de respecter les usages loyaux du commerce ; qu'il se borne cependant à retenir ensuite que les produits fabriqués et commercialisés par les demandeurs s'inscrivent dans une mode d'articles de décoration largement usitée qui ne saurait être monopolisée par un seul acteur de ce segment de marché et que la seule reproduction sur les modèles opposés de la croix de Lorraine ne suffit pas à caractériser un risque de confusion, dès lors qu'une telle référence présente, au regard des objets en cause, un caractère banal et renvoie à une tradition locale et ancestrale propre à la région de Nancy, célèbre pour ses maîtres verriers ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans répondre aux conclusions des demandeurs soutenant qu'un risque de confusion résultait de l'apposition sur les produits litigieux du même signe "le verre français", au même endroit, dans les mêmes dimensions et en utilisant la même calligraphie que ceux dont ils faisaient usage, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;

Par ces motifs : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a rejeté l'action en concurrence déloyale, en tant que fondée sur l'imitation des caractéristiques des produits fabriqués et commercialisés par les demandeurs, l'arrêt rendu le 3 décembre 2008, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.