Livv
Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 2 mai 2006, n° 05-06484

DOUAI

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Service des Impôts des Entreprises de Valenciennes La Rhônelle

Défendeur :

TLMI Ltd (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Fossier

Conseillers :

M. Zanatta, M. Reboul

Avoué :

SCP Cocheme-Kraut-Labadie

Avocat :

Me Godin

T. com. Valenciennes, JLD, du 24 oct. 20…

24 octobre 2005

Faits et procédure

Le Service des Impôts des Entreprises de Valenciennes La Rhônelle a présenté en date du 27 mai 2005 une demande d'assignation en liquidation judiciaire à l'encontre de la société Trading Logistics Mediations International Ltd, dite TLMI, entreprise de négoce international de produits alimentaires et non alimentaires, qui ne réglait pas les impôts (15 766 928 euro) mis à sa charge suite à vérification fiscale.

La société n'est pas immatriculée au registre du commerce et des sociétés. En effet, le siège social statutaire est fixé en Angleterre. Toutefois, les services fiscaux, dans le cadre d'un contrôle sur place, se sont convaincus de l'existence d'une activité dissimulée en France et ont retenu la fictivité du siège statutaire. La réalité serait que le siège et le centre économique de TLMI sont établis en France, chez un tiers, la SARL Société Courtage en Assurances, dit SCA, centre tertiaire Tertia, 10 rue Henri Matisse 59300 Aulnoy Les Valenciennes.

A cet égard, l'ensemble des documents qui ont été appréhendés préalablement à la vérification fiscale établiraient que Monsieur Y Z, demeurant 11 rue Léon Blum à 59900 Estreux, est le maître de l'affaire. Il est d'ailleurs statutairement le directeur de cette société. En outre, il en possède la totalité des parts sociales.

D'autre part, il a été révélé la présence en France, à son domicile et principalement dans les locaux de la société SCA, d'un certain nombre de documents appartenant à la société TLMI. Le nombre de documents ayant pu être appréhendés atteint un volume papier impossible à déplacer uniquement dans un attaché-case ou même dans une valise que pourrait posséder occasionnellement un dirigeant français se déplaçant régulièrement à l'étranger pour assumer ses fonctions au sein d'une société de droit anglais.

Ces documents visent à la fois de simples correspondances commerciales, mais aussi des contrats confidentiels de non-divulgation et de non-évincement, des contrats d'achats, des dossiers techniques sur les caractéristiques des produits concernés, sur les conditions de négociations et d'acheminements de ces produits. En résumé, l'ensemble de l'activité commerciale et du processus de mise en place des transactions de la société TLMI est traduit par les documents appréhendés en France.

Par ailleurs, il a été relevé l'existence de matériels informatiques fixes de type PC utilisés dans le cadre de l'activité de la société TLMI, tant au bureau de la société SCA que chez Monsieur Y lui-même.

La société SCA est une société de courtage d'assurances. Cette société est dirigée par Mme Y ; M. Y y est salarié. Cette société d'assurance n'a aucune relation juridique, commerciale, financière avec la société TLMI. Enfin, les comptes bancaires présentés par Monsieur et Madame Y n'ont révélé aucune dépense de type frais de déplacement ou frais de séjour en Angleterre, ce qui corrobore la localisation française de l'activité de direction par Monsieur Y

2° La procédure:

Le X des Impôts de Valenciennes La Rhônelle a fait assigner, par procès-verbal de recherches infructueuses du 27 mai 2005, la société TLMI devant le Tribunal de commerce de Valenciennes en liquidation judiciaire immédiate.

L'affaire a été évoquée devant le Tribunal de commerce de Valenciennes lors de l'audience du 13 juin 2005, aucun représentant de la société n'ayant comparu. Après avoir pris acte de la demande, le Tribunal de commerce de Valenciennes a renvoyé l'affaire en Chambre du Conseil le 27 juin 2005 pour prononcer la liquidation.

Lors de l'audience du 27 juin 2005, M. Y, dirigeant de la société, a réfuté la position de l'administration étant précisé que le tribunal a noté que l'intéressé s'est présenté en se prétendant l'un des gérants et associé de la société TLMA mais sans attestation de cette qualité. L'affaire a été de nouveau renvoyée en Chambre du Conseil à l'audience du 3 octobre 2005.

Les mêmes parties ont comparu à cette audience et l'affaire a été mise en délibéré afin de permettre à M. Y ès qualités de faire parvenir ses pièces au tribunal. (Dépôt des documents le 5 octobre 2005).

Après ces reports d'audience, le jugement a été rendu le 24 octobre 2005 et le Tribunal de commerce de Valenciennes s'est déclaré incompétent ratione loci dans son jugement du 24 octobre 2005 (dont appel) en motivant son analyse comme suit :

Attendu qu'il résulte des éléments versés aux débats et des informations portées à la connaissance du tribunal, que la société TLMA n'est pas immatriculée au registre du commerce et de sociétés de Valenciennes et que son siège statutaire est fixé en Angleterre;

Attendu que l'article 3 paragraphe 1 du règlement des Communautés européennes n° 1346-2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité, dispose : ... Pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu'à preuve du contraire, être le lieu du siège statutaire ; Or, attendu qu'à défaut de siège statutaire en France, dans le ressort du tribunal de ce siège, il n'est pas démontré - comme l'exige le règlement communautaire - que l'adresse d'Aulnoy-lez-Valenciennes correspond à un centre des intérêts principaux en France de cette société, ni qu'il existe à cette adresse un Etablissement permanent où se traiteraient des opérations commerciales de façon habituelle;

Attendu, dans ces conditions, qu'il y a lieu pour le tribunal, de dire Monsieur le X divisionnaire des impôts de Valenciennes La Rhônelle irrecevable en sa demande d'ouverture de liquidation judiciaire à l'égard la société TLMA et de l'en débouter, le Tribunal de commerce de Valenciennes étant incompétent ratione loci, en laissant les frais à sa charge;

La recette des impôts a simultanément introduit un contredit devant la cour et fait appel au fond. Les deux affaires seront jointes.

Devant la cour, la société TLMI, bien qu'assignée en mairie par acte régulier du 23.2.2006, n'a pas comparu.

Sur quoi LA COUR

a) Compétence

L'article 3 du règlement des Communautés européennes n° 1346-2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité (publié le 30 juin 2002 au JOCE n° L 160), règle la question de la compétence internationale pour l'ouverture des procédures collectives. Son paragraphe 1 énonce : 1. Les juridictions de l'état membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d'insolvabilité. Pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu'à preuve contraire, être le lieu du siège statutaire.

Au vu des faits rappelés précédemment, il est prouvé que le centre des intérêts principaux n'est pas le lieu du siège statutaire mais bien l'adresse sur Aulnoy-lez-Valenciennes. Notamment, M. Y apparaît de manière incontournable comme le maître de l'affaire (c'est-à-dire dirigeant et non un simple interlocuteur en France) dont il est prouvé, par de multiples éléments outre le procès-verbal d'huissier, que le centre des intérêts principaux se trouvait à Aulnoy-lez-Valenciennes. Ces éléments sont essentiellement issus des notifications de redressements rédigées suite au contrôle fiscal (annexes 1 et 2) et de la saisie de nombreux documents par le vérificateur.

Ainsi :

- Les extraits des notifications du 2 novembre 2004 relatent les constatations faites à partir des documents appréhendés - dossiers d'opérations de négoce - des documents juridiques et administratifs - des correspondances multiples, (copies de messages Internet ou de fax) - un ensemble de factures - Invoices et Proforma - Invoice - un ensemble de documents démontrant que M. Y est le maître de l'affaire.

- Des photocopies de certains (pièces n° l à V) de ces documents annexées au présent dossier étayent le bien fondé de la démonstration de l'activité française et par extension la demande d'assignation en liquidation judiciaire.

- Le procès-verbal de visite et de saisie (pièce n° 1) du 3 avril 2003 effectuées en vertu d'une ordonnance rendue par Madame Claire Devred, juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Valenciennes atteste de la réalité de la saisie de documents dans les locaux de la SARL Société de Courtages d'Assurances (SCA) centre Tertia 3000, 10, avenue Henri Matisse à Aulnoy-lez-Valenciennes (59), dirigée par Madame Monique Y, épouse de Monsieur Z Y

- Le fonctionnement de la société TLMI (pièce n° II comprenant les photocopies numérotées de 1 à II) ; les relations avec les clients et fournisseurs (pièce n° III comprenant les photocopies numérotées de 1 à 2) ; des factures (pièce n° IV comprenant les photocopies numérotées de 1 à 4) révèlent les relations de la société TLMI avec des clients de diverses nationalités et pour le paiement des fournitures les références de comptes bancaires relevant d'organismes financiers belges.

- La maîtrise de l'entreprise par M. Y (pièce n° V comprenant les photocopies numérotées de 1 à 2). Il est intéressant de noter que toutes ces pièces sont rédigées en langue française et qu'elles font pour la plupart d'entre elles référence à M. Y dont le domicile apparaît sur les photocopies n° 1 et 2 de la pièce n° V. En outre, la mention de coordonnées situées sur le territoire français (GSM, fax, téléphone, e-mail) sur ces copies confirme l'activité de la société TLMI en France.

- Enfin, il est produit aux débats, une réclamation en date du 16 novembre 2005, contestant l'impôt sur les sociétés et la TVA, adressée par le conseil des époux Y agissant pour le compte de la société TLMI à la direction du contrôle fiscal du Nord, réclamation qui a fait l'objet d'une décision de rejet (n° 2005/1446/IV) en matière d'LS le 5 janvier 2006 et d'une décision de rejet (n° 2005/1447/IV) en matière de TVA, à la même date.

Il faut encore relever, cette fois en droit, que le moyen sur lequel le tribunal fonde son jugement (incompétence ratione loci) a été soulevé d'office par ce dernier sans réouverture des débats, alors pourtant que les mentions de procédure du jugement déclarent inconnu le siège statutaire (qui figurait pourtant sur la pièce n° 9 fournie par la recette des impôts). Il est dès lors loisible à la cour d'invoquer pour la première fois dans le débat le règlement communautaire visé expressément dans l'assignation, qui permet l'ouverture d'une procédure collective dans un lieu autre que celui du siège statutaire dans la mesure où il est prouvé que ce lieu correspond au centre des intérêts principaux de la société.

En conclusion, le Tribunal de commerce de Valenciennes est bien compétent géographiquement pour connaître de la demande de la recette des impôts de Valenciennes La Rhônelle et le contredit est recevable et bien fondé, tandis que l'appel ne l'est point.

b) Fond

TLMI ne faisant pas développer d'argument depuis le cours de la première instance, il est de bonne administration d'évoquer, selon ce qu'autorise l'article 89 du nouveau Code de procédure civile.

Or, le comptable est manifestement bien fondé en sa demande de liquidation de TLMI.

Pour obtenir gain de cause, le demandeur :

- doit justifier d'une créance certaine, liquide et exigible ;

- doit établir que son débiteur est un commerçant, une personne morale de droit privé commerçante ou encore un artisan ;

- en état de cessation des paiements, lequel se caractérise, aux termes de l'article L. 621-1 du Code de commerce qui a emprunté la définition à la jurisprudence de la Cour de cassation, par l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible. Dès lors, le simple défaut de paiement d'une seule dette certaine, liquide et exigible, s'il est provoqué par une absence de trésorerie ou de crédit, peut également entraîner l'état de cessation des paiements.

Le comptable des impôts est même fondé à demander la liquidation judiciaire directe du débiteur. En effet, aux termes du 3e alinéa de l'article L. 620-1 du Code de commerce la liquidation judiciaire peut être prononcée sans ouverture d'une période d'observation lorsque l'entreprise a cessé toute activité ou lorsque le redressement est manifestement impossible. Le défaut de paiement d'une dette même non commerciale peut entraîner l'ouverture de la procédure d'apurement collectif du passif (en faveur du Trésor : Paris 22 février 1973 Rl IV P 152; Besançon 16 avril 1975 Rl IV P 127). A cet égard, la Cour de cassation a précisé que la juridiction qui prononce l'ouverture du redressement judiciaire d'une partie, au vu d'un acte d'huissier non sérieusement contesté, selon lequel aucun actif immobilier ou matériel apparent n'est saisissable, n'est pas tenue d'effectuer d'autres recherches, notamment quant à la situation bancaire du débiteur. (Cass. Corn. 2 nov. 1993: Bull. civ. IV, n° 378; JCP 1994. IV. 36).

Les trois conditions de fond susdites sont réunies dans la présente affaire.

La qualité de commerçant de la société TLMI ressort de la nature de son activité : celle-ci consiste à s'entremettre dans le négoce international de produits alimentaires et non alimentaires divers par la mise en relation des demandeurs de produits à acheter à un prix donné et à des quantités données, avec des fournisseurs vendeurs de ces mêmes produits. Son entremise étant opaque vis-à-vis des clients et des fournisseurs, l'activité correspond en fait à celle d'un acheteur-revendeur.

Dans ces conditions, la société TLMI est commerçante en application des dispositions des articles L. 110-1 et L. 121-1 du Code de commerce. Dans le cadre de cette activité, la société est débitrice envers le receveur divisionnaire des impôts de Valenciennes La Rhônelle d'une somme de quinze millions sept cent soixante six mille neuf cent vingt huit euro (15 766 928 euro) correspondant à de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), de l'impôt sur les sociétés (IS), et à la contribution sur PIS, ainsi qu'aux pénalités correspondantes mis en recouvrement comme suit, tableau que TLMI n'a pas valablement contesté, ni en première instance ni en appel ni surtout par une instance appropriée devant l'autorité ou le juge compétents :

<emplacement tableau>

Un bordereau d'inscription de privilège, en date du 02/05/2005, a été déposé au greffe du Tribunal de commerce de Valenciennes afin de publier les sommes dues (pièce n° 7).

Pour obtenir le recouvrement de sa créance, le receveur divisionnaire des impôts de Valenciennes La Rhônelle a décerné le 09/03/2005 deux mises en demeure (pièces n° 4 et 5), valant commandement de payer au sens du Code de procédure civile (article L 261 du LPF).

La consultation du fichier national des comptes bancaires ayant indiqué l'inexistence de tels comptes, le receveur des impôts a été dans l'impossibilité de notifier un avis à tiers détenteur.

Par ailleurs, la procédure de saisie vente effectuée le 29/04/2005 à Aulnoy-lez-Valenciennes, s'est soldée par l'établissement d'un procès-verbal de tentative et de carence (pièce n° 6), l'huissier ayant relaté qu'aucune exécution mobilière ne peut être menée envers cette entreprise.

De plus, la société - pour mémoire non immatriculée au registre du commerce et des sociétés - ne possède aucun bien immobilier.

Il est ainsi amplement démontré que la société TLMI se trouve en état de cessation des paiements, son actif disponible apparaissant nul, et a fortiori insuffisant pour payer le passif exigible.

Son redressement étant manifestement impossible, il convient pour le tribunal de prononcer directement la liquidation judiciaire.

Autant que de besoin et pour répondre tant aux craintes manifestées par les premiers juges qu'aux prétentions de TLMI à élever un contentieux sur le montant exact de sa dette fiscale, la cour indique qu'une contestation de l'établissement de l'impôt ne pouvait être reçue que par la directrice des services fiscaux, et non directement devant le juge, s'agissant de créances fiscales (articles L. 196 et suivants du Livre des procédures fiscales LPF) ; que le juge fiscal est en l'occurrence le juge administratif ; que par ailleurs, en application du principe général de la séparation des autorités administrative et judiciaire - édicté par l'article 13 des lois des 16 et 24 août 1790, rappelé par le décret du 16 Fructidor An III - les autorités judiciaires ont interdiction de troubler l'activité des corps administratifs. Par conséquent, le caractère certain, liquide et exigible de la créance ne pouvait en l'état être discuté devant le tribunal de commerce et l'affirmation du dirigeant, relative à un contentieux à venir a propos d'une créance déjà authentifiée depuis le 11/01/2005, revêt un caractère dilatoire.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt de défaut mis à disposition au greffe, en dernier ressort, Ordonne la jonction des affaires enrôlées sous les numéros 6484 et 6708 de l'année 2005 ; Déclare irrecevable l'appel de M. Le X divisionnaire des impôts de Valenciennes Rhônelle et recevable son contredit, et évoquant : Prononce la liquidation judiciaire immédiate de la société Trading Logistics Mediations International Limited, dont le siège statutaire est Hyndra House, 26 North Street, Ashford, Kent, TN24 8JR et dont le centre des intérêts principaux est à Aulnoy-lez-Valenciennes, 10 rue Henri Matisse, centre Tertiaire ; Renvoie la cause et les parties devant le Tribunal de commerce de valenciennes pour fixer la date de cessation des paiements et designer les organes de la procédure ; Ordonne l'emploi des dépens de l'appel et du contredit en frais privilégiés de la liquidation judiciaire ; Délègue audit tribunal les diligences de publicité et le suivi de la procédure collective. Accorde aux avoués constitués, le bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.