CA Lyon, 3e ch. civ. B, 10 septembre 2008, n° 07-04704
LYON
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Picoline (SARL), Labema (SARL)
Défendeur :
Tentation (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Flise
Conseillers :
Mme Delavette, M. Maunier
Avoué :
SCP Baufume-Sourbe
Avocats :
Selarl Unité du droit des affaires, SCP Farre-Galletti-Desigaud
Le 22 juin 2007, la société Tentation a obtenu du Tribunal de commerce de Saint-Etienne un jugement condamnant solidairement les sociétés Laboratoires Labema et Picoline, à lui payer :
- à titre principal la somme de 150 000 euro à titre de dommages-intérêts en indemnisation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale et abusive commises par celles-ci,
- une indemnité pour frais d'instance.
Par ailleurs, le tribunal a débouté la société Tentation de sa demande de publication du jugement dans la presse, débouté les sociétés Picoline et Laboratoires Labema de leurs demandes et s'est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes formées par celle-ci à l'encontre de Monsieur Raphael, dont elle a rejeté les demande de dommages-intérêts et d'indemnité pour frais d'instance.
Les sociétés Picoline et Laboratoires Labema ont interjeté appel le 11 juillet 2007.
Par ordonnance de référé du 27 juillet 2007, le Président de la cour d'appel de céans a rejeté leur demande d'arrêt de l'exécution provisoire et les a autorisées à consigner la somme de 150 000 euro au compte Carpa.
Dans leurs dernières conclusions, elles sollicitent l'infirmation du jugement du 22 juin 2007, et le débouté de l'action de la société Tentation.
A titre reconventionnel, elles demandent l'institution d'une expertise judiciaire afin de déterminer le préjudice subi par elles du fait des actes de concurrence déloyale commis par la société Tentation, et la condamnation de cette dernière à payer :
- à la société Laboratoires Labema une indemnité provisionnelle de 300 000 euro,
- à la Société Picoline une indemnité provisionnelle de 100 000 euro,
- à la société Laboratoires Labema d'une part et à la société Picoline d'autre part la somme de 30 000 euro à titre de dommages-intérêts pour dénigrement.
Elles demandent encore qu'il soit fait interdiction à la société Tentation de les dénigrer sous peine d'une astreinte de 15 000 euro par infraction constatée.
Les intimées demandent encore la publication de la décision à intervenir au siège de la société Tentation pendant une durée de six mois et l'application en leur faveur des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Sur l'action de la société Tentation, elles demandent en premier lieu la mise hors de cause de la société Laboratoires Labema, qui fabrique principalement des additifs anticorrosion et accessoirement des produits cosmétiques techniques, et n'exerce donc pas la même activité que la société Tentation.
En deuxième lieu, elles contestent le bien fondé de l'action en concurrence déloyale engagée à l'encontre de la société Picoline, faisant valoir que :
- celle-ci, à compter de 2001, a repris l'activité "fantaisie" exercée par les Laboratoires Labema après le rachat en 1995 de la marque et des stocks verriers de la société Verre à Soi;
- le soi-disant concept "Tentation" diffusé par la société Tentation résulte d'une gamme de produits fabriqués et/ou diffusés par la société Laboratoires Labema sous la marque " Le Verre à Soi ";
- la similitude entre deux choses est normale quand le produit est banal;
- il en est de même pour les bouchons et les décorations ; la société Tentation ne peut prétendre à aucune exclusivité pour ce type de produits qui ne présentent aucune originalité;
- aucune confusion n'est possible entre les étiquettes de la société Tentation et celles de la société Picoline;
- la société Picoline n'a pas débauché le personnel de la société Tentation, (sic)
- les similitudes de tarifs et les (sic) enseigne s'expliquent par la recherche d'une compétitivité sur le marché;
- les catalogues de la société Picoline versés aux débats par les sociétés concluantes sont différents de ceux produits par la société Tentation, du fait qu'il s'agit de versions différentes diffusées en cours d'année pour mise à jour, et non de faux;
- "l'ambiance" dégagée par les catalogues Picoline d'un côté, et Tentation de l'autre, est totalement différente; les produits ne sont pas les mêmes;
- les attestations produites par la société Tentation sont mensongères.
En troisième lieu, elles contestent le préjudice allégué par la société Tentation, qui ne rapporte pas la preuve de ce que le ralentissement de sa progression, qui n'a été que passager, résulte de l'activité de Picoline.
A l'appui de leurs demandes reconventionnelles, elles rappellent que la société Laboratoires Labema a acquis la marque " Le Verre à Soi " et les stocks verriers de la société du même nom en 1995 et développé un concept de "produits autour du bain", activité transférée à la société Picoline en 2001, et soutiennent que la société Tentation a profité des connaissances acquises en matière de cosmétique fantaisie auprès de la marque " Le Verre à Soi " pour s'insérer dans le sillage économique de la société Picoline.
Dans ses dernières conclusions, la société Tentation demande à la cour de confirmer la décision de première instance sur le principe du débouté des sociétés Labema et Picoline de leurs prétentions et sur le principe de leurs condamnations, mais de les condamner au paiement de la somme de 582 328 euro en indemnisation de son préjudice.
Elle demande en outre :
- la condamnation des société appelantes à cesser tous actes de concurrence déloyale et à enlever de leurs catalogues dans le mois de la décision à intervenir tous les produits qui sont la copie servile de ceux de la société concluante, sous astreinte de 1 000 euro par jour de retard;
- la publication de la décision à intervenir dans la presse locale et son affichage au siège des sociétés appelantes et à la porte du magasin de la société Picoline à Grand Croix;
- l'allocation d'une indemnité complémentaire sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle soutient que :
- le concept "bain ludique" est développé par Tentation depuis 1994 ; l'activité inclut la distribution de savons, perles de bains, gel douche, bains moussants, cadeaux, verrerie, accessoires de bain;
- dès le mois de septembre 2002, au salon Maison et Objet, le catalogue de la société Laboratoire Labema a été une copie du sien;
- Monsieur Raphael, son ancien collaborateur, a été embauché par la société Labema en septembre 2002 ; avant son embauche ni la société Labema, ni la société Picoline n'avaient de clientèle importante dans la parfumerie;
- la société Picoline est dans l'incapacité de présenter une facture de vente avant fin 2002 ;
- les catalogues Picoline 2004 et 2005 sont une copie servile des catalogues de la société Tentation des mêmes années; les catalogues Picoline 2004 et 2005 produits par les sociétés appelantes, censés établir l'absence de copie, sont des faux de circonstances, dont les articles litigieux ont disparu;
- le concept "verre à soi" est fallacieux; la marque était à bout de souffle après deux années de redressement judiciaire, suivie d'une liquidation judiciaire, au moment de son rachat par la société Labema, qui avant 2001 n'a eu aucune activité dans ce domaine;
- la société Labema ne peut justifier d'aucune antériorité pour les boules de bains effervescentes diffusées par Tentation dès septembre 1999.
Sur son préjudice, elle indique :
- avoir subi une perte de chiffre d'affaires évaluée à 770 000 euro, soit avec une marge de 23,1% en moyenne, une perte de 267 960 euro, à laquelle s'ajoute une baisse de rentabilité résultant de la diminution de 15 % de sa marge en 2006 pour conserver ses marchés, estimée à 50 000 euro;
- avoir subi une perte valeur dans le cadre de la cession de 2007, perte estimée à 214 368 euro;
- avoir subi un préjudice moral évalué à 50 000 euro;
représentant un préjudice global de 582 328 euro.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 mai 2005.
Sur ce :
Sur la demande de la société Tentation :
Le catalogue Labema de septembre 2002 ne se présente pas sous la forme d'un catalogue relié, mais d'une pochette grise contenant des feuillets de présentation de produits pour le bain commercialisés par la société Labema.
Dans sa forme, il ne ressemble donc pas au catalogue en couleurs et relié de la société Tentation de janvier 2001.
Quant au contenu, en premier lieu il convient de relever que les parties opèrent sur un marché ouvert à la libre concurrence, où ni l'une, ni les autres, ne bénéficient d'une quelconque exclusivité et ensuite distribuent des produits destinés à l'hygiène et la beauté du corps, dont la représentation ne se conçoit que dans une ambiance caractéristique : claire, colorée et ludique, comme le démonte la variété et la fantaisie des conditionnements.
De plus, ni la société Tentation, ni la société Laboratoires Labema, ni la société Picoline, ne conçoivent les modèles des flacons, mais se fournissent auprès des fabricants (Vetro Edile, et Kefla Glas), qui les ont conçus et imaginé les formes les plus diverses : allongées, arrondies, carrées, biseautées, torsadées, cintrées,..., et dont les produits sont librement commercialisés.
Ainsi, parmi les produits en cause, le flacon en forme de cœur se trouve dans le catalogue de la société Vetro Edile, et le flacon en forme de bottine, dans celui de la société Kefla Glas, qui pour ce modèle a obtenu un certificat d'enregistrement délivré par l'OMPI en date du 11 novembre 1999, après que le modèle ait été déposé en Allemagne le 25 mai 1999, selon les pièces versées aux débats.
La même inventivité se retrouve dans la forme des bouchons : fleurs, demi-lune, ...
De la même manière, pour les savons, les distributeurs se fournissent auprès des fabricants qui offrent des savons de toutes les couleurs, et aux formes les plus diverses: animaux, coquillages, fleurs, fruits. Il en est de même pour les articles de décoration (rubans, perles, cordons, ...) tous librement commercialisés.
Il est donc inévitable que les catalogues des différents intervenants sur ce marché se ressemblent par leurs contenus. Il en est pour preuve le catalogue d'une société tiers, la société La Baignoire, produit par la société Tentation, dont elle dit, sans le démontrer, qu'il aurait été copié par la société Laboratoires Labema, mais qui confirme plutôt l'inévitable similitude des catalogues des différents distributeurs.
Quant aux catalogues de la société Picoline, pour les années 2003 à 2005, ils sont réalisés sous un format A5, et seulement à compter de 2006 sous un format A4, identique à celui de la société Tentation. Dans leur forme initiale, aucun risque de confusion ne pouvait donc exister.
Ensuite, l'examen du tableau comparatif des catalogues établi par la société Tentation (pièce n° 8) montre que la décoration du "flacon chaussure" par un nœud papillon, ou des perles, peut se retrouver dans l'un et l'autre catalogue, mais ce type d'ornement présente un caractère tout à fait accessoire, et plutôt banal pour cette catégorie de produits à usage de décoration et, souvent, de cadeau.
De surcroît, les similitudes relevées dans le tableau comparatif ne sont pas toujours contemporaines. Ainsi la décoration des cols de flacons par des perles se trouve dans le catalogue 2002 de la société Tentation, et dans le catalogue 2004 de la société Picoline. Les flacons en forme d'étoile, d'ourson, de grenouille se retrouvent avec quelques années d'écart dans les catalogues de l'une puis de l'autre. Il en est encore de même pour la décoration "ruban" et un bouchon "fleur", présents dans le catalogue Tentation 2001 et dans le catalogue Picoline 2002.
En outre, les sociétés appelantes produisent une facture du 28 juin 1995 (n° 156) qui établit que la société Laboratoires Labema a fourni à l'époque à une société Scènes d'Intérieur des flacons en forme de cœur, que la société Tentation lui reproche d'avoir copiée dans ses catalogues des années 2000.
La présentation des boules de bains effervescentes, dans l'un et l'autre des catalogues, est différente : dans le catalogue Picoline 2003 les boules sont présentées en vrac dans des boîtes posées sur des étagères droites, sans originalité particulière, alors que le catalogue Tentation les présente soigneusement rangées dans des boîtes posées sur des étagères, légèrement inclinées, formant un ensemble représentant un escabeau.
Par ailleurs, les sociétés appelantes rapportent la preuve de ce que la société Laboratoires Labema entre 1995 et 1998 a distribué des produits de la même nature que les produits litigieux, sous des formes identiques ou voisines, sous le nom Le Verre à Soi :
- factures de novembre et décembre 1997 (BHV, Galeries Lafayette) concernant la fourniture de savons, perles, flacons, bains moussants, sables;
- photographie du stand au salon Maisons et Objets en 1998;
- catalogue Le Verre à Soi.
Enfin, dans ce créneau commercial des produits pour le bain, il n'est pas surprenant de retrouver dans le catalogue de la société Picoline de fleurs de massage, des gants exfoliants, des paniers, des boîtes et des articles de massage.
Il ressort de ces divers éléments que la société Tentation ne justifie pas avoir, dans son domaine d'activité, conçu et développé un concept original, et ne démontre pas que les sociétés appelantes ont procédé à une copie servile de son catalogue et dudit concept.
Par ailleurs, ces catalogues étant destinés à une clientèle de professionnels, il n'est pas établi que leur ressemblance ait crée un risque sérieux de confusion entre les deux distributeurs. A cet égard les attestations produites par la société Tentation ne sont pas probantes.
Il n'y a donc pas lieu de rechercher si Monsieur Raphael, VRP multicartes, qui a travaillé jusqu'en mars 2002 pour la société Tentation, a été ou non complice des agissements des sociétés Laboratoires Labema et Picoline, qui l'ont embauché en septembre 2002.
La société Tentation n'est donc pas fondée en ses demandes, qui doivent être rejetées. Le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il y a fait droit partiellement.
Sur les demandes reconventionnelles :
Pour s'opposer à la demande de la société Tentation, les sociétés appelantes ont soutenu, à juste titre, que la similitude entre les produits (flacons, sels de bains, boules effervescentes, bouchons, décorations) est licite quand le produit est banal. Par ailleurs, elles ne justifient d'aucun droit exclusif sur l'une des formes ou des dénominations litigieuses.
Elles ne peuvent qu'être déboutées en leurs demandes reconventionnelles en dommages-intérêts pour parasitisme commercial fondée sur la copie des produits et des méthodes.
Le jugement déféré sera donc confirmé de ce chef.
Sur les demandes accessoires :
Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile en faveur de l'une ou l'autre des parties.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté les sociétés Laboratoires Labema et Picoline de leurs demandes et débouté la société Tentation de sa demande de publication du jugement, L'infirme pour le surplus, Déboute la société Tentation de l'ensemble de ses demandes, Déboute les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Tentation aux dépens de première instance et d'appel, avec, pour ces derniers, distraction au profit de la SCP Baufumé-Sourbé, avoués sur leur affirmation de droit.