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Décisions

CJCE, 25 février 1988, n° 427-85

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République fédérale d'Allemagne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mackenzie Stuart

Présidents de chambre :

MM. Bosco, Moitinho de Almeida

Avocat général :

M. da Cruz Vilaca

Juges :

MM. Koopmans, Everling, Bahlmann, Galmot, Kakouris, Joliet, O'higgins, Schockweiler

Avocat :

Me Hoechting

CJCE n° 427-85

25 février 1988

LA COUR,

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 23 décembre 1985, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater que la République fédérale d'Allemagne a manqué, dans le domaine de la libre prestation de services par les avocats, aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CEE et de la directive 77-249 du Conseil, du 22 mars 1977, tendant à faciliter l'exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats (JO L 78, p. 17).

2 Plus particulièrement, la Commission reproche à la République fédérale d'Allemagne d'avoir mis en vigueur une loi nationale visant à mettre en œuvre la directive 77-249, la loi du 16 aout 1980 (BGBL.I S. 1453), dont l'article 4 prévoit :

a) que l'avocat d'un autre Etat membre qui, dans le cadre de la prestation de services, exerce en République fédérale les activités relatives à la représentation et à la défense d'un client en justice ne peut agir que de concert avec un avocat allemand, même dans les cas dans lesquels le droit allemand n'impose pas l'assistance obligatoire d'un avocat;

b) que l'avocat allemand avec lequel il doit y avoir concertation doit être lui-même mandataire "ad litem" ou défenseur dans le cadre de la procédure;

c) qu'en outre l'avocat prestataire :

- ne peut intervenir pendant la procédure orale ou a l'audience que s'il est accompagné de cet avocat allemand et

- ne peut, en qualité de défenseur, rendre visite à un détenu que s'il est accompagné de cet avocat allemand et ne peut correspondre avec un détenu que par l'intermédiaire de celui-ci;

d) que la concertation exigée doit être prouvée chaque fois qu'un acte est accompli; que les actes de l'avocat prestataire effectués en infraction aux dispositions précitées ou bien pour lesquels la preuve de la concertation n'est pas établie au moment de leur accomplissement sont nuls et de nul effet; que pendant la procédure orale ou lors de l'audience on considère qu'il y a effectivement concertation si l'acte n'est pas révoqué ou modifié immédiatement par l'avocat allemand;

e) que dans les cas ou il doit y avoir représentation par des avocats agrées auprès de la juridiction saisie, l'article 52, paragraphe 2, de la loi fédérale relative à la profession d'avocat (Bundesrechtsanwaltsordnung) doit être d'application.

3 Les griefs de la Commission visent la façon dont la législation allemande met en œuvre la directive 77-249 (ci-après : "directive ") en ce qui concerne le devoir de "concertation" imposé a l'avocat établi dans un autre Etat membre qui exerce des activités sur le territoire allemand en tant que prestataire de services. La notion de concertation est basée sur l'article 5 de la directive, selon lequel, "pour l'exercice des activités relatives à la représentation et à la défense d'un client en justice", les Etats membres peuvent imposer aux avocats prestataires de services "d'agir de concert" soit avec un avocat exerçant auprès de la juridiction saisie et qui serait responsable, s'il y a lieu, à l'égard de cette juridiction, soit avec un "avoué" ou "procuratore" exerçant auprès d'elle.

4 Le litige porte sur trois problèmes distincts, à savoir le domaine de la concertation, les modalités de la concertation et la territorialité de la postulation.

5 Pour un plus ample exposé des dispositions de la directive et de la législation allemande, ainsi que des antécédents du litige et des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

A - Domaine de la concertation

6 Selon l'article 4 de la loi allemande du 16 août 1980, précitée (ci-après : "loi de 1980 "), l'obligation d'agir de concert avec un avocat établi en République fédérale d'Allemagne s'applique lorsque l'avocat prestataire de services se propose d'intervenir "en qualité de représentant ou défenseur d'un client" dans des procédures judiciaires ainsi que dans certaines procédures administratives.

7 Selon la Commission, cette disposition donne une définition trop large du domaine ou la concertation avec un avocat allemand est imposée, en ce qui concerne non seulement l'activité devant les tribunaux, mais également l'activité devant les autorités administratives et les contacts avec les détenus. Il convient d'examiner successivement ces trois problèmes.

8 En ce qui concerne l'activité devant les tribunaux, la Commission considère que l'obligation de concertation telle que prévue par l'article 5 de la directive peut seulement s'appliquer lorsque, d'après le droit interne de l'Etat membre d'accueil, la représentation ou la défense d'une partie en justice ne peut être assurée que par un avocat en qualité de mandataire "ad litem" ou de défenseur. Dans tous les cas ou l'assistance obligatoire d'un avocat n'est pas prescrite par la législation nationale et ou, par conséquent, la partie pourrait défendre ses propres intérêts, voire même les confier à une personne qui ne serait pas avocat, l'avocat prestataire de services devrait avoir la possibilité de représenter ou défendre le client sans agir de concert avec un avocat allemand.

9 Le Gouvernement allemand invoque le libellé de l'article 5 de la directive pour soutenir que l'obligation de concertation peut être imposée à l'égard de toutes les activités relatives à la représentation et à la défense d'un client par un avocat, qu'elles relèvent ou non du domaine de l'assistance obligatoire. A cet égard, le Gouvernement allemand attire l'attention sur le fait que, en ne rendant pas toujours obligatoire l'assistance d'un avocat, la législation allemande vise à permettre aux parties elles-mêmes de défendre leur cause. La question de savoir si une tierce personne peut représenter une partie devant les tribunaux, à titre professionnel, serait régie par les réglementations applicables à certaines professions comme celles de notaire, d'agent en brevet et de conseiller fiscal agrée; mis à part les cas ainsi règles, la loi allemande en matière d'assistance en justice (" Rechtsberatungsgesetz ") comporterait une interdiction générale de s'occuper, à titre professionnel, de l'assistance en justice.

10 Il y a lieu de constater d'abord que, comme le Gouvernement allemand l'observe à juste titre, les termes de l'article 5 de la directive ne font aucune distinction entre les activités des avocats qui relèvent du domaine de l'assistance obligatoire et celles qui n'en relèvent pas; ils se bornent en effet à permettre aux Etats membres d'imposer l'obligation de concertation aux avocats prestataires de services "pour l'exercice des activités relatives à la représentation et à la défense d'un client en justice ".

11 Toutefois, il convient d'observer ensuite que cette constatation doit être considérée dans le cadre ou elle se situe. En effet, la directive ne comporte, comme l'indiquent ses considérants, que des mesures destinées à "faciliter l'exercice effectif" des activités d'avocat en prestation de services, étant donné que, en application du traité, toute restriction à la libre prestation de services est interdite depuis la fin de la période de transition. Cette interdiction implique l'élimination de toutes discriminations à l'encontre du prestataire en raison de sa nationalité ou de la circonstance qu'il est établi dans un Etat membre autre que celui ou la prestation doit être fournie.

12 L'article 60 du traité précise, en son alinéa 3, que le prestataire peut, pour l'exécution de sa prestation, exercer à titre temporaire son activité dans le pays ou la prestation est fournie "dans les mêmes conditions que celles que ce pays impose à ses propres ressortissants ". La Cour en a déduit dans sa jurisprudence (voir, en particulier, l'arrêt du 17 décembre 1981, Webb, 279-80, Rec. p. 3305) que, compte tenu de la nature particulière de certaines prestations de services, on ne saurait considérer comme incompatibles avec le traité les exigences spécifiques imposées au prestataire qui seraient motivées par l'application des règles régissant ces types d'activités, mais que la libre prestation de services, en tant que principe fondamental du traité, ne peut être limitée que par des réglementations justifiées par l'intérêt général et incombant à toute personne exerçant une activité sur le territoire de l'Etat membre d'accueil, dans la mesure ou cet intérêt n'est pas sauvegarde par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l'Etat membre ou il est établi.

13 C'est à la lumière de ces principes qu'il faut interpréter la directive. L'article 5 de celle-ci ne saurait avoir pour effet de soumettre l'avocat prestataire de services à des exigences qui ne trouveraient aucune équivalence dans les règles professionnelles qui seraient applicables à défaut de toute prestation de services au sens du traité. Or, il est constant que, dans les litiges pour lesquels la législation allemande n'impose pas l'assistance obligatoire d'un avocat, les parties peuvent assurer elles-mêmes leur défense en justice; pour les mêmes litiges, la législation allemande permet également que cette défense soit confiée à une personne qui n'est ni avocat ni spécialisée, des lors que celle-ci n'agit pas à titre professionnel.

14 Dans ces conditions, il apparait qu'aucune considération d'intérêt général ne saurait justifier, en ce qui concerne les actions judiciaires pour lesquelles l'assistance obligatoire par un avocat n'est pas requise, l'obligation imposée à un avocat inscrit à un barreau d'un autre Etat membre prestant ses services à titre professionnel d'agir de concert avec un avocat allemand.

15 Par conséquent, l'avocat prestataire de services, qui doit d'ailleurs respecter dans toutes ses activités devant les tribunaux allemands les règles professionnelles applicables en République fédérale d'Allemagne, conformément à l'article 4 de la directive, ne peut être obligé par la législation allemande à agir de concert avec un avocat exerçant auprès de la juridiction saisie dans le cas de litiges pour lesquels cette législation n'impose pas l'assistance obligatoire d'un avocat. Dans la mesure où la loi allemande de 1980, par la généralité de ses termes, étend cette obligation à ces litiges, elle est contraire à la directive et aux articles 59 et 60 du traité.

16 En ce qui concerne l'activité des avocats prestataires de services devant les autorités administratives, la loi de 1980 vise, selon son article 4, paragraphe 1, des procédures administratives relatives à des "infractions pénales, contraventions, fautes de service et manquements aux obligations professionnelles ". A cet égard, il suffit de constater que les considérations ci-dessus développées concernant l'activité devant les tribunaux sont pleinement applicables.

17 En ce qui concerne, enfin, les contacts avec les détenus, le Gouvernement allemand développe un ensemble d'arguments relatifs à la responsabilité de l'avocat vis-à-vis des tribunaux. Il convient d'examiner ces arguments, qui se trouvent au centre du débat sur les modalités de la concertation, dans le cadre du deuxième problème soulevé par le présent recours.

18 Il résulte des considérations qui précèdent que les griefs de la Commission relatifs au domaine de la concertation doivent être accueillis, sous réserve de celui relatif aux contacts des avocats prestataires de services avec les détenus, qui sera examine ci-dessous.

B - Modalités de la concertation

19 La Commission reproche, de façon générale, à la République fédérale d'Allemagne d'avoir déterminé, dans la loi de 1980, le contenu de la notion de "concertation" de telle façon qu'elle dépasserait les limites tracées par la directive et par les articles 59 et 60 du traité. Ses griefs visent en particulier les prescriptions relatives à la preuve de la concertation, au rôle attribué à l'avocat allemand avec lequel il doit y avoir concertation ainsi qu'aux contacts de l'avocat prestataire de services avec les détenus.

20 Selon le Gouvernement allemand, les modalités de la concertation prévues par la loi de 1980 sont la conséquence directe de l'article 5 de la directive, aux termes duquel l'avocat allemand avec lequel la concertation aura lieu doit exercer auprès de la juridiction saisie et est "responsable, s'il y a lieu, à l'égard de cette juridiction ". Or, un avocat allemand pourrait uniquement assumer une telle responsabilité lorsqu'il est au courant de tous les actes effectués par l'avocat prestataire de services, et cela au moment opportun, à savoir avant que ces actes n'aient produit leurs effets. Pour cette raison, l'avocat allemand devrait être en rapport continu avec le développement du litige, une telle implication dans le litige étant seulement assurée si le tribunal saisi peut s'en convaincre à tout moment, si l'avocat allemand est présent au stade de la procédure orale et s'il peut se prévaloir de la qualité de mandataire "ad litem" ou de défenseur.

21 Au surplus, le Gouvernement allemand fait valoir que la libre prestation de services ne doit pas compromettre une bonne administration de la justice. L'accès illimité d'avocats étrangers aux litiges devant des juridictions allemandes serait susceptible de créer des difficultés dues à un manque de connaissances quant aux règles de droit matériel et procédural appliquées par ces tribunaux. Seule l'implication de l'avocat local serait à même de garantir une présentation convenable de la matière litigieuse au tribunal.

22 Il convient d'observer d'abord, en ce qui concerne le premier argument du Gouvernement allemand, que la directive ne fournit effectivement aucune précision des expressions "agir de concert" et "responsabilité ... à l'égard de (la) juridiction" telles qu'elles figurent à l'article 5. Il faut donc interpréter ces expressions eu égard à l'objet de la directive qui est de "faciliter l'exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats ".

23 Par conséquent, si la directive permet aux législations nationales d'exiger, de la part de l'avocat prestataire de services, qu'il agisse de concert avec un avocat local, elle vise à mettre le premier en état d'accomplir les taches que lui a confiées son client, dans le respect du bon fonctionnement de la justice. Vue sous cet angle, l'obligation qui lui est imposée d'agir de concert avec un avocat local a pour but de lui fournir l'appui nécessaire en vue d'agir dans un système juridictionnel différent de celui auquel il est habitué, et de donner au tribunal saisi l'assurance que l'avocat prestataire de services dispose effectivement de cet appui et est ainsi en mesure de respecter pleinement les règles procédurales et déontologiques applicables.

24 Dans cette perspective, l'avocat prestataire de services et l'avocat local, tous deux soumis aux règles déontologiques applicables dans l'Etat membre d'accueil, doivent être considérés à même de définir ensemble, dans le respect de ces règles déontologiques et dans l'exercice de leur autonomie professionnelle, les modalités de coopération appropriées au mandat qui leur a été confié.

25 Cette considération n'implique pas qu'il ne serait pas loisible aux législateurs nationaux de fixer le cadre général de la coopération entre les deux avocats. Encore faut-il que les obligations résultant de ces dispositions ne soient pas disproportionnées par rapport aux objectifs du devoir de concertation tels qu'ils ont été définis ci-dessus.

26 Force est de constater, toutefois, que la loi allemande de 1980 impose aux deux avocats soumis à concertation des obligations qui vont au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs. En effet, ni la présence continue de l'avocat allemand à la procédure orale, ni l'exigence selon laquelle cet avocat doit être lui-même mandataire "ad litem" ou défenseur, ni les dispositions détaillées concernant la preuve de la concertation ne sont, dans leur généralité, indispensables ou même utiles en vue de fournir l'appui nécessaire à l'avocat prestataire de services.

27 Il convient d'ajouter que l'article 5 de la directive, en se référant à la "responsabilité" de l'avocat local, vise, comme il a été indique ci-dessus, une responsabilité à l'égard du tribunal saisi et non à l'égard du client. Le problème d'un manque éventuel de connaissances en matière de droit allemand, invoqué par le Gouvernement allemand pour justifier les exigences de la loi de 1980, fait cependant partie de la responsabilité de l'avocat prestataire de services vis-à-vis de son client, celui-ci étant libre de confier ses intérêts à l'avocat de son choix.

28 Il y a lieu de préciser encore que l'argument du Gouvernement allemand selon lequel seule la concertation telle que prévue par la législation allemande permet d'assurer que les avocats exercent leurs activités de manière à maintenir un contact suffisant avec leurs clients et les autorités judiciaires n'est pas fondé. En effet, comme la Cour l'a observé dans son arrêt du 12 juillet 1984 (Klopp, 107-83, Rec. p. 2971), les moyens actuels de transport et de télécommunication permettent aux avocats d'assurer de manière appropriée les contacts nécessaires.

29 Les motifs pour considérer que les modalités de la concertation définies par la loi de 1980 sont, à cause de leur disproportionnalité, incompatibles avec la directive ne se présentent cependant pas de la même façon en ce qui concerne les dispositions de cette loi relative aux visites aux détenus. En effet, ces visites présentent un caractère spécifique, propre aux rapports qui s'établissent entre les détenus et la juridiction compétente et qui n'existent pas dans le cas d'autres justiciables.

30 En outre, il faut reconnaitre que des raisons impérieuses, notamment de sécurité publique, raisons dont l'appréciation appartient à l'Etat membre concerné, peuvent amener cet Etat membre à réglementer les contacts des avocats avec les détenus.

31 Ces considérations s'appliquent également lorsque l'assistance d'un avocat n'est pas obligatoire. Par conséquent, il y a lieu de constater que la loi allemande qui impose l'obligation de concertation en ce qui concerne les contacts avec les détenus, même en l'absence d'assistance obligatoire d'un avocat, n'est pas, de ce chef, contraire aux dispositions de la directive.

32 Toutefois, dans la mesure ou la loi allemande prévoit que l'avocat prestataire de services ne peut, en qualité de défenseur, rendre visite a un détenu que s'il est accompagné de l'avocat allemand avec lequel il agit de concert, et ne peut correspondre avec un détenu que par l'intermédiaire de cet avocat allemand, sans admettre aucune exception, même pas avec l'autorisation du tribunal, ou de l'autorité compétente en matière de contacts avec les détenus, les restrictions imposées par cette loi vont au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les buts légitimes que cette loi poursuit.

33 Des lors, les griefs de la Commission relatifs aux modalités de la concertation doivent être accueillis.

C - Territorialité de la postulation

34 Selon la loi de 1980, l'article 52, paragraphe 2, de la Bundesrechtsanwaltordnung (loi fédérale relative à la profession d'avocat) doit s'appliquer par analogie dans les cas ou il doit y avoir représentation par des avocats agrées auprès de la juridiction saisie. En vertu des dispositions du Code de procédure civile, une telle représentation est obligatoire dans les procès civils qui se déroulent devant les Landgerichte et les instances supérieures (Oberlandesgerichte et Bundesgerichtshof), ainsi que devant les Familiengerichte (tribunaux spécialises en matière de droit de la famille). Dans la mesure où l'assistance d'un avocat est obligatoire dans les litiges devant ces tribunaux, cet avocat doit donc être agrée auprès du tribunal saisi. L'avocat non agrée a seulement la faculté de présenter, avec l'assistance de l'avocat agrée, des observations au cours de la procédure orale; la loi de 1980 met l'avocat prestataire de services dans cette même situation.

35 La Commission estime que l'article 5 de la directive permet uniquement d'exiger que l'avocat prestataire de services agisse de concert avec un avocat agrée auprès de la juridiction saisie, mais non de limiter la prestation de services à des explications pendant la procédure orale, avec l'assistance de l'avocat agrée comme le ferait la législation allemande, pour toutes les procédures civiles d'une certaine importance. La Commission ajoute qu'à son avis la situation de l'avocat prestataire de services n'est pas comparable à celle d'un avocat allemand, étant donné que la situation de l'avocat effectuant une prestation dans un autre Etat membre est caractérisée par la circonstance qu'il n'y possède pas d'établissement et qu'il n'y est agrée auprès d'aucun tribunal.

36 Le Gouvernement allemand fait observer que l'avocat allemand qui n'est pas agrée auprès de la juridiction saisie doit lui aussi s'en tenir à la participation limitée visée par l'article 52, paragraphe 2, de la Bundesrechtsanwaltsordnung et que, en conséquence, l'avocat prestataire de services n'est pas défavorisé par rapport à l'avocat établi en République fédérale d'Allemagne. Le principe de la territorialité de la postulation aurait été introduit dans l'intérêt de la bonne administration de la justice, la "localisation" de l'avocat étant de nature à promouvoir la communication entre l'avocat et la juridiction saisie et à faciliter ainsi le déroulement des procès.

37 Le Gouvernement allemand ajoute que, si l'avocat prestataire de services était placé dans la même position que l'avocat agrée auprès de la juridiction saisie, les avocats allemands seraient désavantagés par rapport à leurs confrères établis dans d'autres Etats membres. Pour illustrer ses propos, il se réfère en particulier à l'exemple du Bundesgerichtshof, qui est la Cour fédérale Suprême en matière civile et pénale : seul un groupe restreint d'avocats allemands spécialistes en matière de "révision" est agrée auprès de cette juridiction et peut ainsi accomplir tous les actes de procédure, alors que, selon la thèse de la Commission, tout avocat établi dans un autre Etat membre devrait avoir les mêmes droits.

38 Il ressort de ce débat que celui-ci porte essentiellement sur la question de savoir si la République fédérale d'Allemagne est en droit de soumettre les avocats prestataires de services au même régime qu'elle applique aux avocats allemands non agrées. Cette question ne trouve pas de réponse dans les dispositions de la directive; elle doit être examinée au vu des principes qui régissent la libre prestation de services en vertu des dispositions des articles 59 et 60 du traité.

39 A cet égard, il y a lieu de rappeler que, d'après l'article 59, toutes les restrictions à la libre prestation de services doivent être éliminées, cela en vue de permettre notamment au prestataire de services, comme le formule l'article 60, alinéa 3, d'exercer son activité dans le pays ou la prestation est fournie dans les mêmes conditions que celles que ce pays impose à ses propres ressortissants.

40 Ces dispositions ont pour but principal de rendre possible au prestataire l'exercice de son activité dans l'Etat membre d'accueil sans discrimination par rapport aux ressortissants de cet Etat. Comme la Cour l'a précisé dans son arrêt du 17 décembre 1981 (Webb, précité), elles n'impliquent pas que toute législation nationale applicable aux ressortissants de cet Etat et visant normalement une activité permanente des personnes établies dans celui-ci puisse être appliquée intégralement de la même manière à des activités, de caractère temporaire, exercées par des personnes établies dans d'autres Etats membres.

41 La règle de l'exclusivité territoriale figurant à l'article 52, paragraphe 2, de la Bundesrechtsanwaltsordnung relève précisément d'une législation nationale qui vise normalement une activité permanente des avocats établis sur le territoire de l'Etat membre concerné, ces avocats ayant tous le droit d'être agrées auprès d'une juridiction allemande, parfois auprès de deux d'entre elles, et d'y exercer toutes les activités nécessaires à la représentation des clients ou à la défense des intérêts de ceux-ci. En revanche, l'avocat prestataire de services qui est établi dans un autre Etat membre ne se trouve pas dans une situation ou il peut être agrée auprès d'une juridiction allemande.

42 Dans ces conditions, il convient de constater que la règle de l'exclusivité territoriale ne saurait être appliquée à des activités de caractère temporaire exercées par des avocats établis dans d'autres Etats membres, ceux-ci se trouvant, de ce point de vue, dans des conditions de droit et de fait qui ne permettent pas la comparaison avec celles applicables aux avocats établis sur le territoire allemand.

43 Cette constatation ne s'impose toutefois que sous réserve de l'obligation pour l'avocat prestataire de services d'agir de concert, dans les limites et selon les modalités ci-dessus définies, avec un avocat agrée auprès de la juridiction saisie.

44 Quant à l'argument tiré, par le Gouvernement allemand, de la situation particulière des procédures de "révision" devant le Bundesgerichtshof, il convient d'observer que celle-ci ne résulte pas de la règle d'exclusivité territoriale telle qu'elle est normalement appliquée aux avocats allemands. En effet, aucun avocat ne peut être établi sur le territoire allemand sans être agrée auprès d'une juridiction allemande, l'accès étant de droit et sans limitation de nombre, alors que l'agrément auprès du Bundesgerichtshof s'effectue dans le cadre d'une admission sélective, à un barreau spécialisé, d'avocats disposant d'une certaine expertise ou compétence spécifiques. Par ailleurs, la Commission a reconnu, au cours de l'audience, que les arguments qu'elle invoque à l'appui de ses griefs ne sont pas applicables à la situation particulière des barreaux spécialisés tels que celui auprès du Bundesgerichtshof.

45 Sous réserve de cette clarification, les griefs de la Commission doivent, au vu des considérations qui précèdent, être accueillis.

46 Des lors, il y a lieu de reconnaitre que la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 59 et 60 du traité CEE et de la directive 77-249 du Conseil, tendant à faciliter l'exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats,

- en imposant à l'avocat prestataire de services l'obligation d'agir de concert avec un avocat établi sur le territoire allemand même lorsque le droit allemand n'exige pas l'assistance obligatoire d'un avocat;

- en exigeant que l'avocat allemand avec lequel il doit y avoir concertation soit lui-même mandataire "ad litem" ou défenseur dans le cadre du litige;

- en exigeant que l'avocat prestataire de services ne puisse intervenir à l'audience que s'il est accompagné de cet avocat allemand;

- en imposant des modalités de preuve de la concertation entre les deux avocats qui ne sont pas justifiées;

- en imposant, sans dérogation possible, à l'avocat prestataire de services l'obligation de se faire accompagner par un avocat allemand s'il rend visite à un détenu et de ne correspondre avec celui-ci que par l'intermédiaire de cet avocat allemand;

- en soumettant les avocats prestataires de services à la règle de l'exclusivité territoriale prévue par l'article 52, paragraphe 2, de la Bundesrechtsanwaltsordnung.

Sur les dépens

47 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La République fédérale d'Allemagne ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

Déclare et arrête :

1) la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 59 et 60 du traité CEE et de la directive 77-249 du Conseil, tendant à faciliter l'exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats,

- en imposant à l'avocat prestataire de services l'obligation d'agir de concert avec un avocat établi sur le territoire allemand même lorsque le droit allemand n'exige pas l'assistance obligatoire d'un avocat;

- en exigeant que l'avocat allemand avec lequel il doit y avoir concertation soit lui-même mandataire "ad litem" ou défenseur dans le cadre du litige;

- en exigeant que l'avocat prestataire de services ne puisse intervenir à l'audience que s'il est accompagné de cet avocat allemand;

- en imposant des modalités de preuve de la concertation entre les deux avocats qui ne sont pas justifiées;

- en imposant, sans dérogation possible, à l'avocat prestataire de services l'obligation de se faire accompagner par un avocat allemand s'il rend visite à un détenu et de ne correspondre avec celui-ci que par l'intermédiaire de cet avocat allemand;

- en soumettant les avocats prestataires de services à la règle de l'exclusivité territoriale prévue par l'article 52, paragraphe 2, de la Bundesrechtsanwaltsordnung.

2) la République fédérale d'Allemagne est condamnée aux dépens.