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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 13 janvier 2010, n° 07-19979

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Art Actuel (SARL)

Défendeur :

Rambaldini, Marie Demange Galerie d'art (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Fevre

Conseillers :

MM. Roche, Birolleau

Avoués :

SCP Taze-Bernard-Belfayol-Broquet, SCP Roblin-Chaix de Lavarene

Avocats :

Mes Bucaille, Lorenzon

TGI Paris, du 23 sept. 2007

23 septembre 2007

LA COUR,

Vu le jugement du 12 septembre 2007 par lequel le Tribunal de grande instance de Paris a :

- déclaré la société Art Actuel irrecevable en ses demande à l'encontre de Monsieur Rambaldini,

- débouté la société Art Actuel de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société Marie Demange Galerie d'art,

- débouté les défendeurs de leurs demandes reconventionnelles;

Vu l'appel interjeté par la société Art Actuel et ses conclusions enregistrées le 16 septembre 2009 et tendant à faire :

- dire que les faits de concurrence déloyale sont avérés tant de la part de la société Marie Demange Galerie d'art que de celle de Monsieur Rambaldini,

- condamner en conséquence solidairement ces derniers à lui régler la somme de 120 000 euro à titre de dommages et intérêts, outre 213 000 euro au titre du manque à gagner à venir,

- ordonner, aux frais des intimés et sous astreinte de 200 euro par jour de retard dans l'exécution, la parution du dispositif de la décision à intervenir dans deux journaux spécialisés du marché de l'œuvre d'art,

- condamner solidairement les intimés à régler à la société Art Actuel la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;

Vu, enregistrées le 23 juillet 2008, les conclusions présentées par Monsieur Rambaldini et la société Marie Demange Galerie d'art et tendant à faire:

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Art Actuel de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de Monsieur Rambaldini,

- réformer ledit jugement en ce qu'il a débouté celui-ci et la société Marie Demange Galerie d'art de leurs demandes reconventionnelles,

en conséquence:

- prendre acte de la transaction signée le 9 novembre 2004 et la dire opposable à la société Art Actuel,

- débouter cette dernière de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- la condamner à payer les sommes suivantes:

• 50 000 euro à la société Marie Demange Galerie d'art à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et financier ainsi que pour procédure abusive,

• 30 000 euro à Monsieur Rambaldini en réparation de son préjudice moral et pour procédure abusive,

- ordonner à la société Art Actuel la publication, à ses entiers frais, de la décision à intervenir dans trois journaux spécialisés dans les œuvres d'art sous astreinte de 300 euro par jour de retard à compter du prononcé de l'arrêt,

- condamner la société Art Actuel à payer à chacun d'eux, la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, le 16 août 1993, Monsieur Rambaldini avait été embauché par la société Art Actuel, dont l'objet social est la location et le prêt de toutes œuvres d'art, tableaux, gravures et lithographies, en qualité de directeur adjoint avec interdiction d'exercer sous quelque forme que ce soit une activité concurrente de celle de son employeur pendant l'exécution de son contrat ; qu'il a été licencié le 27 octobre 2004, son préavis devant s'achever le 31 janvier 2005 ; qu'antérieurement, à son licenciement l'épouse de Monsieur Rambaldini avait constitué avec sa fille une société dénommée Marie Demange Galerie d'art dont l'objet social est la location d'œuvres d'art auprès des entreprises ; que, reprochant à Monsieur Rambaldini et à la société Marie Demange Galerie d'art la commission d'actes de concurrence déloyale, la société Art Actuel a, par acte du 2 août 2005, assigné les intéressés devant le Tribunal de grande instance de Paris en paiement de dommages-intérêts en réparation de son préjudice financier et moral ; que c'est dans ces conditions de fait et de droit qu'est intervenu le jugement susvisé présentement entrepris;

Sur la concurrence déloyale alléguée

Considérant que si M. Rambaldini oppose, tout d'abord, à la société Art Actuel la transaction conclue avec cette dernière le 9 novembre 2004 et aux termes de laquelle " les parties renoncent réciproquement et irrévocablement l'une envers l'autre à tous autres droits, instances, actions ou indemnités de quelque nature, de quelque montant et pour quelque cause que ce soit qui résulteraient directement ou indirectement de l'exécution et/ou de la rupture du contrat de travail les ayant liées " et s'il invoque à cet effet les dispositions des articles 2044 et suivant du Code civil en vertu desquels la transaction a l'autorité de la chose jugée en dernier ressort, il convient de relever que la présente action en concurrence déloyale a un fondement quasi-délictuel sans lien avec les conditions et modalités d'exécution du contrat de travail antérieurement conclu entre les intéressés; que, par suite, et eu égard à la distinction entre son objet, limité et spécifique, et celui de la présente action contentieuse, la transaction dont il est excipé ne saurait être utilement opposée à la société Art Actuel dont les demandes dirigées à l'encontre de M. Rambaldini doivent, dès lors, être déclarées recevables;

Considérant que si l'appelante reproche à ce dernier d'avoir été le " gérant de fait de la société Marie Demange Galerie d'art et ce depuis l'origine " et d'avoir ainsi commis à son encontre des " actes de parasitisme et la violation d'une obligation de loyauté ", il convient, cependant, de rappeler que l'action en concurrence déloyale qui a pour fondement non une présomption de responsabilité reposant sur l'article 1384 du Code civil mais une faute engageant la responsabilité de son auteur au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil suppose l'accomplissement d'actes positifs et caractérisés dont la preuve, selon les modalités de l'article 1315 du Code civil incombe à celui qui s'en déclare victime; qu'il échet, également, de souligner que le parasitisme économique présentement allégué se définit comme l'ensemble des comportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts, de son savoir-faire ainsi que de sa notoriété ; qu'en l'espèce, la société Marie Demange Galerie d'art a été créée par l'épouse de M. Rambaldini pendant la période où celui-ci était salarié de la société Art Actuel et cette dernière ne rapporte nullement la preuve, par les explications données et les pièces produites, que celui-ci aurait eu une activité effective de direction et de contrôle de ladite société; que la circonstance que, postérieurement à son licenciement, il ait éventuellement apporté son aide à cette entreprise n'est nullement constitutive en elle-même d'un quelconque acte de concurrence déloyale alors que l'appelante indique expressément dans ses écritures ne pas se fonder sur la méconnaissance d'une éventuelle clause de non-concurrence ; qu'en effet toute entreprise peut, par principe, profiter du savoir ainsi que du savoir-faire acquis dans une autre société par les salariés ou les collaborateurs qu'elle recrute ; qu'il ne saurait être d'avantage reproché à ceux-ci d'exploiter les connaissances techniques ou commerciales acquises auprès de leur précédent employeur; qu'aucune faute ne peut, dès lors, être reprochée à l'intéressé;

Considérant que si la société Art Actuel impute également et directement à la société Marie Demange Galerie d'art des actes de concurrence déloyale caractérisés par le détournement de sa clientèle et le " débauchage d'artistes " qui lui auraient été contractuellement liés et si elle énumère un certain nombre de contrats perdus avec des sociétés qui auraient été des clients habituels, il sera, en premier lieu, précisé que le démarchage de la clientèle d'un concurrent ne constitue pas, en soi, une pratique commerciale fautive dès lors qu'il ne prend pas un caractère systématique et ne s'accompagne pas de manœuvres visant à semer la confusion dans l'esprit des clients concernés; que, plus précisément, et à la supposer même établie, la circonstance que plusieurs clients de l'appelante aient rejoint les intimés ne saurait, à elle seule, démontrer l'existence obligée de manœuvres de la part de ces derniers alors que le jeu normal de la concurrence est précisément de permettre à la loi du marché de s'exercer dans le seul intérêt du consommateur final ; qu'en l'occurrence la société Art Actuel ne justifie pas, au-delà de l'énoncé du départ de certains de ses clients et d'affirmations non corroborées, de manœuvres positives et caractérisées de détournement ou de démarchage de ceux-ci ; que, de même, aucune pièce du dossier ne permet de démontrer que la perte de clientèle constatée soit imputable à des agissements anticoncurrentiels fautifs et non pas à des causes conjoncturelles ou propres à l'entreprise concurrencée, celle-ci ne pouvant, de toute façon, se prévaloir d'un quelconque droit privatif sur ses clients ; qu'aucun document concret ne permet non plus de retenir l'existence d'actes de dénigrement par les intimés des services et des prestations fournis par l'appelante; qu'en l'occurrence les résiliations de contrats dont excipe cette dernière représentent essentiellement des non-renouvellements d'engagements antérieurs, motivés par des raisons techniques objectives et dont aucun élément du dossier ne permet d'imputer la responsabilité à des manœuvres de la part de la société intimée ; que, plus précisément, la société Art Actuel n'établit en aucune manière un quelconque démarchage systématique de sa clientèle par la société Marie Demange Galerie d'art ou l'existence de propositions commerciales de la part de cette dernière dépourvues de toute rationalité économique et dont le seul objet eût été de " capter " des clients de manière déloyale, générant ainsi, en ce cas, une distorsion dans le marché de l'art considéré;

Considérant, enfin, que si certains artistes dont les œuvres étaient jusqu'alors exposées par les soins de l'appelante l'ont quittée pour rejoindre la société intimée, la société Art Actuel reconnaît elle-même que les intéressés n'ont jamais conclu d'engagement d'exclusivité à son endroit; que lesdits artistes se sont simplement bornés à exercer leur liberté contractuelle en cessant de lui confier leurs œuvres;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'en l'absence de toute preuve rapportée d'une faute constitutive de concurrence déloyale de la part des intimés il y a lieu, sans qu'il soit besoin de rechercher la réalité de l'existence du préjudice dont fait état l'appelante, de débouter celle-ci de l'ensemble de ses prétentions;

Sur la demande reconventionnelle en dommages-intérêts formée par les intimés pour " procédure abusive " et préjudice moral et financier

Considérant que l'exercice d'une action en justice ne dégénère en faute susceptible d'entraîner une condamnation à des dommages-intérêts que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi; qu'en l'espèce si les moyens invoqués par l'appelante à l'appui de son action en concurrence déloyale se sont révélés invoqués, l'action contentieuse formée ne présente, en tant que telle, aucun caractère abusif; que, par ailleurs, les actes de dénigrement dont les intimés font état et rapportés par les attestations de différents artistes indiquant avoir été contactés par la société Art Actuel ne sont toutefois pas suffisamment caractérisés et corroborés pour ouvrir droit à une indemnisation de ce chef; que, par la suite, la demande reconventionnelle susvisée sera rejetée;

Sur la demande présentée par chacune des parties aux fins de publication de la présente décision

Considérant qu'aucune considération de fait ou de droit ne justifie, eu égard de la nature même du contentieux opposant les parties, que soit ordonnée la publication ainsi sollicitée;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu de confirmer le jugement sauf en ce qu'il a dit la société Art Actuel irrecevable en ses demandes à l'encontre de M. Rambaldini, de l'infirmer de ce seul chef et, statuant à nouveau, de dire l'action de l'appelante recevable à l'endroit de ce dernier et de la rejeter, les parties étant déboutées du surplus de leurs demandes respectives;

Sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant que l'équité commande, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la société Art Actuel à verser à chacun des intimés la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article susvisé;

Par ces motifs, Confirme le jugement sauf en ce qu'il a dit la société Art Actuel irrecevable en ses demandes à l'encontre de M. Rambaldini, - L'infirme de ce seul chef, Et statuant à nouveau, - Dit l'action de l'appelante recevable mais non fondée à l'endroit de M. Rambaldini, - Déboute les parties du surplus de leurs demandes respectives, - Condamne la société Art Actuel aux dépens d'appel avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile, - La condamne ainsi à payer à chacun des intimés la somme de 1 500 euro au titre des frais leurs dépens.