CA Aix-en-Provence, 2e ch., 27 novembre 2008, n° 07-04119
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ciccione, Girardo
Défendeur :
France Boissons Toulon (EURL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Simon
Conseillers :
MM. Fohlen, Jacquot
Avoués :
SCP Cohen-Guedj, SCP Primout-Faivre
Avocats :
Mes Haddad, Houlliot, Lecolier
Exposé du litige
Depuis le 1er septembre 1981 le fonds de commerce de bar "Le Mondial" situé à Toulon et appartenant à Monsieur Fernand Girardo est donné en gérance libre à Monsieur Gérard Ciccione.
Le 7 septembre 2000 une "convention de fournitures" d'une durée de 5 ans a été conclue entre la SARL Sud-Est Boissons Porta et Monsieur Girardo, stipulant notamment :
- la SARL Sud-Est Boissons Porta s'est constituée caution conjointe et solidaire au bénéfice de Monsieur Girardo à concurrence de 50 % d'un prêt de 200 000 F soit 30 489,80 euro consenti par une banque;
- Monsieur Girardo achètera exclusivement à la SARL Sud-Est Boissons Porta chaque année 11 170 cols de boissons pour un montant d'achat de 190 000 F soit 28 965,31 euro HT;
- en cas d'inexécution ou de non-respect de cette exclusivité Monsieur Girardo devra à titre de clause pénale le paiement d'une indemnité forfaitaire de 15 % du chiffre d'affaires à réaliser jusqu'au terme normal du contrat;
- en cas de gérance libre Monsieur Girardo s'engage à imposer à son gérant le respect du présent contrat, sous la forme d'un engagement bilatéral entre ce gérant et la SARL Sud-Est Boissons Porta, Monsieur Girardo demeurant responsable de la bonne exécution du contrat.
L'EURL France Boissons Toulon venant aux droits de la SARL Sud-Est Boissons Porta, par lettre du 26 avril 2005 adressée tant à Monsieur Girardo qu'à Monsieur Ciccione, leur a reproché d'avoir cessé leurs approvisionnements auprès d'elle, et les a mis en demeure de reprendre leurs achats, mais sans succès.
Le Tribunal de commerce de Toulon, dans un jugement du 20 septembre 2006, a :
* prononcé aux torts et griefs exclusifs de Messieurs Girardo et Ciccione l'inexactitude de la convention du 7 septembre 2000;
* condamné solidairement les mêmes à payer à l'EURL France Boissons Toulon les sommes de :
- 16 410,54 euro avec intérêts au taux légal et capitalisation à compter du 26 avril 2005;
- 800 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile;
* ordonné l'exécution provisoire.
Messieurs Gérard Ciccione et Fernand Girardo ont interjeté appel.
L'instance a été radiée par ordonnance du conseiller de la mise en état du 26 février 2007 faute pour les appelants d'avoir déposé des conclusions dans le délai de 4 mois prescrit par l'article 915 du Code de procédure civile, et rétablie à la demande des intéressés le 28 février 2007.
Par ordonnance du 23 octobre 2007 le Magistrat ci-dessus a dit n'y avoir lieu à la radiation de l'article 526 du même Code, au motif que l'exécution de la condamnation est de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives pour les appelants.
Ces derniers soutiennent par conclusions du 28 février 2007 que Monsieur Ciccione n'a jamais signé la convention du 7 septembre 2000, et ne peut donc être condamné; qu'à cette date Monsieur Girardo n'exploitait plus le fonds de commerce depuis 19 ans et était âgé de 79 ans, tandis qu'il n'a jamais contracté d'emprunt cautionné par l'EURL France Boissons Toulon, ce qui fait qu'il n'avait pas à signer cette convention; que ce cautionnement étant la cause de la convention de fournitures son absence prive celle-ci tant de cause que d'objet; que si l'action en nullité se prescrit par 5 ans l'exception de nullité est perpétuelle; que l'emprunt a été souscrit par Monsieur Ciccione mais sans intervention de l'EURL France Boissons Toulon; et que Monsieur Girardo est fondé à opposer à cette société l'exception d'inexécution et à demander la résolution du contrat.
Les appelants demandent à la cour de réformer le jugement et de :
- mettre purement et simplement Monsieur Ciccione hors de cause; condamner l'EURL France Boissons Toulon à lui payer les sommes de 2 500 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, et de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;
- en ce qui concerne Monsieur Girardo annuler la convention du 7 septembre 2000 au visa des articles 1131 et 1126 et autant que de besoin 1184 du Code civil; débouter l'EURL France Boissons Toulon; condamner la même à payer à Monsieur Girardo les sommes de 2 500 euro à titre de dommages et intérêts, et de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Concluant le 16 novembre 2007 l'EURL France Boissons Toulon répond :
- que la demande de nullité de l'acte du 7 septembre 2000 est prescrite depuis le 7 novembre 2005 soit avant d'avoir été demandée par les appelants, et que si l'exception de nullité est perpétuelle c'est à condition que l'acte n'ait pas encore été exécuté, alors que la convention du 7 septembre 2000 a reçu exécution;
- que Monsieur Girardo a signé cette convention en sachant qu'il avait donné le fonds de commerce en gérance à Monsieur Ciccione; qu'en qualité de propriétaire dudit fonds il s'est porté fort de l'exécution de la convention par son gérant; que le prêt souscrit par Monsieur Ciccione a été cautionné par la société Heineken au lieu et place d'elle-même; et que cette convention est une opération globale prévoyant d'une part la souscription d'un contrat de fourniture par Monsieur Girardo, et d'autre part l'octroi d'un prêt à Monsieur Ciccione; que ce dernier n'aurait pas obtenu ledit prêt sans la convention; et que la défaillance dans les approvisionnements n'est pas contestée.
L'intimée demande à la cour de confirmer le jugement et en outre de :
- dire et juger prescrite et en tout état de cause infondée la demande en nullité de la convention du 7 septembre 2000;
- condamner in solidum Messieurs Girardo et Ciccione au paiement des sommes de 1 500 euro à titre de dommages et intérêts, et de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 octobre 2008.
Motifs de l'arrêt
Sur Monsieur Ciccione :
Ce dernier n'est aucunement partie à la convention de fournitures du 7 septembre 2000 qui a été conclue uniquement entre l'EURL France Boissons Toulon et Monsieur Girardo, et par suite ne saurait être tenu des engagements contractuels du second vis-à-vis de la première.
Cette société est d'autant moins fondée à poursuivre Monsieur Ciccione que la convention mentionne que le fonds de commerce qu'elle régit appartient à Monsieur Girardo mais est "donné en location-gérance" [en réalité en gérance libre] à Monsieur Ciccione, et que malgré cette mention l'EURL France Boissons Toulon n'a pas fait conclure la convention également par celui-ci, alors que les fournitures concernent le gérant exploitant du fonds et non son propriétaire non exploitant. De plus l'existence de cette gérance libre aurait dû conduire l'EURL France Boissons Toulon à conclure avec Monsieur Ciccione un "engagement bilatéral" tel que prévu dans cette hypothèse par la convention.
Cette absence d'engagement contractuel de Monsieur Ciccione, comme cette double carence de l'EURL France Boissons Toulon pourtant professionnelle de la matière, excluent toute condamnation du premier au profit de la seconde, ce qui conduira la cour à infirmer le jugement rendu contre Monsieur Ciccione.
Si la procédure de l'EURL France Boissons Toulon était injustifiée, son caractère abusif n'est pas démontré, non plus que le préjudice spécifique qu'en aurait subi Monsieur Ciccione; par suite la cour déboutera ce dernier de sa demande de dommages et intérêts.
Enfin ni l'équité, ni la situation économique de cette société, ne permettent de rejeter la demande faite par son adversaire au titre des frais irrépétibles.
Sur Monsieur Girardo :
L'exception de nullité d'un contrat est perpétuelle, mais à condition qu'elle soit invoquée lorsque ce contrat n'a pas encore été exécuté même partiellement. Or en l'espèce la convention de fournitures du 7 septembre 2000 d'une durée de 5 ans a été exécutée jusqu'en avril 2005 soit partiellement. C'est donc à tort que Monsieur Girardo demande l'annulation de cette convention.
Aux termes de cette dernière Monsieur Girardo a pour obligation d'approvisionner son fonds de commerce en boissons exclusivement auprès de l'EURL France Boissons Toulon, tandis que la contrepartie est le cautionnement par celle-ci de l'emprunt contracté par celui-là auprès de la Banque Scalbert Dupont.
Or la cour constate d'une part que Monsieur Girardo, vu sa qualité de propriétaire non exploitant du fonds, ne s'occupe aucunement d'approvisionner ce dernier en boissons; et d'autre part que le prêt consenti par la banque précitée l'a été non à lui-même mais à Monsieur Ciccione. Enfin l'absence de conclusion d'un engagement bilatéral entre ce dernier et l'EURL France Boissons Toulon ne permet pas à cette société de prétendre que Monsieur Girardo s'est porté fort de Monsieur Ciccione c'est-à-dire est tenu en cas de défaillance de ce dernier.
Le jugement sera donc également infirmé pour avoir condamné Monsieur Girardo au profit de l'EURL France Boissons Toulon.
Si la procédure de l'EURL France Boissons Toulon était injustifiée, son caractère abusif n'est pas démontré, non plus que le préjudice spécifique qu'en aurait subi Monsieur Girardo; par suite la cour déboutera ce dernier de sa demande de dommages et intérêts.
Enfin ni l'équité, ni la situation économique de cette société, ne permettent de rejeter la demande faite par son adversaire au titre des frais irrépétibles.
Décision
LA COUR, statuant en dernier ressort, par arrêt contradictoire et prononcé par mise à disposition au greffe. Infirme en totalité le jugement du 20 septembre 2006, et déboute l'EURL France Boissons Toulon de toutes ses demandes. Condamne en outre l'EURL France Boissons Toulon à payer au titre des frais irrépétibles : * à Monsieur Gérard Ciccione une indemnité de 1500 euro; * à Monsieur Fernand Girardo une indemnité de 1 500 euro. Rejette toutes autres demandes. Condamne l'EURL France Boissons Toulon aux entiers dépens, avec droit pour la SCP d'avoués Cohen, Cohen et Guedj de recouvrer directement ceux d'appel dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.