Cass. com., 23 mars 2010, n° 09-65.839
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Caud (SARL)
Défendeur :
Chanel (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Rapporteur :
Mme Mandel
Avocat général :
M. Mollard
Avocats :
SCP Piwnica, Molinié, SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez
LA COUR : - Attendu selon l'arrêt attaqué (Rennes, 20 janvier 2009) que la société Chanel, propriétaire de diverses marques "Chanel" a agi à l'encontre de la société Caud pour contrefaçon et concurrence déloyale après que cette société eut acheté à la société Futura finances des produits de parfumerie et cosmétiques de marque "Chanel" dépendant du stock de la société les Galeries Rémoises, vendu aux enchères publiques, sur autorisation du juge-commissaire à la liquidation judiciaire de cette société, distributeur agréé de la société Chanel ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société Caud fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée pour usage illicite de la marque Chanel au paiement de la somme de 5 000 euro à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen : 1°) que ne saurait constituer une contrefaçon par usage la simple commercialisation de produits authentiques régulièrement acquis après avoir été initialement mis en vente avec l'accord du titulaire de la marque ; qu'en décidant en l'espèce, pour condamner la société Caud à payer à la société Chanel la somme de 5 000 euro, que l'exposante avait fait un usage illicite de la marque Chanel, quand il était constaté que les produits authentiques litigieux avaient été initialement commercialisés par les Galeries Rémoises avec l'accord de la société Chanel, avant d'être acquis ensuite régulièrement à des fins commerciales par la société Caud, la cour d'appel a violé les articles L. 713-2 et L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle ; 2°) que l'autorisation de commercialiser, donnée en principe par le titulaire de la marque, peut également être issue d'une décision dotée de l'autorité de chose jugée ; qu'en retenant en l'espèce le contraire, pour condamner la société Caud à payer à la société Chanel la somme de 5 000 euro, la cour d'appel a violé les articles 480 du Code de procédure civile et 1351 du Code civil, ensemble les articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle ; 3°) que le titulaire de la marque ne peut s'opposer à une nouvelle commercialisation de produits, à laquelle il a, fût-ce tacitement, consenti, en refusant de contester judiciairement une décision ayant autorisé cette nouvelle commercialisation ; qu'en retenant en l'espèce, pour condamner la société Caud à payer à la société Chanel la somme de 5 000 euro, que l'exposante avait fait usage illicite de la marque Chanel en commercialisant, sans son autorisation, des produits authentiques de cette marque à la suite de la liquidation judiciaire des Galeries Rémoises, distributeur agréé par la société Chanel, quand il était constaté que la société Chanel, parfaitement informée des opérations de liquidation, n'avait intenté aucun recours à l'encontre de l'ordonnance du juge-commissaire autorisant la vente aux enchères des produits litigieux, en sorte qu'elle avait, au moins tacitement, acquiescé à une nouvelle commercialisation de ses produits, la cour d'appel a violé les articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle ; 4°) qu'il appartient au juge de rechercher si une méconnaissance du contrat de distribution sélective par le titulaire de la marque, refusant de racheter les produits de sa marque aux termes dudit contrat, ne lui interdit pas de se prévaloir d'un motif légitime permettant d'interdire une nouvelle commercialisation ; qu'en se bornant en l'espèce à retenir, pour condamner la société Caud à payer à la société Chanel la somme de 5 000 euro au titre d'un usage illicite de la marque, que "la commercialisation de produits dans des conditions portant atteinte à l'image de la marque et à la réputation du fabricant est de nature à constituer un juste motif pour écarter la règle d'épuisement des droits", sans rechercher, comme elle y était invitée, si la société Chanel ne s'était pas opposée de manière purement formelle à la vente aux enchères des produits litigieux, en rechignant en réalité à fournir son contrat de distribution sélective prévoyant la reprise desdits produits au prix de livraison, en préférant, autrement dit, au coût contractuel et certain d'une reprise de produits, les bénéfices éventuels d'une action en contrefaçon contre le revendeur, ce dont il se déduisait une absence de motif légitime, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle ; 5°) que l'usage illicite d'une marque ne peut résulter du seul fait d'une commercialisation de produits authentiques, régulièrement acquis, en dehors d'un réseau de distribution sélective, lorsque le revendeur a, à la mesure de ses moyens, présenté ces produits à la vente avec tout le soin requis pour ne pas porter atteinte à la marque ; qu'en l'espèce la cour d'appel a constaté que les produits cosmétiques de marque Chanel étaient présentés à la vente dans des vitrines fermées, et ainsi séparés des autres produits du magasin, quand la clientèle était également informée de l'origine des produits, du caractère exceptionnel de la vente et de la qualité du revendeur n'étant pas un distributeur agréé ; qu'en déduisant néanmoins de l'ensemble de ces éléments que la société Caud avait porté atteinte à la marque Chanel, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et violé les articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle ; 6°) que lors d'une vente aux enchères, les mentions du cahier des charges et les diverses publicités légales l'accompagnant visent à informer les seuls adjudicataires des conditions de la vente et des éventuelles charges l'affectant ; qu'en décidant en l'espèce de condamner la société Caud à payer à la société Chanel la somme de 5 000 euro au titre d'un usage illicite de la marque prétendument ternie par les conditions mêmes de la vente, au motif inopérant que l'exposante ne pouvait ignorer les conditions particulières de vente exigées par la société Chanel, dès lors que les annonces légales ayant précédé la vente aux enchères spécifiaient que les acquéreurs devaient "se conformer à la législation et aux clauses accréditives de distribution des parfums et cosmétiques" quand il était simultanément constaté que l'adjudicataire était la société Futura finances et non l'exposante, la cour d'appel a derechef violé les articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle, ensemble l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir constaté que la société Chanel avait informé le liquidateur de son opposition à la vente par adjudication et rappelé qu'elle offrait de reprendre ses produits aux conditions prévues au contrat de distribution sélective la liant à la société Galeries Rémoises, l'arrêt relève que, par un second courrier, la société Chanel avait réitéré son opposition et communiqué au liquidateur le contrat de distribution sélective mentionnant l'interdiction de revente hors réseau et la faculté de reprise du fabricant ; qu'il relève encore que les produits en cause étaient offerts à la vente et vendus dans une solderie en libre service aménagée dans un hangar situé dans une zone commerciale, que leurs emballages présentaient des défauts d'aspect imputables à une manipulation excessive et sans soin et que les affichettes utilisées pour annoncer au public cette commercialisation avec un rabais de 30 % étaient de qualité médiocre ; qu'il retient enfin que le contexte et les conditions d'exposition à la vente des produits Chanel ainsi que la publicité ayant accompagné l'opération commerciale de la société Caud affectaient négativement la valeur de la marque en ternissant l'allure et l'image de prestige des parfums et cosmétiques de luxe de la société Chanel ; que la cour d'appel, qui a procédé à la recherche visée par la quatrième branche a pu déduire de ces constatations et appréciations que la société Chanel justifiait d'un motif légitime l'autorisant à s'opposer à une nouvelle commercialisation de ses produits et à se prévaloir de l'absence d'épuisement du droit de marque ; qu'ainsi, elle a légalement justifié sa décision ;
Attendu en deuxième lieu, que l'arrêt relève que l'ordonnance du juge-commissaire ayant autorisé la vente par adjudication des produits Chanel, encore en stock chez le distributeur agréé en liquidation judiciaire, n'avait jamais été notifiée à la société Chanel, que cette société avait manifesté son opposition à la vente dès qu'elle en avait eu connaissance, offert de reprendre les produits aux conditions prévues au contrat de distribution sélective et réitéré ultérieurement son opposition ; que la cour d'appel qui a ainsi fait ressortir que la société Chanel n'avait pas consenti, même implicitement, à une nouvelle commercialisation des produits en cause a légalement justifié sa décision ;
Et attendu enfin, que la connaissance par la partie poursuivie des conditions de vente exigées par la société Chanel ne constituant pas un élément pertinent de l'action en contrefaçon pour usage illicite de marque, le moyen s'attaque en sa sixième branche à un motif surabondant ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur le second moyen pris en sa deuxième branche : - Vu l'article 1382 du Code civil ; - Attendu que pour retenir que la société Caud avait commis des agissements parasitaires au préjudice de la société Chanel et la condamner au paiement de la somme de 5 000 euro à titre de dommages-intérêts, l'arrêt relève qu'en placardant dans son point de vente des affiches reproduisant la marque Chanel, alors qu'elle ne disposait que d'une quantité limitée de produits de cette marque et que l'étanchéité du réseau de distribution sélective lui interdisait de se réapprovisionner, la société Caud a utilisé cette marque comme marque d'appel dans le seul but de profiter de son attrait auprès de la clientèle et de tenter de vendre d'autres articles que ceux annoncés ; que l'arrêt retient encore que ces agissements visant à bénéficier du pouvoir attractif de la marque ont permis à la société Caud de tirer profit de l'image et du prestige de la marque sans avoir à se soumettre aux contraintes pesant sur les distributeurs agréés ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans caractériser des faits distincts de ceux retenus pour justifier l'absence d'épuisement du droit sur la marque Chanel et la condamnation de la société Caud pour usage illicite de cette marque, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Caud à payer à la société Chanel une somme de 5 000 euro pour agissements parasitaires, l'arrêt rendu le 20 janvier 2009, entre les parties, par la Cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Rennes, autrement composée.