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Décisions

Cass. com., 23 mars 2010, n° 09-66.987

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Marm (SARL)

Défendeur :

Chanel (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Rapporteur :

Mme Mandel

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié, SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez

TGI Marmande, du 11 janv. 2008

11 janvier 2008

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Agen, 4 mars 2009) que la société Chanel, propriétaire de diverses marques, a agi à l'encontre de la société Marm pour usage illicite de marques et concurrence déloyale après que cette société eut proposé à la vente des produits cosmétiques et de parfumerie acquis auprès de la société Futura finances, société qui les avait elle-même achetés dans le cadre d'une vente aux enchères publiques du stock d'un distributeur agréé, la société Galeries rémoises, mise en liquidation judiciaire ;

Sur le moyen unique pris en ses troisième, septième, huitième, neuvième et dixième branches : - Attendu que la société Marm fait grief à l'arrêt d'avoir dit qu'elle avait fait un usage illicite des marques dont la société Chanel est propriétaire, qu'elle avait porté atteinte à l'image et à la réputation de la société Chanel, qu'elle avait participé indirectement à la violation de l'interdiction de revente hors réseau, qu'elle avait engagé sa responsabilité délictuelle en commettant des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Chanel et de l'avoir, en conséquence, condamnée à payer à celle-ci la somme de 25 000 euro toutes causes de préjudices confondues, alors, selon le moyen : 1°) que ne saurait constituer une contrefaçon par usage la simple commercialisation de produits authentiques régulièrement acquis après avoir été initialement mis en vente avec l'accord du titulaire de la marque ; qu'en décidant en l'espèce, pour condamner la société Marm à payer à Chanel la somme de 25 000 euro, que l'exposante avait fait un usage illicite de la marque Chanel, quand il était constaté que les produits authentiques litigieux avaient été initialement commercialisés par les Galeries rémoises avec l'accord de Chanel, avant d'être acquis ensuite régulièrement à des fins commerciales par la société Marm, la cour d'appel a violé les articles L. 713-2 et L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle ; 2°) que lors d'une vente aux enchères, les mentions du cahier des charges et les diverses publicités légales l'accompagnant visent à informer les seuls adjudicataires des conditions de la vente et des éventuelles charges l'affectant ; qu'en décidant en l'espèce de condamner la société Marm à payer à la société Chanel la somme de 25 000 euro au titre d'un usage illicite de la marque prétendument ternie par les conditions mêmes de la vente, au motif inopérant que l'exposante ne pouvait ignorer les conditions particulières de vente exigées par Chanel, dès lors "que l'annonce de la vente aux enchères faite par le liquidateur précisait que les acquéreurs devaient se conformer à la législation et aux clauses accréditives de distribution des parfums et cosmétiques", quand il était bien établi que l'exposante n'était pas adjudicataire, les juges du second degré paraissant qui plus est douter de l'acquisition même des produits auprès de l'adjudicataire, la société Futura finances, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1165 du Code civil ; 3°) que l'autorisation de commercialiser, donnée en principe par le titulaire de la marque, peut également être issue d'une décision dotée de l'autorité de chose jugée ; qu'en retenant en l'espèce le contraire, pour condamner la société Marm à payer à la société Chanel la somme de 25 000 euro, la cour d'appel a violé les articles 480 du Code de procédure civile et 1351 du Code civil, ensemble les articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle ; 4°) que le titulaire de la marque ne peut s'opposer à une nouvelle commercialisation de produits, à laquelle il a, fût-ce tacitement, consenti, en refusant de contester judiciairement une décision ayant autorisé cette nouvelle commercialisation ; qu'en retenant en l'espèce, pour condamner la société Marm à payer à la société Chanel la somme de 25 000 euro, que l'exposante avait fait usage illicite de la marque Chanel en commercialisant, sans son autorisation, des produits authentiques de cette marque à la suite de la liquidation judiciaire des Galeries rémoises, distributeur agréé Chanel, quand il était constaté que la société Chanel, parfaitement informée des opérations de liquidation, n'avait intenté aucun recours à l'encontre de l'ordonnance du juge-commissaire autorisant la vente aux enchères des produits litigieux, en sorte qu'elle avait, au moins tacitement, acquiescé à une nouvelle commercialisation de ses produits, la cour d'appel a violé les articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle ; 5°) qu'il appartient au juge de rechercher si une méconnaissance du contrat de distribution sélective par le titulaire de la marque, refusant de racheter les produits de sa marque aux termes dudit contrat, ne lui interdit pas de se prévaloir d'un motif légitime permettant d'interdire une nouvelle commercialisation ; qu'en se bornant en l'espèce à retenir, pour condamner la société Marm à payer à la société Chanel la somme de 25 000 euro, "que la société Chanel justifie de motifs légitimes pour s'opposer à l'usage de sa marque notamment par l'existence d'un réseau étanche de distribution sélective, et par la mise en vente des produits dans une solderie (...) dans des conditions dévalorisantes, sans que les précautions mises en avant par l'appelante ne soient établies", sans rechercher, comme elle y était invitée, si la société Chanel ne s'était pas opposée de manière purement formelle à la vente aux enchères des produits litigieux, en rechignant en réalité à fournir son contrat de distribution sélective prévoyant la reprise desdits produits au prix de livraison, en préférant, autrement dit, au coût contractuel et certain d'une reprise de produits, les bénéfices éventuels d'une action en contrefaçon contre le revendeur, ce dont il se déduisait une absence de motif légitime, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu que l'arrêt relève par motifs propres et adoptés que les produits ont été mis en vente dans un hangar situé dans une zone commerciale, hors l'agglomération de Sainte-Bazeille, qu'ils étaient présentés dans des bacs ou des portants, dans des conditions dévalorisantes, que des affiches dans le local de vente annonçaient que ces produits provenaient d'une vente aux enchères publiques consécutive à la liquidation judiciaire des Galeries rémoises et étaient vendus avec une remise de 30 % ; qu'il relève encore, par motifs adoptés, que la société Chanel a manifesté son opposition à la vente aux enchères prévue en proposant par courrier du 28 novembre 2003 adressé à M. Deltour, mandataire liquidateur de la société Galeries rémoises, de racheter les produits de cette société restant en stock, auquel celui-ci avait répondu négativement le 6 avril 2004 ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations dont elle a déduit que la société Chanel justifiait de motifs légitimes l'autorisant à s'opposer à une nouvelle commercialisation de ses produits, la cour d'appel qui a procédé à la recherche prétendument omise visée par la cinquième branche et abstraction faite du motif surabondant critiqué par la deuxième branche, a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le moyen pris en sa première branche : - Vu les articles 1382 du Code civil, L. 442-6 I 6° du Code de commerce, ensemble les articles L. 713-2 et L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle ; - Attendu que pour fixer à la somme de 25 000 euro, toutes causes de préjudices confondues, le montant des dommages-intérêts dus par la société Marm à la société Chanel, l'arrêt retient par motifs adoptés que le fait de mettre en vente des produits commercialisés dans le cadre d'un réseau de distribution sélective constitue une faute si l'acquisition en est faite en violation des règles applicables à ce réseau et s'il constitue un acte de concurrence déloyale, que la société Marm n'est pas distributeur agréé, qu'elle a acquis les produits de marque Chanel en violation du réseau de distribution sélective et les a mis en vente à des prix réduits de 30 % ;

Attendu qu'en prononçant une condamnation tant pour usage illicite de marque que pour concurrence déloyale et pour violation de l'interdiction de vente hors réseau alors que les faits retenus, de ces deux derniers chefs, ne constituaient pas des faits distincts de ceux retenus pour dire que la société Chanel justifiait de motifs légitimes pour s'opposer à une nouvelle commercialisation de ses produits, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs ; Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Marm à payer à la société Chanel la somme de 25 000 euro toutes causes de préjudices confondues, l'arrêt rendu le 4 mars 2009, entre les parties, par la Cour d'appel d'Agen ; remet en conséquence sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Toulouse.