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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 1 décembre 2009, n° 08-00966

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Mongai, Groupe USM (Sté)

Défendeur :

Douchez

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bouyssic

Conseillers :

Mme Salmeron, M. Coleno

Avoués :

SCP Nidecker Prieu-Philippot Jeusset, SCP Boyer Lescat Merle

Avocats :

Mes Bertrand, Cygler

TGI Toulouse, du 4 févr. 2008

4 février 2008

M. Nicolas Douchez joueur de football a conclu le 9 novembre 2005 avec M. Christophe Mongai, agent de joueur, un contrat pour une durée deux ans jusqu'au 9 novembre 2007 par lequel il donnait mandat exclusif à celui-ci pour l'assister dans la conclusion de tout contrat lié à sa carrière de joueur professionnel.

Le 27 mars 2006 M. Douchez a conclu un autre mandat avec un autre agent de joueur, M. Krstic. Le 3 avril 2006 M. Douchez a mis fin au contrat le liant à M. Mongai ; enfin M. Douchez a prolongé le 13 avril 2006 avec la société SASP Toulouse Football club, son employeur, son contrat de joueur et ce sans être assisté de M. Mongai.

Estimant que M. Douchez avait méconnu le contrat d'exclusivité et rompu celui-ci abusivement, M. Mongai a saisi le Tribunal de grande instance de Toulouse d'une action en indemnisation.

Par jugement du 4 février 2008 le Tribunal de grande instance de Toulouse a débouté M. Mongai de ses demandes, débouté M. Douchez de ses demandes reconventionnelles et laissé les dépens à la charge de M. Mongai.

Pour statuer ainsi le premier juge a retenu que le mandat ne pouvait être qualifié de mandat d'intérêt commun et qu'il était librement révocable par le mandant en l'absence d'abus démontré.

Par déclaration du 22 février 2008 M. Mongai a relevé appel de cette décision.

Prétentions des parties

M. Mongai par conclusions du 6 octobre 2009 auxquelles il est fait expressément référence pour l'exposé du détail de l'argumentation demande à la cour de dire:

- que le mandat du 9 novembre 2005 conclu avec M. Douchez est un mandat d'intérêt commun et/ou à durée déterminée et/ou comportant une clause d'exclusivité, qui ne comportait aucune clause autorisant la révocation unilatérale,

- qu'en l'absence de motif légitime de révocation, la rupture de ce contrat, quelle que soit sa qualification, est abusive,

- de condamner M. Douchez à lui payer la somme de 164 091,20 euro à titre de dommages et intérêts outre 15 000 euro en réparation du préjudice moral et 4 784 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il soutient;

* Sur sa qualité à agir :

- qu'il est titulaire de la licence "agent de joueurs" délivrée par la Fédération Française de Football,

- que si le droit interne français permet à une personne morale d'exercer l'activité d'agent de joueur, cette possibilité est formellement écartée par la réglementation de la FIFA (article 2.3 du règlement) de sorte que le règlement de la FFF prévoit exclusivement l'exercice de l'activité d'agent de joueur par des personnes physiques même si ces personnes physiques peuvent s'organiser sous forme d'entreprise,

- qu'en conformité avec ce règlement il exerce son activité sous couvert d'une personne morale (la société USM) mais reste seul titulaire de la licence d'agent de joueur, activité pour laquelle il a une grande notoriété, de sorte que son intérêt à agir est démontré,

* Sur la qualification du contrat :

- que le contrat conclu par l'agent sportif avec un joueur a été qualifié de mandat d'intérêt commun, si bien qu'il ne peut être révoqué que par consentement mutuel ou pour une cause légitime,

- qu'il comporte au surplus une clause d'exclusivité et une durée déterminée de 2 ans, dont la méconnaissance contribue à démontrer le caractère abusif de la révocation,

- que le grief invoqué par M. Douchez (la non-remise du contrat) est totalement fallacieux d'autant plus qu'il n'a été précédé d'aucune demande de M. Douchez et ce malgré la durée des relations contractuelles,

- que le défaut de transmission du contrat à la Fédération Française de Football n'est assorti d'aucune sanction et se trouve inopérant car le contrat a effectivement été transmis ainsi qu'il résulte de courrier de la FFF du 22 mai 2006,

- que M. Mongai a eu un rôle très actif à la satisfaction de M. Douchez puisque celui-ci a reconduit le contrat,

- que même dans l'hypothèse où la notion de mandat d'intérêt commun serait écartée, il existe un abus et une violation de la clause d'exclusivité puisque M. Douchez a conclu un contrat avec M. Krstic le 27 mars 2006 alors même qu'il était encore sous contrat avec M. Mongai,

- que les préjudices sont égaux à 7 % des sommes dont M. Douchez aurait bénéficié selon le contrat de travail qui avait été négocié.

La société Groupe Union Sports Management USM par conclusions du 5 octobre 2009 auxquelles il est fait expressément référence pour l'exposé du détail de l'argumentation soutient:

- qu'elle n'est pas une personne morale détentrice de la licence d'agent de joueur mais la personne morale sous le couvert de laquelle M. Mongai détenteur de la licence exerce son activité d'agent de joueur,

- que les stipulations du contrat du 9 novembre 2005 sont claires sur ce point,

- que le mandat n'est pas nul, elle conclut à l'infirmation de la décision et à la condamnation de M. Douchez à payer à tout le moins à M. Mongai, en qualité de représentant légal de la société groupe USM, la somme de 164 091 euro à titre de dommages et intérêts outre 15 000 euro à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral et 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

M. Douchez par conclusions du 8 octobre 2009 auxquelles il est fait expressément référence pour l'exposé du détail de l'argumentation soutient :

- que l'intervention en cause d'appel de la société groupe USM ne permet pas à celle-ci de solliciter des condamnations à son profit,

- que le contrat du 9 novembre 2005 a été conclu au nom de la société groupe USM qui n'est pas titulaire de la licence d'agent de joueur, contrairement aux dispositions des articles L. 222-6 et A. 222-1 du Code des sports, si bien que ce contrat est nul,

- que dans l'hypothèse où le contrat serait souscrit avec M. Mongai, le contrat est un contrat d'entremise ou de courtage mais non d'intérêt commun, d'autant plus que M. Mongai n'avait aucun pouvoir pour représenter M. Douchez ou signer un contrat en son nom,

- qu'il ne comporte aucune clause d'irrévocabilité,

- qu'il n'existe aucun abus dans la révocation, compte tenu des griefs qu'il formule (défaut de remise et d'enregistrement du contrat, inexécution par M. Mongai de ses obligations),

- qu'enfin M. Mongai ne justifie d'aucun préjudice.

Par arrêt préparatoire du 7 juillet 2009 la cour a réouvert les débats pour permettre un échange contradictoire de conclusions.

L'ordonnance de clôture est intervenue en définitive le 13 octobre 2009 avant l'ouverture des débats.

Motifs de la décision

La fin de non-recevoir opposée par M, Douchez à M. Mongai, tirée du défaut de qualité pour agir, peut être proposée en tout état de cause en application des articles 122 et 123 du Code de procédure civile. En conséquence le fait que M. Douchez ne présente cette fin de non-recevoir qu'en cause d'appel ne rend pas celle-ci tardive.

1° Les parties au contrat

Le contrat du 9 novembre 2005 a été signé entre Monsieur Christophe Mongai titulaire conformément à la réglementation de la licence " agent de joueurs " licencié par la Fédération Française de Football n° 51487, domicilié <adresse> siège de Groupe Union Sparts Management, SARL dont il est le représentant légal, ci-après dénommé l'agent de joueurs, et M. Douchez dénommé le mandant.

Il est précisé en page 2 par le présent contrat M. Douchez mandate de façon exclusive M. Christophe Mongai pour gérer sa carrière professionnelle, l'assister et le représenter dans les domaines d'activité visés par l'article II.

Il est signé "L'agent de joueurs Christophe Mongai".

Il en résulte bien que le contrat a bien été signé au nom de la personne physique titulaire d'une licence d'agent de joueur explicitement visée, de sorte qu'il ne peut être soutenu que le contrat est souscrit au nom de la personne morale chez laquelle M. Mongai s'est seulement domicilié, sans la rendre partie au contrat.

L'exception de nullité soulevée par M. Douchez est donc écartée et toutes ses contestations quant au rôle de cette société.

2° La révocabilité du mandat

Le mandataire agit au nom et pour le compte de celui qui le missionne et en l'espèce selon l'article II du contrat, M. Mongai assiste ou représente de façon exclusive le mandant dans toutes négociations et signatures de contrats liés à sa carrière de joueur de football professionnel.

Le contrat liant M. Mongai à M. Douchez est donc un mandat au sens de l'article 1984 du Code civil.

L'article 2004 du Code civil pose le principe de la libre révocabilité du mandat, toutefois, ce principe rencontre deux limitations, qui trouvent leurs sources soit dans la convention des parties, lorsque celles-ci ont entendu limiter cette liberté de révocation, soit dans la nature même du contrat lorsqu'il s'agit d'un mandat d'intérêt commun.

Le mandat présente un intérêt commun lorsque la réalisation de l'objet du mandat présente un intérêt pour les deux parties au mandat. Tel est bien le cas en l'espèce puisque le mandataire, chargé de la gestion de la carrière professionnelle du joueur, a un intérêt certain à l'essor de cette carrière compte-tenu des incidences économiques qu'entraînent ses performances et de sa notoriété, sur les conditions financières d'engagement et les prétentions salariales du joueur.

En effet cette rentabilité financière constitue les bases sur lesquelles est assise la rémunération proportionnelle de l'agent de joueur (qui est fixée par l'article IV du contrat prévoyant une rémunération à hauteur de 7 % HT du salaire de base brut réalisé par le mandant).

La notion de mandat d'intérêt commun, qui est d'ailleurs celle expressément donnée par les parties à leur convention doit être retenue.

3° Les conditions de révocation

S'agissant d'un mandat d'intérêt commun, la révocation unilatérale ne peut intervenir que suivant les clauses et conditions spécifiées au contrat ou pour une cause légitime reconnue en justice.

Il n'est ni démontré ni soutenu que la révocation est intervenue suivant les modalités contractuelles, puisque bien au contraire le contrat étant conclu pour une durée déterminée de deux ans, la rupture avant le terme n'entrait pas dans les prévisions du contrat, si bien que seule reste à trancher l'existence d'une cause légitime.

La charge de cette preuve incombe à celui qui s'en prévaut, soit M. Douchez, de sorte que le litige doit se résoudre par l'examen des griefs invoqués par M. Douchez et non par l'appréciation des diligences dont fait état M. Mongai.

Les événements survenus durant la période de mise en œuvre du précédent mandat notamment en ce qui concerne les modalités de conclusion d'un contrat le 4 juin 2004, ne peuvent avoir aucun rôle causal en ce qui concerne le sort du mandat en litige, qui n'a été conclu que le 9 novembre 2005, soit postérieurement à l'événement incriminé.

En l'état de ses dernières écritures, M. Douchez invoque comme cause légitime de révocation du contrat les griefs suivants :

* défaut d'enregistrement du contrat à la Fédération Française de Football,

* défaut de remise du contrat,

* inexécution par M. Mongai de ses obligations contractuelles.

- La remise du contrat.

Le contrat fait état de la distribution des originaux, dont un au mandant. Le grief de M. Douchez est donc en contradiction avec les énonciations du contrat qu'il a lui-même signé. Au demeurant, il ne démontre aucune réclamation de sa part sur ce point avant la signification de la révocation, ce grief n'est donc ni démontré ni sérieux.

- L'enregistrement du contrat auprès de la FFF.

Il ressort d'un courrier de la Fédération Française du 26 mai 2006 que celle-ci était à cette date en possession du contrat.

M. Douchez n'a formulé aucune réclamation quant à l'enregistrement du contrat avant son courrier de révocation, il ne démontre pas la réalité de ce grief à la date où il l'énonce puisqu'il subsiste une incertitude sur la date à laquelle est intervenu l'envoi du contrat à la fédération. Enfin le défaut d'enregistrement (à le supposer démontré) n'a aucune incidence sur la validité du contrat et n'est pas de nature à préjudicier aux intérêts de M. Douchez. Il s'ensuit que le grief ne présente en aucune façon le critère de sérieux et de gravité requis pour constituer une cause de révocation du mandat.

M. Douchez expose qu'il a négocié seul et obtenu à l'occasion de la prorogation de son contrat de travail avec la SASP Toulouse Football Club le 13 avril 2006 des conditions financières bien plus avantageuses que celles qu'avait entrepris de négocier M. Mongai, que ce soit pour le salaire mensuel ou la prime à la signature, le salaire mensuel passant de 20 000 à 30 000 euro puis 35 000 euro pour les deux dernières saisons, et la prime d'engagement de 100 000 à 400 000 euro.

Toutefois, s'il résulte effectivement d'un mail du 14 mars 2006 que M. Mongai avait entrepris des négociations avec le Toulouse FC et que les propositions faites à cette époque étaient très inférieures à celles auxquelles le contrat de travail de M. Douchez a été prorogé, aucun élément du dossier ne permet de tenir pour établi que les conditions financières définitives ont caractérisé un manquement de M. Mongai alors que le contrat de travail a été signé après la révocation du mandat et que le courrier de révocation ne fait en aucune façon état d'un manque de diligence de M. Mongai à ce titre, ce qui n'aurait pas manqué d'être stigmatisé si cet état de fait avait été constaté et se trouvait réellement à l'origine de la révocation du mandat.

En conséquence il n'existe aucune cause légitime démontrée à la révocation du mandat d'intérêt commun liant M. Douchez et M. Mongai, sa rupture présente donc un caractère fautif qui engage la responsabilité de son auteur, réellement à l'origine de la révocation du mandat.

En conséquence il n'existe aucune cause légitime démontrée à la révocation du mandat d'intérêt commun liant M. Douchez et M. Mongai, sa rupture présente donc un caractère fautif qui engage la responsabilité de son auteur.

4° L'indemnisation du préjudice

La rupture injustifiée et brutale du mandat a entraîné pour M. Mongai un préjudice économique constitué par la perte des rémunérations auxquelles le contrat lui permettait de prétendre et un préjudice moral constitué par la méconnaissance de ses droits dans des conditions susceptibles de préjudicier à sa réputation professionnelle.

Compte-tenu toutefois de ce que le contrat d'intérêt commun était conclu pour une durée de 2 ans devant expirer le 9 novembre 2007, qu'à la date de la rupture la reconduction du contrat de travail n'était pas encore finalisée, il convient d'arbitrer l'indemnisation de M. Mongai, toutes causes confondues, à la somme de 100 000 euro et de lui allouer en outre la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'intervention volontaire de la société groupe USM est recevable par application de l'article 554 du Code de procédure civile dès lors qu'elle n'avait pas été partie en première instance.

Toutefois, la cour ayant jugé que l'activité d'agent sportif était exercée par M. Mongai personnellement, ses prétentions tant principales qu'accessoires seront rejetées.

Par ces motifs, LA COUR, Infirme la décision déférée et statuant à nouveau, Dit que l'activité d'agent de joueur était exercée par M. Mongai personnellement, Dit que le contrat du 9 novembre 2005 est un mandat d'intérêt commun, Dit que ce mandat a été révoqué par M. Douchez sans cause légitime, Condamne M. Douchez à payer à M. Mongai la somme de 100 000 euro en réparation de l'ensemble de son préjudice et la somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Déclare recevable l'intervention volontaire de la société groupe USM, Au fond, rejette ses demandes, Condamne M. Douchez aux entiers dépens, avec application de l'article 699 du Code de procédure civile au profit de la SCP Boyer Lescat Merle avoué, en ce qui concerne les dépens d'appel.