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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 6 avril 2010, n° ECEC1010044X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

France Télécom (SA), Orange France (SA)

Défendeur :

Bouygues Télécom (SA), Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, Président de l'Autorité de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Fossier

Conseillers :

M. Remenieras, Mme Jourdier

Avoués :

SCP Grappotte Benetreau Jumel, SCP Monin d'Auriac de Brons

Avocats :

Me Calvet, Selas Vogel & Vogel

AdlC, du 15 mai 2009, n° 09-S-03

15 mai 2009

Le 10 octobre 2006, la société Bouygues Télécom a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre sur le marché de la téléphonie mobile en France métropolitaine. Elle dénonçait la commercialisation par les sociétés Orange et SFR d'offres "on net" qui, à des tarifs avantageux, incluent des appels illimités vers plusieurs numéros à la condition que ces numéros correspondent à des abonnés de leur réseau.

Selon elle, ces offres ont pris de plus en plus d'importance, à partir du moment où :

- elles ont été proposées de manière permanente et non plus pendant des périodes limitées;

- elles n'ont plus été limitées en nombre, sous forme de quotas, mais rendues accessibles à tous les abonnés;

- elles n'ont plus été soumises à des restrictions horaires;

- les abonnés ont pu appeler "en illimité", c'est-à-dire sans contrainte de durée, des numéros librement choisis.

Selon Bouygues Télécom, ces pratiques seraient fidélisantes, au sens de la jurisprudence sur les remises de fidélité, en ce qu'elles empêcheraient les clients de changer d'opérateur et incitent leur entourage à s'abonner au même opérateur.

Ces pratiques seraient également discriminatoires, en ce sens que l'écart entre les prix pour les appels "on net" et les prix finaux pour les appels "off net" proposés aux consommateurs est supérieur à l'écart existant entre les terminaisons d'appels respectives des opérateurs.

Enfin, elles engendreraient un ciseau tarifaire en ce qu'elles ne laissent aux compétiteurs, et notamment à Bouygues Télécom, aucun espace économique viable pour concurrencer Orange et SFR.

Aux termes de la notification de griefs, il était reproché à la société Orange et à la société France Télécom d'avoir pratiqué, pour la gamme "Orange Intense", lancée en octobre 2005, des tarifs tels qu'ils ne pouvaient, entre février 2006 et juin 2007, être répliqués par un opérateur concurrent compte tenu de la charge facturée par Orange pour la terminaison des appels vers son réseau.

Il était également fait grief à ces entreprises d'avoir pratiqué pour la gamme "Orange classique", lancée en octobre 2005, des tarifs tels qu'ils ne pouvaient, entre février 2006 et juin 2007, être répliqués par un opérateur concurrent compte tenu de la charge facturée par Orange pour la terminaison des appels vers son réseau.

Il était enfin reproché à la société Orange et à la société France Télécom d'avoir pratiqué pour la gamme "M6 mobile by Orange", lancée en juin 2005, des tarifs tels qu'ils ne pouvaient, entre juin 2005 et juin 2007, être répliqués par un opérateur concurrent compte tenu de la charge facturée par Orange pour la terminaison des appels vers son réseau.

Selon la notification de griefs, ces pratiques, qui ont pour objet et sont susceptibles d'avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché de détail de la téléphonie mobile, constituent des abus de la position dominante occupée par la société Orange sur le marché de la terminaison des appels sur son réseau mobile. Elles sont prohibées par les dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE.

Par décision n° 09-S-03 du 15 mai 2009, l'Autorité de la concurrence, ci-après l'Autorité, a notamment estimé, en l'absence de notification d'un grief de discrimination tarifaire, que les éléments figurant au dossier ne permettaient pas de l'éclairer sur la discrimination tarifaire dont la société Bouygues Télécom s'estimait victime et a décidé de surseoir à statuer et de procéder à un complément d'instruction.

C'est dans ces conditions que l'Autorité a décidé :

"Article unique : Le dossier enregistré sous le numéro 06/0070 F est renvoyé à l'instruction";

LA COUR,

Vu le recours en annulation et subsidiairement en réformation de la décision de l'Autorité de la concurrence déposé au greffe de la cour le 19 juin 2009 par la société France Télécom et par la société Orange Télécom;

Vu le mémoire déposé le 24 juillet 2009 par la société France Télécom et par la société Orange Télécom au soutien de leur recours, soutenu par leur mémoire en réplique, déposé le 26 janvier 2010;

Vu les conclusions déposées le 1er septembre 2009 par la société Bouygues Télécom, soutenues par ses conclusions en réponse, déposées le 27 octobre 2009;

Vu le courrier de Mme le ministre chargé de l'Economie, déposé le 8 décembre 2009, dans lequel elle informe la cour de ce qu'elle n'entend pas user de la faculté de présenter des observations dans le cadre du présent recours;

Vu les observations écrites de l'Autorité de la concurrence, déposées le 14 décembre 2009;

Vu les observations écrites du Ministère public du 29 janvier 2009;

Le conseil des requérantes et de la société Bouygues Télécom, la représentante de l'Autorité de la concurrence ainsi que le Ministère public ayant été entendus lors de l'audience publique du 16 février 2010 et les requérantes ayant été mises en mesure de répliquer;

Sur ce,

Considérant qu'au soutien de leur recours, la société France Télécom et la société Orange Télécom prétendent que, loin de se borner à renvoyer l'affaire à l'instruction, la décision tranche de manière définitive plusieurs questions et écarte les moyens qu'elles ont soulevés, de sorte qu'elles sont recevables à former un recours contre cette décision qui leur fait grief et cela quelle que soit la qualification donnée par l'Autorité à sa décision; qu'elles font ainsi valoir :

- qu'en déterminant l'objet et l'issue du complément d'instruction, la décision de l'Autorité a procédé à une violation caractérisée de la séparation entre les fonctions d'instruction et de jugement; qu'en effet, alors que le grief de discrimination, qui figurait dans la saisine de Bouygues Télécom, a été examiné par les rapporteurs qui l'ont écarté dans la notification de griefs puis dans le rapport, l'Autorité impose pourtant aux rapporteurs de notifier un nouveau grief à France Télécom et à Orange Télécom au titre des pratiques discriminatoires ; que cette atteinte aux droits de la défense doit conduire à l'annulation de la décision déférée, étant précisé qu'aucune instruction complémentaire ne peut désormais être effectuée en toute indépendance, et ce, nonobstant l'annulation formelle de la décision, dès lors que l'Autorité s'est prononcée sur le sens et l'issue de l'instruction;

- qu'alors qu'elles avaient fait valoir que le grief notifié, en incluant un effet d'éviction à l'égard des Mobile Virtual Network Operators dépassait le champ de la saisine, l'Autorité a néanmoins tranché cette question de manière définitive en retenant que, n'ayant pas pu se méprendre sur la portée des griefs notifiés, le moyen tiré de la violation des droits de la défense devait être écarté;

- qu'en dépit de leurs critiques portant sur le fait que le marché amont de la terminaison d'appel était inexistant, l'Autorité a cependant procédé à une délimitation inappropriée de ce marché;

- qu'il ressort également de la décision que l'Autorité de la concurrence s'est d'ores et déjà prononcée sur la question de la violation du secret d'affaires, en écartant définitivement leurs arguments;

- enfin, qu'alors qu'un grief de ciseau tarifaire a été notifié à Orange et France Télécom et que l'instruction s'est attachée à réunir tous les éléments nécessaires à l'appréciation de cette pratique, l'Autorité ne s'est toutefois pas prononcée sur le grief notifié, en méconnaissant ainsi sa compétence;

Mais considérant que l'article R. 463-7 du Code de commerce énonce "Lorsqu'elle estime que l'instruction est incomplète, l'Autorité de la concurrence peut décider de renvoyer l'affaire en tout ou partie à l'instruction. Cette décision n'est pas susceptible de recours";

Considérant que l'Autorité qui était tenue d'examiner, en l'état du dossier dont elle était saisie, l'argumentation de la société France Télécom et de la société Orange France tant sur la procédure suivie jusque là que sur la définition provisoire des marchés pertinents, n'a cependant tranché définitivement aucun point, comme le démontre suffisamment le dispositif de la décision attaquée, qui se limite à un renvoi du dossier à l'instruction;

Considérant, dès lors, que l'Autorité qui n'a pris en application des dispositions susvisées de l'article R. 463-7 du Code de commerce qu'une mesure d'ordre interne concernant l'instruction d'une affaire estimée incomplète et dont elle ne s'est pas dessaisie, n'a pas statué dans des conditions susceptibles de faire grief aux requérantes;

Que le recours sera déclaré irrecevable;

Par ces motifs, Déclare le recours irrecevable, Condamne la société France Télécom et la société Orange France aux dépens, Vu l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute la société Bouygues Télécom de sa demande d'indemnité pour frais irrépétibles.