Livv
Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 1, 18 septembre 2008, n° 05-01261

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Sara Lee Household and Body Care France (SNC), Sara Lee Household and Body Care Kingdom (Sté), Sara Lee DE/NV (Sté), Bama international GmbH (Sté)

Défendeur :

Cousin Lacets (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Geerssen

Conseillers :

MM. Deleneuville, Cagnard

Avoués :

SCP Deleforge Franchi, SCP Cocheme-Kraut-Labadie

Avocats :

Mes Reinhart, Delfly

T. com. Lille, du 11 janv. 2005

11 janvier 2005

Vu le jugement contradictoire du 11 janvier 2005 du Tribunal de commerce de Lille qui, après avoir rejeté l'exception de sursis à statuer soulevée par les sociétés du groupe Sara Lee et jugé que ces dernières n'avaient pas respecté le préavis notifié, a condamné la SNC Sara Lee Household and Body Care France, la société de droit anglais SNC Sara Lee Household and Body Care UK, la société de droit néerlandais Sara Lee DE/NY, la société de droit allemand Bama International GmbH à payer à la SA Cousin Lacets 287 993,01 euro au titre des licenciements, 706 232,66 euro au titre des pertes de stocks Sara Lee, 431 810 euro au titre des pertes de stocks hors Sara Lee, 60 000 euro au titre de la marge perdue, 272 496 euro au titre des pertes sur immobilisations, 345 333 euro au titre des frais fixes non couverts durant le préavis, avec intérêts au taux légal à compter du 21 novembre 2002 (assignation) ainsi que 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;

Vu l'appel interjeté le 28 février 2005 par la SNC Sara Lee Household and Body Care France, la société de droit britannique SNC Sara Lee Household and Body Care Kingdom, la société de droit néerlandais Sara Lee DE/NY, la société de droit allemand Bama international GmbH (les sociétés Sara Lee);

Vu les conclusions déposées le 27 mars 2008 pour ces dernières;

Vu les conclusions déposées le 28 janvier 2008 pour la SA Cousin Lacets (la société Cousin);

Vu l'ordonnance de clôture du 6 juin 2008;

Attendu que les sociétés Sara Lee ont interjeté appel aux fins d'infirmation du jugement entrepris, aucune faute ne pouvant être retenue contre elles dans la rupture des relations commerciales entretenues avec la société Cousin Lacets, et condamnation de cette dernière à leur payer 1 347 549,83 euro en réparation de préjudice qu'elles ont subi pour avoir été contraintes de trouver en urgence un autre fournisseur de lacets pour le marché européen à la suite de la défaillance de la société Cousin Lacets, ainsi que 50 000 euro vertu de l'article 700 du Code de procédure civile ; elles demandent subsidiairement de réduire l'indemnité susceptible d'être due à la société Cousin Lacets à la marge bénéficiaire brute qui aurait été réalisée pendant le préavis non effectué, fixer le préavis entre deux et quatre mois, l'ancienneté des relations remontant à 2000 lors du résultat du premier appel d'offre et de la constitution de la société Cousin Lacet ou au mieux à 1997 avec l'implantation en France de la société Sara Lee ;

Attendu que la société Cousin Lacets sollicite la confirmation du jugement déféré et la condamnation des sociétés Sara Lee à lui payer 20 000 euro pour la couverture de ses frais irrépétibles;

Sur ce:

Attendu que les sociétés du Groupe Cousin fournissaient des lacets à la société de droit allemand Bama lors du rachat de cette dernière par le " Groupe Sara Lee " (sans autre précision, le dossier de la cour ne contenant aucune donnée de nature à permettre d'individualiser l'entité qui a effectivement acquis le capital de cette société Bama) ; que ce dernier lui a ensuite confié la fabrication de lacets de marque Kiwi pour le marché français dès 1999, puis pour les marchés britannique et allemand en 2000 et pour le marché néerlandais en 2001 ; que la société Cousin Lacets a été spécialement créée le 14 décembre 2000, avec début d'exploitation au 1er janvier 2001, pour la fabrication de lacets destinés aux différentes sociétés européennes du groupe Sara Lee (les " operating companies ") ; que ce dernier, souhaitant sélectionner un fournisseur unique de lacets sous blister destinés aux grandes surfaces et de lacets " special trade " destinés aux magasins spécialisés, a, le 15 octobre 2001, contacté à cette fin le dirigeant du Groupe Cousin ; que la société Cousin, qui n'avait pas la capacité suffisante pour produire 20 millions de blister par an, a envisagé de sous-traiter une partie de la production en Chine dans un délai de 2 ans ; que par lettre du 8 mai 2002, M. Mark Hewson (en sa qualité d'" outsourcing manager " des sociétés du Groupe Sara Lee), après avoir notifié à la société Cousin que la société américaine Mitchellace était retenue comme seul fournisseur de lacets pour l'Europe, a proposé de lui laisser la production des lacets sous blister pendant 12 mois et de lui confier la production de lacets " special trade " pendant au moins 2 ans ; que, considérant que la pérennité de son outil de production était menacée, la société Cousin, après avoir suspendu ses livraisons pendant une quinzaine de jours en juin 2002 et avoir vainement rencontré à 3 reprises M. Mark Hewson en vue de rechercher un accord sur l'arrêt de leur collaboration, a, par courrier électronique du 5 août 2002 indiqué qu'elle ne serait plus en mesure d'alimenter normalement son personnel à compter du 15 octobre 2002 et qu'il était impérieux de trouver une solution à ce problème pour le 5 septembre 2002 ; que faute de réponse, elle a, par acte du 21 novembre 2002, assigné les sociétés du Groupe Sara Lee devant le Tribunal de commerce de Lille qui a rendu le jugement entrepris;

Sur l'existence d'une relation commerciale établie

Attendu que la société Cousin ne tire aucune conséquence juridique de la relation ancienne qui a été entretenue, par une ou plusieurs des sociétés du groupe Cousin, de 1960 à 1981, avec la société Allibert, rachetée en 1981 par la société de droit allemand Bama, elle-même rachetée en 1997 par le "Groupe Sara Lee" ; qu'elle affirme en page 2 de ses conclusions, sans être contredite, avoir poursuivi des relations commerciales avec les sociétés Sara Lee après le rachat de la société de droit allemand Bama en 1997 et avoir réalisé avec les " operating companies " du Groupe Sara Lee un chiffre d'affaires de 1 073 863 euro et de 1 378 665 euro en 2000 et en 2001 et escomptait réaliser un chiffre d'affaires de 1 909 856 euro en 2002, l'année de la rupture, soit respectivement 33,9 %, 49,3 % et 71 % de son chiffre d'affaires total ; qu'en page 11 elle fait également état d'un chiffre d'affaires de 1 235 921 euro en 1999 ; qu'elle n'explique pas comment elle a pu réaliser un chiffre d'affaires en 1999 et en 2000 alors qu'elle n'a commencé son activité qu'en 2001 ; que la cour déduit cependant de l'ensemble de ces données qu'il a existé une relation commerciale entre les sociétés Sara Lee et les sociétés du Groupe Cousin au moins depuis 1997, la société Cousin Lacets, seule partie à l'instance, ayant succédé aux autres entités dépendant de sa société-mère à compter de son début d'activité le 1er janvier 2001 ; que l'existence d'une relation commerciale établie entre les parties, au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, doit ainsi être effectivement reconnue avec pour point de départ l'année 1997;

Sur la date de la rupture de la relation commerciale établie

Attendu que les sociétés Sara Lee soutiennent que le Groupe Cousin (la société Cousin Lacets n'existant pas à cette époque) a répondu à un premier appel d'offres européen en 1999 à l'issue duquel il a été retenu, le 30 mai 2000, pour la fabrication de lacets de marque Kiwi pour la France ; que soucieuse d'harmoniser ses productions au niveau européen, elle a lancé un appel d'offres européen le 15 octobre 2001 visant à confier l'ensemble de la production à un fournisseur unique, processus à l'issue duquel la société de droit américain Mitchellace a été choisie ; que la société Cousin ayant été informée du résultat de cette compétition le 8 mai 2002, avec proposition concomitante de continuer la fabrication de lacets sous blister pendant un an et de lacets " special trade " pendant au moins deux ans, le préavis exigé par l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, ouvert le 15 octobre 2001, doit être considéré comme suffisant ; qu'elle en déduit qu'aucune indemnité n'est due à son adversaire;

Attendu cependant que le document du 15 octobre 2001 (comme les autres échanges écrits entre les parties) qu'elle produit aux débats est en langue anglaise, qu'il n'est pas accompagné d'une traduction en langue française par un expert inscrit sur une liste officielle ; que la cour ne dispose que de la traduction libre de la société Cousin pour en prendre connaissance;

Attendu que ce document est adressé par M. Hewson (" outsourcing manager " des sociétés du Groupe Sara Lee) uniquement à " Jacques Ferrant ", dirigeant des sociétés du Groupe Cousin, et non à toute entité présente sur le marché susceptible de répondre favorablement à une offre de collaboration ; qu'il se présente, selon la traduction libre qu'en a faite la société Cousin, non pas comme un cahier des charges neutre et impersonnel, mais comme une suite de questions sur la capacité de cette dernière à lui fournir 25 millions de paires de lacets pour l'Europe, ainsi que sur la baisse de prix liée à un tel accroissement des volumes ; qu'une visite de l'usine de Wervicq de la société Cousin est souhaitée, laquelle a eu lieu en avril 2002; qu'un rapport de visite, rédigé par M. Hewson, a été adressé par courrier électronique du 24 avril 2002 à la société Cousin dans lequel son auteur montre sa confiance dans les capacités de cette dernière à répondre à ses attentes;

Attendu que le dossier de la cour ne contient aucune pièce en langue française propre à démontrer que d'autres fournisseurs auraient été contactés à cette époque, et particulièrement la société de droit américain Mitchellace, ni que des contacts auraient été noués avec eux dans les mêmes termes que ceux figurant au dossier intéressant la société Cousin; que les conditions d'une concurrence loyale entre cette dernière et la société de droit américain Mitchellace ne sont pas démontrées ; qu'il s'ensuit qu'il n'y a eu aucun véritable appel d'offres de la part du Groupe Sara Lee, que ce soit le 15 octobre 2001 ou plus tard; que la lettre du 8 mai 2002 par laquelle la société Cousin a été informée que la société de droit américain Mitchellace serait à l'avenir le seul fournisseur du marché européen, marque la rupture des relations entre les parties et représente le point de départ du préavis exigible en présence d'une relation commerciale établie, préavis doublé s'agissant de produits fabriqués sous marque de distributeur ;

Sur le caractère brutal de la rupture des relations

Attendu que c'est au moment où la décision de rupture est signifiée qu'il faut en apprécier les conditions, peu important que son auteur ait ultérieurement modifié son offre, à la hausse ou à la baisse, en réponse à l'attitude adoptée par l'autre partie ; qu'il s'ensuit que, s'il réduit le délai par la faute de son fournisseur, il ne peut être tenu de réparer les conséquences d'un arrêt prématuré de leurs relations en cours du préavis;

Attendu que, dans la lettre du 8 mai 2002, les sociétés Sara Lee ont proposé de laisser à la société Cousin la fabrication des lacets sous blister pendant un an et de lui confier la production de lacets " special trade " pendant deux ans selon un nouveau contrat à négocier ; que la société Cousin a, dans une lettre du 16 mai 2002, suspendu sa décision à l'obtention de garanties quant aux volumes de production à espérer dans les deux années à venir avec reprise des stocks en fin de période, garanties qui conditionnaient, selon elle, toute décision de procéder à des investissements pour réorienter vers les lacets " special trade " (c'est-à-dire des petites séries) les fabrications jusqu'alors majoritairement réalisées en gros volumes (lacets sous blister) qu'elle a peu après suspendu toutes ses livraisons de lacets aux sociétés Sara Lee avant de les reprendre quinze jours plus tard ; que, par une lettre du 28 juin 2002 (non traduite en langue française dont la cour trouve une interprétation, non critiquée par l'adversaire, dans les conclusions de la société Cousin), les sociétés Sara Lee ont maintenu leur offre de laisser à la société Cousin la production de lacets sous blister jusqu'en mai 2003 et de lui confier la fabrication d'une quantité définie de lacets " special trade " pour une durée de 2 ans au minimum, de lui racheter son stock et d'intervenir auprès de la société de droit américain Mitchellace pour le rachat des machines devenues inutiles en fin de période ; que cette proposition a été renouvelée le 7 juillet 2002 ; que la société Cousin l'a rejetée le 12 juillet 2002, entre autres motifs parce qu'elle ne comportait pas un engagement de commander au minimum 11 millions de paires par an;

Attendu que cette offre méritait d'être prise en considération par la société Cousin, même si elle lui était faite par surprise, dès lors que, sans effacer la rupture des relations, elle lui permettait de rechercher une solution de remplacement non pas à l'expiration du délai de préavis d'un an mais immédiatement, le courant d'affaires n'étant maintenu que pour faciliter la transition ;

Attendu que la circonstance que la société Cousin avait constitué un stock d'articles (blister, bracelets, etc.) aux marques de Sara Lee en fonction du volume d'affaires qui lui avait été annoncé pour l'année 2002 est sans conséquence dès lors, d'une part, que la production n'aurait pas due être interrompue et d'autre part, que les sociétés Sara Lee avaient proposé de reprendre la fraction inemployée au terme de sa relation avec la société Cousin ;

Attendu que l'offre des sociétés Sara Lee du 8 mai 2002, confirmée les 28 juin et 7 juillet 2002, remplissait les conditions exigées par l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ; que le jugement entrepris sera infirmé en ce sens;

Sur l'indemnité due à la société Cousin

Attendu que la société Cousin sera déboutée de sa prétention à être indemnisée au titre des licenciements, des pertes de stocks de matières premières, de produits en cours de fabrication et de produits finis, des pertes sur les immobilisations rendues inutilisables par l'arrêt de l'activité, au titre des stocks dédiés acquis par la société Cousin en prévision du volume d'affaires annoncé pour l'année 2002 par les sociétés Sara Lee, ainsi que pour la marge perdue et ses frais fixes non couverts durant le préavis, ces postes de préjudice étant tous consécutifs à la rupture des relations entre les parties en cours de préavis;

Attendu qu'elle ne saurait obtenir une indemnité procédurale dès lors qu'elle succombe en cause d'appel;

Sur les demandes du Groupe Sara Lee

Attendu que l'arrêt des livraisons par la société Cousin, courant juin 2002, pendant 15 jours, a obligé les sociétés Sara Lee à trouver rapidement une solution de remplacement pour livrer leurs clients ; que si la société Mitchellace, qui s'est substituée à la société Cousin défaillante pendant ce laps de temps, a consenti des efforts pour satisfaire en urgence ses nouveaux clients, ces derniers ne sauraient sérieusement soutenir qu'il s'agirait pour eux d'un surcoût non amortissable, la société de droit américain Mitchellace ayant, depuis le 8 mai 2002, vocation à devenir à terme leur fournisseur de remplacement pour un prix inférieur à celui réclamé par la société Cousin et ayant simplement anticipé son obligation de s'adapter aux exigences de ses nouveaux clients ; qu'en outre cette société Mitchellace a été payée simplement pour avoir livré des marchandises qui ont été immédiatement introduites dans les réseaux de vente européens des sociétés Sara Lee à la place de celles de la société Cousin;

Attendu en conséquence que les sociétés Sara Lee seront déboutées de leur demande de condamnation de la société Cousin à leur payer 464 893,37 euro au titre des marchandises livrées par la société de droit américain Mitchellace et du coût de leur transport, 165 656,46 euro ; qu'il en sera de même pour le préjudice qu'elles ont supporté né de la nécessité de réagir en urgence à l'arrêt des livraisons de la société Cousin, faute d'avoir individualisé ce préjudice ;

Attendu que les sociétés Sara Lee ne démontrent pas davantage avoir subi un préjudice d'image (380 000 euro) et un surcoût né du dénigrement dont leurs articles, fabriqués au Honduras par la société de droit américain Mitchellace, auraient été victimes (35 000 euro), les manifestations de salariés de la société Cousin le 1er juin 2002 devant les portes de certains hypermarchés de l'agglomération lilloise et l'appel au boycott des produits de marque Sara Lee lancé par l'intersyndicale ne pouvant à eux seuls expliquer la baisse prétendue de ventes qu'elles affirment avoir subi à cette époque;

Attendu que la perte de chiffre d'affaires avec une dizaine d'hypermarchés (228 300 euro) et la perte de facturation de 75 000 lacets (73 700 euro) ne sont pas mieux démontrées, étant estimées sans aucun document à l'appui; que ce chef de préjudice sera rejeté;

Attendu qu'il est équitable de laisser aux parties la charge de leurs frais irrépétibles de première instance et d'appel;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort, par arrêt mis à disposition au greffe, Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, statuant à nouveau, Déboute la SA Cousin Lacets de l'ensemble de ses demandes, Déboute la SNC Sara Lee Household and Body Care France, la société de droit britannique SNC Sara Lee Household and Body Care Kingdom, la société de droit néerlandais Sara Lee DE/NV, la société de droit allemand Bama international GmbH de leur demande de dommages et intérêts, Laisse à chaque partie la charge de leurs frais irrépétibles de première instance et d'appel, Condamne la SA Cousin Lacets aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés, pour ceux d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.