Cass. crim., 3 novembre 1982, n° 82-90.522
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Escande (faisant fonctions)
Rapporteur :
M. Guérin
Avocat général :
M. Clerget
Avocats :
Mes Barbey, Foussard
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi commun formé par X et la société Y, contre un arrêt de la Cour d'appel de Paris (9e chambre) en date du 22 décembre 1981 qui, pour refus de vente, a condamné le premier à 20 000 francs d'amende et à des réparations civiles et a déclaré ladite société solidairement responsable ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ; - Sur le moyen unique de cassation pris de la violation et fausse application des articles 37-1° de l'ordonnance du 30 juin 1945 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale, en ce que l'arrêt attaqué a déclaré punissable le refus de vente, opposé par un fabricant de parfums de luxe, lié par contrat de distribution sélective avec des distributeurs agréés, aux motifs que si un contrat de concession exclusive peut rendre juridiquement indisponibles les produits du concédant et permettre à celui-ci d'opposer un refus de vente à un tiers, encore est-il indispensable que soit établi avec certitude le caractère d'un tel contrat, c'est-à-dire que le concédant doit s'engager à ne pas vendre à un concurrent actuel ou éventuel du concessionnaire et à ne pas créer d'autres concessions dans la zone attribuée, le concessionnaire de son côté acceptant de s'abstenir de vendre les produits concurrents de ceux du concédant ; que le concédant ne s'étant pas interdit de fournir des produits à d'autres revendeurs et le contrat n'interdisant pas au concessionnaire de commercialiser des produits concurrents, la condition tenant à cette double exclusivité n'était pas remplie, alors qu'un contrat de concession peut rendre les produits qu'il concerne juridiquement indisponibles dès lors que les parties ont réciproquement limité leur liberté commerciale ; que cette limitation n'exige pas nécessairement une double exclusivité de vente et d'approvisionnement, mais peut résulter de l'économie générale du contrat et des obligations que s'imposent mutuellement les parties ; que la cour d'appel ne pouvait donc en l'espèce refuser d'examiner les stipulations contractuelles sans rechercher si, comme le soutenaient les appelants, elles ne consacraient pas, en dehors même d'une exclusivité, une limitation réciproque de leur liberté commerciale par les parties ;
Vu lesdits articles ; - Attendu qu'un contrat de distribution sélective est celui par lequel, d'une part, le fournisseur s'engage à approvisionner dans un secteur déterminé un ou plusieurs commerçants qu'il choisit en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, sans discrimination et sans limitation quantitative injustifiées, et par lequel, d'autre part, le distributeur est autorisé à vendre d'autres produits concurrents ;
Qu'un tel contrat, s'il est établi qu'il n'a pas pour objet ou pour effet même indirect, de limiter la liberté du revendeur de fixer lui-même, comme il l'entend, le prix de vente du produit, mais qu'il tend au contraire essentiellement par les obligations réciproques que s'imposent les co-contractants à assurer, spécialement dans le commerce de produits requérant une haute technicité ou dans celui d'articles de marque ou de luxe, un meilleur service au consommateur, peut licitement avoir pour effet de rendre juridiquement [in]disponible à l'égard des tiers, la marchandise détenue par le fournisseur et, dès lors, de légitimer le refus de vente au regard de l'article 37 paragraphe 1er a) de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que de novembre 1972 à juin 1975 Z Christiane, gérante de la SARL Duo qui exploite un magasin de parfumerie à Strasbourg, a demandé à la société Y dont X est le président, de lui fournir des produits de sa marque ;que ce dernier a refusé d'exécuter ces commandes, en faisant état du caractère et de la nature du contrat le liant à ses distributeurs agréés ;
Attendu que dans ses conclusions d'appel, le prévenu a allégué qu'aux termes de ce contrat de concession, le concédant subordonne son droit d'augmenter le nombre de concessionnaires à un accroissement de la clientèle potentielle dans le secteur pour lequel la concession est accordée et s'oblige à reprendre les produits défraichis ainsi que le stock en fin de contrat, tandis que le concessionnaire s'engage à réaliser un volume de ventes minimum et à consacrer les meilleurs emplacements de ses vitrines aux produits de la marque ; que les parties limitant leur propre liberté commerciale, même si cette concession est partagée entre plusieurs concessionnaires, un tel contrat a pour effet, selon le prévenu, de rendre juridiquement indisponibles à l'égard des tiers les marchandises réservées aux distributeurs agréés et rend légitime le refus de vendre ;
Mais attendu que, pour retenir X dans les liens de la prévention et allouer des dommages et intérêts à la partie civile, la cour d'appel, rejetant les conclusions du prévenu, énonce que si, dans des conditions que précise l'arrêt, un contrat de concession exclusive peut rendre juridiquement indisponibles les produits du concédant et permettre à celui-ci d'opposer un refus de vente à un tiers, encore faut-il que soit stipulé dans le contrat que le concédant doit s'engager à ne pas vendre à un concurrent actuel ou éventuel du concessionnaire et à ne pas créer d'autres concessions dans la zone attribuée et que le concessionnaire accepte de s'abstenir de commercialiser des produits d'une autre marque que celle du concédant ; que le contrat dont fait état le prévenu ne contenant pas de telles obligations à la charge des parties, ne peut être considéré comme un contrat de concession exclusive de nature à justifier un refus de vendre à des tiers ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les principes sus-énoncés ; que dès lors, l'arrêt encourt la cassation ;
Par ces motifs, Casse et annule dans toutes ses dispositions l'arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 22 décembre 1981 et, pour être statué à nouveau conformément à la loi, renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.