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Décisions

Cass. com., 20 novembre 2007, n° 06-17.289

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Atlantica (Sté)

Défendeur :

MMC Sales France Sud (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Pau, 2e ch. sect. 1, du 27 févr. 2006

27 février 2006

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Pau, 27 février 2006), que la société Atlantica distribuait, depuis 1979, des véhicules de la marque Mitsubishi à Bayonne dans le cadre d'un contrat de concession conclu avec la société Sonauto ; qu'en juin 1998, la société Mitsubishi a résilié avec effet au 30 juin 2000, le contrat de distribution la liant à la société Sonauto et celle-ci a, par lettre du 26 juin 1998, dénoncé à son tour le contrat de concession à effet au 30 juin 2000 ; qu'à la fin de l'année 1998, la société Mitsubishi Motors Company Sales Europe a lancé un appel général à candidatures pour permettre aux personnes intéressées de demander à intégrer le réseau Mitsubishi ; qu'à cette occasion, M. X, responsable de la société Atlantica, a reçu, le 23 novembre 1999, les représentants de la société Mitsubishi pour le Sud de la France auxquels il a fait part de son intention d'intégrer le réseau au 1er juillet 2000 ; que le 28 février 2000, M. X a reçu une nouvelle visite des collaborateurs de la société MMC Sales France Sud qui lui ont indiqué que cette société entendait en définitive ne pas retenir sa candidature, mais créer une société nouvelle pour la représentation de la marque Mitsubishi à Bayonne ; que par lettre du 3 mars 2000, la société MMC Sales France Sud a confirmé à la société Atlantica sa décision de ne pas lui confier la représentation de la marque à partir du 1er juillet ; qu'elle précisait dans cette lettre qu'elle prenait acte de la volonté de la société Atlantica de céder différents éléments affectés à sa qualité de concessionnaire, soit le personnel, les stocks de véhicules neufs, les stocks de pièces de rechange, le matériel et l'outillage et qu'elle invitait la société Atlantica à faire connaître ses propositions de vente ou de location de ses locaux et annonçait la visite d'un expert pour la valorisation de certains éléments propres à l'activité Mitsubishi ; que les échanges entre les parties ont continué jusqu'au 9 mai 2000, date à laquelle la société MMC Sales France Sud a notifié à M. X sa renonciation à la reprise de ses locaux et lui proposait seulement de reprendre le personnel de la concession Mitsubishi ; que soutenant que la rupture des pourparlers avait été abusive et leur avait causé divers préjudices, la société Atlantica et M. X ont poursuivi les sociétés MMC Sales Europe, MMC Sales France Sud et MMC Sales Bordeaux en réparation ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société Atlantica et M. X font grief à l'arrêt d'avoir rejeté l'intégralité de leurs demandes de dommages-intérêts, alors, selon le moyen : 1°) qu'en rejetant la demande de la société Atlantica tendant à l'indemnisation de son préjudice constitué par la perte de valeur de son fonds de commerce, aux motifs que "le préjudice directement rattachable à ladite rupture (des pourparlers), en relation avec la demande de réparation formulée, s'avère être constitué, en l'espèce, par la seule perte de chance d'opérer une reconversion", après avoir énoncé "qu'en décidant, par son courrier du 9 mai 2000, de renoncer à la reprise des locaux et de mettre un terme aux pourparlers la société MMC Sales France Sud n'a ainsi pas respecté l'éthique des affaires et ne s'est pas conformée à son obligation de bonne foi, tandis qu'elle ne pouvait, au moment où sa décision a été prise, ignorer ses effets sur la situation de la société Atlantica et celle de M. X, ce, tandis que ladite société Atlantica, privée de la concession et que la tenue des négociations notamment sur la cession de ses locaux d'exploitation n'avait pas mise en mesure d'élaborer une reconversion effective, ne pouvait que voir péricliter son activité et perdre ainsi de manière certaine la plus grande part de la valeur de son fonds", soit que le comportement déloyal dont avait fait preuve la société MMC Sales France Sud à cette occasion avait provoqué la perte de la plus grande part de la valeur du fonds de commerce de la société Atlantica, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; 2°) qu'en se prononçant de la sorte, après avoir constaté "que se trouvaient alors, le 20 mars 2000, envisagés, dans des termes approchant ceux d'un accord de principe, tandis que les prétentions émises par la société Atlantica et M. X étaient apparues raisonnables aux représentants de la société MMC Sales France Sud, auxquels elles avaient semblé former une excellente base de négociation, mais relativement à quoi, ils avaient toutefois demandé un délai de réflexion de quelques jours : - la reprise du stock de véhicules neufs et de démonstration en prix d'achat ; - la reprise des véhicules d'occasion ou éventuellement un accord sur des modalités qui permettraient à la société Atlantica d'écouler ce stock sur trois ou quatre mois dans les locaux mis, par la société MMC Sales France Sud, à la disposition de la société ; - la reprise des stocks de pièces détachées, selon les règles en vigueur dans la profession et sur une évaluation de 400 000 francs (60 979,61 euro) HT ; - la reprise du personnel attaché à l'activité de Mitsubishi (7 personnes), à l'exception du vendeur SEAT ; - le rachat des matériels et outillages, proposé par la société Atlantica pour le prix de 1 200 000 francs (182 938,82 euro) (incluant entre autres le centre de lavage et divers équipements lourds), comme celui du fonds de commerce, proposé au prix de 600 000 francs (91 469,41 euro) ; - l'octroi d'un bail de trois ans, pour un loyer équivalant aux charges du crédit-bail (540 000 francs/82 322,47 euro) par an, assorti éventuellement d'une promesse de vente dans des conditions à définir à compter de 2003", sans rechercher si la société Atlantica n'avait pas perdu une chance de céder ces différents éléments de son fonds de commerce à la société MMC Sales France Sud et si cette perte de chance ne devait pas être indemnisée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 3°) qu'il incombe aux juges du fond de procéder, lorsqu'il y a lieu, à la requalification des actes et des faits litigieux, et, en particulier de l'objet de leurs prétentions, sans s'arrêter à la dénomination qui en aurait été donnée par les parties ; qu'en relevant que "n'éta(it) pas réclamée (l')indemnisation des frais occasionnés par les négociations", de sorte que le seul préjudice réparable en relation avec la demande de réparation formulée était constitué par la seule perte de chance d'opérer une reconversion, cependant qu'il lui appartenait en tout état de cause de restituer son exacte qualification à la sanction encourue par la société MMC Sales France Sud en raison du comportement déloyal dont elle avait fait preuve à cette occasion et d'en faire application, la cour d'appel a violé l'article 12 du nouveau Code de procédure civile, ensemble l'article 1382 du Code civil ; 4°) que les juges du fond ne peuvent refuser d'évaluer un préjudice dont ils constatent l'existence dans son principe ; qu'en retenant, à l'appui de sa décision, que "le préjudice directement rattachable à ladite rupture, en relation avec la demande de réparation formulée, s'avère être constitué, en l'espèce, par la seule perte de chance d'opérer une reconversion", mais "qu'en l'absence d'exploitation de la nouvelle concession dans les murs où étaient jusqu'alors exploités les activités de la société Atlantica, une reconversion, quelle qu'elle fût, n'aurait pas été de nature à sauvegarder la valeur d'une clientèle dont la perte résultait directement de la résiliation intervenue et non remise en cause du contrat de concession ; qu'une reconversion se serait donc nécessairement accompagnée d'une restructuration comportant des mesures vis-à-vis des personnels, comme de la part des stocks, de l'outillage et du matériel affectés à l'activité spécifique de l'activité Mitsubishi" et "qu'elle ne démontre pas mieux les conditions dans lesquelles, dans le cadre d'une reconversion, elle aurait été mise en mesure de mieux réaliser ces éléments d'actif", la cour d'appel a violé les articles 4 et 1382 du Code civil ; 5°) qu'en ajoutant "qu'en outre, la société Atlantica et M. X n'apportent aucune justification d'élément conduisant à établir la nature d'une reconversion qui eût été effectivement possible et que la tenue des pourparlers les aurait empêchés de mettre en œuvre ; qu'en particulier ils n'établissent pas qu'il y ait eu des appels de candidature qui aient été diffusés pour l'établissement de concessions d'autres marques automobiles et auxquels ils n'auraient pas répondu au temps des pourparlers engagés avec la société MMC Sales Europe comme avec la société MMC Sales France Sud, pas plus qu'ils n'établissent qu'il y ait eu, dans le temps du préavis, établissement ou transfert dans la zone d'activité de la société Atlantica de concessionnaires ou agents d'autres marques automobiles ; qu'ils n'établissent pas non plus que d'autres activités aient été dans ce temps implantées dans ce même secteur, qui auraient été susceptibles de reprendre tout ou partie des éléments du fonds de commerce de la société Atlantica, notamment les murs qu'elle occupait", après avoir non seulement constaté que la société Atlantica avait subi un préjudice constitué par la perte d'une chance d'opérer une reconversion, mais également précisé que "pendant ce délai (27 octobre 1999-28 février 2000), la société Atlantica et M. X avaient eu toute raison de croire que la candidature de la société Atlantica serait retenue, de sorte que, tout aussi légitimement, ils s'étaient trouvés fondés à différer toute autre diligence en vue d'une quelconque reconversion", en ajoutant que "cette temporisation de la part des sociétés MMC Sales Europe et MMC Sales France Sud, à l'époque où elle est intervenue, doit être ainsi regardée comme de nature à avoir obéré pour partie les possibilités de reconversion de la société Atlantica, tandis que le délai de préavis était déjà très largement entamé", puis que "la tenue des négociations (du 3 mars 2000 à la fin du mois de mai 2000) notamment sur la cession de ses locaux d'exploitation n'avait pas mis (la société Atlantica) en mesure d'élaborer une reconversion effective", soit que ces négociations avaient légitimement conduit la société Atlantica à ne pas chercher à opérer une reconversion, voie dans laquelle elle pouvait d'autant moins s'engager, durant la seconde période, qu'elles portaient notamment sur la cession de l'immeuble dans lequel elle exerçait son activité, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; 6°) que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'aucun moyen non soulevé par les parties ne peut être examiné d'office sans que celles-ci aient été amenées à présenter leurs observations à ce sujet ; qu'en relevant, d'office, et sans provoquer préalablement les explications des parties à cet égard, "que s'agissant des pertes de liquidation, la société Atlantica ne démontre pas même en quoi elle aurait été empêchée de mettre en œuvre les dispositions du contrat de concession la liant avec la société Sonauto et prévoyant les conditions de reprise, en fin de contrat de concession, du stock de voitures neuves, du stock de pièces de rechange d'origine, comme de l'outillage spécifique à la marque", la cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction, violant ainsi l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ; 7°) que la société Atlantica, à laquelle le contrat de concession donnait la possibilité d'obtenir le rachat du stock de voitures neuves, du stock de pièces de rechange d'origine et de l'outillage spécifique à la marque, ne pouvait se voir reprocher, dans ses relations avec les sociétés du groupe Mitsubishi, tiers au contrat de concession, de ne pas avoir mis en œuvre ces dispositions ; qu'en se prononçant de la sorte, la cour d'appel a violé l'article 1165 du Code civil ; 8°) que la victime n'est pas tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable ; qu'en déboutant la société Atlantica de sa demande formée de ce chef aux motifs qu'elle ne démontrait pas en quoi elle aurait été empêchée de mettre en œuvre les dispositions du contrat de concession prévoyant les conditions de reprise du stock de voitures neuves, du stock de pièces de rechange d'origine et de l'outillage spécifique à la marque, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt relève que les circonstances constitutives de fautes commises dans l'exercice des pourparlers contractuels et la mise en œuvre du droit de rupture unilatérale de ceux-ci ne sont pas, en l'espèce, la cause des préjudices qui ont pu résulter de la résiliation du contrat de concession ; qu'il ajoute que ces circonstances constitutives de fautes ne sont pas non plus, en l'absence d'accord ferme et définitif, la cause des préjudices résultant de la perte d'une chance de réaliser les gains que permettaient d'espérer la conclusion des accords envisagés dans le cadre desdits pourparlers contractuels ; que l'arrêt relève encore qu'en l'absence de demande d'indemnisation des frais occasionnés par les négociations, le préjudice directement rattachable à la rupture s'avère être constitué par la seule perte de chance d'opérer une reconversion ; que l'arrêt précise, à cet égard, d'un côté, que la société Atlantica n'a pas démontré les conditions dans lesquelles, dans le cadre d'une reconversion, elle aurait été mise en mesure de mieux réaliser les éléments d'actifs, de l'autre, qu'elle et M. X n'ont apporté aucun élément conduisant à établir la nature d'une reconversion qui eût été effectivement possible et que la tenue des pourparlers aurait empêchée de mettre en œuvre ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel qui a recherché le préjudice résultant de la rupture tardive des pourparlers, distinct de celui résultant de la rupture du contrat de concession, appréciant souverainement les éléments de preuve qui lui étaient soumis, a, sans encourir les griefs des troisième et quatrième branches et abstraction faite du motif surabondant critiqué par les sixième, septième et huitième branches du moyen, pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et sur le second moyen : - Attendu que la société Atlantica et M. X font grief à l'arrêt d'avoir rejeté l'intégralité des demandes de dommages-intérêts de M. X, alors, selon le moyen, que tout jugement doit être motivé ; qu'en se prononçant de la sorte, sans assortir sa décision de motifs propres à la justifier, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile;

Mais attendu que l'arrêt retient que les circonstances constitutives de fautes commises dans l'exercice des pourparlers contractuels et la mise en œuvre du droit de rupture unilatérale de ceux-ci ne sont pas la cause des préjudices qui ont pu résulter de la résiliation du contrat ; qu'il ajoute qu'en l'absence de demande d'indemnisation des frais occasionnés par les négociations, le préjudice directement rattachable à la rupture s'avère être constitué par la seule perte de chance d'opérer une reconversion, laquelle n'est pas établie ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, dont il résulte que les préjudices personnels invoqués par M. X, qui étaient sans lien de causalité avec la faute commise dans la rupture des pourparlers, ne pouvaient être indemnisés à ce titre, la cour d'appel qui n'encourt pas le grief du moyen a pu statuer comme elle a fait ; que le grief n'est pas fondé ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.