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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 15 avril 2010, n° 09-02843

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Du Buit (ès qual.), Etablissements Lepinoit et Compagnie (Sté)

Défendeur :

Automobiles Peugeot (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mme Mouillard, Remenieras

Avoués :

SCP Grappotte Benetreau Jumel, SCP Oudinot, Flauraud

Avocats :

Mes Bertin, Munnier

T. com. Paris, du 18 juin 2002

18 juin 2002

La société Etablissements Lepinoit et Compagnie (ci-après Lepinoit) était concessionnaire exclusif Peugeot dans la région de Morsang-sur-Orge depuis 1968 et, dans le dernier état de leurs relations, en vertu d'un contrat du 28 août 1996, conclu pour la période du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1999 avec la société Automobiles Peugeot (ci-après Peugeot).

Ce contrat contenait un article III intitulé "objectif de vente" qui prévoyait, en son 2°, que le concédant pourrait résilier le contrat par anticipation, avec un préavis de six mois, en cas de non-réalisation, à moins de 90 %, de l'objectif annuel de vente convenu, et de non-obtention d'un pourcentage de pénétration globale de véhicules neufs, différencié suivant les zones.

Après plusieurs mises en garde, Peugeot a résilié le contrat, le 28 juillet 1997, pour le 31 décembre 1999 " par application de l'article III-2°, au titre de votre pénétration au 31 décembre 1996 ".

Invoquant la nullité de cette stipulation, le non-respect, par Peugeot, de ses obligations en matière d'approvisionnement, et l'utilisation abusive de la faculté de résiliation anticipée, Lepinoit a assigné Peugeot, le 15 janvier 1998, en paiement de dommages et intérêts.

Peugeot a résisté à la demande et reconventionnellement réclamé le paiement de factures impayées.

Par jugement du 18 juin 2002, le Tribunal de commerce de Paris a condamné Lepinoit à payer à Peugeot la somme de 1 312 327,75 F avec intérêts au taux légal à compter du 19 mars 1998, dit n'y avoir lieu à exécution provisoire, et débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

LA COUR :

Vu l'appel de ce jugement interjeté par Lepinoit ;

Vu l'intervention à l'instance de Me Du Buit, en qualité de liquidateur de cette société, mise en liquidation judiciaire par un jugement du Tribunal de commerce de Paris du 22 juillet 2002;

Vu l'arrêt de cette cour, 5e chambre section A, en date du 4 juillet 2007 confirmant le jugement sauf en ce qu'il condamnait Lepinoit à payer à Peugeot 1 312 327,75 F avec les intérêts au taux légal, et qui statuant à nouveau, a constaté l'admission de la créance de Peugeot au passif de Lepinoit à hauteur de 188 218,47 euro, a débouté Me Du Buit, ès qualités, du surplus de ses prétentions et dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile;

Vu l'arrêt de la Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, en date du 23 septembre 2008, cassant l'arrêt précité de la cour d'appel, en toutes ses dispositions, et renvoyant l'affaire devant la Cour d'appel de Paris autrement composée;

Vu la déclaration de saisine déposée par Me Du Buit, ès qualités, le 23 janvier 2009;

Vu les conclusions signifiées le 1er octobre 2009 par lesquelles l'appelante et partie saisissante demande à la cour :

- sur la demande reconventionnelle de Peugeot, d'infirmer le jugement et de déclarer irrecevable, en tout état de cause infondée, la demande de Peugeot tendant à voir fixer sa créance à 188 218,47 euro.

- sur l'appel principal, d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de constater la nullité de l'article III-2° du contrat, de juger que la résiliation anticipée du contrat par Peugeot est irrégulière et abusive en violation des dispositions de l'article III- 2° dudit contrat, que Peugeot a lourdement engagé sa responsabilité en rompant brutalement et de façon injustifiée les relations commerciales qui les liaient, en violation de l'article L. 442-6, 5° du Code de commerce, en conséquence de condamner Peugeot à payer à Me Du Buit ès qualités, une somme de 3 725 324 euro à titre de dommages et intérêts, outre 30 000 euro au titre des frais exposés après plus de 11 années de procédure en application de l'article 700 du Code de procédure civile;

Vu les conclusions signifiées le 13 novembre 2009 par lesquelles Peugeot poursuit la confirmation du jugement et le débouté des demandes de Me Du Buit ès qualités, demande la fixation de sa créance au passif de Lepinoit à la somme de 188 218,47 euro, et réclame une somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

Sur ce

- Sur la demande reconventionnelle

Considérant que c'est à juste titre que Me Du Buit, ès qualités, se prévaut de l'ordonnance du juge-commissaire à la liquidation judiciaire de Lepinoit, en date du 18 mai 2004, qui a admis au passif la créance de Peugeot, à titre chirographaire, pour un montant de 188 218,47 euro, et dont cette dernière ne conteste pas qu'elle n'a pas fait l'objet d'un recours; qu'il suit de là que la demande en paiement formée par Peugeot à ce titre est irrecevable et que le jugement doit être infirmé de ce chef;

- Sur la demande principale

Considérant que la clause "objectif de ventes" autorise le concédant à résilier le contrat par anticipation en cas de non-obtention d'un objectif de ventes annuel préalablement convenu (critère qui n'est pas critiqué) et, cumulativement, si le pourcentage de pénétration globale de véhicules neufs dans la zone de responsabilité confiée au concessionnaire (ci-après ZPR), apprécié au 31 décembre pour la période annuelle qui vient de s'écouler, se trouve être inférieur, par rapport aux pourcentages de pénétration globale de ces véhicules neufs dans la France métropolitaine et dans la Direction Régionale du constructeur à laquelle le concessionnaire est rattaché :

- de plus de 45 % si la ZPR est située à Paris, dans l'un des trois départements limitrophes (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne) ou dans une agglomération où plus de deux concessionnaires du constructeur sont implantés;

- de plus de 30 % si la ZPR est située dans l'un des autres départements de la Région parisienne (Essonne, Seine-et-Marne, Val-d'Oise, Yvelines), soit dans une agglomération d'un département autre que ceux de la Région parisienne, dans laquelle sont implantés deux concessionnaires du constructeur;

- de plus de 15 % si la ZPR est située ailleurs;

Considérant que, rappelant les termes de l'arrêt de la Cour de cassation du 23 septembre 2008, Me Du Buit, ès qualités, poursuit l'annulation de cette clause, en sa seconde branche, au motif qu'elle repose sur des seuils différenciés de pénétration, discriminatoires comme opérant une distinction injustifiée entre les concessionnaires et dénués de pertinence, et fait valoir que seul un écart significatif et proportionnel constant du taux de pénétration moyen entre chacun des trois groupes aurait été pertinent pour justifier de l'existence de particularismes économiques et fonctionnels entre les trois groupes;

Considérant que l'arrêt de cette cour du 4 juillet 2007, qui retenait que ces différenciations n'étaient pas discriminatoires parce qu'elles prenaient en compte les particularismes concurrentiels et spécificités commerciales afférents à chacune des zones de chalandise considérées, a été cassé sur ce point, pour manque de base légale, pour n'avoir pas précisé quels étaient ces particularismes concurrentiels et spécificités commerciales, ni établi qu'ils justifieraient objectivement les discriminations opérées par le concédant entre des territoires limitrophes;

Considérant que Peugeot soutient à cet égard que les différents taux retenus se justifient par la différence de pression concurrentielle constatée selon que le concessionnaire est installé dans la zone Paris Petite Couronne, dans la Grande Couronne, en province ou dans une agglomération comprenant un ou plusieurs autres concessionnaires Peugeot;

Considérant que la carte reproduite par Peugeot en page 17 de ses écritures, qui indique les emplacements des concessionnaires de la marque en Ile-de-France, révèle à l'évidence que la pression concurrentielle a tendance à être plus élevée à Paris et dans la Petite Couronne que dans la Grande Couronne, et qu'elle s'amenuise encore en province à moins que les concessionnaires ne soient plusieurs;

Que, toutefois, aucune explication économique rationnelle ne justifie que le périmètre des zones choisies pour l'application des critères différenciés ait été arrêté par référence aux limites administratives départementales, qui n'ont pas vocation à stigmatiser une rupture significative de densité concurrentielle, ni même de population, et les chiffres proposés par Peugeot, tirés de la moyenne des performances constatées dans ces zones, demeurent dénués de pertinence à cet égard;

Que la même carte confirme d'ailleurs que les concessions implantées en limite des zones ainsi définies subissent une pression concurrentielle proche de celles situées de l'autre côté de ces limites, très différente de celle supportée par des concessions plus éloignées, relevant pourtant de la même zone contractuelle; qu'ainsi, le critère appliqué à une concession, suivant qu'elle se trouve d'un côté ou de l'autre de la limite d'une zone, change considérablement (de 45 à 30 %, voire de 30 à 15 %) sans que la pression concurrentielle ne varie significativement et il suffit pour s'en convaincre de relever la distorsion qui résulte de la situation du concessionnaire de Bourg-la-Reine (Hauts-de-Seine), qui, bien que n'étant éloigné de son homologue de Wissous (Essonne) que de 6 km environ, bénéficie du taux de 45 % quand ce dernier ne peut descendre en dessous de 30 %;

Qu'il est donc établi que ces critères, en ce qu'ils ne tiennent pas compte de la situation propre à chaque concession au regard de la pression concurrentielle effectivement subie, induisent des différences de traitement injustifiées à l'égard des concessionnaires, en particulier à l'égard de ceux implantés en limite des zones considérées, ce qui est le cas du reste de la concession de Morsang-sur-Orge; qu'il suit de là que la clause figurant à l'article III, 2° du contrat doit être qualifiée de discriminatoire et qu'elle ne pouvait fonder la résiliation;

Qu'il convient donc d'infirmer le jugement en ce qu'il rejette la demande de Lepinoit tendant à voir juger irrégulière la résiliation dénoncée par Peugeot pour le 31 janvier 1998;

Considérant, sur le préjudice, que c'est à juste titre que Me Du Buit, ès qualités, invoque la perte de marge brute subie par Lepinoit du 1er février 1998 au 31 décembre 1999, date d'expiration normale du contrat, soit pendant 23 mois ; que toutefois, ce préjudice ne saurait correspondre exactement au montant réclamé de 3 725 324 euro, calculé en considération de la marge brute moyenne obtenue au cours des exercices 1994, 1995 et 1996, dès lors qu'il est constant que les performances de Lepinoit ont été en diminution constante au cours de ces trois années (la marge brute a diminué de 13 % entre 1994 et 1996) et qu'elles avaient chuté significativement avant même la notification de la résiliation (- 40 % des ventes au cours des six premiers mois de 1997), de sorte qu'il ne peut être tenu pour assuré qu'elle aurait obtenu les mêmes résultats au cours des deux années suivantes ; que c'est donc une perte de chance qu'il convient d'indemniser, laquelle, eu égard aux justificatifs produits, sera justement réparée par une indemnité de 3 000 000 euro;

Et considérant que Lepinoit a dû exposer des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge ; qu'il y a donc lieu de lui accorder le bénéfice des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, dans la mesure qui sera précisée au dispositif; et de rejeter la demande présentée par Peugeot à ce titre;

Par ces motifs, Infirme le jugement en toutes ses dispositions, Et statuant à nouveau, Annule comme discriminatoire la clause de résiliation anticipée figurant à l'article III-2° du contrat de concession conclu le 28 août 1996 entre la société Etablissements Lepinoit et Compagnie et la société Automobiles Peugeot, Dit que la résiliation du contrat notifiée par la société Automobiles Peugeot le 28 juillet 1997 pour le 31 décembre 1998 en application de cette clause est irrégulière, Condamne en conséquence la société Automobiles Peugeot à payer à Me Du Buit, ès qualités, la somme de 3 000 000 euro en réparation du préjudice subi par la société Etablissements Lepinoit et Compagnie par suite de cette résiliation injustifiée, Déclare irrecevable la demande de la société Automobiles Peugeot tendant au paiement d'une somme de 188 218,47 euro au titre de factures impayées, Condamne la société Automobiles Peugeot à payer à Me Du Huit, ès qualités, la somme de 30 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et rejette sa demande formée à ce titre, Condamne la société Automobiles Peugeot aux dépens de première instance et d'appel, incluant ceux afférents à l'instance ayant abouti à l'arrêt cassé, dit qu'ils seront employés en frais privilégiés de la procédure collective et dit que les dépens d'appel pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.