CA Paris, 4e ch. B, 14 février 1991, n° 90-18428
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
SAC (SA)
Défendeur :
Parfums Nina Ricci (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Poullain
Conseillers :
MM. Bonnefont, Gouge
Avoués :
SCP Gaultier Kistner, SCP Faure Arnaudy
Avocats :
Mes Lardin, Casalonga
Faits et procédure de première instance.
Exploitant depuis le 3 décembre 1989 un magasin de produits de luxe dans la zone portuaire de Fort-de-France, la Société antillaise de commission (SAC) assignait la société Parfums Nina Ricci pour faire juger fautif le fait que sa demande d'ouverture de compte n'avait pas reçu satisfaction, demander réparation du préjudice résultant de ce refus et obtenir qu'il soit mis fin par une injonction sous astreinte ;
Selon l'acte introductif d'instance du 23 mars 1990, Nina Ricci, après visite du point de vente le 27 novembre 1989, avait donné un accord verbal qui était resté sans suite ;
Concluant au débouté, la défenderesse, qui contestait l'accord dont se prévalait la SAC, indiquait lui avoir remis un questionnaire préalable à toute demande d'ouverture de compte et lui reprochait d'avoir manqué de respect aux critères de sélection qualitative propre à la vente des produits de parfumerie en modifiant sur ledit questionnaire l'intitulé "marques distribuées" en "marques demandées" ;
Subsidiairement, elle faisait valoir que les sept points de vente existant déjà à Fort-de-France étaient largement suffisants pour satisfaire une clientèle de passage et qu'en outre il serait discriminatoire de faire droit à la demande d'agrément de la SAC sans tenir compte de deux candidats ayant priorité sur elle ;
Elle sollicitait des dommages-intérêts et 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Le jugement critiqué
Par son jugement du 22 juin 1990, le Tribunal de commerce de Paris a débouté la SAC en la condamnant à payer à Nina Ricci 5 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
L'appel
Appelante du jugement par déclaration du 12 juillet 1990, la SAC conclut à son infirmation, priant la cour de lui allouer 150 000 F de dommages-intérêts, 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et d'ordonner à Nina Ricci d'ouvrir un compte sous astreinte de 1 000 F par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt;
Intimée, Nina Ricci conclut qu'il plaise à la cour confirmer en toutes ses dispositions la décision attaquée et y ajouter en condamnant la SAC au paiement de 50 000 F pour procédure abusive et de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Sur ce, LA COUR,
Qui pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties se réfère au jugement critiqué et aux écritures d'appel ;
Considérant qu'après un rappel de la licéité des réseaux de distribution sélective, le jugement justifie le refus d'ouverture de compte apposé à la SAC en retenant le moyen tiré de la modification apportée au questionnaire de Nina Ricci ;
Considérant que dans sa critique de la décision déférée, l'appelante soutient que si un environnement de marques de prestige peut être une condition de l'agrément dans un réseau de distribution sélective la licéité de cette exigence doit être subordonnée à l'existence d'un délai probatoire laissant au distributeur le temps raisonnable d'obtenir cet environnement et qu'en l'espèce Nina Ricci n'a pas respecté ce délai qui, selon une réponse ministérielle du 12 janvier 1987 dont les termes ont été expressément acceptés par la Fédération des fabricants de parfums, est de six mois ; que d'autre part, prétendant distribuer un certain nombre de marques de luxe autres que celles figurant sur le questionnaire Nina Ricci, elle énonce que ces dernières ne sont pas, en matière de parfums, nécessairement les plus prestigieuses et que dès lors le critère d'environnement de marques, tel que le présente Nina Ricci, manque d'objectivité; qu'elle observe enfin, s'agissant des critères quantitatifs, que son magasin offrirait une rentabilité supérieure à celle des deux points de vente le précédant sur la liste d'attente dont fait état Nina Ricci ;
Considérant que l'intimée, qui conteste avoir donné à la SAC un accord verbal, avait dans des écritures du 10 décembre 1990 repris son argumentation de première instance relative à l'environnement de marques et subsidiairement à l'existence à la Martinique d'un réseau déjà largement suffisant pour satisfaire une clientèle de passage et saisonnière, que le 13 décembre 1990, communiquant une fiche d'évaluation datée du 8 février 1990 n'accordant au magasin de la SAC que des notes dans l'ensemble peu brillantes, elle a de nouveau conclu en prétendant que l'environnement intérieur et extérieur de ce point de vente, zone industrielle et port de marchandises est dépréciatif de l'image de luxe attachée aux produits Nina Ricci;
Que l'appelante n'a pas été en mesure d'opposer, pièces à l'appui,une réplique utile aux appréciations défavorables lui faisant grief;
Que les écritures de Nina Ricci en date du 13 décembre 1990 seront par suite écartées comme violant le principe du contradictoire, étant d'ailleurs observé qu'un refus fondé sur la médiocrité du magasin n'avait pas avant la procédure, été notifié à la SAC qui dénie avoir reçu une télécopie du 12 février 1990 dont Nina Ricci n'établit qu'elle lui ait été effectivement adressée ;
Considérant que s'agissant du délai nécessaire à l'obtention d'agréments permettant de constituer l'environnement de marques, il y a lieu de constater que la seule pièce mise aux débats par l'appelante est un courrier émanant de Chanel qui certes annonce en date du 8 novembre 1990 une ouverture de compte mais en des termes laissant ignorer si elle concerne les parfums, étant souligné que la SAC offre en vente toutes sortes d'objets dont certains sont susceptibles de porter la marque Chanel ;
Qu'il s'impose donc de prendre acte que l'appelante, qui avait lancé son assignation sans justifier sinon de l'environnement de marques défini par Nina Ricci, du moins des diligences nécessaires à son obtention, n'est pas en mesure de le faire un an après l'ouverture de son magasin et, par conséquent, de donner un soutien en fait au moyen de droit qu'elle invoque en prétendant au délai probatoire prérappellé qu'à s'en tenir aux documents produits elle n'a pas mis à profit ;
Qu'on peut au surplus s'interroger sur la capacité qu'aurait la SAC de distribuer des parfums de grandes marques même autres que celles désignées par Nina Ricci, car si ses écritures en énumèrent une liste impressionnante, force est bien de noter qu'aucun document ne vient appuyer ses allégations ;
Considérant en conséquence que la SAC est mal fondée à critiquer le refus de Nina Ricci d'admettre dans son réseau de distribution sélective le magasin de Fort-de-France dont rien ne justifie qu'il remplisse les conditions nécessaires à la vente de produits de grand luxe tels que les parfums Nina Ricci ;
Que le jugement sera donc confirmé ;
Que s'il n'y a pas lieu, l'appelante ayant pu se tromper sur l'étendue de ses droits, d'allouer des dommages-intérêts à l'intimée, il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de celle-ci les frais non compris dans les dépens exposés dans la procédure; que la SAC sera condamnée, compte tenu de l'appel, à payer à Nina Ricci au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile la somme justifiée indiquée au dispositif s'ajoutant à celle accordée par le jugement ;
Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, Déboutant la Société antillaise de commission de son appel et de toutes ses prétentions ; Confirme le jugement en toutes ses dispositions ; Y ajoutant en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la Société antillaise de commission à payer à la société Nina Ricci le montant complémentaire de 6 000 F ; Dit que la Société antillaise de commission supportera les dépens de l'appel ; Admet la société civile professionnelle Faure-Arnaudy au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.