CA Douai, 2e ch. civ., 13 décembre 1990, n° 5410-90
DOUAI
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Dekytspotter, Wiart (ès qual.)
Défendeur :
Nord Parfums (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Bononi
Conseillers :
M. Delaude, Mme Jean
Avoués :
SCP Masurel Thery, Me Quignon
Avocats :
Mes Carlier, Steylaers, Verniau
La société Nord Parfums qui exploitait à Dunkerque deux établissements " Manon " et " Parfumerie du Port " a cédé ce second fonds à Mademoiselle Dekytspotter par acte notarié du 5 décembre 1988 moyennant le prix de 1 211 963 F.
Invoquant des omissions ou inexactitudes dans l'acte et soutenant que son consentement a été vicié, Mademoiselle Dekytspotter a assigné Nord Parfums le 30 novembre 1989 en nullité de cession et paiement de diverses sommes :
* 1 261 000 F prix principal de cession,
* 203 174 frais de mutation et d'actes
* 131 713 F frais financiers et autres
* 500 000 F dommages-intérêts pour perte d'exploitation
* 30 000 F indemnité article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Le Tribunal de commerce de Dunkerque par jugement du 29 juin 1990 a débouté Mademoiselle Dekytspotter de toutes ses demandes, l'a condamnée à payer à la société Nord Parfums 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et a mis à sa charge la totalité des dépens.
Mademoiselle Dekytspotter a relevé appel et a été autorisée à assigner la société Nord Parfums à jour fixe.
Concluant le 2 novembre 1990 avec Maître Wiart, représentant des créanciers du redressement judiciaire ouvert à son encontre le 10 juillet 1990, Mademoiselle Dekytspotter demande acte de l'intervention de Maître Wiart et reprend ses demandes initiales.
La société Nord Parfums par écritures successives des 1er août, 10 octobre et 26 octobre 1986, sollicite la confirmation du jugement et la condamnation de l'appelante à lui verser la somme de 30 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Motifs
Mademoiselle Dekytspotter invoque essentiellement le non-respect des dispositions de l'article 12 et subsidiairement de l'article 13 de la loi du 29 juin 1935; elle présente outre 3 moyens supplémentaires tenant :
- à l'évaluation dolosive du stock,
- à l'évasion des marques,
- à la concurrence déloyale de Nord Parfums.
I) Sur la loi du 29 juin 1935
L'article 12 impose au vendeur d'un fonds de commerce d'indiquer le chiffre d'affaires et les bénéfices commerciaux réalisés au cours des trois dernières années d'exploitation ; l'omission est sanctionnée par la nullité.
L'article 13 rend le vendeur responsable des inexactitudes dans les énonciations de l'acte en ouvrant à l'acheteur une option entre l'action rédhibitoire et l'action estimatoire des articles 1644 et 1645 du Code civil.
Mademoiselle Dekytspotter reproche à Nord Parfums de ne pas l'avoir mise en mesure d'apprécier la rentabilité du fonds acquis ; en effet, Nord Parfums fait figurer dans l'acte les chiffres d'affaires et les bénéfices pour l'ensemble des deux établissements sans fournir les chiffres spécifiques du fonds vendu, ni aucun renseignement pour la période du 30 septembre 1987 au 1er octobre 1988.
Il ne lui a même pas été remis une situation comptable dans l'attente du bilan définitif, la comparaison entre les chiffres figurant à l'acte et ceux figurant aux bilans des exercices 1985/1986 et 1986/1987 révèle des inexactitudes. La clause de décharge insérée à l'acte de cession et retenue par le tribunal est parfaitement inefficace car contraire aux dispositions d'ordre public de la loi de 1935 et au surplus ne concerne que le notaire et non le vendeur. Il y a bien eu dol et erreur sur la valeur du fonds et en fin de compte préjudice ; le chiffre d'affaires pour 10 mois en 1989 (371 547,24 F) soit en année pleine 445 857,52 F comparé au chiffre d'affaires annoncé par le vendeur (1 700 000 F) démontre qu'elle n'aurait pas acheté si elle avait été informée exactement, au prix de 1 200 000 F un fonds donnant 400 000 F de chiffre d'affaires annuel ; en tant que directrice d'une école d'esthéticiennes elle était prestataire de service et non une professionnelle avertie du commerce de la parfumerie ; son banquier et son comptable n'ont pas eu communication du projet d'acte, contrairement à ce qu'affirme le vendeur.
La société Nord Parfums objecte :
- qu'il n'était pas possible au niveau comptable de dégager le bénéfice commercial pour chaque magasin dans la mesure où toutes les dépenses étaient réglées par la même entité juridique, la SA Nord Parfums.
- que Mademoiselle Dekytspotter a eu connaissance du chiffre d'affaires réalisé par chaque magasin qui pouvait être dissocié s'agissant de rentrées et non de dépenses ; il est indiqué à l'acte (page 32 paragraphe 5) que les parties ont visé tous les livres de comptabilité du vendeur ; à partir des livres de recettes communiqués, Mademoiselle Dekytspotter a eu connaissance des chiffres des recettes moyennes réalisées par la Parfumerie du Nord, ledit document faisant apparaître les charges fixes individuelles à ce magasin.
- que la déclaration des bénéfices n'est pas exigée lorsque le vendeur n'a pas exploité personnellement ce qui a été le cas jusqu'au 17 mars 1988,
- que les allégations de Mademoiselle Dekytspotter relatives à des chiffres différents à l'acte et au bilan sont fantaisistes ; ils font du reste état de chiffres supérieurs au bilan par rapport à l'acte...
- qu'il n'y a ni vice, ni erreur, ni préjudice occasionné à Mademoiselle Dekytspotter dans la mesure où :
* elle a visé les livres de comptabilité,
* elle est une professionnelle avertie, ayant dirigé une école d'esthétique,
* elle a bénéficié de l'aide de 3 professionnels :
a) son comptable Monsieur Cholley qui a reçu copie du compromis de cession et à qui le notaire rédacteur Maître Caux a demandé ses observations,
b) son notaire Maître Bouly de Lesdain,
c) sa banque Société Générale à qui elle a demandé l'étude des livres comptables.
* le fonds a été vendu sur la base de 58 % du chiffre d'affaires moyen alors que l'usage en parfumerie est de 70 à 80 % du chiffre d'affaires annuel TTC.
Il apparaît de l'examen des dossiers que le tribunal a fait une exacte appréciation des circonstances de la cause :
- il n'existe qu'une omission du bénéfice commercial de l'exercice 1987/1988 qui à elle seule ne peut entraîner la nullité de la cession, compte tenu de l'indication donnée que ce bénéfice n'était pas encore connu à la date de l'acte et de la connaissance par Mademoiselle Dekytspotter des documents comptables inventoriés,
- le caractère global des chiffres données ne pouvait surprendre ni tromper Mademoiselle Dekytspotter ; elle en était informée, avant la signature de l'acte, par la communication du projet tant à elle-même qu'à son comptable, son notaire et son banquier ; au surplus un document intitulé " Parfumerie du port " que Mademoiselle Dekytspotter ne conteste pas avoir reçu (bien que sans date ni entête, ni signature) individualisait les charges réelles de l'exercice 1986/1987 (562 449,50 F) après avoir indiqué les recettes moyennes des années 1985-1986-1987 (1 735 580 F) et les recettes de l'exercice 1986/1987 (1 687 063 F), ce qui permettait à Mademoiselle Dekytspotter de se faire une idée de la rentabilité du fonds.
- En ce qui concerne les différences entre chiffres à l'acte et chiffre des bilans 1986 et 1987, leur caractère réel quoique relativement limité (781 F d'une part ; 69 780 F d'autre part) ne peut fonder la demande de nullité compte tenu des renseignements que possédait Mademoiselle Dekytspotter avant la cession et de garanties dont elle s'est entourée, notamment la présence de son notaire Maître Bouly de Lesdain qui a reçu, avec le notaire rédacteur Maître Caux, l'acte de cession aujourd'hui litigieux.
Mademoiselle Dekytspotter invoque en vain une clause de décharge illicite alors que la décharge figurant en page 32 de l'acte ne concerne que le seul notaire Maître Caux et que l'appelante s'est contentée de dispenser le vendeur de lui donner d'autres précisions sur les chiffres déclarés, disant se " contenter " des indications fournies, ce que sa connaissance des livres de comptabilité expliquait.
Il n'y a donc pas lieu de retenir à la charge du vendeur un manquement aux dispositions des articles 12 et 13 de la loi de 1935.
II) Sur le stock
Selon Mademoiselle Dekytspotter, l'évaluation anormale en valeur TTC et à partir d'un prix d'achat moyen aurait vicié son consentement.
La société Nord Parfums fait observer, à juste titre comme en première instance et comme le jugement :
- que l'inventaire du stock a été réalisé rapidement à la veille de l'ouverture ce que reconnaît Mademoiselle Dekytspotter ; que ce stock a fait l'objet d'une vente, soumise à TVA, à partir d'un prix moyen d'achat ; que l'inventaire ne pouvait se faire à partir des factures d'achats, vu le regroupent sur les deux fonds ; que le détail du stock étant joint à l'acte de cession. Mademoiselle Dekytspotter ne peut prétendre l'ignorer. Mademoiselle Dekytspotter ne saurait dès lors triompher en ce moyen.
III) Sur l'évasion des marques
Mademoiselle Dekytspotter déclare avoir été surprise par cette évasion soutenant :
- que la clause figurant en page 17 paragraphe 2 ne permettait pas pour autant à la société Nord Parfums de vendre ce qui était inaccessible,
- que si les contrats de distribution sélective sont licites et si la cession du fonds de commerce n'emporte pas en principe cession de ces contrats, encore faut-il que ces contrats ne soient pas le support nécessaire immédiat, indispensable pour l'exploitation du fonds,
- que l'activité de parfumerie n'étant possible qu'avec l'agrément des fournisseurs la cession ne peut se faire que sous la condition suspensive de l'agrément des marques ; que l'acte méconnaissant ce principe est nul par application de l'article 1108 du Code civil, sauf à vider de son contenu l'obligation de garantie du vendeur du fonds de commerce.
La société Nord Parfums fait observer que le transfert de la marque - tel Dior - au successeur ne s'organise que si celui-ci satisfait à toutes les conditions de professionnalisme exigés pour être désigné comme distributeur agréé ; qu'en l'espèce Mademoiselle Dekytspotter, bien qu'avertie des exigences en la matière, a procédé à l'égard des marques avec un tel amateurisme que certaines d'entre elles ne lui ont pas reconduit leur confiance.
Le jugement incriminé a justement relevé que Mademoiselle Dekytspotter était formellement avertie par une clause du contrat qu'elle avait " à prendre contact avec les établissements concernés au vu de l'obtention des marchés ou contrats souhaités, le vendeur ne pouvant pas garantir le maintien à son profit des relations commerciales actuellement existantes ".
Par cette clause non équivoque Mademoiselle Dekytspotter a accepté de faire son affaire personnelle des relations avec les marques et exclu ce problème de la garantie du vendeur. En tant qu'ancienne directrice d'une école d'esthéticiennes elle ne pouvait par ailleurs ignorer la pratique des fournisseurs en parfumerie, notamment des grandes marques, accordant leur agrément " intuitu personae " en fonction de critères de sélectivité variés et subjectifs. Il lui appartenait donc, comme l'a dit le jugement, de prendre toutes mesures pour sauvegarder les contrats précédemment obtenus par la société Nord Parfums ; dans ces conditions, elle ne peut rendre cette société responsable de ses échecs sur ce plan.
IV) Sur la concurrence
Mademoiselle Dekytspotter invoque la clause de non-concurrence figurant en page 16 de l'acte de cession portant interdiction de se rétablir ou de s'intéresser à un commerce de même nature durant 5 ans et dans un rayon de 5 km à vol d'oiseau en soutenant que la société Nord Parfums se devait de réaliser également le 2e élément de son actif (c'est-à-dire le fonds de commerce " Manon ") pour respecter cet engagement puisqu'il n'avait pas été prévu dans l'acte qu'elle entendait continuer l'exploitation de la parfumerie Manon ; que la clientèle habituée à un certain personnel de la " Parfumerie du port " n'a pas manqué de suivre chez Manon son esthéticienne.
- La société Nord Parfums fait valoir que la reprise de cette esthéticienne était prévue au contrat ; que Mademoiselle Dekytspotter n'ignorait pas que l'intéressée était salariée directement par la société Gatineau selon la coutume de nombreuses marques de produits de beauté ; qu'il n'y a aucune corrélation entre cette situation et un transfert de clientèle, d'ailleurs non prouvé ; que le moyen tenant à la vente de la seconde parfumerie constitue une prétention aberrante.
En page 15, il a été indiqué que Mademoiselle Dekytspotter ne désirait pas conserver Mlle Renaudeau esthéticienne et convenu que celle-ci serait employée par le vendeur dans son second établissement. Mademoiselle Dekytspotter ne peut donc incriminer ce départ et encore moins lui attribuer un caractère concurrentiel que rien ne démontre en l'état.
Quant à la prétention émise par Mademoiselle Dekytspotter de voir la société Nord Parfums cesser d'exploiter son 2e fonds de commerce, elle a déjà été exactement repoussée par les premiers juges compte tenu qu'il a été signalé dès le début de l'acte l'existence du 2e fonds de commerce non comprise dans la cession.
Dans ces conditions, Mademoiselle Dekytspotter n'est fondée en aucune de ses demandes ; elle en sera déboutée et devra supporter tous les dépens.
Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande d'indemnité de la société Nord Parfums : d'une part elle est irrecevable comme reposant sur un double fondement, et d'autre part la somme attribuée en première instance est jugée suffisante.
Par ces motifs, LA COUR, donne acte à Maître Wiart de son intervention en qualité de représentant des créanciers de Mademoiselle Dekytspotter, appelante du jugement du Tribunal de commerce de Dunkerque du 29 juin 1990, Confirme ledit jugement, Déboute Mademoiselle Dekytspotter de toutes ses demandes et la société Nord Parfums de sa demande de dommages-intérêts, Condamne Mademoiselle Dekytspotter aux dépens d'appel avec application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile au profit de Maître Quignon, avoué.