CA Orléans, ch. civ. sect. 2, 27 octobre 1992, n° 1194-91
ORLÉANS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Royoux
Défendeur :
Dabert (Epoux)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Tay
Conseillers :
M. Bureau, Mme Magdeleine
Avoués :
SCP Laval, Me Duthoit
Avocats :
Mes Piaroux, O'Mahony
Marie-France Royoux a relevé appel d'un jugement du Tribunal de commerce de Blois, en date du 3 mai 1991, qui l'a déboutée de sa demande de nullité et résiliation de la vente du fonds de commerce de parfumerie-esthétique, à l'enseigne "Resilia", à elle consentie par les époux Dabert, le 12 novembre 1990, selon acte au rapport de Maître Meunier, notaire associé, pour le prix total de 668 716 F se décomposant de la façon suivante :
* éléments incorporels : 448 000 F
* matériel et mobilier commercial : 62 000 F
* marchandises TTC : 158 716 F
ledit prix étant payable comptant le jour de la vente à concurrence de la somme de 545 716 F et le solde pour 80 000 F au plus tard le 31 décembre 1990 et pour 43 000 F au plus tard le 31 mai 1991 avec intérêts au taux conventionnel de 12 % au-delà de ces dates ;
La dame Royoux reproche à la décision entreprise qui a, aussi, ordonné la main-levée de la saisie-arrêt pratiquée par elle sur le prix de vente et l'a condamnée à payer une indemnité de procédure de 5 000 F à ses adversaires, d'avoir fait une mauvaise appréciation des faits de l'espèce alors que la cession est entachée d'un dol viciant son consentement ;
Elle expose en en effet, que trois jours après la vente, la société Parfums Cacharel a clôturé son compte client au motif que le magasin ne fournissait pas un chiffre d'affaires suffisant et que les produits Cacharel n'étaient pas présentés dans un environnement la mettant en concurrence avec d'autres marques de parfums de luxe ; elle fait valoir que les époux Dabert connaissaient la position de la société Cacharel mais qu'ils la lui ont cachée alors que la marque en question fournissait un pourcentage important du chiffre d'affaires ;
L'appelante soutient aussi avoir été trompée par les époux Dabert qui ont présenté les chiffres d'affaires des trois exercices allant du 01/03/1987 au 31/01/1990 sans préciser que ces chiffres tenaient compte des ventes effectuées sur les produits Lancôme qu'ils ne distribuaient plus depuis fin 1989, ce qui faussait son appréciation de la rentabilité exacte du fonds puisque le chiffre d'affaires du second semestre 1990 s'est ressenti de la perte de cette grande marque qui s'est ajoutée à celle de Cacharel ;
L'appelante sollicite donc la réformation du jugement, la résolution de la vente aux torts des époux Dabert, le remboursement par eux du prix de 510 000 F et une expertise aux fins de déterminer la consistance du stock au jour de la restitution ; elle réclame, en outre, une somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts et une indemnité de procédure de 4 000 F ; à titre subsidiaire, elle demande une expertise pour déterminer la proportion des produits Cacharel et Lancôme dans le chiffre d'affaires du fonds ;
Les époux Dabert sollicitent la confirmation du jugement ; ils font valoir que les contrats de distribution avec les grandes marques de parfums sont conclus "intuitu personae" et sont incessibles ; qu'ils deviennent donc caducs avec la cession du fonds ; que la dame Royoux était parfaitement au courant de cet état de choses puisqu'elle a négocié avec certaines marques la poursuite du contrat et qu'elle pouvait le faire avec Cacharel tout pareil ; ils ajoutent qu'ils n'ont rien caché à leur acquéreur sur la comptabilité du fonds au cours des six mois de négociation qui ont précédé la cession et que la dame Royoux était au courant de la situation puisqu'elle leur a fait baisser le prix de 560 000 à 510 000 F ; ils font remarquer qu'elle savait pertinemment ne pas vendre de produit Lancôme puisqu'aucun élément de cette marque ne figure dans le stock cédé, ils imputent, enfin, les mauvais résultats de l'appelante à une compétence discutable et à une absence de disponibilité envers une clientèle féminine exigeante ;
Les intimés sollicitent la condamnation de la dame Royoux à leur payer les intérêts légaux sur la somme de 545 716 F du 14/02/1991 au 05/07/1991 ; sur 190 000 F du 06/07/1991 jusqu'au paiement et les intérêts conventionnels sur la somme de 80 000 du 01/01/1991 jusqu'au paiement et sur la somme de 43 000 F du 21/03/1991 jusqu'au paiement ; ils demandent aussi sa condamnation à leur payer une somme de 25 000 F à titre de dommages-intérêts et une indemnité de procédure de 8 000 F ; enfin, ils demandent la capitalisation des intérêts sur les sommes allouées ;
Sur quoi, LA COUR :
Attendu qu'il résulte du contrat de distribution Cacharel versé aux débats que ce type de contrat est conclu "intuitu personae" avec chaque exploitant ; qu'il est incessible et devient caduc en cas de vente du fonds de commerce ; le concédant se réservant le droit d'agréer ou non le successeur du concessionnaire qui devra, en toute hypothèse, répondre aux critères de qualité exigés par la marque ;
Attendu que le contrat de la société Jeanne Gatineau est aussi versé aux débats et se présente dans les mêmes termes ; qu'il est d'ailleurs attesté, par le trésorier du syndicat de la parfumerie, que l'ensemble des contrats de distribution des grandes marques présente les mêmes caractères ce qui oblige le concessionnaire d'un fonds de commerce de parfumerie à renégocier chaque convention avec ses fournisseurs ;
Attendu que la dame Royoux ne pouvait ignorer cet état de choses puisqu'elle a signé des contrats de distribution avec les parfums Laurent Dornel, Jeanne Gatineau, Rose Cardin et Vanderbilt avant même d'acquérir le fonds ; qu'il lui appartenait de négocier avec la société Cacharel pour obtenir de celle-ci la poursuite des relations commerciales ;
Attendu, d'ailleurs, que la clôture du compte Cacharel est due tout autant à la cession du fonds qu'à l'absence de critères qualitatifs autorisant la distribution de produits de la marque dans le magasin puisque, par courrier du 23 janvier 1991, le directeur commercial de Cacharel écrivait à l'appelante : " Vous n'êtes pas sans savoir qu'un contrat de distributeur agréé n'est pas cessible et qu'en aucun cas une marque n'est tenu d'accorder une succession... " ;
Attendu qu'il résulte de ces éléments que la dame Royoux savait qu'elle devait renégocier les contrats ; qu'elle en a renégocié certains mais a omis de contacter la société Cacharel ou a échoué dans sa tentative de faire revenir celle-ci sur sa décision d'ôter à l'exploitante de la parfumerie Resilia la qualité de distributrice agréée de la marque ;
Attendu, dès lors, qu'il importe peu que les époux Dabert n'aient pas avisé leur acquéreur de l'éventuelle cessation du contrat Cacharel puisque la vente rendait ce contrat caduc ; qu'une telle réticence, à la supposer établie, était dénuée de conséquences et ne saurait constituer un dol ;
Attendu que la même remarque doit être faite concernant la marque Lancôme qui n'était plus distribuée depuis fin 1989, au moins, par les époux Dabert ; qu'en effet, l'ensemble des contrats de distribution sélective étant susceptible d'être remis en cause par la cession du fonds, le chiffre d'affaires mentionné à l'acte n'a qu'une valeur indicative en considération des marques distribuées pour les périodes concernées ;
Or, attendu qu'il résulte des éléments versés aux débats que les négociations ont duré six mois environ ; que la dame Royoux était assistée de son comptable et a eu accès aux documents nécessaires ; qu'il n'est pas établi, ni même allégué, que les chiffres mentionnés dans l'acte de cession soient erronés ; que ces chiffres font d'ailleurs apparaître une baisse très nette du bénéfice commercial sur les trois années d'exploitation mentionnées ; que, par ailleurs, il est établi que la dame Royoux a été présentée par la dame Dabert à différents fournisseurs et a donc pu se convaincre de l'importance des marques représentées et de la nécessité de renégocier les contrats, si tant est qu'elle se soit lancée dans l'achat d'un fonds de parfumerie sans connaître les usages de la profession ; qu'elle n'établit, en tout cas, nullement avoir fait l'objet d'un dol de la part des époux Dabert ; que le jugement sera donc confirmé sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise sollicitée à titre subsidiaire compte tenu des motifs qui précèdent ;
Attendu que les demandes d'intérêts sur les sommes dont les époux Dabert n'ont pu disposer en raison de la saisie-arrêt, puis du cantonnement, ainsi que du non-paiement des éléments du fonds payables à terme sont justifiées ; qu'il sera aussi fait droit à la demande de capitalisation des intérêts ; qu'en revanche, les époux Dabert ne justifient pas suffisamment de la relation de cause à effet entre les prêt souscrits auprès de la BRO et du Crédit Agricole et la présente procédure pour qu'il soit fait droit à leur demande de dommages-intérêts supplémentaires fondée sur les frais bancaires qu'ils auraient dû acquitter ;
Attendu qu'il apparaît inéquitable de laisser supporter aux intimés la charge de la totalité des frais irrépétibles qu'ils ont dû engager ; qu'il leur sera accordé une indemnité de 4 000 F à ce titre ;
Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort : Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Condamne Marie-France Royoux à payer aux époux Dabert les intérêts au taux légal sur la somme de 545 716 F entre le 14/02/1991 et le 05/07/1991 et sur la somme de 190 000 F entre le 06/07/1991 et le paiement ainsi que les intérêts au taux conventionnel de 12 % sur la somme de 80 000 F entre le 01/01/1991 et le paiement ainsi que sur la somme de 43 000 F entre le 21/03/1991 et le paiement ; Dit que les intérêts desdites sommes porteront eux-mêmes intérêts dans les conditions prévues à l'article 1154 du Code civil ; Condamne Marie-France Royoux à payer aux époux Dabert une somme de 4 000 F à titre d'indemnité de procédure ; Déboute les parties de leurs autres demandes ; Condamne l'appelante aux dépens ; Accorde pour les dépens d'appel, à Maître Duthoit, avoué, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.