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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 1 mars 1990, n° 87-010694

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Belle Rose (SARL)

Défendeur :

Parfums Christian Dior (SA), Garance (Sté), Moyne Von Pistor (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bonnefont

Conseillers :

MM. Gouge, Audouard

Avoués :

SCP Dauthy-Naboudet, SCP Bommart-Forster

Avocats :

Mes Amado, Jourde

T. com. Paris, 1re ch., du 23 mars 1987

23 mars 1987

Faits et procédure de première instance

Le 31 décembre 1985, la société Parfums Christian Dior faisait opérer dans le magasin Garance à Bessancourt (Territoire de Belfort) un constat d'où il résultait qu'y étaient mis en vente des produits Dior achetés à la société Belle Rose, qui distributeur agréé des produits Dior, a un magasin à Paris rue Saint-Honoré.

Estimant que cette dernière avait violé l'obligation de ne pas vendre à un détaillant, la société Parfums Christian Dior résiliait le contrat passé avec Belle Rose, puis les 5 et 10 juin 1986 elle assignait celle-ci et la société Garance pour obtenir paiement de 500 000 F de dommages-intérêts ainsi que les mesures de publication et d'interdiction.

La société Belle Rose concluait au débouté.

La société Garance ne se présentait pas.

Le jugement critiqué :

Par son jugement du 23 mars 1987, le Tribunal de commerce de Paris a notamment :

- condamné la société Belle Rose à payer à Parfums Christian Dior 285 000 F de dommages-intérêts, cette condamnation s'appliquant in solidum à la société Garance à concurrence de 60 000 F,

- interdit aux sociétés Belle Rose et Garance de vendre les produits Parfums Dior sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée à compter de la signification du jugement,

- ordonné la publication du jugement dans les périodiques professionnels et spécialisés avec un maximum de trois insertions au besoin par extraits et à la charge solidaire des sociétés Belle Rose et Garance dans la limite de 4 000 F TTC par insertion,

- condamné la société Belle Rose à payer à Parfums Christian Dior 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, cette condamnation pesant in solidum sur Garance à concurrence de 3 000 F.

L'appel :

Appelante du jugement par déclaration du 15 juin 1987, la société Belle Rose a conclu à son infirmation et au rejet de toutes les prétentions des Parfums Christian Dior auxquels elle réclame 500 000 F de dommages-intérêts pour rupture abusive de leurs engagements commerciaux.

Très subsidiairement, elle a demandé à être garantie par la société Garance et celle-ci ayant été déclarée en liquidation judiciaire elle a le 8 mars 1989 assigné son mandataire liquidateur Moyne Von Pistor devant la cour en lui signifiant les conclusions prises précédemment contre la société Garance simplement modifiées en ce que la demande de garantie est dirigée contre Moyne Von Pistor ès qualités.

Intimée, la société Parfums Christian Dior a prié la cour de confirmer la décision déférée dans son principe mais en élevant à 500 000 F le montant des dommages-intérêts. S'agissant de l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, elle a réclamé la somme de 10 000 F.

Moyne Von Pistor, mandataire de la société Garance, intimée en liquidation judiciaire, n'a pas constitué avoué malgré l'assignation en garantie délivrée à la requête de la société Belle Rose.

Par arrêt du 14 décembre 1989, la cour, constatant que les conclusions de Parfums Christian Dior ne tenaient pas compte de la liquidation judicaire dont la société Garance faisait l'objet, a ordonné la réouverture des débats en révoquant l'ordonnance de clôture.

A la suite de cet arrêt, la société, la société Belle Rose a rappelé que la procédure était régulière en ce qui la concerne depuis le 8 mars 1989, date de l'assignation par elle en intervention forcée de Moyne Von Pistor, mandataire liquidateur de Garance.

De son côté, la société Parfums Belle Rose a par acte du 3 janvier dénoncé à Moyne Von Pistor les conclusions prises par elle le 4 août 1989.

Moyne Von Pistor, à qui cette dénonciation a été signifiée à personne, n'a pas constitué avoué.

Sur ce, LA COUR,

Qui pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties se réfère au jugement critiqué et aux écritures d'appel.

Sur les faits reprochés à la société Belle Rose :

Considérant qu'il appert du constat dressé le 30 décembre 1985 par l'huissier Franchi dans les locaux de Garance que celle-ci était en possession de quatre factures délivrées par Belle Rose pour ses achats de parfums et autres produits effectués les 24 et 27 novembre et le 4 décembre 1985 et totalisant des montants HT respectivement de 6 916,17 F, 8 352,84 F, 9 134,01 F et 10 235,60 F (commission de 20 % non comprise) ; que sur trois de ces factures apparaissaient divers produits Christian Dior ;

Considérant que son contrat de distributeur agrée faisait en son article 11-5 obligation de ne pas vendre à des détaillants, sous réserve de l'exception CEE ; que d'autre part, dans une " note importante " les Parfums Christian Dior " avaient précisé à Belle Rose : " nous considérons que vous n'effectuez pas une vente au détail si, même à un client se présentant comme un particulier, vous délivrez des produits de notre marque dans une commande qui comporte plus de dix articles des catégories suivantes : Parfums, eaux de toilette ou de cologne féminines, eaux de toilette ou de cologne masculines " ;

Considérant qu'à l'examen des factures du 4 décembre 1985, on constate que l'une fait mention de 27 eaux de toilette Christian Dior et l'autre également ; que sur la facture du 27 novembre apparaissent 23 eaux de toilette Dior ;

Considérant qu'il résulte des faits sus-exposés que les premiers juges ont à bon droit relevé à l'encontre de Belle Rose une infraction à ses obligations contractuelles ;

Considérant que l'argumentation développée par l'appelante ne contient rien de nature à invalider les motifs du jugement ;

Qu'il suffit ici de rappeler ou ajouter qu'en raison des quantités achetées par Garance (380 articles en une dizaine de jours) et dont les produits Dior ne représentent qu'une petite fraction, que ses protestations de bonne foi sont d'autant moins crédibles qu'elle a établi des factures ; que même si celles-ci ont été faites au nom d'une dame Lacroix et non de la société Garance ce n'est pas pour autant qu'un doute a pu exister sur le fait que le client était un commerçant qui achetait pour revendre ; que sans soute, Belle Rose s'efforce-t-elle de prétendre avoir établi des factures récapitulatives dont chacune se rapporterait à des achats successifs effectués par des personnes physiques différentes de telle sorte qu'à l'entendre elle n'aurait jamais transgressé l'interdiction de vendre des produits Christian Dior dans une commande comportant plus de dix articles d'une catégorie restreinte à la vente ; qu'une telle allégation ne trouve aucun appui dans les pièces versées aux débats et qu'au demeurant force est de constater que Belle Rose n'a nullement, comme la loyauté envers les parfums Christian Dior le lui imposait, dénoncé à ceux-ci les agissements de Garance ;

Considérant en conséquence que les condamnations prononcées à l'encontre de Belle Rose sont justifiées par la violation délibérée des engagements pris au contrat et qui ont été générateurs d'un préjudice grave en ce qu'ils ont tendu à désorganiser un réseau de distribution sélective mis en place à grands frais par les Parfums Christian Dior ; que l'indemnité accordée par le jugement devra être actualisée et portée au montant indiqué au dispositif, les autres mesures étant confirmées ;

Sur les demandes formées contre Moyne Von Pistor

Considérant qu'il y a déclaration de créance par les Parfums Christian Dior dès lors qu'ils ont dénoncé à Moyne Von Pistor leurs conclusions du 4 août 1989 qui demandaient la confirmation du jugement sauf le montant des dommages-intérêts et sur celui de la somme accordée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Considérant que le tribunal a exactement caractérisé les agissements fautifs de la société Garance;

Qu'il y a lieu à confirmation de l'interdiction sous astreinte prononcée à l'encontre de cette dernière; que pour le surplus, les sommes mises à la charge ne peuvent plus faire l'objet d'une condamnation à paiement, l'arrêt se bornant d'une fixation de créance ;

Sur la demande en garantie de la société Belle Rose

Considérant que Belle Rose prétend justifier cette demande par les manœuvres incitatives de la société Garance qui serait ainsi parvenue à la tromper ou à écarter ses soupçons concernant des achats effectués en vue d'une revente ; que comme on l'a vu plus haut, le fractionnement de ses achats par la société Garance n'est nullement prouvé; que la demande de garantie est mal fondée, étant toutefois observé que les condamnations prononcées à l'encontre de Garance par le jugement seront transformées en fixation de créances;

Considérant que la somme réclamée par Christian Dior n'est pas un supplément puisqu'elle est sollicitée par émendation du jugement ; qu'elle ne peut donc être accueillie le montant de 10 000 F ayant déjà été accordé en première instance;

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, Confirme le jugement en toutes les dispositions faisant grief à la société Belle Rose sauf en ce qui concerne le montant des dommages-intérêts élevé à 320 000 F sur l'appel incident de la société Christian Dior ; Réformant sur les condamnations mises à la charge de la société Garance, fixe à 60 000 F et à 3 000 F les créances que les Parfums Christian Dior peuvent faire valoir respectivement au titre de la part des dommages intérêts et de celle du montant alloué au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile dans la procédure de liquidation judiciaire de la société Garance représentée par Moyne Von Pistor, mandataire liquidateur ; Dit que la société Belle Rose supportera les dépens de l'appel ; Admet la SCP Bommart-Forster, avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.