Livv
Décisions

CJUE, 4e ch., 6 mai 2010, n° C-145/08

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Club Hotel Loutraki AE, Athinaïki Techniki AE, Marinakis, Bombolas, Aktor Anonymi Techniki Etaireia

Défendeur :

Ethniko Symvoulio Radiotileorasis, Ypourgos Epikrateias, Athens Resort Casino AE Symmetochon, Ellaktor AE, Regency Entertainment Psychagogiki kai Touristiki AE, Ethnico Symvoulio Radiotileorasis,, Michaniki AE

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lenaerts

Avocat général :

Mme Sharpston

Juges :

Mme Silva de Lapuerta, MM. Juhász (rapporteur), Arestis, Malenovský

Avocats :

Mes Theodoropoulos, Pappas, Spyropoulos, Dryllerakis, Niatsou, Giannakopoulos

CJUE n° C-145/08

6 mai 2010

LA COUR (quatrième chambre),

1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l'interprétation des dispositions pertinentes, au regard des circonstances des litiges au principal, des directives 92-50-CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1), et 89-665-CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO L 395, p. 33), telle que modifiée par la directive 92-50 (ci-après la "directive 89-665"), ainsi que des principes généraux du droit de l'Union en matière de marchés publics et, notamment, du principe de protection juridictionnelle effective.

2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant des entreprises privées et des personnes physiques à l'Ethniko Symvoulio Radiotileorasis (Conseil national de la radiotélévision, ci-après l'"ESR"), autorité qui, conformément à la réglementation nationale, a le pouvoir et l'obligation de contrôler si les personnes ayant la qualité de propriétaire, d'associé, d'actionnaire majeur, de membre d'un organe d'administration ou de cadre dirigeant d'une entreprise soumissionnaire dans une procédure de passation d'un marché public présentent certaines incompatibilités prévues par cette réglementation et, de ce fait, doivent être automatiquement exclues de la procédure.

Le cadre juridique

La réglementation de l'Union

3 Aux termes de l'article 1er, sous a), de la directive 92-50 :

"[L]es 'marchés publics de services' sont des contrats à titre onéreux, conclus par écrit entre un prestataire de services et un pouvoir adjudicateur [...]

[...]"

4 L'article 2 de cette directive dispose :

"Si un marché public a pour objet à la fois des produits au sens de la directive 77-62-CEE [du Conseil, du 21 décembre 1976, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (JO L 13, p. 1)] et des services au sens des annexes I A et I B de la présente directive, il relève de la présente directive si la valeur des services en question dépasse celle des produits incorporés dans le marché."

5 L'article 3 de la même directive prévoit :

"1. Pour passer leurs marchés publics de services ou pour organiser un concours, les pouvoirs adjudicateurs appliquent des procédures adaptées aux dispositions de la présente directive.

2. Les pouvoirs adjudicateurs veillent à ce qu'il n'y ait pas de discrimination entre les différents prestataires de services.

[...]"

6 Aux termes de l'article 8 de la directive 92-50 :

"Les marchés qui ont pour objet des services figurant à l'annexe I A sont passés conformément aux dispositions des titres III à VI."

7 L'article 9 de cette directive dispose :

"Les marchés qui ont pour objet des services figurant à l'annexe I B sont passés conformément aux articles 14 et 16."

8 L'article 14 fait partie du titre IV de cette directive, qui concerne les règles communes dans le domaine technique et traite des spécifications techniques devant figurer dans les documents généraux ou dans les documents contractuels propres à chaque marché, et l'article 16 fait partie du titre V qui régit les règles communes de publicité.

9 L'annexe I B de la directive 92-50, sous l'intitulé "Services au sens de l'article 9", comprend :

"[...]

17 Services d'hôtellerie et de restauration

[...]

26 Services récréatifs, culturels et sportifs

27 Autres services".

10 Enfin, l'article 26 de la même directive prévoit à son paragraphe 1 :

"Les groupements de prestataires de services sont autorisés à soumissionner. La transformation de tels groupements dans une forme juridique déterminée ne peut être exigée pour la présentation de l'offre, mais le groupement retenu peut être contraint d'assurer cette transformation lorsque le marché lui a été attribué".

11 L'article 1er de la directive 89-665 prévoit :

"1. Les États membres prennent, en ce qui concerne les procédures de passation des marchés publics relevant du champ d'application des directives 71-305-CEE [du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 185, p. 5)], 77-62 [...], et 92-50 [...], les mesures nécessaires pour garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l'objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles suivants, et notamment à l'article 2 paragraphe 7, au motif que ces décisions ont violé le droit communautaire en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit.

2. Les États membres veillent à ce qu'il n'y ait, entre les entreprises susceptibles de faire valoir un préjudice dans le cadre d'une procédure d'attribution de marché, aucune discrimination du fait de la distinction opérée par la présente directive entre les règles nationales transposant le droit communautaire et les autres règles nationales.

3. Les États membres assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités que les États membres peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché public de fournitures ou de travaux [ou de services] déterminé et ayant été ou risqu[a]nt d'être lésée par une violation alléguée. En particulier, ils peuvent exiger que la personne qui souhaite utiliser une telle procédure ait préalablement informé le pouvoir adjudicateur de la violation alléguée et de son intention d'introduire un recours."

12 Aux termes de l'article 2 de cette directive :

"1. Les États membres veillent à ce que les mesures prises aux fins des recours visés à l'article 1er prévoient les pouvoirs permettant :

a) de prendre, dans les délais les plus brefs et par voie de référé, des mesures provisoires ayant pour but de corriger la violation alléguée ou d'empêcher d'autres dommages d'être causés aux intérêts concernés, y compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de passation de marché public en cause ou de l'exécution de toute décision prise par les pouvoirs adjudicateurs;

b) d'annuler ou de faire annuler les décisions illégales, y compris de supprimer les spécifications techniques, économiques ou financières discriminatoires figurant dans les documents de l'appel à la concurrence, dans les cahiers des charges ou dans tout autre document se rapportant à la procédure de passation du marché en cause;

c) d'accorder des dommages-intérêts aux personnes lésées par une violation.

[...]

5. Les États membres peuvent prévoir que, lorsque des dommages et intérêts sont réclamés au motif que la décision a été prise illégalement, la décision contestée doit d'abord être annulée par une instance ayant la compétence nécessaire à cet effet.

6. Les effets de l'exercice des pouvoirs visés au paragraphe 1 sur le contrat qui suit l'attribution d'un marché sont déterminés par le droit national.

En outre, sauf si une décision doit être annulée préalablement à l'octroi de dommages-intérêts, un État membre peut prévoir que, après la conclusion du contrat qui suit l'attribution d'un marché, les pouvoirs de l'instance responsable des procédures de recours se limitent à l'octroi de dommages-intérêts à toute personne lésée par une violation.

[...]"

La réglementation nationale

13 La directive 89-665 a été transposée en droit hellénique par la loi 2522-1997, portant protection juridictionnelle au cours de la phase précédant la passation de marché public de travaux, de fournitures et de services (FEK A' 178).

14 L'article 2 de cette loi, sous l'intitulé "Étendue de la protection juridictionnelle", prévoit :

"1. Toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché public de travaux, de fournitures ou de services et ayant été ou risquant d'être lésée par une violation du droit communautaire ou interne a le droit de demander, selon les modalités définies dans les articles suivants, une protection juridictionnelle provisoire, l'annulation ou la constatation de la nullité de l'acte illégal adopté par le pouvoir adjudicateur et l'octroi de dommages-intérêts.

[...]"

15 L'article 4 de ladite loi, sous l'intitulé "Annulation ou constatation de la nullité", dispose :

"1. L'intéressé a le droit de demander l'annulation ou la constatation de la nullité de tout acte ou omission du pouvoir adjudicateur contraire à une règle du droit communautaire ou interne concernant la procédure précédant la passation du marché. [...]

2. Si le tribunal annule ou constate la nullité d'un acte ou d'une omission du pouvoir adjudicateur après la passation du marché, ce dernier n'est pas affecté, sauf si avant sa passation, la procédure d'adjudication du marché a été suspendue par une décision prévoyant des mesures provisoires ou par une ordonnance provisoire. Dans ce cas, l'intéressé a le droit d'exiger des dommages-intérêts, conformément aux dispositions de l'article suivant."

16 L'article 5 de la loi 2522-1997, sous l'intitulé "Demande de dommages-intérêts", prévoit :

"1. L'intéressé qui a été exclu de la participation à une procédure de passation de marché public de travaux, de fournitures ou de services ou de l'adjudication de ce marché, en violation d'une règle de droit communautaire ou interne, a le droit d'exiger des dommages-intérêts du pouvoir adjudicateur, en application des dispositions des articles 197 et 198 du code civil. Toute disposition qui exclut ou limite ce droit n'est pas applicable.

2. L'octroi de dommages-intérêts nécessite l'annulation préalable ou la constatation de la nullité de l'acte illégal ou de l'omission illégale par le tribunal compétent. Il est permis de cumuler un recours en indemnité et un recours en constatation de nullité conformément aux dispositions d'application générale."

17 Les articles 197 et 198 du code civil, auxquels renvoie la disposition précédente, prévoient la responsabilité "du fait de négociations", à savoir l'obligation de verser des dommages-intérêts dans les cas où les intéressés seraient exposés à des dépenses injustifiées dans le cadre d'une procédure en vue de la conclusion d'un contrat.

18 Le décret présidentiel 18-1989 porte codification des lois relatives au Symvoulio tis Epikrateias (FEK A' 8). Son article 47, sous l'intitulé "Intérêt légitime", prévoit :

"1. A le droit d'introduire un recours en annulation le particulier ou la personne morale qui sont concernés par un acte administratif ou dont les intérêts légitimes, même non financiers, sont affectés par cet acte.

[...]"

19 La loi 2206-1994 porte "Création, organisation, exploitation, contrôle des casinos, etc." (FEK A' 62). Aux termes de l'article 1er, paragraphe 7, de cette loi, intitulé "Délivrance des licences de casino" :

"Les licences pour les entreprises de casino sont délivrées par décision du ministre du Tourisme après organisation d'un appel d'offres public international par une commission de sept membres."

20 L'article 3 de cette loi, intitulé "Fonctionnement des casinos", dispose :

"Le fonctionnement des casinos est soumis au contrôle de l'État.

[...]"

21 L'article 14, paragraphe 9, de la Constitution hellénique et la loi d'application 3021-2002 (FEK A' 143) introduisent un régime de restrictions applicables à la conclusion de contrats publics avec des personnes qui sont actives ou détiennent des participations dans le secteur des médias d'information. Ce régime instaure une présomption d'incompatibilité entre la qualité de propriétaire, d'associé, d'actionnaire majeur ou de cadre dirigeant d'une entreprise exerçant une activité dans le secteur des médias d'information et celle de propriétaire, d'associé, d'actionnaire majeur ou de cadre dirigeant d'une entreprise qui se voit confier par l'État ou une personne morale du secteur public au sens large l'exécution de marchés de travaux, de fournitures ou de services. Cette incompatibilité s'étend également aux personnes physiques ayant entre elles un rapport de parenté d'un certain degré.

22 La loi 3021-2002 prévoit, en substance, que, avant de procéder à l'acte d'adjudication ou d'attribution du marché public et, en tout cas, avant la signature du contrat, le pouvoir adjudicateur concerné doit, sous peine de nullité du contrat ou du marché public, demander à l'ESR l'établissement d'un certificat attestant que les conditions d'incompatibilité énoncées dans cette loi ne sont pas réunies. La décision de l'ESR est contraignante pour le pouvoir adjudicateur, mais peut faire l'objet d'un recours en annulation par les personnes justifiant d'un intérêt à agir, y compris les autorités publiques.

23 Dans son arrêt du 16 décembre 2008, Michaniki (C-213-07, Rec. p. I-9999, points 1 et 2 du dispositif), la Cour a jugé que, si le droit de l'Union ne s'oppose pas à une telle réglementation qui poursuit des objectifs légitimes d'égalité de traitement des soumissionnaires et de transparence dans le cadre des procédures de passation de marchés publics, il s'oppose toutefois, sous l'angle du principe de proportionnalité, à l'instauration d'une présomption irréfragable d'incompatibilité telle que celle prévue dans la réglementation nationale en cause.

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

Affaire C-145-08

24 Il ressort de la décision de renvoi que, par décision du 10 octobre 2001, la commission interministérielle compétente a décidé la privatisation de la société Elliniko Kazino Parnithas AE (ci-après "EKP"), filiale de la société Ellinika Touristika Akinita AE (ci-après "ETA"), dont la totalité des actions est détenue par l'État hellénique. L'avis de marché publié au mois d'octobre 2001 prévoyait une première phase visant à présélectionner ceux parmi les intéressés qui satisferaient aux conditions énoncées dans ledit avis. Une phase ultérieure visait à désigner le mieux-disant parmi les intéressés, qui serait appelé à signer le contrat. Au cours de la première phase, ont été présélectionnés le groupement d'entreprises Koinopraxia Kazino Attikis et le groupement d'entreprises Hyatt Regency Xenodocheiaki kai Touristiki (Ellas) AE - Elliniki Technodomiki AE.

25 À la suite d'un avis supplémentaire publié au mois d'avril 2002, les termes du contrat à signer étaient cristallisés comme suit :

Le contrat a un caractère mixte et comprend :

- une convention concernant la cession par ETA de 49 % des actions d'EKP à une "société anonyme à but exclusif" (ci-après l'"AEAS") qui devrait être constituée par le soumissionnaire qui serait finalement retenu;

- une convention sur la base de laquelle l'AEAS s'engage à mettre en œuvre un plan de développement qui devra être exécuté dans un délai de 750 jours calendrier à compter de l'obtention des autorisations nécessaires. Ce plan de développement comprendra l'amélioration des locaux du casino et la valorisation des possibilités offertes par sa licence de fonctionnement, l'aménagement et la revalorisation des deux unités hôtelières appartenant au complexe immobilier, ainsi que l'aménagement des terrains environnants, d'une superficie d'environ 280 hectares. L'exécution de ces travaux constitue une partie du prix à verser pour l'acquisition de 49 % des actions d'EKP;

- une convention entre ETA et l'AEAS, par laquelle cette dernière acquiert le droit de désigner la majorité des membres du conseil d'administration d'EKP et d'administrer ainsi la société conformément aux conditions énoncées dans le contrat;

- une convention aux termes de laquelle l'AEAS assume la gestion de l'entreprise du casino moyennant rémunération, qui sera versée par ETA. Au titre de cette rémunération, l'AEAS recevra une somme qui ne pourra excéder un pourcentage dégressif des bénéfices d'exploitation annuels (décroissant de 20 % des profits jusqu'à 30 millions d'euros à 5 % des profits supérieurs à 90 millions d'euros) et 2 % du chiffre d'affaires;

- en tant que gérante, l'AEAS doit gérer l'entreprise de casino de manière à maintenir constamment un environnement luxueux qui offrira des services de haut niveau et de manière financièrement rentable pour EKP. Concrètement, les bénéfices de la gestion avant impôt ne devraient pas être inférieurs à un total de 105 millions d'euros pour les cinq premiers exercices financiers suivant l'entrée en vigueur du contrat. Les bénéfices nets seront à partager entre ETA et l'AEAS en fonction du pourcentage du capital d'EKP détenu par chacune d'elles;

- EKP étant l'unique entreprise de casino qui fonctionne actuellement dans le département de l'Attique, il est prévu au contrat que, au cas où un autre casino serait légalement établi dans ces limites géographiques dans un délai de dix ans à compter de l'entrée en vigueur du contrat, ETA sera tenue d'indemniser l'AEAS en lui versant, à titre de dommages-intérêts, une somme égale à 70 % du prix de la transaction. Le montant de l'indemnité sera réduit d'un dixième chaque année à compter de l'entrée en vigueur du contrat;

- pour ce qui est de la gestion de l'entreprise de casino, le contrat prendra fin dix ans après son entrée en vigueur.

26 Le groupement Hyatt Regency Xenodocheiaki kai Touristiki (Ellas) AE - Elliniki Technodomiki AE ayant été le mieux-disant dans le cadre de la procédure en question, il a été désigné comme adjudicataire. Avant la signature du contrat, ETA a communiqué à l'ESR l'identité des propriétaires, des associés, des actionnaires majeurs et des cadres dirigeants de l'adjudicataire, afin qu'il soit attesté qu'il n'existait pas en leur personne un des cas d'incompatibilité visés à l'article 3 de la loi 3021-2002. Par certificat émis le 27 septembre 2002, l'ESR a attesté qu'il n'existait pas en l'occurrence des cas d'incompatibilité parmi les personnes précédemment indiquées.

27 Cet acte de l'ESR a fait l'objet d'un recours en annulation formé par trois seulement des sept membres composant le groupement soumissionnaire Koinopraxia Kazino Attikis, qui ne s'est pas vu attribuer le marché. Les requérants ont fait valoir qu'un membre du groupement auquel a été attribué le marché tombait sous le coup d'un des cas d'incompatibilité prévus par la réglementation nationale et que, de ce fait, l'attribution du marché devrait être annulée.

28 La juridiction de renvoi relève que le marché en cause est un marché mixte, contenant, d'une part, un volet portant sur la vente d'actions par ETA au soumissionnaire le mieux-disant, volet qui, en tant que tel, ne relève pas des règles de l'Union en matière de marchés publics, et, d'autre part, un volet portant sur un marché de services à conclure avec le soumissionnaire le mieux-disant, qui assume les obligations de gestion de l'entreprise de casino. Le volet qui concerne la cession des actions est, selon la juridiction de renvoi, le plus important de ce contrat mixte. En outre, ce contrat comprend également un volet portant sur un marché de travaux, dans la mesure où l'adjudicataire assume l'obligation d'exécuter les travaux dont il est question dans la décision de renvoi, à titre de paiement partiel des actions cédées. La juridiction de renvoi relève que ce dernier volet a un caractère tout à fait accessoire par rapport au volet "services".

29 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi se demande si l'on peut considérer que le volet "services" du contrat en cause constitue un marché de concession de services publics, qui n'est pas soumis à la réglementation de l'Union. À cet égard, il faudrait vérifier dans quelle mesure l'adjudicataire supporte les risques liés à l'organisation et à l'exploitation des services en question, compte tenu également du fait que ces services portent sur des activités qui, conformément aux règles nationales auxquelles elles sont soumises, peuvent faire l'objet de droits exclusifs et spéciaux.

30 Au cas où la Cour jugerait que le volet du contrat litigieux concernant la gestion du casino constitue un marché public de services, la juridiction de renvoi se demande si le recours en annulation formé au niveau national est couvert par les garanties procédurales prévues par la directive 89-665, compte tenu du fait que l'objet principal du contrat, à savoir la vente d'actions d'EKP, ne relève pas du champ d'application des règles communautaires en matière de marchés publics et que les marchés ayant pour objet de tels services, relevant de l'annexe I B de la directive 92-50, doivent être passés conformément aux articles 14 et 16 de cette directive, qui comportent uniquement des obligations à caractère procédural. La juridiction de renvoi se demande toutefois si, malgré cet aspect limité des obligations, le principe d'égalité de traitement des participants à une procédure de passation de marché, que la directive 89-665 a comme objectif de sauvegarder, s'applique également dans de tels cas.

31 Si la Cour devait considérer qu'un recours en annulation tel que celui de l'espèce au principal relève du champ d'application de la directive 89-665, la juridiction de renvoi se demande si les règles du droit de l'Union s'opposent à une règle procédurale nationale, comme celle figurant à l'article 47, paragraphe 1, du décret présidentiel 18-1989 tel qu'interprété par cette juridiction, suivant laquelle ceux qui participent à une procédure de passation de marché public sous la forme d'un groupement ne peuvent former un recours en annulation contre des actes s'inscrivant dans le cadre de cette procédure que tous ensemble et conjointement, sans quoi le recours est rejeté comme irrecevable.

32 La juridiction de renvoi se réfère à cet égard à l'arrêt de la Cour du 8 septembre 2005, Espace Trianon et Sofibail (C-129-04, Rec. p. I-7805, point 22), suivant lequel une règle nationale de procédure qui exige qu'un recours en annulation contre la décision d'un pouvoir adjudicateur d'attribuer un marché public soit introduit par l'ensemble des membres formant une association momentanée soumissionnaire ne limite pas l'accessibilité à un tel recours d'une façon contraire à l'article 1er, paragraphe 3, de la directive 89-665.

33 La juridiction de renvoi se demande toutefois si cette conclusion, qui concernait, dans cet arrêt, un recours en annulation contre la décision d'un pouvoir adjudicateur d'attribuer un marché public, est également valable pour toute forme de protection juridictionnelle accordée par la directive susvisée, et notamment pour la revendication de dommages-intérêts. Cette problématique est liée à la circonstance que, en l'occurrence, le législateur national, exerçant la faculté qui est conférée aux États membres par l'article 2, paragraphe 5, de la directive 89-665, a subordonné, par l'adoption de l'article 5, paragraphe 2, de la loi 2522-1997, l'octroi de dommages-intérêts à l'annulation préalable de l'acte prétendument illégal.

34 La combinaison de cette disposition avec la règle procédurale figurant à l'article 47, paragraphe 1, du décret présidentiel 18-1989, telle qu'interprétée par la juridiction de renvoi, conduit à l'impossibilité pour tout membre individuel d'un groupement ayant participé sans succès à une procédure de passation de marché, non seulement d'obtenir l'annulation de l'acte lésant ses intérêts, mais aussi de s'adresser au juge compétent aux fins de la réparation du préjudice qu'il a subi individuellement. Il y a lieu de souligner que, en l'occurrence, le juge compétent en matière de recours en annulation est le Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d'État), tandis que, en matière de dommages-intérêts, la compétence relève d'une autre juridiction.

35 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi relève que la possibilité pour chacun des membres d'un groupement de demander au juge compétent l'octroi de dommages-intérêts dépendra donc de la volonté de tous les autres membres du groupement de former un recours en annulation, au moment où le préjudice que les membres du groupement ont subi, à titre individuel, en raison de la non-attribution du marché peut être différent suivant le degré des dépenses auxquelles les membres se sont exposés aux fins de la participation à ce marché. Par conséquent, l'intérêt de chacun des membres du groupement à attaquer en annulation une décision peut être également différent. Ainsi, il serait permis de se demander si, dans un tel contexte procédural, le principe de protection juridictionnelle efficace voulue par la directive 89-665 est sauvegardé.

36 La juridiction de renvoi signale enfin que, selon les règles de procédure nationales relatives au droit général à l'indemnisation des préjudices causés par des actes illégaux de l'État ou des personnes morales de droit public, c'est le juge compétent en matière d'octroi de dommages-intérêts qui contrôle également, de manière incidente, la légalité de l'acte administratif à l'occasion du recours en indemnité, et non pas une autre juridiction comme c'est le cas pour les recours en annulation formés dans le cadre de procédures de marchés publics. Elle se demande donc si les procédures destinées à assurer la sauvegarde des droits découlant du droit de l'Union sont moins favorables que celles concernant la sauvegarde de droits similaires ou analogues découlant des règles nationales.

37 La juridiction de renvoi relève en dernier lieu que son actuelle interprétation de l'article 47, paragraphe 1, du décret présidentiel 18-1989, en ce sens que seuls tous les membres d'un groupement, agissant conjointement, sont recevables à demander l'annulation d'un acte s'inscrivant dans le cadre d'une procédure de passation de marché public, constitue un revirement de sa jurisprudence constante suivant laquelle les membres pouvaient former un recours de manière individuelle.

38 Elle souligne parallèlement le contexte particulier dans lequel se situe l'affaire au principal, à savoir que, initialement, le recours en cause a été formé par le groupement en tant que tel et par ses sept membres devant la quatrième chambre du Symvoulio tis Epikrateias. Cette formation de jugement a déclaré irrecevable le recours concernant le groupement ainsi que quatre de ses membres du fait qu'ils n'avaient pas habilité régulièrement leur avocat à agir en justice, et, concernant les trois membres restants du groupement, elle a renvoyé l'affaire, compte tenu de son importance, à la formation plénière de cette juridiction. Ainsi, ladite quatrième chambre a fait application de la jurisprudence jusqu'alors constante, suivant laquelle était recevable également le recours formé par certains des membres d'un groupement.

39 Toutefois, la décision d'irrecevabilité de cette quatrième chambre concernant le recours du groupement en tant que tel et de quatre de ses membres est définitive, de sorte qu'il ne peut pas y être remédié dans le cadre de la procédure pendante devant la formation plénière de la juridiction de renvoi. Celle-ci se demande donc si ce revirement de sa jurisprudence est conforme au principe du procès équitable, qui constitue un principe général du droit de l'Union et est également énoncé à l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la "CEDH"), ainsi qu'au principe de protection de la confiance légitime.

40 Eu égard à ces considérations, le Symvoulio tis Epikrateias, en sa formation plénière, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

"1) Un contrat par lequel un pouvoir adjudicateur charge un adjudicataire de la gestion d'une entreprise de casino et de la réalisation d'un plan de développement, consistant dans la modernisation des locaux du casino et la valorisation commerciale des possibilités de la licence de ce casino, et qui contient une condition selon laquelle, si, dans la grande région où fonctionne le casino litigieux, un autre casino est exploité légalement dans le futur, le pouvoir adjudicateur a l'obligation de verser une indemnité à l'adjudicataire, constitue-t-il un contrat de concession non régi par les dispositions de la directive 92-50 [...] ?

2) En cas de réponse négative à la première question préjudicielle, un recours formé par des participants à une procédure de passation d'un marché public de type mixte, qui prévoit notamment la prestation de services relevant de l'annexe I B de la directive 92-50 [...], recours dans le cadre duquel les requérants invoquent une violation du principe d'égalité de traitement des participants à la procédure de passation du marché (principe confirmé par l'article 3, paragraphe 2, de la directive en question), entre-t-il dans le champ d'application de la directive 89-665 [...] ou une telle application est-elle exclue parce que, conformément aux dispositions de l'article 9 de la directive 92-50 [...], seuls les articles 14 et 16 de cette dernière s'appliquent à la procédure de passation du marché de services susmentionné ?

3) En cas de réponse affirmative à la deuxième question préjudicielle, si l'on considère que n'est pas contraire, en principe, au droit communautaire, en particulier aux dispositions de la directive 89-665 [...], une disposition nationale prévoyant que seul l'ensemble des membres d'un groupement dépourvu de personnalité juridique ayant participé sans succès à une procédure de passation de marché public peut former un recours à l'encontre de l'acte d'adjudication et non ses membres à titre individuel et que cela vaut encore lorsque le recours a été introduit initialement par tous les membres du groupement conjointement, mais qu'il s'est avéré finalement qu'il était irrecevable à l'égard de certains d'entre eux, est-il, en outre, nécessaire, pour déclarer le recours susmentionné irrecevable, d'examiner, quant à l'application de la directive précitée, dans quelle mesure ces membres du groupement conservent après cela, à titre individuel, le droit de réclamer devant une autre juridiction nationale les dommages-intérêts éventuellement prévus par une disposition du droit national ?

4) Lorsque, par une jurisprudence constante, une juridiction nationale a considéré qu'est recevable le recours formé par un membre isolé d'un groupement contre un acte s'inscrivant dans une procédure de passation de marché public, les dispositions de la directive 89-665 [...], interprétée à la lumière de l'article 6 de la [CEDH], en tant que principe général du droit communautaire, permettent-elles de rejeter un recours comme irrecevable, en raison d'une modification de la jurisprudence constante susmentionnée, sans donner préalablement au requérant soit la possibilité de remédier à l'irrecevabilité, soit, en tout cas, la possibilité d'exposer ses positions sur cette question, conformément au principe du contradictoire ?"

Affaire C-149-08

41 La ville de Thessalonique a décidé l'organisation d'une procédure de passation de marché public pour l'adjudication de l'ouvrage intitulé "Construction de la mairie de Thessalonique et d'un parking souterrain". Par décision du 1er juillet 2004 de la commission municipale, le marché a été attribué au groupement constitué des sociétés Aktor ATE, Themeliodomi AE et Domotechniki AE. En vue de la conclusion du contrat, le pouvoir adjudicateur a communiqué à l'ESR, conformément à la réglementation nationale en vigueur, l'identité des personnes ayant la qualité de propriétaire, d'associé, d'actionnaire majeur ou de cadre dirigeant des sociétés membres du groupement susmentionné, afin qu'il soit attesté qu'il n'existe pas, parmi ces personnes, des cas d'incompatibilité relevant de ceux visés à l'article 3 de la loi 3021-2002.

42 Après avoir constaté qu'un membre du conseil d'administration de la société Aktor ATE présentait un cas d'incompatibilité relevant de ceux visés à la disposition nationale susmentionnée, l'ESR, par acte du 1er novembre 2004, a refusé de délivrer le certificat qui aurait constitué une condition nécessaire à la signature du contrat. La réclamation de la société Aktor ATE contre cet acte négatif de l'ESR a été rejetée par décision de ce dernier du 9 novembre 2004. C'est contre ces deux décisions négatives de l'ESR que la société Aktor ATE, seule parmi les trois sociétés composant le groupement auquel a été attribué le marché, a formé un recours en annulation devant la juridiction de renvoi, en se fondant sur la jurisprudence existante de cette dernière qui jugeait recevables les recours formés par des membres d'une association momentanée à titre individuel.

43 Dans ces conditions, le Symvoulio tis Epikrateias, également en formation plénière, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

"1) Si l'on considère que n'est pas contraire, en principe, au droit communautaire, en particulier aux dispositions de la directive 89-665 [...], une disposition nationale prévoyant que seul l'ensemble des membres d'un groupement dépourvu de personnalité juridique ayant participé sans succès à une procédure de passation de marché public peut former un recours à l'encontre de l'acte d'adjudication et non ses membres à titre individuel et que cela vaut encore lorsque le recours a été introduit initialement par tous les membres du groupement conjointement, mais qu'il s'est avéré finalement qu'il était irrecevable à l'égard de certains d'entre eux, est-il, en outre, nécessaire, pour déclarer le recours susmentionné irrecevable, d'examiner, quant à l'application de la directive précitée, dans quelle mesure ces membres du groupement conservent après cela, à titre individuel, le droit de réclamer devant une autre juridiction nationale les dommages-intérêts éventuellement prévus par une disposition du droit national ?

2) Lorsque, par une jurisprudence constante, une juridiction nationale a considéré qu'est recevable le recours formé par un membre isolé d'un groupement contre un acte s'inscrivant dans une procédure de passation de marché public, les dispositions de la directive 89-665 [...], interprétée à la lumière de l'article 6 de la [CEDH], en tant que principe général du droit communautaire, permettent-elles de rejeter un recours comme irrecevable, en raison d'une modification de la jurisprudence constante susmentionnée, sans donner préalablement au requérant soit la possibilité de remédier à l'irrecevabilité, soit, en tout cas, la possibilité d'exposer ses positions sur cette question, conformément au principe du contradictoire ?"

44 Par ordonnance du président de la Cour du 22 mai 2008, les affaires C-145-08 et C-149-08 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l'arrêt.

Sur les questions préjudicielles

Sur les questions posées dans l'affaire C-145-08

45 Par ses questions concernant l'applicabilité de la directive 92-50 à un contrat tel que celui en cause au principal, la juridiction de renvoi cherche à savoir si la directive 89-665 trouve à s'appliquer en l'espèce, étant donné que l'application de celle-ci présuppose l'applicabilité de l'une des directives en matière de marchés publics visées à l'article 1er de cette directive 89-665. Ainsi, il convient d'examiner ces questions conjointement et de déterminer si un tel contrat relève du champ d'application de l'une des directives visées audit article.

46 Il ressort tant des développements détaillés et circonstanciés de la décision de renvoi que de la qualification donnée par la juridiction de renvoi à la transaction en cause au principal que cette dernière constitue un contrat mixte.

47 En effet, celui-ci est constitué, en substance, d'une convention portant sur la cession par ETA de 49 % des actions d'EKP à l'AEAS (ci-après le "volet 'vente d'actions'"), d'une convention aux termes de laquelle l'AEAS assume la gestion de l'entreprise de casino moyennant rémunération (ci-après le "volet 'services'"), et d'une convention en vertu de laquelle l'AEAS s'engage à mettre en œuvre un plan d'amélioration des locaux du casino et des unités hôtelières contiguës ainsi que d'aménagement de l'espace environnant (ci-après le "volet 'travaux'").

48 Il ressort de la jurisprudence de la Cour que, dans le cas d'un contrat mixte dont, aux termes de l'avis de marché, les différents volets sont liés d'une manière inséparable et forment ainsi un tout indivisible, l'opération en cause doit être examinée dans son ensemble de manière unitaire aux fins de sa qualification juridique et doit être appréciée sur la base des règles qui régissent le volet qui constitue l'objet principal ou l'élément prépondérant du contrat (voir, en ce sens, arrêts du 5 décembre 1989, Commission/Italie, C-3-88, Rec. p. 4035, point 19; du 19 avril 1994, Gestión Hotelera Internacional, C-331-92, Rec. p. I-1329, points 23 à 26; du 18 janvier 2007, Auroux e.a., C-220-05, Rec. p. I-385, points 36 et 37; du 21 février 2008, Commission/Italie, C-412-04, Rec. p. I-619, point 47, ainsi que du 29 octobre 2009, Commission/Allemagne, C-536-07, non encore publié au Recueil, points 28, 29, 57 et 61).

49 Cette conclusion est valable indépendamment de la question de savoir si le volet constituant l'objet principal d'un contrat mixte relève ou non du champ d'application des directives en matière de marchés publics.

50 Par conséquent, il convient d'examiner si le contrat mixte en cause au principal constitue un tout indivisible et, le cas échéant, s'il relève dans son ensemble, en raison de son objet principal, de l'une des directives visées à l'article 1er de la directive 89-665, qui régissent les marchés publics.

51 En premier lieu, il convient de relever que ce contrat s'est inscrit dans une opération de privatisation partielle d'une entreprise publique de casino, qui a été décidée par la commission interministérielle compétente au niveau national et a été lancée par un appel d'offres unique.

52 Il ressort du dossier, en particulier des conditions de l'avis supplémentaire publié au mois d'avril 2002, que le contrat mixte en cause au principal se présente comme un contrat unique portant conjointement sur la cession d'actions d'EKP, l'acquisition du droit de désigner la majorité des membres du conseil d'administration d'EKP, l'obligation d'assumer la gestion de l'entreprise de casino et d'offrir des services de haut niveau, financièrement rentables, ainsi que l'obligation d'effectuer des travaux d'aménagement et d'amélioration des lieux concernés ainsi que des terrains avoisinants.

53 Ces constatations traduisent la nécessité de conclure ledit contrat mixte avec un partenaire unique disposant à la fois de la capacité financière nécessaire à l'achat des actions en cause et d'une expérience professionnelle en matière d'exploitation d'un casino.

54 Il s'ensuit que les différents volets de ce contrat doivent être compris comme formant un tout indivisible.

55 En second lieu, il ressort des constatations opérées par la juridiction de renvoi que l'objet principal du contrat mixte était la vente, au mieux-disant, de 49 % des actions d'EKP et que le volet "travaux" de cette transaction ainsi que le volet "services", indépendamment de la question de savoir si ce dernier constitue un marché public de services ou une concession de services, avaient un caractère accessoire par rapport à l'objet principal du contrat. La juridiction de renvoi a également signalé que le volet "travaux" avait un caractère tout à fait accessoire par rapport au volet "services".

56 Cette appréciation est confirmée par les éléments du dossier soumis à la Cour.

57 En effet, il ne peut y avoir de doute que, en cas d'achat de 49 % des actions d'une entreprise publique telle qu'EKP, cette opération constitue l'objet principal du contrat. Il doit être relevé que le revenu que l'AEAS tirerait en tant qu'actionnaire paraît nettement plus important que la rémunération qu'elle obtiendrait en tant que prestataire de services. En outre, l'AEAS tirerait ces revenus sans limitation dans le temps, alors que l'activité de gestion viendrait à échéance au bout de dix ans.

58 Il résulte des considérations qui précèdent que les différents volets du contrat mixte en cause au principal forment un tout indivisible, dont le volet relatif à la cession d'actions constitue l'objet principal.

59 Or, la cession d'actions à un soumissionnaire dans le cadre d'une opération de privatisation d'une entreprise publique ne relève pas des directives en matière de marchés publics.

60 Cela est d'ailleurs pertinemment rappelé au point 66 du livre vert de la Commission sur les partenariats public-privé et le droit communautaire des marchés publics et des concessions [COM(2004) 327 final].

61 La Commission, au point 69 de son Livre vert sur les partenariats public-privé, susmentionné, souligne qu'il faut s'assurer qu'une opération en capital ne masque pas, en réalité, l'attribution à un partenaire privé de contrats pouvant être qualifiés de marchés publics ou de concessions. Toutefois, il n'y a, en l'occurrence, aucun élément dans le dossier susceptible de mettre en doute la nature de la transaction en cause au principal, telle que qualifiée par la juridiction de renvoi.

62 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de conclure qu'un contrat mixte dont l'objet principal est l'acquisition par une entreprise de 49 % du capital d'une entreprise publique et dont l'objet accessoire, indissociablement lié à cet objet principal, porte sur la fourniture de services et l'exécution de travaux ne relève pas, dans son ensemble, du champ d'application des directives en matière de marchés publics.

63 Cette conclusion n'exclut pas qu'un tel contrat doive observer les règles fondamentales et les principes généraux du traité, notamment en matière de liberté d'établissement et de libre circulation des capitaux. Toutefois, il n'y a pas lieu d'aborder en l'occurrence la question du respect desdits règles et principes, étant donné que le résultat d'un tel examen ne pourrait conduire en aucune manière à l'application de la directive 89-665.

64 Dès lors, compte tenu de ce qui précède, il n'y a pas lieu de répondre aux autres questions posées dans le cadre de l'affaire C-145-08.

Sur la première question posée dans l'affaire C-149-08

65 Par cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 89-665 s'oppose à une réglementation nationale, telle qu'interprétée par cette juridiction, conformément à laquelle seul l'ensemble des membres d'une association momentanée soumissionnaire est recevable à former un recours contre la décision d'attribution d'un marché prise par un pouvoir adjudicateur, de sorte que les membres de ladite association, à titre individuel, seraient privés non seulement de la possibilité de faire annuler une telle décision du pouvoir adjudicateur, mais également de la possibilité de demander réparation d'un dommage subi individuellement par suite d'irrégularités survenues dans le cadre de la procédure de passation du marché en cause.

66 Aux fins de répondre à cette question, il importe de constater que l'acte dont l'annulation est demandée devant la juridiction de renvoi émane de l'ESR, à savoir une autorité autre que le pouvoir adjudicateur qui a organisé la procédure de passation du marché public en cause au principal.

67 Or, il ressort des termes de la directive 89-665, communément appelée directive "recours", que la protection voulue par cette dernière concerne les actes ou omissions des pouvoirs adjudicateurs.

68 Ainsi, notamment, il résulte clairement de leur libellé que le cinquième considérant et l'article 1er, paragraphe 1, de cette directive se réfèrent aux mesures à prendre à l'égard des décisions des pouvoirs adjudicateurs. De même, aux termes du paragraphe 3 de cet article, les États membres peuvent prévoir que la personne qui a l'intention d'utiliser une procédure de recours doit préalablement informer le pouvoir adjudicateur de la violation alléguée, afin que ce dernier puisse y remédier. En outre, l'article 3, paragraphe 2, de ladite directive accorde la possibilité à la Commission de notifier au pouvoir adjudicateur concerné les raisons pour lesquelles elle estime que, lors de la procédure de passation d'un marché public, une violation a été commise, et d'en demander la correction.

69 Dès lors, il convient de conclure que les litiges concernant les décisions d'une autorité telle que l'ESR ne relèvent pas du système de recours établi par la directive 89-665.

70 Toutefois, les décisions de l'ESR sont susceptibles d'avoir un impact certain sur le déroulement, voire sur l'issue, d'une procédure de passation d'un marché public, dans la mesure où elles peuvent conduire à l'exclusion d'un soumissionnaire, voire d'un adjudicataire, qui présente à titre individuel l'une ou l'autre des incompatibilités prévues par la réglementation nationale pertinente. Ainsi, ces décisions ne sont pas dénuées d'intérêt au regard de la bonne application du droit de l'Union en la matière.

71 Dans la présente affaire, il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi que la décision de l'ESR, qui a conduit à priver le requérant au principal de l'attribution du marché public en cause alors qu'il avait été désigné comme adjudicataire, aurait, de l'avis dudit requérant, été adoptée en violation de dispositions de la directive 93-37-CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 199, p. 54), ainsi que de principes découlant du droit primaire de l'Union.

72 Or, le requérant au principal soutient que, par l'application de la réglementation nationale litigieuse, il a été empêché non seulement d'attaquer en annulation la décision prétendument illégale de l'ESR, qui a conduit à son exclusion de la procédure en cause au principal, mais aussi de demander une indemnisation pour le préjudice causé par cette décision. Il aurait été, ainsi, privé de son droit à une protection juridictionnelle effective.

73 À cet égard, il convient de rappeler que le principe de protection juridictionnelle effective constitue un principe général du droit de l'Union (voir arrêt du 13 mars 2007, Unibet, C-432-05, Rec. p. I-2271, point 37 et jurisprudence citée).

74 Conformément à une jurisprudence constante, en l'absence de réglementation communautaire en la matière, il appartient à chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l'Union. Ces modalités procédurales ne doivent, toutefois, pas être moins favorables que celles concernant des recours similaires prévus pour la protection des droits tirés de l'ordre juridique interne (principe d'équivalence) et ne doivent pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union (principe d'effectivité) (voir, en ce sens, arrêt du 15 avril 2008, Impact, C-268-06, Rec. p. I-2483, points 44 et 46 ainsi que jurisprudence citée).

75 S'agissant du principe d'équivalence, il ressort des précisions fournies par la juridiction de renvoi que, conformément au droit interne régissant en général l'indemnisation des préjudices causés par des actes illégaux de l'État ou des personnes morales de droit public, le juge compétent en matière d'octroi de dommages-intérêts est également compétent pour contrôler, de manière incidente, la légalité de l'acte administratif faisant grief, ce qui peut conduire, au départ d'une action introduite à titre individuel par un particulier, à l'octroi d'une indemnisation si les conditions de fond prévues à cet effet sont remplies.

76 En revanche, en matière de marchés publics, domaine couvert par le droit de l'Union, ces deux types de compétences, à savoir, d'une part, la compétence d'annuler ou de constater la nullité d'un acte administratif et, d'autre part, la compétence d'accorder réparation du préjudice subi, relèvent, dans le cadre juridique national en cause dans l'affaire au principal, de deux juridictions différentes.

77 Ainsi, dans le domaine des marchés publics, la combinaison de l'article 5, paragraphe 2, de la loi 2522-1997, qui subordonne l'octroi de dommages-intérêts à l'annulation préalable de l'acte faisant grief, et de l'article 47, paragraphe 1, du décret présidentiel 18-1989, suivant lequel seuls tous les membres d'un groupement sont recevables à attaquer en annulation un acte s'inscrivant dans le cadre d'une procédure de passation d'un marché public, conduit, ainsi que le fait observer la juridiction de renvoi, à l'impossibilité pour tout membre d'un groupement, agissant à titre individuel, non seulement d'obtenir l'annulation de l'acte lui faisant grief, mais aussi de s'adresser au juge compétent aux fins de la réparation du préjudice qu'il aurait individuellement subi, alors qu'une telle impossibilité ne semble pas exister dans d'autres domaines, en vertu des règles de droit interne applicables aux demandes d'indemnisation fondées sur un préjudice causé par un acte illégal d'une autorité publique.

78 S'agissant du principe d'effectivité, il y a lieu de constater que, par l'application de la réglementation nationale en cause au principal, un soumissionnaire tel que le requérant au principal se voit privé de toute possibilité de revendiquer, devant le juge compétent, la réparation du préjudice qu'il aurait subi en raison d'une violation du droit de l'Union par un acte administratif susceptible d'avoir influé sur le déroulement et même sur l'issue de la procédure de passation du marché public. Un tel soumissionnaire se trouve ainsi privé de la protection juridictionnelle effective des droits qu'il tire du droit de l'Union en la matière.

79 Ainsi que l'a relevé Mme l'Avocat général aux points 107 à 116 de ses conclusions, il importe, à cet égard, de souligner que le présent contexte diffère de celui de l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Espace Trianon et Sofibail, précité. En effet, tandis que cette dernière affaire portait sur un recours en annulation dirigé contre une décision d'adjudication ayant privé du marché en cause le groupement soumissionnaire dans son ensemble, la présente affaire concerne en fait une demande tendant à obtenir la réparation du préjudice prétendument causé par une décision illégale d'une autorité administrative ayant constaté l'existence d'une incompatibilité, au sens de la réglementation nationale pertinente, dans le chef du seul soumissionnaire requérant.

80 Compte tenu de ce qui précède, il convient de répondre à la première question posée dans l'affaire C-149-08 que le droit de l'Union, en particulier le droit à une protection juridictionnelle effective, s'oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, interprétée en ce sens que les membres d'une association momentanée, soumissionnaire dans une procédure de passation d'un marché public, soient privés de la possibilité de demander, à titre individuel, réparation du préjudice qu'ils auraient individuellement subi par suite d'une décision qui a été adoptée par une autorité, autre que le pouvoir adjudicateur, impliquée dans cette procédure conformément aux règles nationales applicables, et qui est de nature à influer sur le déroulement de celle-ci.

81 Eu égard à cette réponse, il n'y a pas lieu de répondre à la seconde question posée dans le cadre de l'affaire C-149-08.

Sur les dépens

82 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs, LA COUR (quatrième chambre) dit pour droit :

1) Un contrat mixte dont l'objet principal est l'acquisition par une entreprise de 49 % du capital d'une entreprise publique et dont l'objet accessoire, indissociablement lié à cet objet principal, porte sur la fourniture de services et l'exécution de travaux ne relève pas, dans son ensemble, du champ d'application des directives en matière de marchés publics.

2) Le droit de l'Union, en particulier le droit à une protection juridictionnelle effective, s'oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, interprétée en ce sens que les membres d'une association momentanée, soumissionnaire dans une procédure de passation d'un marché public, soient privés de la possibilité de demander, à titre individuel, réparation du préjudice qu'ils auraient individuellement subi par suite d'une décision qui a été adoptée par une autorité, autre que le pouvoir adjudicateur, impliquée dans cette procédure conformément aux règles nationales applicables, et qui est de nature à influer sur le déroulement de celle-ci.