CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 5 mars 2008, n° 07-05479
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
International Esthétique (SAS)
Défendeur :
Atlantic Beauty (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Verde de Lisle
Conseillers :
MM. Belières, Coleno
Avoués :
SCP Dessart-Sorel-Dessart, SCP Boyer-Lescat-Merle
Avocats :
SCP Deschamps Meyer, associés, SCP Peyrelongue, Kapellhoff-Lancon Ducoprs, Asencio, Babin, Roger
La société Internationale Esthétique a relevé appel le 8 novembre 2007 du jugement rendu le 8 octobre 2007 par le Tribunal de commerce de Toulouse qui l'a déboutée de ses demandes, qui a prononcé la nullité du contrat de franchise du 10 juin 2004, qui l'a condamnée à payer à la société Atlantic Beauty la somme de 86 150,13 euro versée au titre du contrat, la somme de 45 000 euro à titre de dommages et intérêts, la somme de 3 000 euro pour frais irrépétibles. L'exécution provisoire a été prononcée. Autorisée par ordonnance du 27 novembre 2007, la société Internationale Esthétique a assigné la société Atlantic Beauty à jour fixe.
M. et Mme Ouamara ont créé la société Atlantic Beauty pour exploiter un institut de beauté dans le cadre d'un contrat de franchise avec la société Internationale Esthétique titulaire de la marque Epil Center devenue Esthétic Center. L'exploitation a commencé en juin 2004 et elle a généré au bout de 6 mois un déficit conséquent. La société Atlantic Beauty a proposé d'autres services que ceux figurant au contrat de franchise, elle a cessé de pratiquer selon les méthodes préconisées par la société Internationale Esthétique puis elle a mis en cause le contenu des informations et du savoir-faire du franchiseur. Elle a saisi le tribunal qui a rendu le jugement dont appel.
La société Internationale Esthétique vante les qualités de son dirigeant et l'essor de son réseau et elle reproche à la société Atlantic Beauty de n'avoir pas suivi ses préconisations notamment en matière de publicité. Elle fait valoir qu'en 2005 la société Atlantic Beauty a connu des résultats satisfaisants. Elle argumente sur son savoir-faire et elle fait référence au succès de la franchise "La boîte à pizza" qui appartient à son dirigeant M. Lallement. Elle critique la présentation des chiffres effectuée par la société Atlantic Beauty quant aux prévisions de chiffre d'affaires, elle observe qu'elle n'a pas d'obligation de résultat à ce titre, elle soutient que d'autres membres du réseau ont atteint ou dépassé les chiffres prévus.
Sur les dissimulations reprochées par la société Atlantic Beauty, la société Internationale Esthétique conteste soit leur réalité, soit qu'elles aient pu jouer un rôle dans le consentement du futur franchisé.
Elle critique enfin les éléments du préjudice allégué par les intimés et elle forme un appel incident pour avoir paiement de factures et d'une indemnité de rupture.
La société Internationale Esthétique conclut à l'infirmation du jugement, au débouté des prétentions de la société Atlantic Beauty, au paiement de 12 392,84 euro pour des factures impayées, à la résiliation du contrat de franchise aux torts de société Atlantic Beauty, au paiement de 80 730 euro à titre de dommages et intérêts, au paiement de 8 000 euro pour frais irrépétibles, à la distraction des dépens au profit de la SCP Dessart Sorel Dessart.
La société Atlantic Beauty expose que le 13 février 2004 les époux Ouamara ont signé un contrat de réservation de zone et ils ont versé la somme de 9 500 euro HT, que le même jour il a été remis le document d'information précontractuelle (DIP), que le contrat de franchise a été signé le 10 juin 2004 pour une durée de 9 années dans une zone définie avec l'obligation pour le franchisé de payer une redevance et de faire des investissements, que le 10 juin il leur a été demandé de signer un contrat de réservation de zone antidaté portant la mention que le DIP aurait été remis le 12 janvier 2004.
La société Atlantic Beauty prétend s'être conformée aux recommandations du franchiseur, avoir découvert que le savoir-faire était inexistant et les prévisions de chiffre d'affaires largement surévaluées, avoir subi un déficit de 32 000 euro, s'être alors orientée vers un autre fonctionnement ce qui lui a valu d'être sur une liste avec la mention " à exclure du réseau ". Elle reprend sa demande en nullité du contrat de franchise pour dol, elle invoque la défaillance de la société Internationale Esthétique dans son obligation de renseignement, un savoir-faire inexistant, la liquidation judiciaire du premier réseau de Boîte à pizza de M. Lallement, des prévisions financières grossièrement surévaluées, la progression de son chiffre d'affaires quand elle a abandonné les méthodes de la société Internationale Esthétique.
Elle observe que le DIP dans sa version 2005 prévoit un chiffre d'affaires revu à la baisse. Elle se plaint d'une présentation mensongère du réseau en ce que le magasin présenté comme le magasin pilote d'Epil Center a été déclaré en liquidation judiciaire par jugement du 12 novembre 2003 ce qui lui a été dissimulé alors qu'il s'agit d'une information déterminante, elle fait état de nombre de franchisés dans une situation critique, elle expose que M. Lallement a fait l'objet d'une faillite personnelle avec interdiction de gérer pendant 5 ans et que le secteur pour lequel elle s'est engagée connaissait déjà un magasin concurrent dont la société Internationale Esthétique connaissait l'existence et elle a omis de lui donner ce renseignement.
Elle se plaint d'une information déloyale qui a vicié son consentement.
Elle évoque le préjudice résultant de ce qu'elle est mentionnée défavorablement sur une liste des membres du réseau et elle critique les factures dont il est demandé paiement. La société Atlantic Beauty conclut à la confirmation du jugement sauf à élever le montant des dommages et intérêts à 150 000 euro. Elle sollicite 3 000 euro pour frais irrépétibles et la distraction des dépens au profit de la SCP Boyer Lescat Merle.
Les débats ont au lieu le 7 février 2008.
La société Atlantic Beauty se plaint que la société Internationale Esthétique ait produit in extremis, le 31 janvier 2008, les pièces 103 à 109 étant précisé que la pièce 103 comporte 10 pages. Elle se plaint que le 5 février 2008, deux jours avant l'audience, la société Internationale Esthétique ait communiqué une pièce n° 110. Elle sollicite que ces pièces soient toutes écartées des débats. La société Internationale Esthétique s'y oppose.
Sur quoi
Attendu que la procédure à jour fixe doit respecter le caractère contradictoire des débats ; que les pièces 103 à 109 ont été communiquées une semaine avant l'audience et la société Atlantic Beauty n'indique pas en quoi elle n'a pu y répondre alors que précisément elle y a répondu par sa pièce 154 communiquée le jour de l'audience ; que la pièce n° 110 communiquée le 5 février 2008 correspond à une pièce 11 communiquée par la société Atlantic Beauty elle-même de sorte qu'elle la connaissait parfaitement ; que le caractère contradictoire de la procédure, laquelle permet des observations orales à l'audience, a été respecté;
Attendu que l'article L. 330-3 du Code de commerce impose au franchiseur de donner au candidat à la franchise, avant la signature du contrat, une information complète et sincère qui lui permette de s'engager en connaissance de cause ; qu'en outre aucune remise de somme ne doit intervenir moins de vingt jours après l'information ;
Attendu qu'il est constant que la société Atlantic Beauty a remis à la société Internationale Esthétique la somme de 9 500 euro le 13 février 2004 jour de communication du DIP établi le 15 septembre 2003 ; que la société Internationale Esthétique a enfreint l'article L. 330-3 précité ; que toutefois la société Atlantic Beauty a accepté d'antidater le document de sorte que son consentement n'a pas été surpris;
Attendu en effet que le contrat de franchise n'encourt la nullité que si l'information incomplète ou insincère a vicié le consentement du franchisé ; que cette appréciation doit se faire à la signature du contrat en l'occurrence le 10 juin 2004;
Attendu qu'il est établi :
- que le DIP remis par la société Internationale Esthétique mentionne l'ouverture du magasin pilote Epil Center à Pessac en 1998; qu'en réalité ce magasin a été déclaré en liquidation judiciaire par jugement du 12 novembre 2003 ; que si la liquidation n'était pas connue au 15 septembre 2003 date d'édition du DIP, il n'en demeure pas moins que la société Internationale Esthétique connaissait cet événement quand elle a remis le DIP le 13 février 2004 ; qu'ainsi elle a dissimulé à la société Atlantic Beauty une information d'une extrême importance pour la personne qui envisage l'affiliation à un réseau ; que le DIP, censé donner tous renseignements sur le réseau, omet par ailleurs de faire connaître que des magasins du réseau font l'objet d'une procédure collective et que d'autres ont des capitaux propres négatifs ; qu'une partie seulement de ces pertes étaient connues lors de la signature du contrat de franchise de juin 2004 mais ces éléments (pièces 17 à 38 de la société Atlantic Beauty) démontrent que nombre de franchisés du réseau connaissaient des difficultés financières ce qui n'apparaît nullement dans le DIP remis à la société Atlantic Beauty; que si des magasins réussissent dans la franchise Epil Center, il importe au moins autant pour le candidat de savoir que d'autres sont en grandes difficultés ; qu'il n'est pas non plus sans importance pour le candidat à la franchise de savoir que M. Lallement, dirigeant de la société Internationale Esthétique, a fait l'objet d'une condamnation pour faillite personnelle d'une durée de 5 ans (arrêt de la cour d'appel de Poitiers du 29 juin 1999 pour des faits remontant à 1993);
- que le DIP présente un compte de résultat portant un chiffre d'affaires de 172 200 euro la première année avec un résultat net avant impôt de 37 395 euro ; que pourtant l'activité exercée à compter du 17 juin 2004 conformément aux prescriptions du franchiseur (comptes rendus du 1 et du 29 septembre 2004) génère un déficit de 32 000 euro au 31 décembre 2004; que si par la suite le chiffre d'affaires s'est redressé, c'est avec d'autres pratiques que celles préconisées par la société Internationale Esthétique; que pour les 8 premiers mois d'exercice la société Atlantic Beauty a réalisé un chiffre d'affaires de 53 207,80 euro alors qu'il était prévu 114 800 euro soit une différence de 53,7 % ; que le reproche adressé par la société Internationale Esthétique à la société Atlantic Beauty d'avoir refusé d'effectuer de la publicité au lancement du magasin est mal fondé d'une part en ce que le contrat de franchise n'oblige pas le franchisé à faire de la publicité pendant le premier semestre de lancement (article 10.2.3 du contrat), d'autre part en ce que la société Atlantic Beauty a réellement fait de la publicité pour 3 431,74 euro à son premier exercice ; que par ailleurs les critiques opérées par la société Internationale Esthétique sur le chiffre d'affaires réalisé par la société Atlantic Beauty et imputant à celle-ci des minorations de chiffres sont inexactes car fondées sur des données fausses (ainsi il est additionné les ventes et les abonnements alors que les abonnements sont compris dans les ventes) ; qu'en toute hypothèse, si le franchiseur n'a qu'une obligation de moyens, ses prévisions de résultat doivent être prudentes et réalistes car une information sérieuse sur l'espérance de gain est déterminante pour le consentement du franchisé;
Attendu que les éléments qui précèdent justifient la nullité du contrat pour dol sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs exposés par la société Atlantic Beauty;
Attendu que la nullité entraîne la restitution des sommes versées [à] la société Internationale Esthétique pour appartenir au réseau Epil Center soit le contrat de réservation de zone (11 362 euro), les travaux d'enseigne, de vitrines et de signalisation (3 420,19 euro), les redevances acquittées (7 740,24 euro), les frais de publicité (3 760,45 euro) ; que par contre les sommes de 41 457,56 euro correspondant à du linge ou des matériels ainsi que la somme de 18 409,69 euro qui correspond à des travaux d'aménagement et de décoration continuent de bénéficier à la société Atlantic Beauty et n'ont pas lieu d'être restituées; que la société Internationale Esthétique devra donc rembourser à la société Atlantic Beauty la somme de 26 282,88 euro;
Attendu, sur les factures demandées par la société Internationale Esthétique pour 12 392,84 euro, que la société Atlantic Beauty conteste celle de 1 552,71 euro, celle de 671,81 euro, celle de 941,85 euro, celle de 358,80 euro, celle de 1 485 euro, la première pour porter sur des prestations indues, les autres pour ne pas les avoir reçues et ignorer leur objet; que la société Internationale Esthétique se contente de mentionner qu'il s'agit de factures sans détailler les prestations de sorte que sa créance n'est pas établie ; qu'en outre partie des factures aurait pour objet des redevances qui n'ont pas lieu d'être acquittées puisque le contrat est annulée ; que la demande en paiement de factures sera rejetée;
Attendu, sur la demande indemnitaire que la société Atlantic Beauty a été induite en erreur dans son expérience de franchise et que son projet a dû être très sensiblement révisé ; que cependant les risques ont été surmontés et l'installation de la société Atlantic Beauty est devenue rentable et satisfaisante ; que le préjudice doit être apprécié en conséquence et il sera fixé à la somme de 30 000 euro;
Attendu qu'il sera alloué 3 000 euro pour frais irrépétibles;
Par ces motifs, Déboute la société Atlantic Beauty de sa demande de rejet des pièces 103 à 110 inclus de la société Internationale Esthétique ; Confirme le jugement déféré sauf à réduire à vingt six mille deux cent quatre-vingt deux euro vingt huit centimes (26 282,88 euro) la somme à rembourser par la société Internationale Esthétique au titre du contrat et à réduire à trente mille euro (30 000 euro) le montant des dommages et intérêts à verser par la société Internationale Esthétique à la société Atlantic Beauty ; Y ajoutant, Condamne la société Internationale Esthétique à payer à la société Atlantic Beauty trois mille euro (3 000 euro) pour frais d'appel irrépétibles ; Condamne la société Internationale Esthétique aux dépens. Autorise la SCP Boyer Lescat Merle à faire application de l'article 699 du Code de procédure civile.