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Décisions

CA Orléans, ch. com., économique et financière, 26 mars 2009, n° 08-01559

ORLÉANS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Mridul Enterprises (Sté)

Défendeur :

Les Jolies Céramiques sans Kaolin (SA), Emaux et mosaïques (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Remery

Conseillers :

MM. Garnier, Monge

Avoués :

SCP Desplanques-Devauchelle, Me Garnier

Avocats :

Mes Augros, Hery

T. com. Montargis, du 4 avr. 2008

4 avril 2008

Exposé :

La cour statue sur l'appel interjeté le 27 mai 2008 par la société de droit indien Mridul Enterprises (la société Mridul) contre le jugement du Tribunal de commerce de Montargis du 4 avril 2008 qui, statuant sous le bénéfice de l'exécution provisoire, l'a condamnée pour concurrence déloyale à payer à chacune des sociétés Les Jolies Céramiques sans Kaolin (ci-après: la société Céramiques) et Émaux & Mosaïques (ci-après : la société Emaux) les sommes de 15 000 euro de dommages et intérêts pour trouble commercial, 5 000 euro au titre de leur perte de gains, 20 000 euro au titre de la prise en compte de leurs investissements et 25 000 euro au titre de l'atteinte à leur image de marque et notoriété; qui l'a condamnée sous astreinte de 1 000 euro par infraction à cesser sous quinzaine d'identifier ses gammes de produits sous les noms "Symphony" et "Lyrics", de présenter ses produits selon une structure de prix regroupant dans chaque catégorie les mêmes couleurs que celles commercialisées par lesdites sociétés Céramiques et Emaux, de commercialiser ses émaux selon le même nombre de couleurs par groupe de couleurs et sous des noms similaires, sur des panneaux mains ou tous autres supports dont des catalogues ; qui a ordonné la publication de cette décision dans deux journaux en France au choix des demanderesses et aux frais de Mridul dans la limite d'un coût de 2 000 euro HT par insertion ; qui a débouté la société Mridul de ses prétentions reconventionnelles et qui l'a condamnée à verser une indemnité de procédure de 25 000 euro à chacune des sociétés Céramiques et Emaux.

Pour l'exposé complet des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé à la décision déférée, à l'arrêt rendu par cette cour le 6 mai 2003 et aux dernières conclusions des plaideurs, signifiées et déposées

* le 4 février 2009 par la société Mridul

* le 23 janvier 2009 par la société Céramiques et la société Emaux.

Dans le présent arrêt, il sera seulement rappelé que la société Emaux, dont le siège est établi à Briare (Loiret), fabrique des émaux, céramiques et mosaïques qui sont commercialisés sous le nom commercial d' "Émaux de Briare" soit par elle-même soit par la société Céramiques, établie à Paris, agissant comme distributeur ou agent; que les sociétés Céramiques et Emaux ont fait assigner devant le Tribunal de commerce de Montargis sur le fondement de la concurrence déloyale d'une part, la société Mridul par acte du 20 juin 2002 en lui reprochant d'avoir capté les procédés de fabrication et d'imiter servilement les Émaux de Briare, et d'autre part la même société Mridul ainsi que la société de droit anglais Trademark Tiles en leur reprochant d'imiter leurs procédés de commercialisation ; qu'aux termes d'un jugement unique du 24 janvier 2003, la juridiction consulaire s'est déclarée incompétente pour connaître de ces deux instances et a renvoyé les demanderesses à se mieux pourvoir ; que saisie d'un contredit, cette cour, par arrêt du 6 mai 2003, a confirmé ce jugement s'agissant de l'incompétence prononcée pour connaître des demandes dirigées contre Trademark Tiles, et s'agissant de Mridul a dit que la faute alléguée ayant consisté, le cas échéant, de sa part à s'être appropriée le savoir-faire des sociétés Céramiques et Emaux n'avait pas été commise en France, a dit en conséquence que le Tribunal de commerce de Montargis était compétent sur le fondement de l'article 46 alinéa 3 du Code de procédure civile mais seulement pour connaître de la seule partie du dommage réalisée sur le territoire français, notamment par la voie d'une diffusion sur le réseau Internet, l'a dit compétent pour connaître de tout le dommage, aux choix des demanderesses, mais sur le seul fondement de l'article 14 du Code civil français et dans cette mesure a renvoyé l'affaire audit Tribunal de commerce de Montargis ; que par jugement du 4 mars 2005, celui-ci a débouté la société Mridul de sa demande de jonction entre la présente instance en concurrence déloyale portant sur la commercialisation des Émaux de Briare et celle portant sur leur fabrication, étant précisé que par jugement distinct, cette même juridiction consulaire sursoyait à statuer dans l'autre instance en raison d'une procédure pénale en cours devant le Tribunal de grande instance de Montargis pour, notamment, divulgation de secrets de fabrique, vol de documents et abus de confiance.

C'est dans ces conditions qu'est intervenu le jugement entrepris, dont le délégué du Premier Président a par ordonnance du 16 décembre 2008 rejeté la demande d'arrêt de l'exécution provisoire.

La société Mridul, qui sollicite 20 000 euro d'indemnité de procédure, demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande adverse d'indemnisation au titre de propos prétendument diffamatoires mais de l'infirmer pour le surplus, au principal en déclarant la société Emaux et la société Céramiques irrecevables en leur action faute d'intérêt et de qualité pour ce faire, la première parce qu'elle n'est en charge que de la production et n'a aucune activité dans la commercialisation ici seule en cause, et la seconde parce que l'unique préjudice allégué concerne le Royaume-Uni, où elle ne vend pas directement, seuls y intervenant des distributeurs indépendants tels Waxman Ceramics.

À titre subsidiaire, l'appelante demande à la cour de juger que le droit français n'est pas applicable au litige, dans la mesure où la distinction entre les dommages relevant de l'article 14 du Code civil et ceux relevant de l'article 46 du Code de procédure civile à laquelle il convient de procéder en application de l'arrêt du 6 mai 2003 conduit à constater d'une part, qu'aucun dommage résultant du site Internet de Mridul n'a pu survenir en France car il s'agit d'un site passif ne permettant pas de passer commande, et que s'agissant des autres dommages, il n'existe aucune preuve qu'il en ait existé en France, où Mridul ne commercialise absolument pas ses produits et où elle n'a ni agent ni distributeur, l'appelante indiquant à cet égard, notamment, que la saisie-contrefaçon pratiquée à la requête des intimées n'est pas probante, que les procès-verbaux de constat d'huissier qu'elles invoquent ne sont pas réguliers et que pour le surplus elle-même n'a pas à répondre d'initiatives personnelles qui ont pu être prises par certaines personnes avec lesquelles elle s'est trouvée en contact, et elle en déduit que la cour, infirmant le jugement, devra faire application soit du droit anglais puisque le dommage allégué concerne exclusivement la Grande-Bretagne, et débouter alors les intimées de toutes leurs prétentions en vertu des principes anglais relatifs au "passing off", qui excluent toute concurrence déloyale en l'espèce, soit de la loi indienne, pays du fait générateur du prétendu dommage, au vu de laquelle les demandes ne peuvent pas non plus aboutir.

Pour le cas où la cour estimerait cependant le droit français applicable, la société Mridul conclut pareillement au rejet des prétentions adverses en soutenant, en substance, que la méthode de commercialisation invoquée ne présente ni antériorité ni originalité, et qu'il n'existe aucun risque de confusion en présence de présentations banales et usuelles, en raison du fait que le marché pertinent à considérer est celui de professionnels à l'attention nécessairement soutenue, en raison de ce que sa marque était systématiquement apposée, de l'écart systématique de prix et des différences ente les gammes de prix, et également de la dissemblance des dénominations respectives des mosaïques, les quelques similitudes citées relevant d'effets de mode ou du caractère récurrent du recours à une thématique musicale pour ce type de produits.

Elle objecte encore plus subsidiairement qu'aucun préjudice n'est démontré, celui qui est invoqué n'étant qu'éventuel et d'ailleurs exclu faute de risque de confusion ; que les pertes ou les gains manqués n'ont pas de cause certaine rattachable aux faits de l'espèce, d'autant qu'il s'agit d'un secteur très concurrentiel dont témoignent l'histoire tourmentée des intimées ; que les pièces comptables produites ne sont pas probantes, que la société Céramiques ne justifie d'aucune dépense créative et que la demande au titre d'une atteinte prétendue à l'image de marque procède d'une confusion avec la marque Émaux de Briare, qui n'est pas en cause.

À titre extrêmement subsidiaire, elle conclut à une minoration des indemnités mises à sa charge et conteste l'utilité d'une astreinte et d'une publication de la décision.

Enfin, elle demande à la cour de condamner la société Emaux et la société Céramiques d'une part, à lui verser 1 euro de dommages et intérêts en raison des allégations diffamatoires que contiennent leurs conclusions, et d'autre part les sommes de 6 000 000 euro pour procédure abusive et de 500 000 euro pour dénigrement, en leur reprochant d'avoir intimidé ses partenaires commerciaux en la présentant comme coupable de comportements prohibés au point d'aboutir à la fermeture de son site de production, avec un important préjudice liés aux coûts de licenciement du personnel, aux gains manqués, à l'inutilité d'importantes dépenses d'investissements et de publicité, ainsi qu'aux pertes sur le projet.

La société Emaux et la société Céramiques, qui réclament chacune 30 000 euro d'indemnité de procédure, concluent à la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu le principe d'agissements constitutifs de concurrence déloyale, en ce qu'il a recouru à astreinte et à publication de la décision et en ce qu'il a rejeté l'ensemble des prétentions reconventionnelles de Mridul, mais en sollicitent l'infirmation quant au rejet de leur propre demande de dommages et intérêts pour l'euro symbolique du fait des allégations diffamatoires proférées à leur encontre et quant au montant des dédommagements alloués en réparation des faits de concurrence déloyale, au titre desquels elles demandent chacune 25 000 euro pour le trouble commercial, 20 000 euro pour le gain manqué et 1 000 000 euro pour l'atteinte à leur image de marque et à leur notoriété, sollicitant aussi au titre des investissements dont Mridul a fautivement fait l'économie 275 000 euro s'agissant d'Emaux et 125 000 euro s'agissant de Céramiques, outre un coût de publication de l'arrêt porté à 4 000 euro HT par insertion frais de traduction jurée en sus avec possibilité de choisir un ou deux journaux à l'étranger.

En réponse aux moyens adverses, les intimées font valoir, en substance,

- que la juridiction française a pleine compétence pour statuer sur le préjudice qu'elles subissent en France et sur celui subi dans le reste du monde

- qu'elles sont l'une et l'autre parfaitement recevable à agir puisqu'elles commercialisent toutes deux des Émaux de Briare

- qu'elles n'invoquent ni monopole ni droit privatif mais des faits de concurrence déloyale dont la preuve résulte d'un faisceau d'indices et de l'impression d'ensemble ressentie par un consommateur d'attention moyenne

- que le droit français est bien applicable à cette action quasi-délictuelle, dès lors que le préjudice est subi au siège social des intimées et que l'une des fautes commises par Mridul est localisée en France, en l'occurrence la reproduction des présentations fautives sur le site Web visitable depuis la France

- qu'en outre, le droit français est aussi applicable en raison de la vocation générale et subsidiaire du droit du For saisi à s'appliquer pour éviter le morcellement de l'action entre diverses législations

- qu'en l'espèce, les procès-verbaux réguliers et probants de saisie-contrefaçon et de constat d'huissier établissent d'une part, qu'il est possible de passer commande auprès de Mridul à partir de la page "order form" de son site Internet - dont la rédaction en anglais n'est pas un obstacle pour les professionnels qui constituent l'essentiel de la clientèle visée - et d'autre part que Mridul et son distributeur Vitrail Technical faisaient réaliser en France des panneaux et instruments de commercialisation imitant ceux des sociétés Emaux et Céramiques et entendaient y commercialiser les produits Mridul

- qu'elles démontrent la réalité du risque de confusion créé par les agissements de Mridul, puisque celle-ci a imité la structure des collections de leurs produits "Harmonie" et "Mazurka" en copiant la structure des gammes de couleur, les références et la structure de prix de ces deux collections, puisqu'elle a imité la méthode de présentation, le nom des collections et le nom des produits, et enfin parce qu'elle a copié leur support de présentation, tant au niveau de la taille que des couleurs, du format et même de la présentation générale du "panneau-main" qu'elles utilisaient

- que s'il a pu arriver qu'un concurrent s'inspire de tel ou tel élément d'identification de leur panneau-main, Mridul est la seule à en avoir repris l'intégralité des signes distinctifs

- qu'elles s'en sont trouvées réduites à devoir se démarquer de Mridul en modifiant à plusieurs reprises la présentation de leur panneau-main imité, pour se différencier d'elle alors même que c'est elles-mêmes qui étaient copiées

- que le fait que Mridul ait en dernier lieu modifié son propre panneau pour en adopter un réellement différent démontre bien que cette copie ne résultait nullement d'une nécessité, contrairement à ce qu'elle soutenait, mais bien de sa seule volonté d'imitation

- que leur préjudice est justifié par des pièces et attestations comptables et s'avère supérieur à ce qu'ont retenu les premiers juges

- qu'elles n'ont rien écrit de diffamatoire en indiquant que l'appelante s'est livrée à des actes de commercialisation en France

- qu'elles ont en revanche été diffamées par la société Mridul, lorsque celle-ci accuse leur dirigeant d'espionnage industriel et leur impute clairement la falsification d'une pièce ou à tout le moins l'usage délibéré d'une pièce falsifiée

- qu'elles n'ont commis aucune faute en adressant une mise en garde à l'un des distributeurs de Mridul au Royaume-Uni, et qu'en tout état de cause cette démarche ne peut être à l'origine des conséquences et préjudices dont argue l'appelante.

L'instruction a été clôturée par une ordonnance du 3 février 2009, ainsi que les avoués des parties en ont été avisés.

A l'issue des débats, le Président d'audience a indiqué aux parties que l'arrêt serait prononcé le 26 mars 2009, par sa mise à disposition au greffe de la cour.

Motifs de l'arrêt:

* Sur la recevabilité à agir des sociétés Céramiques et Emaux

Attendu que c'est à bon droit que les premiers juges ont dit que la société Emaux et la société Céramiques étaient recevables à agir contre la société Mridul sur le fondement d'une concurrence déloyale commise dans la commercialisation de ses mosaïques, puisqu'elles justifient bien l'une et l'autre commercialiser des émaux de Briare, la société Emaux en sa qualité de fabricant vendant sa production et la société Céramiques comme agent commercial dont plusieurs factures sont versées aux débats (pièces n° 128 et 127/1 à 9);

* Sur le droit applicable au litige

Attendu que la société Mridul n'est pas fondée à soutenir que le litige est régi par la loi anglaise ou subsidiairement indienne, dès lors que la France doit être regardée comme le lieu du fait dommageable;

Attendu en effet qu'ainsi que déjà relevé par cette cour dans son arrêt du 6 mai 2003 et retenu par les premiers juges dans la décision querellée, il est démontré que Mridul diffuse en France à partir de son site Internet, certes hébergé en Inde mais accessible en tous points du territoire français, le catalogue de ses mosaïques dont certaines caractéristiques de présentation sont incriminées par les intimées comme constitutives d'une copie servile ou quasi servile des leurs; que cette seule possibilité de consultation suffit déjà à caractériser un dommage subi en France, puisqu'une clientèle potentielle pour ces émaux, composée tant de professionnels que de particuliers, est ainsi atteinte par ce procédé d'information commerciale et susceptible d'être victime de la confusion dénoncée ; qu'au surplus, ce site offre la faculté de passer une commande directe auprès de Mridul au moyen d'un bon de commande ("order") qui contient toutes les rubriques requises pour une commande ferme, notamment au titre de l'identification complète de l'acheteur, de la désignation du modèle choisi et des quantités désirées, la circonstance que le paiement ne puisse prétendument pas être opéré sur le champ ne retirant rien à la réalité de cette faculté, d'autant qu'il est usuel que les commandes soient payables à réception voire à terme plus éloigné qu'est pareillement sans incidence sur cette réalité le fait que ce site recoure à la langue anglaise et à des unités de mesure anglo-saxonnes, ce qui est le cas de nombre de sites commerciaux et ne peut constituer un obstacle significatif pour un utilisateur du site désireux de passer commande ; qu'enfin, et contrairement à ce que soutient l'appelante, la preuve de l'existence et des caractéristiques de ce site Internet est valablement rapportée par les intimées au moyen du procès-verbal de constat dressé le 18 juin 2002 (pièce n° 14 bis) par un huissier dont la relation de la méthode permet de s'assurer qu'il a régulièrement accédé sur son propre matériel informatique au moyen du logiciel Internet Explorer au site http://www.mridul.com puis à la rubrique "Mridul Mosaic Tiles" sur laquelle figure ce bon de commande, l'appelante ne contestant au demeurant pas la réalité de cette mise en ligne de ses catalogues sur un site accessible en France, non plus que celle d'un bon de commande dont elle discute (cf page 41) au contraire le caractère actif ou passif;

Qu'en outre, la saisie contrefaçon (pièce n° 109 des intimées) pratiquée le 23 août 2006, établit la présence sur le territoire français, à cette époque, d'échantillons des mosaïques de Mridul, c'est-à-dire de supports de commercialisation des produits litigieux;

Qu'enfin, la société Emaux et la société Céramiques ayant l'une et l'autre leur siège en France, c'est là que se situe le lieu de réalisation du dommage dont elles sollicitent réparation, qu'il s'agisse de leur trouble commercial, de leurs pertes ou gains manqués, de l'atteinte à leur image ou de leurs dépenses d'investissements exposées pour contrer les agissements incriminés;

* Sur la réalité de la concurrence déloyale imputée à Mridul

Attendu que Mridul verse elle-même (sa pièce n° 7) un présentoir de la gamme "Harmonies" d'Émaux de Briare contenant une mention invitant à se référer au "tarif 1995" et ne produit quant à elle aucune pièce personnelle antérieure à cette date ; que l'antériorité des intimées dans l'utilisation des procédés litigieux de présentation, de commercialisation et de tarification de ces émaux est donc avérée;

Attendu ensuite que les considérations tirées par Mridul d'un prétendu défaut d'originalité de ces procédés sont inopérantes en la cause, l'originalité du produit ou de la technique imités n'étant pas une condition de l'action en concurrence déloyale;

Qu'il en va de même de ses objections tirées de l'absence d'exclusivité ou d'un défaut de recours aux règles du droit des marques, que les intimées n'ont jamais revendiquées, l'action en concurrence déloyale pouvant en tout état de cause être exercée même par celui qui ne peut se prévaloir d'un droit privatif;

Attendu que la faute reprochée à la société Mridul par les sociétés Céramiques et que la société Emaux consiste à avoir reproduit servilement ou quasi servilement les méthodes de promotion et de présentation des gammes "Harmonies" et "Mazurka" qu'elles-mêmes commercialisent;

Or attendu que de fait, l'impression d'ensemble dégagée par la totalité des ressemblances constatées dans la présentation des produits en cause est celle d'une grande similitude et ce, malgré la présence respective des marques "Mridul" et "Émaux de Briare";

Attendu en effet (cf pièces n° 5 à 8 des intimées) que la société Mridul décline sa collection de mosaïques en 32 teintes s'agissant de sa gamme "Symphony" et 28 quant à sa gamme "Lyrics", soit exactement le même nombre que les collections "Harmonies" et "Mazurka" vendues par les intimées;

Que ces deux gammes présentent exactement les mêmes teintes que celles commercialisées par la société Céramiques et la société Emaux, alors pourtant que chacune de ces teintes constitue un assemblage original de couleurs, et que leur nombre et leur déclinaison en une collection de mosaïques n'obéissent à aucune nécessité mais résultent d'un choix arbitraire, ainsi qu'en persuade en tant que de besoin l'examen des gammes d'autres concurrents, qui révèle que les présentations d'émaux se font par collections très différentes tant pour ce qui est du nombre de pièces que des nuances de teintes (40 ; 25 ; 64 ; 57 ; 44 ; 79,...);

Que la similitude est accentuée par la quasi identité de format des émaux considérés, ceux commercialisés par les intimées étant des carrés de 25 mm de côté et ceux de Mridul des carrés de 24 mm, étant relevé que les intimés justifient de l'existence d'autres formats d'émaux chez certains concurrents tels Bisazza ou Sicis, soit 12 et 15 mm;

Attendu que de même, la structure de prix en trois niveaux des mosaïques proposées par Mridul reproduit à l'identique celle des émaux vendus par les intimées, alors que pareillement elle procède d'une politique tarifaire arbitraire dont les productions démontrent qu'elle n'est ni induite par les coûts de fabrication, ni pratiquée par la plupart de leurs concurrents;

Attendu encore que tout comme les intimées, la société Mridul a adopté des noms de collections pour présenter ses produits et, dans chaque collection, un nom de fantaisie pour chaque teinte, alors que les pièces produites permettent de vérifier que les autres entreprises concurrentes citées par les parties commercialisent leurs mosaïques soit sous de simples références en lettres, initiales ou chiffres (cf. pièces 34, 36, 37, 38), soit par des désignations uniquement évocatrices de leurs spécificités techniques telles leur aspect brillant ou satiné;

Que bien plus, le registre, pourtant arbitraire, auquel a recouru la société Mridul pour désigner les collections et les teintes des deux gammes litigieuses de mosaïques qu'elle commercialise se trouve être le même que celui utilisé par les intimées pour désigner les leurs;

Qu'ainsi, au registre musical "Harmonies" et "Mazurka" utilisé pour les collections des sociétés Céramiques et Emaux répond "Symphony" et "Lyrics" pour celles de l'appelante, étant même précisé que les intimées justifient (pièces n° 70 et 72) que certains des émaux de Briare qu'elles vendent ont été commercialisés entre 1998 et 2004 sous la dénomination "Symphonie" dans des magasins "Conforama";

Que de même, les noms utilisés par les intimées pour désigner chacune des teintes composant leur collection de produits sont tirés de registres particuliers relevant des matières premières et minerais (tels gravier, schiste, rubis, porphyre, opaline, chaux, cobalt, lave, pépite etc), de l'univers des fleurs, des fruits ou des plantes (tels pavot, pivoine, lotus, campanile, pétale, ortie, ivraie, etc.) ou encore de l'eau ou la mer (tels atoll, égée, mouette, marine, etc.), or Mridul a recouru sans justifier que cela ait procédé d'une nécessité à des registres exactement identiques (Coral (corail) ; Earth (terre) ; Jade ; Lily (muguet) Olive ; Magnolia Sunflower (tournesol); Peach (pêche) ; Hazel (noisetier) ; Canary ; Dolphin (dauphin) ; Ocean; Wave (vague) etc.);

Attendu enfin que les panneaux-mains que Mridul utilisait encore récemment pour présenter ses gammes de mosaïques sont quasiment identiques à ceux, antérieurs, employés par les sociétés Céramiques et Emaux, leurs dimensions étant très proches (24x32 contre 25,5x30,5), leur forme rectangulaire avec ouverture oblongue étant la même, leur fond respectif étant pareillement blanc (sans que l'adjonction d'un très léger motif pastel sur ceux de Mridul ne modifie l'impression de similitude) et les indications techniques portées au verso étant chez Mridul l'équivalent en langue anglaise, et dans le même ordre, de celles des panneaux des intimées, alors que la production aux débats des panneaux utilisés par plusieurs sociétés concurrentes persuade que ce type de présentation n'obéit à aucune nécessité technique ni même à un effet de mode, étant d'ailleurs relevé que l'appelante vient de modifier sa présentation et recourt désormais à des panneaux très différents;

Qu'au surplus, et alors que cet ordre est manifestement arbitraire, Mridul a adopté sur certains de ses panneaux un ordre de présentation par couleur des différents émaux proche de celui utilisé par les intimées, ainsi qu'en persuade par exemple la comparaison des pièces 5 et 120, qui dégage une profonde impression de ressemblance;

Attendu dans ces conditions que cette mutation servile ou quasi-servile par la société Mridul des méthodes de présentation et de commercialisation utilisées par les sociétés Céramiques et Emaux est de nature, en raison de l'impression d'ensemble induite par ces nombreuses similitudes, à susciter un risque de confusion sur les produits ou sur leur provenance dans l'esprit du public, qu'il s'agisse de profanes, aisément troublés par ces multiples ressemblances, ou de professionnels, en l'état - notamment - des pourparlers dont la presse s'était fait l'écho ayant existé entre lesdites sociétés en vue d'une collaboration éventuelle, ce qui pouvait accréditer dans le public averti l'existence de liens entre elles et, partant, entre ces différents produits, et détourner ainsi cette clientèle vers les mosaïques vendues à moindre prix par Mridul sous l'effet de la conviction qu'il s'agissait de produits de même origine;

Attendu que les premiers juges ont donc retenu à bon droit que le grief de concurrence déloyale était fondé;

* Sur les réparations

Attendu que s'agissant du trouble commercial qui s'infère nécessairement de ces actes déloyaux, son évaluation par le tribunal à 15 000 euro pour chaque société doit être approuvée;

Attendu que pour ce qui est des gains manqués, le principe de ce poste de préjudice est certain du fait de la confusion entretenue entre ces produits concurrents, et le dommage est bien subi par les deux intimées ainsi qu'il ressort de l'attestation du commissaire aux comptes (pièce n° 75) selon laquelle elles exploitent l'une et l'autre les gammes considérées ; attendu certes que les intimées ne font pas la démonstration que ce manque à gagner aurait atteint l'ampleur qu'elles allèguent, les quelques pièces comptables produites ne permettant pas d'établir avec certitude une corrélation nécessaire entre certaines baisses de commandes et de chiffres d'affaires et les agissements avérés de la société Mridul ; que pour autant, au regard du taux de marge brute qu'elles justifient réaliser sur ces produits, de l'ordre de 84 à 88 % (cf. pièce n° 76), la somme de 5 000 euro allouée par les premiers juges apparaît insuffisante à réparer le dommage, qui sera indemnisé par l'allocation d'une somme de 12 000 euro à chacune;

Attendu, pour ce qui est de l'atteinte à l'image, que cette usurpation de leur méthodes commerciales par un concurrent n'a pu qu'entraîner une dilution des éléments identifiants des sociétés intimées et de leur notoriété, acquise dans le segment du haut de gamme du marché des émaux et mosaïques au prix d'investissements financiers et humains importants; que ce préjudice a été valablement chiffré à 25 000 euro par les premiers juges en ce qui concerne la société Les Jolies Céramiques sans Kaolin, qui est un agent commercial et un distributeur; qu'il apparaît supérieur pour Émaux & Mosaïques, fabricant des Émaux de Briare, qui en commercialise personnellement et par d'autres intermédiaires, et qui recevra à ce titre 50 000 euro;

Attendu enfin qu'il est démontré que les intimées ont dû exposer des dépenses spécifiques pour modifier leurs procédés de présentation afin de se démarquer de leur imitateur et de réduire le risque de confusion, sans pour autant renoncer à la spécificité des méthodes élaborées pour asseoir leur notoriété; qu'à ce titre; la somme de 20 000 euro allouée à chacune par les premiers juges apparaît propre à indemniser valablement ce préjudice;

Attendu que pour ce qui est des mesures d'interdiction ordonnées par le tribunal, elles sont adaptées à la nécessité de faire cesser les agissements fautifs et doivent être confirmées, sauf à préciser que la défense faite à la société Mridul de copier les méthodes de la société Emaux et de la société Céramiques ne s'entend, du chef des panneaux-mains, que de l'utilisation d'un modèle similaire à ceux des intimées et non du principe même du recours à ce type de présentoir;

Qu'il en va de même de la mesure de publication décidée par les premiers juges, qui est justifiée en son principe comme en ses modalités;

* Sur les imputations respectives de diffamation ou de dénigrement

Attendu que c'est à bon droit que les premiers juges ont dit que les écritures de Mridul ne contenaient pas de termes diffamatoires pour les intimées ; qu'il en va ainsi de l'évocation de la visite de leur dirigeant dans une usine de Mridul en Inde, qualifiée de "clandestine" sans que ce terme revête un caractère fautif ni préjudiciable pour des faits dont la matérialité n'est pas déniée et à l'occasion desquels il n'est d'ailleurs pas prétendu que l'intéressé se serait fait connaître ; qu'il en est de même du constat opéré par l'appelante dans ses conclusions qu'était produit aux débats un panneau-mains dont sa marque était effacée, cet effacement n'étant pas imputé par la société Mridul à l'une ou l'autre des intimées, qui ne peuvent pour le surplus faire juger fautive la vivacité de la protestation de leur contradicteur contre la production en justice d'une pièce dont l'intégrité pouvait lui paraître douteuse;

Attendu que de son côté, la société Mridul doit être déboutée de la demande de dommages et intérêts pour dénigrement qu'elle forme contre les sociétés Céramiques et Emaux, lesquelles ne peuvent être regardées comme ayant commis une faute en adressant un courrier à un distributeur des produits Mridul en Grande Bretagne relativement à l'emploi de méthodes de commercialisation qui viennent précisément d'être jugées déloyales ; que le fait incriminé est constitué en effet de l'envoi d'une unique lettre, émanant des avocats des deux entreprises, à un distributeur, pour exprimer la position des sociétés quant à la défense de leurs intérêts en cas d'agissements qu'elles considéreraient comme constitutifs d'actes de concurrence déloyale ; que les termes de ce courrier officiel sont ceux, mesurés et usuels, d'une mise en garde exprimant la position de ses auteurs ; que la lettre a d'ailleurs été suivie de la délivrance d'une assignation à la société de droit anglais Trademark Tiles ; qu'il n'est ni prouvé ni prétendu que les sociétés Céramiques et Emaux se soient directement adressées à la clientèle, ni que ce courrier ait été rendu public; que plus généralement, leur action n'a revêtu aucun caractère abusif en l'espèce, où leurs prétentions sont reconnues bien fondées en leur principe, la société Mridul, convaincue de recours à des procédés déloyaux, ne pouvant présenter comme un préjudice indemnisable les précautions, modifications de pratiques et dépenses auxquelles elle a recouru en définitive pour ne pas perpétuer ces agissements;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort : Confirme le jugement entrepris sauf quant au montant des condamnations prononcées contre la société de droit Indien Mridul, d'une part à hauteur de 5 000 euro au profit des sociétés Émaux & Mosaïques et Les Jolies Céramiques sans Kaolin au titre de leurs gains manqués, et d'autre part à hauteur de 25 000 euro au profit de la seule société Émaux & Mosaïques du chef de l'atteinte à son image et statuant à nouveau de ces chefs : Condamne la société de droit indien Mridul à payer : * à chacune des sociétés Émaux & Mosaïques et Les Jolies Céramiques sans Kaolin : la somme de 12 000 euro (douze mille euro) au titre de leurs gains manqués du fait de la concurrence déloyale * à la société Emaux & Mosaïques : la somme de 50 000 euro (cinquante mille euros) en réparation de l'atteinte causée à son image par ces agissements Précise que la défense faite à la société Mridul de copier les méthodes de la société Emaux et de la société Céramiques ne s'entend, du chef des panneaux-mains, que de l'utilisation d'un modèle similaire à ceux de ces sociétés et non du principe même du recours à ce type de présentoir Condamne la société de droit indien Mridul aux dépens d'appel ainsi qu'à payer aux sociétés Émaux & Mosaïques et Les Jolies Céramiques sans Kaolin une indemnité de procédure de 6 000 euro (six mille euro) chacune en application de l'article 700 du Code de procédure civile Accorde à maître Garnier, titulaire d'un office d'avoué, le droit à recouvrement direct reconnu par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.