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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 10, 3 février 2010, n° 08-04108

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Leader meubles (SARL)

Défendeur :

Distribution Casino France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Giroud

Conseillers :

Mmes Blum, Guilguet Pauthe

Avoués :

SCP Garnier, Me Huyghe

Avocats :

Mes Bancelin, de Juvigny

T. com. Paris, du 16 janv. 2008

16 janvier 2008

Vu le jugement rendu le 16 janvier 2008 par le Tribunal de commerce de Paris qui, après jonction des deux causes, a :

- dit recevables mais mal fondées les demandes de la société Leader meubles à l'encontre de la société EMC distribution, et l'en a déboutée,

- condamné la société Distribution Casino France à payer la somme de 40 062,50 euro à la société Leader meubles à titre de dommages-intérêts,

- condamné la société Distribution Casino France à payer la somme de 1 500 euro à la société Leader meubles et celle de 1 500 euro à la société EMC distribution, en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- condamné la société Distribution Casino France aux dépens;

Vu l'appel relevé par la société Leader meubles qui demande à la cour, dans ses dernières conclusions signifiées et déposées le 23 juillet 2009, au visa des articles 1134 alinéa 2 du Code civil, L. 442-6-I 5° du Code de commerce, de:

- la recevoir en son appel,

- confirmer le jugement en ce qu'il a constaté que la société Distribution Casino France a commis une faute préjudiciable à la société Leader meubles en ne respectant pas un délai de préavis,

- condamner la société Distribution Casino France à verser à la société Leader meubles la somme de 479 370 euro à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudice confondues, ainsi que la somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Distribution Casino France aux dépens de première instance et d'appel;

Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 28 septembre 2009 par la société Distribution Casino France qui demande à la cour de :

- dire qu'aucune faute ni aucun préjudice ne peuvent être imputés à Distribution Casino France qui se trouve être victime de la mauvaise foi de Leader meubles,

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné Distribution Casino France au paiement d'une indemnité,

- subsidiairement, réduire l'indemnité au vu de la brièveté des relations, de l'accord interprofessionnel invoqué par Distribution Casino France et des commandes passées en 2005,

- débouter Leader meubles de toutes des demandes,

- constater le caractère abusif de son appel et sa mauvaise foi "qu'il appartiendra à la cour de sanctionner conformément à l'article 32-1 du Code de procédure civile"

- condamner Leader meubles à payer à Distribution Casino France la somme de 15 000 euro, à parfaire, en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner Leader meubles aux dépens de première instance et d'appel;

Sur ce, LA COUR,

Considérant que le 21 avril 2004, un contrat de référencement à durée indéterminée a été signé entre la société Distribution Casino France, représentée par la société EMC distribution, et la société Leader meubles agréant cette dernière en qualité de fournisseur en vue de la revente de ses meubles dans divers magasins du groupe Casino; qu'il y était stipulé, notamment, que le contrat pourrait être résilié à tout moment par l'une ou l'autre des parties moyennant un préavis conforme aux usages et à la réglementation en vigueur, par lettre recommandée avec accusé de réception;

Considérant que le 27 juillet 2006, la société Leader meubles a assigné la société EMC distribution devant le Tribunal de commerce de Paris en dommages-intérêts sur le fondement de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce; que le 9 mai 2007, elle a assigné en intervention forcée la société Distribution Casino France aux mêmes fins;

Considérant que le tribunal, par le jugement déféré, a débouté la société Leader meubles de ses demandes contre la société EMC distribution et a condamné la société Distribution Casino France à payer à la société Leader meubles la somme de 40 062,50 euro, à titre de dommages-intérêts;

Considérant que la société Leader meubles, appelante, fait valoir que les parties étaient en fait en relations commerciales depuis 2001, sauf une interruption pendant l'année 2002 due à une réorganisation au sein de la société Casino, que fin 2004 la société Distribution Casino France a cessé d'appliquer le contrat de référencement sans motif, ni préavis et qu'elle doit réparer le préjudice subi par la société Leader meubles du fait de la rupture brutale du contrat; que l'appelante demande la somme de 80 125 euro représentant douze mois de marge brute en réparation du préjudice résultant du non-respect d'un préavis, la somme de 93 206 euro correspondant à une perte de marge brute sur la réalisation de son stock, la somme de 286 039,52 euro représentant le montant qu'elle doit à son fabricant brésilien pour la constitution d'un stock tampon, la somme de 50 000 euro à titre de dommages-intérêts punitifs pour sanctionner le manquement de la société Distribution Casino France aux règles édictées dans les relations entre un fournisseur et un client dont l'importance économique est considérable, outre la somme de 50 000 euro par application de l'article 1134 alinéa 2 du Code civil, pour exécution de mauvaise foi de la convention en connaissance de son état de dépendance économique;

Considérant que la société Distribution Casino France conclut au rejet de toutes les prétentions de la société Leader meubles; qu'elle soutient, en premier lieu, que la liberté de choix des fournisseurs constitue un ressort majeur de la concurrence, consacré par la Cour de cassation dans l'intérêt des consommateurs, que les acheteurs du groupe Casino étaient libres de passer ou non des commandes auprès de la société Leader meubles sans que cette dernière puisse prétendre à un droit acquis au maintien de son courant d'affaires et que seule une rupture brutale, c'est-à-dire imprévisible, soudaine et violente, pourrait donner lieu à indemnisation;

Que l'intimée fait valoir, en deuxième lieu, que la société Leader meubles ne peut prétendre au moindre préjudice indemnisable du fait de la rupture des relations commerciales; qu'elle expose en ce sens que la rupture était consommée depuis la fin de l'année 2004, que dans les faits la société Leader meubles a disposé d'un préavis d'un an dans la mesure où son chiffre d'affaires s'est maintenu en 2005 à un niveau quasi-identique à celui de 2004 et que des commandes ont été passées pour au moins 137 495 euro postérieurement au 1er janvier 2005, que ce préavis d'un an est plus que raisonnable eu égard à la courte durée des relations commerciales entretenues de façon continue pendant deux ans et, subsidiairement, que si des indemnités devaient être versées à l'appelante le tribunal aurait dû déduire de leur montant final le chiffre d'affaires réalisé par la société Leader meubles avec elle après la fin de l'année 2004;

Que l'intimée objecte, en troisième lieu, que la société Leader meubles ne saurait invoquer sa mauvaise foi sur le fondement de l'article 1134 alinéa 2 du Code civil; qu'elle souligne qu'il incombait à l'appelante, conformément à l'article 7 § 5 des conditions de référencement de l'informer par écrit dans l'hypothèse où les achats des membres du groupe Casino représenteraient plus de 22 % de son chiffre d'affaires, ce qu'elle n'a pas fait; qu'elle ajoute qu'il incombait à la société Leader meubles, consciente des risques qu'elle encourait puisque son chiffre d'affaires avec la société Distribution Casino France n'était pas garanti, de rechercher d'autres clients en diversifiant ses activités pendant l'année 2005; qu'elle précise que le groupe Carrefour, principal client de la société Leader meubles, a aussi rompu ses relations commerciales avec celle-ci à la même période, du fait de son manque de compétitivité;

Que l'intimée allègue en quatrième lieu, qu'elle ne saurait être tenue pour responsable de la prétendue "disparition totale de l'entité économique" invoquée par la société Leader meubles alors que cette dernière a reconnu en première instance avoir mis en sommeil son activité et se trouver in bonis et sans passif, que la rupture des relations avec la société Distribution Casino France s'est effectuée de façon étalée dans le temps et que la société Leader meubles n'avait réalisé en 2004 que 23,5 % de son chiffre d'affaires avec elle;

Que pour s'opposer à la demande d'indemnité relative au stock tampon, l'intimée fait valoir qu'aucune preuve n'est rapportée que ce stock aurait été constitué à sa demande, qu'il a été écoulé par la société Leader meubles avec une marge d'au moins 21 % de sorte qu'aucun préjudice n'est établi et, subsidiairement, que la société Leader meubles a prétendu dans son assignation avoir constitué un stock tampon de 286 039,52 euro, que dans ses comptes arrêtés au 31 décembre 2005, date de la rupture, son stock total de marchandises ne représentait plus que 117 567 euro, ce qui confirme sa mauvaise foi qu'il appartiendra à la cour de sanctionner conformément à l'article 32-1 du Code de procédure civile;

Que l'intimée rappelle enfin qu'il n'existe pas de dommages-intérêts punitifs en droit français;

Considérant qu'il apparaît que la société Leader meubles a réalisé avec la société Distribution Casino France les chiffres d'affaires suivants : 149 458,18 euro en 2001 et, après une interruption en 2002, 371 177,51 euro en 2003, 449 001,45 en 2004 et 439 485,87 euro en 2005; qu'il est démontré par les bons de commande et factures versés aux débats, que sur le chiffre d'affaires réalisé en 2005, 398 745 euro correspondent à des commandes passées avant le 31 décembre 2004 et que seulement 41 084,22 euro correspondent à des commandes en 2005; que par courriels des 15 décembre 2005 et 3 février 2006, deux responsables de magasins du groupe Casino ont informé la société Leader meubles qu'ils ne pouvaient passer commande auprès d'elle, n'ayant pas l'accord de la centrale de référencement; qu'il en résulte que les relations commerciales établies existant entre la société Distribution Casino France et la société Leader meubles se sont interrompues au cours de l'année 2005;

Considérant que le contrat de référencement n'implique pas en lui-même un engagement d'achat de la part des membres du groupe Casino; qu'il n'en reste pas moins que par application de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce comme des stipulations contractuelles, la société Distribution Casino France ne pouvait rompre brutalement la relation commerciale établie avec la société Leader meubles, sans un préavis écrit tenant compte de la durée de la relation; que la société Distribution Casino France, qui n'a donné aucun préavis écrit, ne peut valablement prétendre avoir fait bénéficier la société Leader meubles, en fait, d'une année de préavis;

Considérant que la société Leader meubles ne peut obtenir la réparation que du préjudice résultant de la brusque rupture et non celui subi du fait de la rupture elle-même ; que la société Distribution Casino France se réfère en vain à un accord interprofessionnel conclu dans le secteur du bricolage et prévoyant un préavis de 2 à 3 mois pour des relations de 2 à 5 ans et un chiffre d'affaires de 15 à 30 %, cet accord ne s'appliquant pas au présent litige; qu'eu égard à la durée des relations et au temps nécessaire à la société Leader meubles pour retrouver d'autres clients, le tribunal a justement évalué les dommages-intérêts à la somme de 40 062,50 euro sur la base de six mois de marge; que la société Leader meubles est mal fondée en sa demande supplémentaire en paiement d'une perte de marge sur la vente de son stock de marchandises; qu'elle ne démontre en aucune façon avoir constitué un stock tampon à la demande de la société Distribution Casino France, étant observé que son chiffre d'affaires avec cette société ne représentait que 23,5 % de son chiffre d'affaires global en 2004; qu'au regard de cette proportion, la société Leader meubles, qui avait d'autres clients dont la société Carrefour, ne justifie pas s'être trouvée dans une situation de dépendance économique avec la société Distribution Casino France; qu'il ne peut être alloué de dommages-intérêts punitifs; qu'en conséquence, toutes les autres demandes en dommages-intérêts de la société Leader meubles doivent être rejetées;

Considérant que la société Leader meubles n'ayant pas agi en justice de manière abusive, les dispositions de l'article 32-1 du Code de procédure civile ne sont pas applicables;

Considérant que chaque partie succombant partiellement en ses demandes gardera la charge de ses dépens d'appel; que les demandes de chacune d'elles fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile seront rejetées;

Par ces motifs, Confirme le jugement en toutes ses dispositions, Déboute les parties de toutes leurs autres demandes, Dit que chacune des parties gardera la charge de ses dépens d'appel.