CA Dijon, 1re ch. civ., 8 avril 2010, n° 09-01544
DIJON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
MGS Optic (SARL), Ose (SARL), Optic du Gros Morne (SARL), Suriam
Défendeur :
Franchises Grand Optical Dijon (SAS), Coopérative d'opticiens lunetiers (SA), Association Bretagne Développement (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Munier
Conseillers :
Mme Vieillard, M. Theurey
Avoués :
Mes Gerbay, SCP Avril & Hanssen, SCP André-Gillis
Avocats :
Mes Ben Soussen, Debroux, SCP Seutet
Par jugement du 4 décembre 2008 auquel il est fait référence pour le rappel de l'exposé des faits, de la procédure suivie entre les parties, de leurs prétentions, le Tribunal de commerce de Dijon a, dans le litige opposant les SARL MGS Optic, Ose, Optic du Gros Morne, BM, Madame Bleny et la SAS Franchise Grand Optical Dijon, d'une part, à SAS Visual devenue Grand Optical Dijon, à la SA Coopérative d'opticiens lunetiers (Sacol) et à l'Association Bretagne Développement (SAS) dite ABD, d'autre part:
- donné acte de ce que les sociétés MGS Optic, Ose, Optic du Gros Morne, BM et Madame Bleny ne formulent aucune demande à l'encontre de la société Sacol et de l'association ABD,
- donné acte de ce que la société Visual (Franchise Grand Optical) ne formule aucune demande à l'encontre de la société Sacol et de l'association ABD,
- constaté que le comportement de la société Visual ne justifie ni l'annulation ni la résiliation du contrat de partenariat conclu avec les demanderesses;
- en conséquence, débouté les sociétés MGS Optic, Optic du Gros Morne, Ose et Madame Suriam née Bleny, d'une part et la société BM, d'autre part, de leurs demandes, fins et conclusions
- condamné les sociétés MGS Optic, Optic du Gros Morne, Ose et Madame Suriam née Bleny à payer à la société Visual devenue société Franchise Grand Optical Dijon la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
- condamné la société BM à payer à la société Visual la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;
- dit toutes autres demandes, fins et conclusions des parties injustifiées et en tout cas mal fondées, les en a débouté;
- condamné les sociétés MGS Optic, Ose, Optic du Gros Morne, BM et Madame Bleny en tous les dépens.
Il y a lieu de rappeler que pour l'essentiel, la société Franchise Grand Optical appartient au groupe " Grand Vision", groupe de distribution d'optique opérant en France et d'autres pays, comptant 770 points de vente dont 319 sont des franchises sous les enseignes Générale d'optique, Grand Optical et Solaris.
Jusqu'en début 2008 Grand Vision exploitait un autre réseau de franchise, le réseau Visual racheté en septembre 2004 à Sacol aux termes d'un contrat de cession d'actions entre Visual et Sacol. Ce réseau a été repris par Sacol aux termes d'un contrat de cession d'actions entre Visual et Sacol en date du 23 janvier 2008.
Madame Suriam née Bleny est opticienne depuis 1983 et exerce à Sainte-Marie en Martinique. Courant 2003, elle est entrée en relation avec la société Visual, alors filiale de la société Sacol qui souhaitait développer un réseau de franchise aux Antilles françaises. C'est dans ces conditions que 4 contrats de partenariat ont été conclus et signés avec Visual pour 3 ans et renouvelables par tacite reconduction par période de 3 ans :
- le 8 décembre 2003 avec la société MGS Optic gérée par Madame Suriam née Bleny pour l'exploitation sous l'enseigne Visual d'un fonds de commerce à La Trinité (97220)
- le 8 décembre 2003 avec Madame Suriam née Bleny en son nom personnel pour l'exploitation d'un fonds de commerce à Sainte-Marie,
- le 15 janvier 2004 avec la société Optic du Gros Morne pour l'exploitation d'un fonds de commerce à Gros Morne (97213), société dans laquelle Madame Suriam née Bleny est associée,
- le 15 janvier 2004 avec la société Ose pour l'exploitation d'un fonds de commerce à Ducos (97224) société dans laquelle Madame Suriam née Bleny est associée.
Les sociétés MGS Optic, Ose, Optic du Gros Morne et Madame Suriam née Bleny sont des franchisés du réseau Visual en vertu de contrats d'adhésion dits "contrats de partenariat" qui leur confèrent le droit d'exploiter la marque et l'enseigne Visual et d'utiliser le standard de l'image intérieure et extérieure des points de vente sous enseigne Visual incluant les enseignes, l'installation, l'agencement et la décoration du concept dans le respect des normes Visual ; l'adhésion au réseau de franchise leur donne également accès à une assistance personnalisée, dans le domaine commercial et informatique ; cette concession de partenariat avec la notoriété, l'image de l'enseigne et le transfert de savoir-faire est faite en contrepartie d'un droit d'entrée de 3 812 euro, d'une contribution mensuelle de 2,5 % du chiffre d'affaires HT et d'une redevance d'enseigne correspondant à 0,75 % du chiffre d'affaires HT réalisé par leurs points de vente.
Ces contrats sont conclus "intuitu personae", en considération de la personne du gérant franchisé exclusivement, de sorte que selon la société Visual, une éventuelle modification dans la personne du franchiseur est indifférente dans l'exécution du contrat.
En décembre 2006 et janvier 2007 les contrats de partenariat ont été reconduits pour 3 ans. Mais les dirigeants de la société Visual annoncent le 29 janvier 2007 à l'ensemble de leurs partenaires l'opération "Convergence" dont l'objet est la fusion entre Visual et Grand Optical qui entraîne la disparition de l'enseigne Visual sous l'enseigne Grand Optical. Cependant les sociétés MGS Optic, Ose, Optic du Gros Morne et Madame Suriam née Bleny se sont vues refuser le passage à l'enseigne Grand Optical dans la mesure où elles n'ont reçu aucune offre concrète pour passer sous la nouvelle enseigne et elles ont continué à faire partie du réseau Visual alors que, selon elles, l'opération "Convergence" les avait privées de sa substance et que la société Visual avait cessé d'exécuter ses obligations d'assistance et de communication ainsi que toute exécution du contrat de partenariat.
La société Visual a apporté, par traité d'apport partiel d'actif et de passif, sa branche d'activités Visual comprenant l'ensemble des contrats de partenariat à une filiale de Sacol, l'Association Bretagne Développement dite ADB. Elle a ensuite cédé les actions qui lui ont été conférées à la société Sacol, qui selon les sociétés franchisées contactées, ne présente pas la dimension d'un grand groupe et qui n'avait pas la possibilité de poursuivre le contrat de partenariat dans les mêmes conditions. La société Sacol a proposé à chacune des franchisées en décembre 2007 la signature d'un nouveau contrat qu'elles ont refusé au motif qu'il ne correspondait nullement à la reprise de l'ancien contrat.
Les sociétés franchisées ont indiqué que postérieurement, les relations ont cessé tant avec Visual qu'avec Sacol qui ne leur a jamais fourni les prestations prévues car elle a prétendu qu'elle ne voulait pas que les contrats soient exécutés dans leurs stipulations contractuelles initiales. Les franchisés ont alors procédé au retrait de l'enseigne Visual dans le courant de l'année 2008 même si certains panneaux sont restés sur des axes peu fréquentés et qu'une insertion est restée dans l'annuaire 2008/2009.
Considérant que la société Visual aurait manqué à son obligation de bonne foi et à ses obligations de coopération, de communication et d'assistance, d'avoir bouleversé l'économie générale des contrats en faisant délibérément disparaître ce qui constituait l'essence même de la convention et enfin d'être dans l'inexécution totale de ses engagements depuis le 1er janvier 2008, les sociétés MGS Optic, Optic du Gros Morne, Ose et Madame Suriam née Bleny d'une part et la société BM d'autre part ont assigné devant le Tribunal de commerce de Dijon la société Visual aux fins pour les premières, de prononcer la résiliation des contrats de partenariat et de la condamner à leur payer des dommages et intérêts en réparation de leurs préjudices, subsidiairement, la nullité des contrats de partenariat et le paiement des redevances perçues en exécution de ces contrats, outre des dommages et intérêts en réparation des préjudices subis, pour la société BM, de prononcer l'annulation du contrat à titre principal et la condamnation au paiement des sommes versées au titre des restitutions consécutives à cette annulation et en indemnisation des préjudices subis subsidiairement, la résiliation outre des dommages et intérêts. La société Visual a conclu au débouté des demandes et à l'allocation d'indemnités au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
C'est dans ces conditions que le jugement ci-dessus rappelé a été rendu et dont les sociétés MGS Optic, Ose Optic du Gros Morne et Madame Suriam née Bleny, d'une part et la société BM d'autre part ont fait appel par déclaration au greffe de la cour d'appel en date du 16 avril 2009.
Par ordonnance du 22 septembre 2009, le conseiller de la mise en état a disjoint la procédure d'appel diligentée par la société BM des autres procédures, considérant qu'elles ne présentaient pas entre elles des liens de connexité suffisants en raison de la différence des prétentions et des moyens bien que l'événement générateur soit le même.
Dans leurs dernières conclusions (n° 3) en date du 29 janvier 2010, auxquelles il est fait référence par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, les sociétés MGS Optic, Ose Optic du Gros Morne et Madame Suriam née Bleny demandent de:
- infirmer le jugement dont appel;
A titre principal :
- constater la résiliation des contrats litigieux aux torts exclusifs de la société Franchises Grand Optical Dijon à compter du 19 janvier 2007,
- condamner la société Franchises Grand Optical Dijon à verser à titre de dommages et intérêts :
- la somme de 135 079 euro à la société MGS Optic,
- la somme de 150 669 euro à Madame Suriam née Bleny,
- la somme de 123 500 euro à la société Optic du Gros Morne,
- la somme de 120 873 euro à la société Ose,
A titre subsidiaire :
- constater la caducité des contrats litigieux,
- condamner la société Franchises Grand Optical Dijon à verser 100 000 euro de dommages et intérêts à chacune des demanderesses;
En tout état de cause:
- condamner la société Grand Optical Dijon outre aux entiers dépens, à verser à chacune des appelantes une somme de 5 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
1°) Sur le principe de la résiliation aux torts exclusifs de la société Visual:
Les concluantes font valoir que le contrat de franchise est un contrat conclu intuitu personae pour le franchiseur comme pour le franchisé, et qu'en conséquence, le franchiseur ne peut, sans s'exposer à la résiliation à ses torts du contrat de franchise, céder une partie de son réseau en se désintéressant du sort de ses franchisés. En l'espèce précisément, elles estiment fautif le transfert du réseau Visual à l'ABD, pour les trois raisons suivantes.
Elles reprochent en premier lieu à Visual un transfert de réseau non autorisé par les franchisés, et soutiennent à ce sujet que l'article 9.2 du contrat, invoqué par la partie adverse et stipulant que l'intuitu personae s'applique uniquement au franchiseur et lui permet des modifications dans sa personne sans effet sur l'existence ou l'exécution du contrat, est nul et invoqué de mauvaise foi ; qu'en effet, ce type de clause a été désavoué par la Cour de cassation, et présente un caractère trop général et trop flou pour ne pas heurter le principe d'intangibilité des contrats; que de plus, la société Visual a agi de mauvaise foi en cédant ce qui restait du réseau, après l'avoir vidé de sa substance, dans des conditions différentes de celles visées à l'article 9.2. puisque de nouveaux contrats étaient proposés.
Les concluantes reprochent en deuxième lieu à la société Visual d'avoir opéré le transfert de réseau de façon déloyale, en leur faisant miroiter dans un premier temps le passage à l'enseigne Grand Optical alors que tel n'a pas été le cas, puis en leur garantissant que les contrats de partenariat signés avec Visual continueraient jusqu'à leur terme alors qu'était déjà prévue la cession de la branche Visual et que les termes de ladite cession ne permettaient pas aux franchisés ainsi évincés de bénéficier des mêmes conditions lors des nouveaux contrats qui leur ont été proposés.
Enfin, les concluantes font valoir que le transfert de réseau Visual à l'ABD a été gravement préjudiciable pour les franchisés contraints de rester sous l'enseigne Visual, qui n'appartiennent plus qu'à un réseau de faible ampleur, ne bénéficient plus des campagnes publicitaires auparavant menées ni de l'ancienne centrale d'achat, et ont été privés de l'outil Internet; que la Société Visual a en conséquence cessé d'exécuter ses obligations, en cédant à la Sacol le soin de leur proposer un nouveau contrat différent du contrat initial.
2°) Sur les conséquences de la résiliation aux torts exclusifs de la société Visual:
Se fondant sur les articles 1147 et 1149 du Code civil, les concluantes demandent le remboursement des frais engagés en pure perte, soit les redevances de communication versées au cours de l'année 2007 et les frais liés à l'acquisition du matériel nécessaire à l'exploitation du verre Individualis dont la diffusion n'est plus assurée par Visual. Elles sollicitent également l'octroi de dommages et intérêts complémentaires au titre des aménagements nécessaires pour effacer les signes d'appartenance Visual ainsi qu'au titre de la perte de chance de retirer les bénéfices de l'intégration dans le réseau Grand Optical, ou du moins d'exploiter l'enseigne Visual dans les conditions initialement convenues.
Elles estiment, au vu des termes du traité d'apport partiel, que les faits fautifs imputables à Visual engagent sa responsabilité, puisque cette dernière a entendu se réserver la conduite de tout litige pouvant survenir avec les franchisés et qu'il n'y a pas eu de réelle cession de branche d'activité mais une cession de quelques éléments ayant abouti au démantèlement du réseau initial.
3°) A titre subsidiaire : sur la caducité du contrat liant les appelantes à la société Visual:
Les concluantes soutiennent que les contrats litigieux sont devenus caducs, pour avoir perdu leur objet et leur cause, dès lors que la société Visual a totalement cessé d'exécuter les contrats et a transféré la propriété de l'enseigne à la Sacol qui ne pouvait proposer des conditions de partenariat identiques. Elles réclament 100 000 euro chacune.
Sur l'irrecevabilité de ce moyen soulevé par la partie adverse, elles considèrent au contraire que cette prétention tend aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, à savoir la cessation des contrats litigieux pour l'avenir et l'indemnisation des dommages résultant du comportement de la société Visual.
Dans ses conclusions d'appel responsives du 15 octobre 2009 auxquelles il est également fait référence par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la société Franchise Grand Optical venant aux droits de la société Franchise Grand Optical Dijon anciennement dénommée Visual demande de:
In limine litis
- constater que la prétention fondée sur une prétendue caducité du contrat de partenariat ainsi que la demande de dommages et intérêts de 100 000 euro qui en découle est formulée pour la première fois en appel et est dès lors irrecevable ;
A titre principal, dire et juger que:
- de manière non fautive Visual a appliqué les dispositions du contrat de partenariat auxquelles les appelantes avaient pleinement consenti ;
- le transfert à Sacol (via sa filiale ABD) de l'enseigne Visual et des contrats en cours était parfaitement valable et s'est effectué sans déloyauté ;
- il résulte en outre du caractère loyal de la cession de l'enseigne Visual à Sacol (ABD) que l'intimée ne saurait répondre d'une quelconque inexécution contractuelle ou violation de ses obligations par le cessionnaire de l'enseigne Visual, à compter du 1er janvier 2008 et que dès lors toutes les demandes et prétentions formulées à ce titre par les appelantes doivent être écartées en ce qu'elles sont adressées à l'intimée;
- le comportement de Visual n'est entaché d'aucune faute et ne justifie pas la résiliation du contrat de partenariat conclu avec chaque appelante sollicitée par ces dernières;
- si la cour ne fait pas droit à la demande d'irrecevabilité présentée in limine litis, les demandes des sociétés appelantes fondées sur la prétendue caducité des contrats de partenariat sont infondées et la demande de dommages et intérêts qui en découle n'est ni fondée ni justifiée et doit dès lors être écartée;
En conséquence :
- débouter en conséquence les appelantes de leurs demandes, fins et conclusions;
- condamner les appelantes à lui payer une somme de 10 000 euro au titre des frais irrépétibles conformément à l'article 700 du Code de procédure civile;
- les condamner en tous les dépens.
A titre liminaire, la concluante réplique que les prétentions des appelantes relatives à la caducité des contrats sont irrecevables pour être nouvelles au sens de l'article 564 du Code de procédure civile. Elle relève également une modification des prétentions au titre des dommages et intérêts relatifs aux sommes versées au titre des redevances de communication.
1°) Sur la demande de résiliation et ses fondements
L'intimée se prévaut en premier lieu, sur le fondement de l'article 1134 du Code civil et de l'article 9.2 du Contrat de partenariat, de l'autorisation contractuellement donnée à un éventuel transfert de contrat, dont il résulte d'une part que les appelantes avaient expressément donné leur accord au caractère non réciproque de l'intuitu personae, et d'autre part que l'opération litigieuse répond parfaitement aux conditions de modification dans la personne de Visual que le contrat permettait. Elle affirme de plus, au nom de la liberté contractuelle, que la clause d'intuitu personae ainsi que la prévision par avance de la transmissibilité du contrat pouvaient parfaitement faire échec à l'intuitu personae qui existe en général en considération de la personne du franchiseur. Enfin elle soutient qu'en tout état de cause, les appelantes ont donné tacitement leur autorisation à la transmission du contrat par un apport partiel d'actif, dans la mesure où elles ont continué la relation contractuelle avec le successeur du franchisé.
L'intimée conclut en deuxième lieu au caractère parfaitement loyal du transfert, au motif qu'elle n'a nullement dissimulé l'opération "Convergence" à ses franchisés, que le devoir de loyauté n'impliquait pas l'obligation d'intégrer les points de vente des appelantes dans le réseau Grand Optical, et qu'elle n'a pas compromis l'exécution des contrats de partenariat jusqu'à leur terme dans la mesure où l'article 6 (B) 2. (ii) du traité d'apport partiel d'actifs stipulait en substance que les franchisés Visual auraient la possibilité "de conserver dans leur état à la date des présentes, l'architecture, l'esthétique et l'aménagement de leurs points de vente".
En troisième lieu, la concluante expose que les appelantes n'ont subi aucun préjudice lors du transfert, dès lors qu'elles n'ignoraient pas la reprise des contrats de partenariat par Sacol, que de plus l'enseigne Visual en Martinique n'a pas vu sa notoriété affectée de quelque manière que ce soit par la réduction globale, au niveau national, du nombre de franchisés Visual, ce d'autant que l'éventualité d'une possible fusion avec l'enseigne Grand Optical n'a pas fait l'objet de communication grand public, et qu'enfin Sacol et ABD disposent par ailleurs d'une parfaite maîtrise du savoir-faire Visual.
2°) Sur l'indemnisation des préjudices subis:
- Sur les pertes:
La concluante dément l'affirmation selon laquelle les appelantes auraient investi en pure perte des redevances au titre de la communication. En effet, elle affirme avoir régulièrement remboursé les redevances à compter du moment où elle a cessé d'assurer la communication nationale, et explique, s'agissant de la communication locale, que celle-ci était confiée à une autre société. Quant aux frais exposés pour l'acquisition du verre Individualis, elle estime ne pas en être responsable dès lors que le traité d'apport partiel d'actifs prévoyait que Sacol devait faire son affaire personnelle de tout approvisionnement en verres Individualis.
- Sur le gain manqué:
La concluante rappelle que l'enseigne Visual a été poursuivie par un repreneur disposant des compétences requises, et que les appelantes semblent avoir continué d'exercer sous enseigne Visual au moins jusqu'en octobre 2009. Elle ajoute que l'impossibilité de bénéficier des contrats de partenariat résulte en réalité de leur refus de travailler avec le repreneur et ne saurait lui être imputée. Quant à la perte de chance d'intégrer un nouveau réseau, la concluante rappelle qu'il n'existait aucun droit de rejoindre un autre réseau.
- Sur l'intervention forcée des sociétés Sacol et ABD, la concluante explique que, loin d'être une manœuvre dilatoire, elle résulte de ce que la société Visual s'est vue reprocher non seulement des faits qui lui étaient imputables, mais aussi des faits survenus après la reprise par ABD des contrats de partenariat.
3°) Sur la caducité:
La concluante considère qu'il s'agit là d'une prétention nouvelle et que la résiliation et la caducité étant deux notions très différentes, les appelantes doivent être déclarées irrecevables de ce chef. Sur le fond, elle fait valoir que la déloyauté invoquée à son encontre ne peut justifier une quelconque caducité, pas plus que l'inexécution du contrat cédé par Visual qui résulte de la cession régulière de contrat entre Visual et Sacol.
Dans leurs conclusions du 19 novembre 2009 auxquelles il est fait pareillement référence par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la SA Coopérative d'opticiens lunetiers (Sacol) et l'association Bretagne Développement (ABD) demandent de:
- leur donner acte que les sociétés MGS Optic, Ose, Optic du Gros Morne et Madame Suriam née Bleny, demanderesses à l'instance, ne formulent aucun grief ou demande à l'encontre de la société Sacol et de la société ABD,
- leur donner acte de ce que la société Visual devenue société Franchises Grand Optical Dijon ne formule aucun grief à l'encontre de la société Sacol et de la société ABD;
En conséquence:
- débouter les sociétés MGS Optic, Ose, Optic du Gros Morne et Madame Suriam née Bleny de leurs demandes, fins et conclusions;
- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Dijon le 4 décembre 2008;
- statuer ce que de droit sur les dépens.
Les concluantes font valoir que le transfert des contrats de partenariat s'est fait conformément aux dispositions contractuelles, et que les fautes invoquées à ce titre par les appelantes, à savoir les manquements à l'obligation de loyauté, les manquements à l'obligation de coopération, et le bouleversement de l'économie du contrat, ne sauraient être imputables qu'à la société Visual.
Sur l'obligation de communication nationale, elles relèvent que celle-ci a cessé avant qu'elles ne reprennent les contrats, et que dès lors, reprenant les contrats tels qu'ils étaient exécutés par les parties, elles n'avaient pas à prévoir une quelconque communication nationale ni le versement d'aucune redevance à ce titre. De même, sur l'obligation de coaching, elles estiment que celle-ci n'existait plus à la date de reprise des contrats puisque aucun coaching n'avait été réalisé depuis le mois de janvier 2007.
Enfin, les concluantes expliquent, relativement à l'inexécution des contrats depuis le début de l'année 2008, qu'elles ont proposé de nouveaux contrats dans le cadre de la reprise du réseau, avec il est vrai une centrale d'achat distincte mais pratiquant des prix similaires à ceux de la centrale d'achat de la société Visual, et que les appelantes se sont elles-mêmes opposées à la poursuite des contrats.
En conclusion, elles affirment donc avoir "repris" les contrats initialement conclus entre les franchisés et la société Visual, tels que modifiés dans le cadre de leur exécution (absence de communication nationale, absence de coaching...), et ne pas en avoir modifié l'économie, de sorte qu'elles n'encourent aucun reproche.
La procédure a été clôturée par ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 3 février 2010.
Sur ce, motifs de la décision :
1°) Sur les demandes de résiliation des contrats de partenariat assorties de dommages et intérêts
Attendu qu'en vertu de l'article 1184 du Code civil, le créancier de l'obligation inexécutée peut demander en justice la résiliation du contrat synallagmatique à exécution successive qui le lie à son cocontractant; qu'il appartient à la cour de vérifier l'existence des manquements allégués et d'apprécier s'ils sont assez graves pour justifier la résiliation immédiate du contrat et éventuellement donner lieu à l'allocation de dommages et intérêts
1-1) Sur les manquements contractuels de la société Visual devenue Grand Optical
Attendu qu'en vertu de l'article 1134 du Code civil, "les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites" ; que selon ce même article, "elles doivent être exécutées de bonne foi";
Attendu que la société Visual, devenue Grand Optical, avait conclu, le 8 décembre 2003, deux contrats de partenariat avec d'une part, la société MGS Optic, et d'autre part, Madame Suriam née Bleny; que le 15 janvier 2004, elle signait encore de tels contrats avec d'une part la société Optic du Gros Morne, et d'autre part la société Ose ; que tous ces contrats contenaient un article 9-2 rédigé dans les termes suivants "Le contrat est conclu "intuitu personae", mais l'intuitu personae n'est pas réciproque et s'applique uniquement au Partenaire. En conséquence, les modifications qui pourraient intervenir dans la personne de Visual, telles que par exemple, fusion, scission, absorption, apport partiel d'actif, cession, transfert à une filiale et tout autre accord juridique ou commercial avec un tiers, seraient sans effet sur l'existence ou l'exécution du présent contrat" ;
Que se prévalant de cette clause et ne souhaitant pas faire une offre aux franchisés ci-dessus mentionnés de rejoindre le nouveau réseau Grand Optical tel qu'il résultait de l'opération "Convergence", la société Visual a décidé de transférer à la société Sacol, par le biais d'un apport partiel d'actif et de passif suivi d'une cession d'actions, les contrats de franchise qui la liaient aux sociétés MGS Optic, Optic du Gros Morne, Ose et à Madame Suriam; qu'elle ajoute que la société Sacol présentait toutes les garanties en termes de compétence et de savoir-faire dans le domaine concerné de l'optique, en sorte qu'elle a usé régulièrement de la possibilité que lui laissait la clause 9-2 du contrat d'imposer à son cocontractant des modifications dans sa personne, et que le refus de ces sociétés et de Madame Suriam de souscrire le nouveau contrat que proposait à chacune d'entre elles la société Sacol n'est imputable qu'à elles seules;
Attendu cependant que si l'"intuitu personae" était stipulé en l'espèce en considération des seuls franchisés, et si en conséquence, l'autorisation de ces derniers au transfert du contrat par le biais d'un apport partiel d'actif n'était pas nécessaire, la société Visual n'en était pas moins tenue de respecter ses engagements et de mettre en œuvre de bonne foi la clause dont précisément elle entend tirer parti;
Que tel n'est pas le cas en l'espèce, dès lors, de première part, que les opérations censées réaliser le transfert des contrats sous enseigne Visual n'ont pas permis la poursuite des contrats de franchise dans les termes initialement convenus ; qu'en effet, après avoir intégré un grand nombre de ses franchisés Visual sous l'enseigne Grand Optical, la société Visual a apporté sa branche d'activité Visual à l'association ABD, filiale de la société Sacol, par traité d'apport partiel d'actif et de passif en date du 17 décembre 2007, puis a cédé à la société Sacol les actions qui lui ont été attribuées par acte du 23 janvier 2008 ; que ledit traité prévoyait expressément l'exclusion de certains éléments d'actifs, tels que, notamment, différentes marques déposées par la société apporteuse, "les outils de gestion et de prise de mesure adaptés", et "les logiciels, à l'exception des logiciels relatifs à l'intranet et au marketing direct" ; que de plus le traité ne prévoyait pas la continuité des services dont bénéficiaient les franchisés sous enseigne Visual, en sorte que la société Sacol a proposé, par courrier du 4 décembre 2007, un nouveau contrat aux sociétés MGS Optic, Optic du Gros Morne, Ose et à Madame Suriam, dont les conditions étaient différentes sur plusieurs points du contrat initial ; qu'ainsi, au terme de ce courrier, outre le contexte d'affaiblissement du réseau, la centrale d'achat n'était plus la même, le concept intérieur du magasin n'était pas repris, et la société Sacol n'assurait plus la communication nationale autrefois assurée par la société Visual;
Que la société Visual ne peut dès lors reprocher aux appelantes de ne pas avoir souscrit ce nouveau contrat, dont les conditions et le contexte économique s'avéraient moins avantageuses, tandis qu'elle-même a procédé, en violation de son obligation d'exécution de bonne foi de la clause 9-2, au transfert d'un réseau dont elle a contribué à l'affaiblissement, et qui plus est, dans des conditions qui entraînaient la modification du contrat de franchise initial;
Que de seconde part, la société Visual a, dès le mois de juillet 2007, soit avant le transfert effectif du réseau Visual à la société Sacol, cessé d'honorer certains de ses engagements résultant des contrats de partenariat, mettant fin unilatéralement, au mépris de l'intangibilité des contrats, aux opérations de communication nationale relatives au réseau Visual pourtant cruciales dans ce segment fortement concurrentiel, de même qu'à l'assistance de ses franchisés ; qu'il est sans emport, pour la société Visual, de mettre en avant les avoirs qu'elle a consentis unilatéralement sur les redevances pour compenser l'absence de publicité au titre des mois de juillet, août et septembre 2007, nulle partie ne pouvant s'octroyer le droit de ne pas exécuter l'une de ses obligations en renonçant à la contrepartie dont elle bénéficiait;
Qu'il sera ajouté que la société Visual devenue Grand Optical, qui se contente d'affirmer qu'elle n'a jamais laissé croire aux appelantes qu'elles seraient intégrées dans le nouveau réseau Grand Optical, leur indiquant par courrier du 16 avril 2007 qu'elles n'avaient aucun droit de préférence, avait cependant assuré ces dernières, au terme du même courrier, qu'elle remplirait ses obligations découlant des contrats de franchise jusqu'à leur terme à la fin de l'année 2009 ; que non seulement elle n'a pas tenu parole, mais s'est au contraire désintéressée de ses partenaires avant même que ne soient réalisées les opérations destinées à transférer leurs contrats à la société Sacol, en les privant d'assistance et de publicité nationale, et en les laissant dans l'incertitude totale de leur devenir pendant près de huit mois, jusqu'à ce que la société Sacol leur propose un nouveau contrat;
Attendu que tous ces manquements constituent des violations graves, de la part de la société Visual devenue Grand Optical aux obligations nées des contrats de franchise, ainsi qu'au devoir de bonne foi et de coopération qui président tout particulièrement à la bonne exécution du ce type de contrat;
1-2) Sur les conséquences de ces manquements
Attendu que les manquements ci-dessus énoncés à l'encontre la société Visual devenue Grand Optical dans l'exécution de ses obligations contractuelles justifient la résiliation des contrats aux torts exclusifs de celle-ci;
Que ces manquements ont par ailleurs causé un préjudice aux sociétés MGS Optic, Optic du Gros Morne, Ose et à Madame Suriam, qu'il incombe, en application de l'article 1147 du Code civil, à la société Visual devenu Grand Optical de réparer;
Qu'en effet, les efforts qu'elles ont consentis pour le développement de l'enseigne Visual en Martinique ont été compromis par l'opération "Convergence" et les conditions de transfert du réseau Visual, qui ont affaibli le réseau et n'ont pas permis la poursuite des contrats en cours dans leurs termes initiaux; que l'absence, à partir du mois de juillet 2007, de toute publicité nationale, ne saurait être totalement compensée par le remboursement de cette prestation par la société Visual sous forme d'avoir au titre des mois de juillet, août et septembre, et a causé un préjudice certain aux appelantes ; que de plus, les sommes investies pour l'acquisition du matériel nécessaire à l'exploitation du verre Individualis l'ont été en pure perte, puisque la société Visual n'a plus assuré la diffusion de ce verre auprès de ses partenaires et que la société Sacol n'était au demeurant pas en mesure de fournir ce produit ; qu'enfin, il est incontestable que les appelantes devront engager des frais pour effacer les signes d'appartenance Visual et réaliser les aménagements nécessaires à la poursuite de l'exploitation des fonds de commerce;
Qu'en revanche, les appelantes n'apportent pas d'éléments, notamment comptables, de nature à prouver le préjudice au titre du gain manqué, qui résulterait selon elles de la perte de chance de retirer les bénéfices de l'intégration dans le réseau Grand Optical ou d'exploiter l'enseigne Visual dans les termes initialement convenus ;
Qu'il y a lieu, au vu de ce qui précède, et compte tenu des justificatifs produits par les sociétés MGS Optic, Optic du Gros Morne, Ose et Madame Suriam, de faire droit à leurs demandes de réparation à hauteur de 60 000 euro pour chacune d'entre elles;
2°) Sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens:
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge des sociétés MGS Optic, Optic du Gros Morne, Ose et de Madame Suriam, la totalité des frais irrépétibles qu'elles ont exposé lors de la présente procédure ; qu'il y lieu de leur allouer chacune la somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; que la société Franchise Grand Optical, qui succombe en ses prétentions, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel;
Par ces motifs, LA COUR d'appel de Dijon, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort, Vu les articles 1134, 1184 et 1147 du Code civil, Vu le jugement du 4 décembre 2008 du Tribunal de commerce de Dijon, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a donné acte de ce que les sociétés MGS Optic, Optic du Gros Morne, Ose et Madame Suriam, ainsi que la société Visual (devenue Franchise Grand Optical Dijon) ne formulent aucune demande à l'encontre de la société Sacol et de l'association ABD; Le réforme pour le surplus, et statuant à nouveau : Prononce la résiliation des contrats de partenariat respectivement conclus entre la société Visual et la société MGS Optic, entre la société Visual et Madame Suriam née Bleny, entre la société Visual et la société Optic du Gros Morne, entre la société Visual et la société Ose, à compter de la date d'assignation, aux torts exclusifs de la société Visual; Condamne la société Franchise Grand Optical, venant aux droits de Franchise Grand Optical Dijon anciennement dénommée Visual, à verser à la société MGS Optic, à Madame Suriam née Bleny, à la société Optic du Gros Morne, et à la société Ose, la somme de 60 000 euro chacune, soit un total de 240 000 euro; Condamne la société Franchise Grand Optical à verser à chacune des appelantes la somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Franchise Grand Optical aux entiers dépens de première instance et d'appel, et accorde le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile aux avoués de la cause qui peuvent y prétendre.