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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 28 février 2008, n° 05-16764

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

LuLu Expansion (EURL), Ivresse (SA)

Défendeur :

M & J (EURL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pimoulle

Conseillers :

Mme Le Bail, M. Picque

Avoués :

SCP Baufume Galland Vignes, Me Bodin-Casalis

Avocats :

Me de Balmann, Leddet-Pierre

T. com. Paris, du 1er juillet 2005

1 juillet 2005

Vu l'appel interjeté par l'EURL LuLu Expansion et la SA Ivresse, du jugement prononcé le 1er juillet 2005 par le Tribunal de commerce de Paris (RG 2003059401);

Vu les dernières écritures signifiées le 19 décembre 2007 par l'EURL LuLu Expansion et la SA Ivresse, appelantes;

Vu les dernières écritures signifiées le 9 janvier 2008 par l'EURL M&J, intimée et appelante à titre incident;

Vu l'ordonnance de clôture de l'instruction intervenue le 10 janvier 2008;

Sur ce:

Considérant que la société M&J a conclu, le 5 février 2002, avec la société LuLu Expansion et son distributeur la société Ivresse, un contrat de franchise lui permettant d'exploiter la marque "Lulu Castagnette" sous l'enseigne d'un magasin situé rue de l'Hôtel de Ville à Nîmes;

Considérant que, par acte en date du 29 juillet 2004, la société M&J a fait assigner la société LuLu Expansion et la société Ivresse devant le Tribunal de commerce de Paris afin d'entendre, notamment, constater que ces sociétés ont failli à leur obligation d'exclusivité territoriale, de franchise et de fourniture, les entendre déclarer responsables des préjudices subis par la société M&J, les condamner solidairement au paiement de 291 000 euro à titre de dommages et intérêts, ordonner la suspension de la clause résolutoire, sauf à déclarer le contrat de franchise nul, faire interdiction aux sociétés LuLu Expansion et Ivresse de livrer tout autre point de vente que M&J sur le territoire concédé, soit la ville de Nîmes et ses alentours, dire qu'elles seront tenues de procéder à l'approvisionnement de M&J;

Considérant que les sociétés LuLu Expansion et Ivresse ont conclu au débouté de ces demandes en faisant valoir qu'il n'était justifié d'aucune faute contractuelle de leur part, et demandé reconventionnellement qu'il soit constaté que le contrat de franchise s'était trouvé résilié, aux torts de M&J, un mois après la mise en demeure du 2/07/03, condamner M&J au paiement des sommes de 10 148,05 euro (à LuLu Expansion) et de 36 513,46 euro (à Ivresse), ordonner l'exécution provisoire;

Que, par conclusions subséquentes (du 10/06/05), la société M&J a ramené sa demande de dommages et intérêts à 139 390 euro, et compte tenu de la demande reconventionnelle, demandé que soit prononcée la résiliation du contrat de franchise aux torts exclusifs des sociétés LuLu Expansion et Ivresse, et qu'elles soient condamnées au paiement de:

- 10 000 euro en restitution du droit d'entrée,

- 279 958 euro au titre du préjudice commercial,

- 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

Que M&J a demandé, à titre subsidiaire, une mesure d'expertise;

Considérant que, par jugement rendu le 1er juillet 2005 et déféré à la cour, le tribunal de commerce a dit que l'EURL LuLu Expansion avait failli à ses obligations et aux dispositions de l'article 1134 du Code civil, notamment en ne fournissant pas une information précontractuelle utile, et en ne respectant pas l'exclusivité contractuellement prévue ; le tribunal a également fait droit à la demande de paiement de factures demeurées impayées présentée par la société Ivresse ; le tribunal de commerce a en conséquence:

- Prononcé la résiliation du contrat de franchise du 5/02/2002 signé entre l'EURL LuLu Expansion, le franchiseur, et M&J, le franchisé, aux torts exclusifs du franchiseur,

- Condamné l'EURL LuLu Expansion à payer à l'EURL M&J la somme de 100 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la violation fautive des dispositions contractuelles concernant l'exclusivité consentie sur la ville de Nîmes et sa périphérie,

- Condamné l'EURL M&J à payer à la SA Ivresse la somme de 29 570,46 euro avec intérêts au taux légal à compter du 2/07/03 au titre des factures demeurées impayées,

- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- Condamné solidairement l'EURL LuLu Expansion et la SA Ivresse aux dépens;

Considérant que les sociétés LuLu Expansion et Ivresse poursuivent l'infirmation du jugement déféré en faisant valoir que c'est à tort que les premiers juges ont retenu les griefs développés par la société M&J, l'échec de cette société étant dû non à d'hypothétiques manquements du franchiseur à ses obligations contractuelles, mais bien plutôt au comportement de la franchisée elle-même, qui, dès le début, a méconnu ses propres obligations, spécialement celle de payer les marchandises commandées, et manqué de rigueur dans la conduite de ses affaires ; que ces sociétés demandent à la cour de prononcer la résiliation du contrat de franchise aux torts de la société M&J ou, à tout le moins, aux torts partagés entre le franchiseur et la franchisée;

Considérant que les pièces versées aux débats et les moyens développés par les appelantes ne permettent toutefois pas la remise en cause de la décision des premiers juges qui ont procédé à la résiliation du contrat de franchise aux torts exclusifs de la société LuLu Expansion après avoir pertinemment relevé:

- que l'EURL LuLu Expansion a bien communiqué, le 2 novembre 2001, l'information précontractuelle prévue par le législateur ; que, cependant, ce document fait état de considérations générales, et ne vise aucune information sérieuse sur l'état du marché et les perspectives de développement du marché local par rapport au commerce envisagé;

- que le contrat du 5/02/2002 précise que le franchiseur concède le territoire de la ville de Nîmes et sa périphérie, reconnaît le franchisé comme son partenaire exclusif pour cette zone, s'interdit d'octroyer un autre contrat de franchise, sur le territoire donné en exclusivité, à tout autre tiers et de commercialiser les produits griffés " Lulu Castagnette " sur ce territoire, sauf accord préalable pour le maintien de la marque dans une structure déjà existante ou à venir, et exception faite des chaînes de grands magasins et des centres commerciaux existant ou à créer ; que ce contrat ne mentionne aucun magasin, quelle que soit sa nature, commercialisant déjà les produits "Lulu Castagnette" sur la ville de Nîmes au moment de sa signature;

- que, dans ces conditions, la diffusion de messages publicitaires émis sur une radio locale, dès le mois de mai 2002, à la demande de magasins concurrents citant la marque " Lulu Castagnette " et leur nom, apparaît totalement contraire à la notion d'exclusivité contractuelle;

- que, de surcroît, à cette époque, à l'occasion d'un courrier, le franchiseur affirmait au franchisé : "la collection automne-hiver 2002/2003 ne sera dans aucun autre magasin multimarques de Nîmes, l'exclusivité vous étant réservée" ; mais que, selon deux procès-verbaux de constat d'huissier du 11/06/2003, il est établi que les engagements du franchiseur n'ont pas été tenus, dès lors que, aucun accord n'étant intervenu entre les parties, deux magasins (Sport 2000 et Denim République) commercialisaient à cette date les produits " Lulu Castagnette " livrés par la SA Ivresse entre le mois d'octobre 2002 et le mois de mars 2003, sur le territoire concédé en exclusivité;

Considérant que les appelantes tentent de minimiser l'influence de leurs manquements au regard des incidents de paiement qu'elles ont rapidement eu à déplorer;

Qu'elles soutiennent notamment qu'elles se sont réellement efforcées d'assurer à M&J une exclusivité sur la ville de Nîmes, et que si les magasins Sport 2000 et Denim République vendaient effectivement à la date du 11 juin 2003, des articles griffés " Lulu Castagnette ", ce n'était plus que de manière très résiduelle ; que ces affirmations sont démenties par les constatations de l'huissier qui relève:

- "Dans le magasin exploité par la SA Sport 2000 nous constatons la présence, sur des meubles présentoirs, d'environ 150 pantalons, jupes, tee-shirts et chemisiers portant la marque " Lulu Castagnette " et la remise de diverses factures portant le sigle " Lulu Castagnette ", émises du 28/10/2002 au 28/02/2003 pour 6 031,80 euro TTC;

- Dans le magasin Denim République, la présence de deux mannequins habillés de vêtements portant la marque " Lulu Castagnette ", plusieurs présentoirs à étagères contenant des vêtements de divers modèles, tailles et coloris portant la même marque, et la remise de diverses factures portant la marque " Lulu Castagnette " émises du 22/02/2003 au 17/03/2003 pour un montant de 9 101,57 euro TTC;

Considérant qu'il est ainsi démontré une violation flagrante de la clause d'exclusivité territoriale qui justifie la résiliation du contrat de franchise aux torts exclusifs de la société LuLu Expansion, quels que soient les griefs émis par cette société, notamment quant aux retards de paiement de la part du franchisé ; que le jugement déféré sera en conséquence confirmé sur ce point;

Considérant que la société LuLu Expansion demande ensuite la réformation du jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société M&J la somme de 100 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la violation fautive des dispositions contractuelles concernant l'exclusivité ; qu'elle soutient qu'aucun préjudice découlant directement de la faute alléguée n'est démontré, et qu'à tout le moins, l'indemnité devait être ramenée à de plus justes proportions, ou sa fixation soumise à expertise;

Considérant que la société M&J poursuit, à titre incident, la réformation du jugement déféré en ce qu'il n'a condamné au paiement de l'indemnité que la seule société LuLu Expansion ; qu'elle soutient que le franchiseur est constitué de manière solidaire et indivisible des deux sociétés, LuLu Expansion et Ivresse, dans la mesure où le contrat de franchise a été signé par LuLu Expansion et où l'exécution dudit contrat a été menée par la société Ivresse ; qu'elle demande en conséquence la condamnation des deux sociétés in solidum ; considérant que la société M&J demande ensuite que l'indemnité qui lui a été allouée soit portée à 410 889,64 euro, avec intérêts au taux légal à compter de la demande, et capitalisation desdits intérêts ; qu'elle sollicite aussi la condamnation de LuLu Expansion à lui rembourser la somme de 11 960 euro TTC payée au titre du droit d'entrée;

Considérant qu'il est exact, ainsi que l'ont d'ailleurs relevé les premiers juges, que, à travers les arguments présentés de part et d'autre, et les pièces versées aux débats, il apparaît que si la violation de son obligation d'exclusivité par le franchiseur a entravé de façon sensible le fonctionnement de l'EURL M&J, l'inexpérience en matière de vente dans le secteur textile et la maladresse dans la conduite de ses affaires par la gérante de cette société, ont concouru aux problèmes rencontrés par l'entreprise;

Considérant qu'il n'est cependant pas possible de suivre le franchiseur dans son affirmation qu'il n'existerait aucun lien entre le préjudice dont se prévaut la société M&J et la faute relevée à l'encontre de LuLu Expansion, la violation de l'obligation d'exclusivité ne pouvant avoir eu aucune conséquence sur la marche des affaires de M&J; qu'il n'en demeure pas moins que cette société ne rapporte pas la preuve de la plupart des préjudices qu'elle allègue;

Considérant que la société LuLu Expansion fait justement valoir à ce sujet que l'intimée demeure taisante sur la situation réelle de M&J depuis l'année 2003 jusqu'à ce jour ; que s'il a été communiqué un extrait Kbis faisant état d'une "cessation complète d'activité à compter du 1er janvier 2004 sans disparition de la personne morale", il n'est pas versé d'éléments comptables permettant de justifier une réclamation à hauteur de 410 889,64 euro;

Qu'en définitive, les éléments produits, permettent à la cour, sans qu'il soit nécessaire de recourir à l'expertise suggérée par les appelantes, de confirmer l'évaluation à laquelle les premier juges ont exactement procédé, et qui couvre l'ensemble des préjudices subis par la société M&J, et notamment ceux tenant aux investissements financiers qui ont été faits sans pouvoir être entièrement rentabilisés, qui comprennent le versement du droit d'entrée; qu'il y a lieu aussi à confirmation du jugement en ce qu'il n'a condamné au paiement de la somme de 100 000 euro à titre de dommages et intérêts que la société LuLu Expansion, seule signataire du contrat de franchise, et donc seule tenue aux obligations qui en découlent;

Considérant que la société Ivresse demande la réformation du jugement déféré en ce qu'il n'a condamné M&J au paiement que de 29 570,46 euro au titre des factures impayées, alors que cette société soutient être encore créancière de 36 513,46 euro à ce titre; que cette société ne verse toutefois au débat aucun élément susceptible de contredire la constatation des premiers juges qui indiquent, pour les factures n'ayant pas fait l'objet de la mise en demeure du 2 juillet 2003, que l'extrait de compte produit est insuffisamment probant pour être pris en compte, dès lors qu'il présente un caractère unilatéral, et n'a fait l'objet d'aucune relance ou mise en demeure; que le jugement sera confirmé sur ce point;

Considérant que le jugement entrepris sera aussi confirmé en ce qu'il a débouté la société LuLu Expansion de sa demande de paiement de la somme de 10 148,05 euro au titre des cotisations publicitaires non réglées, eu égard à l'inutilité de telles prestations dans le climat de concurrence entretenu sur la ville de Nîmes ainsi qu'il a été exposé plus haut;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société M&J l'intégralité des frais non compris dans les dépens qu'elle a dû exposer, qu'il lui sera en conséquence alloué une somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

Considérant que les sociétés LuLu Expansion et Ivresse, qui succombent pour l'essentiel, supporteront les entiers dépens;

Par ces motifs, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne in solidum les sociétés LuLu Expansion et Ivresse à payer à la société M&J la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute les parties de leurs autres demandes contraires aux motifs ci-dessus, Condamne les sociétés LuLu Expansion et Ivresse, in solidum, aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions l'article 699 du Code de procédure civile.