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Décisions

CA Toulouse, 4e ch. soc. sect. 1, 30 novembre 2006, n° 05-04756

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Lista

Défendeur :

Geci France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Milhet

Conseillers :

MM. Pesso, Chassagne

Avocats :

Me Lapuente Couzi, SCP Barthélémy

Cons. prud'h. Toulouse, du 30 juin 2005

30 juin 2005

Faits et procédure :

Embauché par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 13 août 2001 en qualité d'ingénieur d'études par la SA Geci France, Guiseppe Lista était licencié pour insuffisance professionnelle par courrier en date du 12 juillet 2002.

Le 29 juillet 2002, il saisissait le Conseil de prud'hommes de Toulouse pour contester la cause réelle et sérieuse de cette mesure et réclamer des indemnités.

Par jugement en date du 30 juin 20005, le conseil faisait droit à cette demande et condamnait la SA Geci France à lui payer les sommes de 3 000 euro de dommages et intérêts et 1 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile mais déboutait le salarié sur le terrain de la clause de non-concurrence.

Par déclaration faite au greffe le 9 août 20005, Guiseppe Lista interjetait appel de cette décision avant qu'elle lui soit régulièrement notifiée.

Moyens et prétentions des parties :

Guiseppe Lista demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse mais de la réformer pour le surplus et de :

1° lui allouer les sommes de :

- 31 236 euro de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 5 206 euro de dommages et intérêts pour procédure vexatoire

2° qualifier de clause de non-concurrence la clause de non détournement de clientèle incluse au contrat et de lui allouer:

- 18 741,60 euro à titre de dommages et intérêts

- 2 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et de condamner la SA Geci France aux dépens.

Il considère que les motifs invoqués à l'appui de son licenciement sont en contradiction avec la démarche de la SA Geci France qui, tout en arguant de sa prétendue incompétence, n'avait pas jugé utile de prolonger la période d'essai comme elle en avait le droit.

Il affirme que sa compétence résulte non seulement de son expérience professionnelle antérieure mais également de l'appréciation satisfaisante portée par son responsable hiérarchique le 25 mars 2002 et relève n'avoir reçu aucune remarque sur la qualité de son travail entre le 25 mars et le jour de son licenciement.

Il émet des doutes sur l'authenticité du document daté du 25 juin 2002 versé en première instance par l'employeur, faisant état de difficultés survenues au 15 novembre 2001.

Il conteste par ailleurs le grief relatif à sa connaissance de la langue française alors que la SA Geci France savait qu'il était Italien, qu'elle n'a pas jugé utile lors de son recrutement de lui faire passer un test de langue et qu'aucune difficulté n'a été relevée à ce sujet pendant la période d'essai.

Il expose que son licenciement lui a été notifié par exploit d'huissier et qu'il a été mis à pied à titre conservatoire, ce qui s'inscrit dans une intention de nuire manifeste qui lui ouvre droit à réparation.

Il soutient que la clause de non détournement de clientèle incluse au contrat de travail est en réalité une clause de non-concurrence sans contrepartie financière.

La SA Geci France conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté Guiseppe Lista de sa demande au titre de la clause de non-concurrence mais à sa réformation sur la cause du licenciement et demande à la cour de débouter Guiseppe Lista de l'ensemble de ses prétentions.

Elle expose avoir rempli, pleinement et loyalement son obligation d'adaptation du salarié à son poste en offrant à celui-ci de suivre des cours intensifs de français pendant trois mois dès qu'elle s'était aperçue des lacunes de Guiseppe Lista en ce domaine alors que son curriculum vitae mentionnait une connaissance du français courant.

Elle soutient que le premier incident augurant de difficultés était survenu après qu'elle ait eu à se positionner sur la prolongation ou non de la période d'essai, contrairement à ce qu'a indiqué le Conseil de prud'hommes.

Elle relève que l'évaluation professionnelle du 25 mars 2002 était loin d'être satisfaisante puisque le supérieur de Guiseppe Lista identifiait déjà des points à améliorer alors que peu de travaux avaient été confiés au demandeur et soutient que tant son insuffisance technique que son impossibilité de travailler en équipe justifiaient son licenciement.

Elle précise que la mise à pied du salarié et la notification de son licenciement par voie d'huissier étaient motivées par le comportement inquiétant de Guiseppe Lista, consistant à prendre des photos de ses collègues et à faire craindre une atteinte à son intégrité physique à Monsieur Forny lors de la remise de la convocation à l'entretien préalable.

Elle conteste donc le caractère vexatoire de la procédure et précise que les trois jours de mise à pied ont été rémunérés.

Elle soutient que la clause contractuelle ne fait pas interdiction à Guiseppe Lista d'entrer au service d'une société concurrente mais se contente de prohiber le détournement des clients de la société par des actes positifs déloyaux; que cette clause ayant un objet différent de la clause de non-concurrence il n'y a pas lieu de lui appliquer le même régime juridique et notamment l'exigence d'une contrepartie financière.

Sur quoi :

Sur le licenciement :

Vu les articles L. 120-4, L. 122-4, L. 122-6, L.122-9, L. 122-14 et suivants, L. 122-44 du Code du travail,

Attendu que le contrat de travail sans limitation de durée peut être rompu à l'initiative de l'une ou de l'autre des parties; que cependant le licenciement ne peut être justifié que par une cause réelle et sérieuse qui doit être caractérisée par des faits objectifs, matériellement vérifiables que l'employeur est tenu d'énoncer dans la lettre de notification conformément à l'article L. 122-14-2 du Code du travail, laquelle fixe les limites du débat judiciaire;

Attendu que la lettre de licenciement notifiée à Guiseppe Lista est rédigée dans les termes suivants :

" ... Lors de votre présentation le 15 novembre 2001 à notre client Latecoere dans le cadre du projet TX Dassault nous avons été une première fois alerté par votre chef de projet quant à vos compétences et aptitudes professionnelles. Nous avons, de ce fait décidé de vous placer sous la responsabilité d'un ingénieur expérimenté (plus de cinq ans d'expérience) afin de vous donner toutes les chances de développer par le biais de cette collaboration les compétences requises dans vos fonctions. L'évaluation qui a été menée le 18 juin dernier confirme malheureusement la première, et ne permet de constater aucune amélioration.

Nous déplorons;

- Des difficultés à comprendre et échanger des consignes de travail qui dépassent la simple barrière linguistique, pour laquelle vous avez au demeurant été pris en charge dans le cadre d'un programme de cours intensif auprès de l'Alliance Française d'une durée de 3 mois.

- Difficultés à restituer un travail de qualité suffisante lors du test de reproduction de plan papier sur Autocad, en dépit de l'assistance et des explications détaillées de vos collègues.

- Difficultés importantes à reconstituer à partir de vues 2D, un volume 3D basique (problèmes de spatialisation et vision 3D).

- Enfin, une faible capacité à concevoir des mécanismes et des systèmes qui ne permet pas votre intégration au sein d'une équipe de travail, dont vous mettriez en péril l'atteinte des objectifs, à savoir respect des délais et qualité - fixés par nos clients.

Nous considérons que ces faits, significatifs d'une insuffisance professionnelle avérée, constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement...";

Attendu que pour démontrer la réalité de ces griefs, la SA Geci France verse aux débats les attestations de trois de ses salariés, messieurs Pascal Richard, Yves Forny et André-Marie Semet, qui brossent un tableau particulièrement sévère et inquiétant tant des compétences techniques de Guiseppe Lista (maîtrise de l'outil informatique en dessous du niveau requis, qualité des livrables techniques nettement insuffisant devant être repris par ses collègues, travaillant sur un cube percé d'un trou ce qui est qualifié de travail naïf surprenant pour un ingénieur) que de sa personnalité (incapable de communiquer, restant des journées entières sans parler, tournant le dos au moment où quelqu'un veut lui serrer la main, fixant l'écran vide de son ordinateur, n'émettant aucun signe de vie devant un client) ;

Qu'il existe toutefois une contradiction flagrante entre la situation dénoncée par ces témoins et l'absence de traduction des carences prêtées à Guiseppe Lista en terme d'évaluation professionnelle ou de sanction disciplinaire ; qu'en effet, la seule évaluation notifiée au salarié établie par Monsieur Martinez le 25 mars 2002, qualifiait le travail de l'appelant de globalement satisfaisant; que malgré les réserves émises par l'évaluateur tenant au nombre limité de missions sur lequel il basait son appréciation, il est impossible qu'il n'ait pas décelé en sept mois de collaboration les prétendus insuffisances du salarié si celles-ci étaient aussi flagrantes que le soutient aujourd'hui l'employeur;

Attendu qu'en ce qui concerne le document établi le 18 juin 2002, intitulé "fiche d'évaluation étude" qui attribue à Guiseppe Lista un score global de 136 points sur 780 pour ses compétences, son travail et son attitude, ainsi que l'évaluation littérale effectuée le 25 juin 2002, dans des termes très proches de ceux de la lettre de rupture, ils ont été unilatéralement élaborés par la SA Geci France dans le but évident de justifier et préparer le licenciement qui était déclenché trois jours plus tard par l'envoi de la convocation à l'entretien préalable et n'ont été précédé d'aucun avertissement ni d'aucune remarque faite au salarié ; que par ailleurs, l'intimée ne produit aucun exemple de production, d'études ou de livrable technique que Guiseppe Lista aurait mal réalisés au point que le travail avait dû être refait par un autre salarié comme elle le prétend et/ou qui aurait mis en péril la bonne délivrance d'une prestation à un client;

Attendu qu'enfin, la SA Geci France a largement pu apprécier la maîtrise de la langue française du salarié pendant les trois mois de la période d'essai, qu'elle en a perçu les limites rapidement puisqu'elle invitait celui-ci à suivre, du 1er octobre au 20 décembre 2001, des cours de niveau "élémentaire" à l'école internationale de langue et de civilisation française qui en atteste; que ce grief ne peut donc être avancé plus de 11 mois après le début de la relation contractuelle alors que, de plus, les relations internes à l'entreprise (cf entretien d'évaluation) se déroulaient en langue anglaise;

Attendu que c'est donc à bon droit que le Conseil de prud'hommes a considéré que le licenciement de Guiseppe Lista était dépourvu de cause réelle et sérieuse ; qu'après s'être inscrit à l'ASSEDIC l'appelant a retrouvé du travail en Italie dès le mois de septembre 2002, mais pour une rémunération très inférieure à celle qu'il percevait de la SA Geci France; qu'en conséquence, eu égard à son ancienneté dans l'entreprise, au montant de son dernier salaire de 2 603,37 euro et des circonstances de la rupture, il lui sera alloué la somme de 9 000 euro en réparation du préjudice que lui a causé la perte injustifiée de son contrat de travail ;

Attendu que Guiseppe Lista ne démontre pas avoir subi un préjudice distinct de celui occasionné par la rupture de son contrat de travail et sera donc débouté de sa demande fondée sur le prétendu caractère vexatoire de la procédure de licenciement;

Sur la clause contractuelle:

Attendu que le paragraphe 3 de l'article 12 du contrat de travail, intitulé "clause de secret professionnel, de confidentialité et de non détournement de clientèle" signé par les parties stipule que "Monsieur Guiseppe Lista s'engage, pendant et après son contrat de travail (et ceci pendant une durée de deux ans), à ne détourner aucun client des sociétés du Croupe Geci, directement ou indirectement, sous quelque forme juridique que ce soit, tant en son nom personnel que pour le compte de tiers. Cette obligation s'applique en général à tout client des sociétés du Croupe Geci et en particulier, aux clients avec lesquels Monsieur Guiseppe Lista sera en contact directement ou indirectement" ;

Attendu qu'il convient de rappeler que la SA Geci France intervient dans le domaine aéronautique ; qu'au vu de la liste téléphonique interne produite par Guiseppe Lista, les clients du Groupe sont notamment les sociétés Alcatel Space Industrie, Airbus, Astrium, Dassault, Latecoere et Snecma ; que ces sociétés constituent la cible de la clientèle pour toutes les entreprise européennes travaillant dans le secteur de l'aéronautique ; que s'il est vrai que la clause litigieuse n'interdit pas à Guiseppe Lista d'entrer au service d'une société concurrente, son libellé très large et imprécis quant aux obligations du salarié, aboutit en fait à lui interdire l'accès aux sociétés travaillant pour ces mêmes clients c'est à dire à toute entreprise oeuvrant dans le secteur aéronautique ; qu'en pratique, cette clause a donc pour effet d'interdire à Guiseppe Lista l'exercice d'une activité conforme à sa formation et à son expérience professionnelle, ce qui constitue une entrave à la liberté du travail et doit conduire à considérer qu'il s'agit bien d'une clause de non-concurrence déguisée;

Que la SA Geci France ne peut raisonnablement soutenir l'inverse alors que cette obligation contractuelle mise à la charge du salarié pendant le déroulement du contrat de travail et les deux années suivant la rupture, ne peut avoir d'utilité que parce qu'elle est distincte, d'une part, de l'obligation de loyauté qui s'impose aux parties pendant la durée du contrat de travail et, d'autre part, de la responsabilité générale découlant de l'article 1382 du Code civil fondée sur la faute qui n'est pas limitée dans le temps;

Attendu qu'il est constant que la clause litigieuse n'est assortie d'aucune contrepartie financière, ce qui l'a rend illicite ; que Guiseppe Lista démontre toutefois l'avoir respectée puisque son nouvel employeur exerce dans le secteur de la construction métallique sans rapport avec celui de l'aéronautique mais aussi moins rémunérateur puisque son salaire est aujourd'hui de 1 404,22 euro ; que le respect de cette clause irrégulière a donc causé à l'appelant un préjudice qu'il convient d'évaluer à la somme de 15 000 euro

Attendu que la SA Geci France supportera les dépens d'appel et sera en outre condamnée à verser à Guiseppe Lista la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement rendu le 30 juin 2005 par le Conseil de prud'hommes de Toulouse sauf sur le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et sur la qualification de la clause de non détournement de clientèle, Le réformant de ces chefs, statuant à nouveau et y ajoutant : Condamne la SA Geci France à payer à Guiseppe Lista la somme de 9 000 euro de dommages et intérêts au titre du caractère abusif du licenciement ; Dit que la clause de non détournement de clientèle insérée dans l'article 12 du contrat de travail de Guiseppe Lista s'analyse en une clause de non-concurrence ; Dit que cette clause est illicite, Condamne la SA Geci France à payer à Guiseppe Lista la somme de 15 000 euro de dommages et intérêts, Condamne la SA Geci France aux dépens, La condamne à payer à Guiseppe Lista 1 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.