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Décisions

ADLC, 11 mai 2010, n° 10-D-15

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à des pratiques mises en œuvre par le GIE " groupement des Taxis amiénois et de la métropole "

ADLC n° 10-D-15

11 mai 2010

L'Autorité de la concurrence (section V) ;

Vu la lettre, enregistrée le 29 juillet 2008 sous le numéro 08/0085 F par laquelle la ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur des taxis à Amiens ; Vu le livre IV du Code de commerce modifié ; Vu la décision de la rapporteure générale en date du 11 décembre 2009 prise en application de l'article L. 463-3 du Code de commerce, qui dispose que l'affaire fera l'objet d'une décision de l'Autorité de la concurrence sans établissement préalable d'un rapport ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu la lettre du 1er mars 2010 par laquelle le Groupement des radio-taxis d'Amiens et de la métropole indique qu'il n'a pas d'observations particulières à formuler ; Vu les observations le commissaire du Gouvernement ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants du GIE du groupement des radios taxis d'Amiens et de la métropole (ci-après GIE GRTAM) et ceux du GIE Amiens taxi métropole entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 7 avril 2010 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

1. Selon la saisine, le Groupement des taxis amiénois et de la métropole est l'origine d'une pratique ayant pour objet de fixer de façon concertée le prix des licences de taxi des membres du groupement entre 1995 et 2007. Par ailleurs, les statuts et le règlement intérieur du groupement contiennent plusieurs clauses susceptibles de restreindre l'offre de taxis. Il en est ainsi des clauses interdisant aux chauffeurs de taxi d'avoir une clientèle personnelle ou instituant des conditions d'adhésion discriminatoires.

A. LE SECTEUR ET LES ENTREPRISES CONCERNÉES

1. LE CADRE RÉGLEMENTAIRE

2. Le secteur du taxi est fortement réglementé en France. L'article 1er de la loi n° 95-66 du 20 janvier 1995 relative à l'accès à l'activité de conducteur et à la profession d'exploitant de taxi, reprenant la définition du décret n° 73-225 du 2 mars 1973, qualifie de taxi : "Tout véhicule automobile de neuf places assises au plus, y compris celle du chauffeur, muni d'équipements spéciaux, dont le propriétaire ou l'exploitant est titulaire d.une autorisation de stationnement sur la voie publique en attente de clientèle, afin d'effectuer à la demande de celle-ci et à titre onéreux le transport particulier des personnes et de leurs bagages".

3. Comme dans de nombreux pays, la France a mis en œuvre une réglementation qui concerne à la fois les conditions d'entrée sur le marché et d'exercice de la profession de taxi ainsi que la fixation des tarifs. Cette régulation poursuit plusieurs objectifs : proposer une offre de qualité qui réponde à la demande, à un prix abordable et qui s'insère dans le trafic routier.

4. L'accès à la profession de chauffeur de taxi est subordonné à une condition de compétence sanctionnée par un certificat de capacité professionnelle (1) délivré par le préfet, qui est également compétent pour délivrer la carte professionnelle (2).

5. Par ailleurs, l'exploitant du taxi doit obtenir une autorisation de stationnement sur la voie publique, encore dénommée " licence " par la profession. Une entreprise de taxi peut détenir plusieurs licences et les faire exploiter par des salariés ou des locataires, eux-mêmes titulaires de la carte professionnelle. La loi du 20 janvier 1995 précitée prévoit deux modes d'acquisition de l'autorisation de stationnement, soit auprès l'autorité administrative compétente sur simple délivrance, soit auprès d'un titulaire de cette licence à qui la loi reconnaît la faculté de "présenter à titre onéreux un successeur" à l'autorité administrative qui a délivré celle-ci.

a) L'attribution de l'autorisation par l'autorité administrative

6. Cette solution présente l'avantage de la gratuité mais elle comporte plusieurs inconvénients au premier rang desquels l'existence d'une liste d'attente souvent très longue, qui alimente l'attribution des autorisations nouvelles suivant un mécanisme de numerus clausus. Les conditions de délivrance de ces autorisations sont prévues par l'article 6 de la loi n° 95-66 du 20 janvier 1995 et font l'objet d'une procédure réglementée dans le cadre du décret n° 95-935 du 17 août 1995 (3).

7. En principe, il appartient aux maires de délivrer ces autorisations en vertu des pouvoirs de police générale qui leur sont conférés sur les voies publiques de leur commune et plus spécifiquement en vertu des dispositions de l'article 9 du décret n° 95-935 du 17 août 1995. Cette règle de principe connaît quelques exceptions (4). Cette compétence peut notamment être exercée par le préfet lorsque la mesure intéresse plusieurs communes (5).

8. Le choix du demandeur s'effectue sur la base d'une liste d'attente qui est établie par l'autorité chargée de délivrer l'autorisation et qui est rendue publique.

9. Le maire ne peut attribuer l'autorisation de stationnement qu'au candidat le mieux placé sur la liste d'attente.

10. Enfin, la loi subordonne la première cession d'une autorisation acquise à titre gratuit à l'exploitation effective et continue pendant une durée de 15 ans. Cette condition, qui vise à limiter la spéculation, peut être de nature à orienter le choix des nouveaux demandeurs plutôt vers le marché des licences payantes.

b) L'acquisition à titre onéreux de l'autorisation

11. L'acquisition à titre onéreux de l'autorisation permet d'en disposer immédiatement en l'achetant auprès d'un taxi en exercice, et de profiter de sa clientèle, éventuellement de bénéficier de l'effet de notoriété lié à l'appartenance à un groupement de taxi, de reprendre ses contrats de transport scolaire, de mutuelle d'assistance ou de transport de malade assis.

12. Le titulaire de la licence doit présenter son successeur à l'autorité administrative qui agrée la mutation après consultation éventuelle de la commission communale ou départementale des taxis et voitures de petite remise.

13. En outre, la loi de 1995 déjà citée impose de déclarer et de porter les transactions, ainsi que leur montant, sur un registre public tenu par l'autorité qui délivre les autorisations et précise que seuls les professionnels ayant effectivement exercé une activité pendant 5 ans sont habilités à présenter un successeur, ce délai étant porté à 15 ans - excepté dans les cas visés à l'article 4 de la loi de 1995 (6) - pour la première cession des autorisations obtenues gratuitement.

14. S'agissant de la portée rationae loci de l'autorisation, les taxis doivent stationner dans leur commune de rattachement mais ils peuvent toutefois stationner dans les communes où ils ont fait l'objet d'une réservation dite préalable, dont ils doivent apporter la preuve en cas de contrôle (7). Par ailleurs, dans le cadre d'une approche intercommunale, les taxis peuvent stationner dans les communes participantes à un service commun comprenant leur commune.

2. LA RÉGLEMENTATION PORTANT SUR LES TARIFS

15. Par dérogation aux règles générales applicables en matière de concurrence et sur le fondement de l'article L. 410-2 du Code de commerce, les tarifs des courses de taxi sont réglementés. Le décret n° 87-238 du 6 avril 1987 a défini les différentes composantes à retenir pour fixer le prix des courses, compte tenu de la distance parcourue et du temps de transport : prise en charge, prix du kilomètre, période d'attente commandée par le client, marche ralentie du véhicule. En application de ce texte, le ministre chargé de l'économie fixe chaque année l'augmentation du prix d'une course type, délégation étant donnée au préfet pour fixer les prix maximaux que les taxis peuvent appliquer dans le département.

16. Cette régulation ne constitue pas un mécanisme de prix imposés mais elle répond à un objectif général de protection du consommateur, la fixation d'un prix maximum venant contrebalancer l'absence de réel pouvoir de négociation du client et la faible élasticité prix de la demande compte tenu de l'étroitesse du marché, en laissant le soin à l'offre de pouvoir proposer aux voyageurs des prix inférieurs.

17. C'est dans cette logique et dans l'objectif de maîtriser les dépenses de santé que la réglementation relative à la prise en charge par l'assurance maladie des transports de malades effectués en taxi issu de l'article L. 322-5 du Code de la sécurité sociale, dans sa version issue de la loi de financement pour la sécurité sociale de 2008, en rendant obligatoire le conventionnement avec un organisme local d'assurance maladie, tend à favoriser la négociation d'une décote tarifaire par rapport aux tarifs préfectoraux (8).

3. LES DONNÉES AU NIVEAU NATIONAL

18. S'agissant de l'offre, le nombre de taxis, valorisé en nombre de licences, est passé de 46 800 en 2004 à 51 232 (9) en 2008, soit une augmentation de 8,6% dont le rythme a doublé par rapport à la période précédente allant de 1992 à 2001 (10).

19. Cette évolution recouvre de grandes disparités géographiques et pèse de façon inégale sur le niveau de l'offre et celui du prix des licences.

20. Le niveau du prix des cessions des autorisations de stationnement dépend du niveau de l'offre et de la demande du territoire de rattachement des taxis concernés. Une offre de taxis abondante conduit à une demande qui peut être facilement satisfaite et donc à des prix qui peuvent être relativement peu élevés. En revanche, une offre insuffisante qui assure une activité soutenue au titulaire d'une autorisation, du fait de cette rareté de l'offre, conduit à des prix de cession en tendance plus élevés.

21. Dans ce contexte, l'augmentation du nombre de licences par les pouvoirs publics, qui est corrélée négativement à leur valeur, exerce une pression à la baisse, alors qu'inversement, une attitude restrictive vis-à-vis du nombre de licences entretient la rareté de l'offre. Par ailleurs, la présence plus ou moins forte de facteurs déterminants de la demande (le nombre de taxis par habitant, l'évolution des revenus, la présence d'infrastructures de transport, la qualité des réseaux de transport en commun, présence forte d'un secteur hospitalier, importance du tourisme...) pèse également sur la valeur des licences.

22. L'éventail des prix pratiqués au niveau national est très large puisqu'il est en moyenne de 100 000 euro, pour atteindre 180 000 euro à Paris et 300 000 euro à Nice (11).

4. LA SITUATION DU SECTEUR DES TAXIS AMIENS

23. La réglementation reposant essentiellement sur la détention d'autorisation de stationnement dans la commune, le marché géographique se définit en principe par rapport à l'offre et est celui de la prestation de taxi dans la commune (CA Paris 5 mai 1998, GIE taxi-radio toulonnais).

24. Dans son avis n° 04-A-04 du 29 janvier 2004 (§53 et 54) relatif à une demande de la Fédération nationale des taxis indépendants concernant la réglementation de l'activité des taxis, le Conseil de la concurrence a souligné l'intérêt qu'il y avait à dépasser une approche étroitement communale pour appréhender la zone géographiquement pertinente à l'échelle intercommunale : " La dimension géographique des communes est, à l'évidence, trop restreinte pour que puisse s'y développer un service autonome de taxi, commune par commune. Si le stationnement d'un taxi peut être limité au territoire de la commune qui en a délivré l'autorisation, sa circulation s'opérera nécessairement sur un plus grand nombre de communes, limitrophes ou périphériques. C'est pourquoi le préliminaire essentiel à une amélioration cohérente de la réglementation consiste en la définition de ces zones géographiques pertinentes au sein desquelles les autorités responsables - maires et préfet - devront s'entendre pour édicter, chacun pour ce qui relève de ses compétences, une réglementation harmonisée. Ces zones géographiques pertinentes nécessitent d'être reconnues comme telles à partir d'une existence de fait déjà le plus souvent observable : ville centre et communes périphériques, territoire d'un central d'appel radio, etc. Cette reconnaissance pourrait être efficacement pilotée par l'autorité préfectorale ".

25. Telle est la situation à Amiens depuis la création en 2004 d'un service intercommunal de taxis, institué au niveau de la communauté d'agglomération " Amiens métropole ", qui assure une régulation de l'activité dans le ressort des 33 communes qui la composent (12). La communauté d'agglomération a en outre le statut d'autorité organisatrice de transport par application de la loi n° 82-1153 (dite loi " LOTI ") qui lui confie la mission générale d'organiser les transports.

26. L'arrêté préfectoral du 14 octobre 2004 , modifié par l'arrêté du 26 novembre 2007, dispose que " les conducteurs de taxi autorisés selon les modalités du présent arrêté(...) pourront stationner aux emplacements prévus à cet effet (...) sur l'ensemble du territoire de la communauté d'agglomération, dans l'ordre d'arrivée et desservir toutes les communes de ce service intercommunal ". De même, cet arrêté institue, à compter de fin 2007, " une liste d'attente intercommunale sur laquelle sont inscrits, par ordre chronologique de dépôt de la demande, des candidats à l'exploitation d'une autorisation de stationnement au sein du service intercommunal de taxis de l'agglomération amiénoise ".

27. Le préfet de la Somme est compétent dans le ressort de la communauté d'agglomération pour définir le périmètre géographique, arrêter le nombre de taxis et gérer la liste des demandes d'autorisation du service intercommunal de taxis.

28. La communauté d'agglomération a précisé le partage des compétences entre les maires et le préfet (13) : "Tous les taxis qui ont intégré le service intercommunal sont autorisés à circuler et à stationner sur l'ensemble du territoire de la communauté d'agglomération Amiens métropole. Cependant, chaque taxi reste rattaché à une commune de la communauté d'agglomération et le maire au titre de ses pouvoirs de police est l'autorité habilitée à délivrer les autorisations de mises en circulation.

Dès lors deux situations peuvent se rencontrer :

- soit le maire de cette commune de rattachement délivre l'autorisation de circulation et stationnement, et peut imposer des obligations de stationner sur le territoire de sa commune à des jours, heures et emplacements déterminés. Le taxi ainsi autorisé peut néanmoins circuler et stationner sur l'ensemble du territoire de la communauté d'agglomération, assiette du service intercommunal, parce qu'il fait partie des 55 taxis désignés par l'arrêté préfectoral.

- soit, le maire restant compétent pour délivrer des autorisations de stationnement en-dehors du service intercommunal, les taxis ainsi autorisés ne pourront stationner que sur le territoire de la commune qui a délivré l'autorisation.

Le préfet autorise quant à lui toute augmentation du nombre de taxis du service intercommunal et organise la Commission intercommunale des taxis qui rend un avis avant la délivrance des autorisations municipales pour les communes de moins de 20 000 habitants ".

29. Le territoire couvert par le service intercommunal ne donne donc pas lieu à une totale réciprocité entre les 33 communes d'Amiens métropole, chaque taxi de la communauté d'agglomération ne pouvant stationner sur la commune de son choix que pour autant qu'il ait été autorisé par l'une des communes visées à l'article 2 de l'arrêté précité. L'agglomération amiénoise compte 61 taxis. Sur les 55 taxis qui font partie du service intercommunal, 47 ont été autorisés par le maire d'Amiens et 8 sont rattachés à une commune de la périphérie incluse dans le périmètre du service intercommunal. Les 6 autres taxis relèvent de communes (14) qui n'y sont pas incluses - bien que faisant partie de l'agglomération amiénoise - et ne peuvent pas stationner sur Amiens.

30. La communauté d'agglomération a précisé : " Il n'existe pas de bornes d'appels sur la voie publique permettant au public d'appeler les taxis de l'agglomération. Sur le territoire de la Ville d'Amiens, huit emplacements sont répartis aux abords du centre ville dont un emplacement supplémentaire depuis la création du Service intercommunal. A ces emplacements s'ajoutent ceux situés devant et à l'arrière de la gare centrale d'Amiens. A cet endroit, le nombre et la situation d'emplacements de taxis est amené à évoluer pour tenir compte des travaux déjà réalisés et d'autres encore en cours notamment dans la gare. Une réflexion globale est menée au sein de la collectivité" (15). L'absence d'une parfaite réciprocité de stationnement entre les taxis de la métropole aboutit à une situation qui avantage de fait essentiellement les taxis d'Amiens, en sorte qu'ils ne sont pas, à la différence de leurs concurrents de la périphérie non inclus dans le service intercommunal, fatalement exposés à des retours " à vide " lors de l'accomplissement de trajets interurbains au sein du ressort de l'agglomération.

31. La Communauté d'agglomération n'a pas apporté d'explication sur cette situation qui est également de nature à créer une asymétrie entre les taxis de la périphérie dont on peut mesurer qu'elle puisse pénaliser au moins potentiellement les taxis qui souhaiteraient développer leur activité à partir des stations situées à Amiens. Elle a d'ailleurs été évoquée lors de l'instruction et demeure une source d'incompréhension.

32. Le dirigeant du GIE Amiens taxi métropole (ci- après GIE " ATM "), créé fin 2008, a indiqué " Ceux des taxis (au nombre de 5) qui relèvent d'Amiens métropole mais qui ne sont pas considérés comme relevant du service intercommunal de taxi créé par l'arrêté de 2004 n.ont pas la possibilité de stationner à la Gare. Nous ne comprenons d'ailleurs pas cette situation, d'une part, par rapport à la demande, qui est forte sur la gare aux heures de pointe, et d'autre part, au fait que ces taxis peuvent en pratique stationner à l'hôpital Sud, qui est à Salouel" (16).

33. Interrogé sur la capacité de l'offre des taxis d'Amiens métropole à couvrir les besoins aux heures de pointe, M. X..., taxi à Cagny - commune incluse dans le ressort du service intercommunal de taxis - a indiqué : " Non pas assez, c'est la raison pour laquelle on demande que les taxis de la métropole puissent venir charger des clients sur Amiens, ce qui n.est pas le cas pour ceux dont la licence a été délivrée par une commune qui ne fait pas partie du service intercommunal dans l'arrêté de 2004. Une telle évolution permettrait tout au plus à six-sept taxis d'accéder à Amiens". (17) Sur la même question, M. Y..., président du GIE ATM, relève quant à lui " [qu'] Il y a assez de taxis sur la métropole (...), mais il faudrait mobiliser tous les autres taxis de la métropole pour aller charger en gare du Nord aux heures de pointe, car il y a un manque de taxis qui traduit une insuffisance de l'offre". (18) De même, sur cette insuffisance chronique de la couverture de la demande aux heures de pointe au départ des stations d'Amiens, les dirigeants du GIE des radios taxis d'Amiens et de la métropole (ci après GIE GRTAM) ont indiqué " [que] C'est toujours vrai aux heures de pointe. Il faudrait toujours des taxis supplémentaires qui couvriraient un besoin limité dans le temps". (19)

34. Dans le cadre ainsi défini, et sous la réserve qui vient d'être formulée, on peut toutefois considérer qu'une offre structurée émerge au niveau géographique à partir du service intercommunal de taxis de la métropole amiénoise.

35. Chef lieu du département de la Somme, Amiens est la plus grande ville de la région Picardie. Ramenée au plan national, elle est la 31ème ville par le nombre d'habitants (136 105 habitants) (20) et occupe le 331ème rang par sa densité (2752 hab/km2).

36. La Communauté d'agglomération d'Amiens qui est composée de 33 communes comporte une population de 177 345 habitants (21), soit près d'un tiers de la population du département.

37. La métropole amiénoise se situe sur les grands axes autoroutiers de grandes métropoles (Paris, Lille et Bruxelles, reliées par les autoroutes A16 et A29).

38. Amiens se situe à moins d'1 heure 30 de trajet en voiture des aérogares de Roissy (129 km), Lille-Lesquin (98 km) et de Beauvais-Tillé (80 km), ce dernier connaissant une croissance soutenue du trafic " passagers " (15 %/an) qui a atteint 2,5 millions en 2008.

39. Elle dispose également d'une gare TGV (gare TGV Haute Picardie située à 45 km), en complément de la gare du Nord et de la gare Saint Roch, situées en centre ville.

40. Au plan de l'offre de soins, le secteur sanitaire d'Amiens représente à lui seul 27,69 % des capacités installées dans la région Picardie (22), ceci en grande partie en raison de la présence du CHU (1797 lits) et du CHS Philippe Pinel (572 lits). D'une manière générale, la région se caractérise par une densité de médecins inférieure à la moyenne nationale (9 médecins généralistes pour 10 000 habitants contre 10,2 médecins pour la France) qui favorise les déplacements ambulatoires vers l'agglomération d'Amiens ; il en va de même des infirmières et des kinésithérapeutes (23).

41. Enfin, la proximité des sites de la bataille de la Somme (20-25 minutes) peut constituer un élément qui vient au soutien de la demande de transport de voyageurs par route.

42. Paradoxalement, ces éléments de dynamisation de la demande ne se traduisent que de façon très partielle au niveau de l'offre de taxis si l'on en juge par le nombre de taxis par habitant et son évolution, qui est l'un des plus faibles de France (24) que ce soit au niveau du département de la Somme (1/3600) ou de la métropole amiénoise (1/3500).

43. En 2004, le nombre de taxis (véhicules) dans la métropole amiénoise était de 50 dont 43 à Amiens. Depuis le 26 novembre 2007, 55 taxis sont enregistrés au titre du service intercommunal de la métropole amiénoise dont 47 sur Amiens même, soit un rythme de croissance de 10 %, légèrement supérieur au rythme national (8,6 %) sur la même période. Le contexte de cette augmentation a été rappelé par " Amiens métropole " dans les termes suivants : " Suite à des réclamations d'usagers concernant l'insuffisance de taxis, notamment les délais d'attente de prise en charge, une comparaison a été faite par rapport au nombre de taxis autorisés à circuler dans des communes de taille équivalente à l'agglomération amiénoise, le nombre d'habitants et les besoins en taxis étant pris en compte avant toute décision d'augmentation. Le ratio du nombre d'habitants pour un taxi a fait apparaître un sous-effectif. Devant ce constat Monsieur le Préfet a été saisi afin de décider d'une augmentation du nombre de taxis. C'est ainsi qu'un arrêté préfectoral du 26 novembre 2007 a porté de 50 à 55 le nombre de taxis autorisés à circuler au sein du Service intercommunal" (25).

44. L'augmentation a été déterminée par la communauté d'agglomération sur la base d'une comparaison avec la moyenne du nombre de taxis par habitant des villes de Douai, Le Mans, Perpignan et Poitiers, soit 1/2617 habitants (cote 1017).

45. Globalement, l'activité de taxi sur Amiens se répartit en 3 catégories : l'activité traditionnelle de courses sur la voie publique (chargement en station sur réquisition du passager et réservations téléphoniques), le transport de malades et le transport de voyageurs donnant lieu à la conclusion de contrats pour le compte de différents donneurs d'ordre (le Conseil général, la SNCF, les centres hospitaliers, les entreprises d'assistance).

46. Alors que l'activité des taxis des communes de la périphérie se concentre sur les deux derniers types de transport, les taxis d'Amiens ont une activité qui s'équilibre entre ces trois catégories de transport, notamment du fait de la prééminence de l'activité de radio taxi du GIE GRTAM sur la période observée.

47. Selon M. Z..., président du Syndicat des artisans du taxi de la Somme (SATS) et artisan taxi à Longueau (26), " un taxi qui fait partie de la Métropole amiénoise et qui tourne bien peut faire 250 euro/jour de chiffre d'affaires (sur 12 à 13 heures minimum), soit environ 5 500 euro par mois. Aujourd.hui environ 28 à 30 % maxi du chiffre d'affaires revient en net à l'artisan taxi. Les taxis de la Métropole amiénoise qui font du scolaire le font avec leur taxi (à un prix forfaitaire, même s.ils ont une autorisation de loti (DDRE)). Certains taxis font du transport Sécurité Sociale très variable de 20 à 80 %, les autres ont des contrats scolaires ou SNCF (personnellement je tourne à 99 % SNCF, pratiquement pas de Sécurité sociale). Je pense que sur Amiens, les taxis tournent à 40 % en station et 60 % en scolaire et Sécurité sociale ".

48. M. A..., membre du GRTAM jusqu'en 2008, confirme cette estimation lors de son audition du 18 septembre 2009 : " En ce qui concerne les courses sur la voie publique cela représente 60 % du CA et 40 % pour le transport médical. Ces chiffres sont les moyennes par chauffeur " (27).

49. M. B..., président du GRTAM entre 2003 et 2008, a déclaré dans le procès-verbal du 18 décembre 2007 : " Pour mes courses, je ne fais pas de médical sauf les courses du groupement si je suis à la queue. Je fais surtout toutes les courses à la volée du groupement. Je n'ai pas de clientèle personnelle " (28). L'examen des bilans transmis par M. B... aux enquêteurs montre que, par différence et rapprochés du chiffre d'affaires facturé au nom du groupement qui est en moyenne de 21 000 euro (29), les deux tiers du chiffre d'affaires global de M. B...(30) correspondent effectivement aux courses effectuées sur réquisition du client.

50. L'avantage procuré aux taxis d'Amiens en terme de stationnement sur les sites stratégiques de la ville (gares, hôpital) joue à l'avantage du GIE GRTAM, qui occupe de fait une place prédominante dans la métropole amiénoise pour l'offre de taxis.

5. LES ENTREPRISES CONCERNÉES

51. Sur l'ensemble des 55 autorisations délivrées sur le service intercommunal de taxi de la métropole amiénoise, 45 sont détenues par des membres GIE GRTAM. Le GIE compte aujourd'hui 45 membres dont 44 membres titulaires d'une autorisation sur Amiens et un artisan de taxis de la commune de Salouel. Chaque membre est porteur d'une part du capital, porté au passif du bilan pour un montant global de 6 800 euro.

52. Le GIE a connu un renouvellement important d'une dizaine de ses membres entre 2008 et juillet 2009, imputable pour la plupart à des départs en retraite. Le GIE a été constitué le 16 mars 1976 à l'initiative des taxis d'Amiens. Le GIE a pour objet " de faciliter l'activité des artisans taxi d'Amiens, des communes adhérant à Amiens métropole, des communes de l'arrondissement d'Amiens en permettant la mise en commun des moyens visant à réaliser toutes opérations financières, industrielles ou commerciales se rattachant à l'objet susvisé qui est lié à l'activité économique de ses membres et ne peut avoir un caractère auxiliaire par rapport à celle-ci " (cote 469).

53. Le groupement possède un standard téléphonique, fonctionnant 24 heures sur 24, dont le numéro d'appel est unique. Il est historiquement le seul opérateur de radio taxis sur Amiens jusqu'à la création récente, en octobre 2008, du GIE Amiens Taxi métropole (ci-après désigné GIE ATM). En l'absence de bornes d'appel sur la voie publique, l'appartenance au GIE permet d'accéder au standard, qui demeure un point de contact essentiel pour la clientèle à la recherche de taxis, et par lequel se fait la régulation d'une très large part de l'offre de taxis sur Amiens (31), principalement à partir de la gare centrale d'Amiens. Les modalités de distribution des courses et l'organisation des courses sont, en principe, consignées dans le règlement intérieur.

54. Depuis sa création, le groupement a connu des modifications substantielles qui touchent à la fois à ses statuts, son règlement intérieur, sa dénomination, son siège, sa composition et son fonctionnement. La plupart de ces modifications n'ont été portées à la connaissance du greffe du tribunal de commerce d'Amiens qu'en 2008, alors même que les décisions concernant ces modifications avaient été prises en 2005, voire bien avant pour la désignation des dirigeants. Cette situation n'est pas de nature à donner une image transparente du fonctionnement du GIE surtout lorsque les modifications en cause portent sur son contrat constitutif et son règlement intérieur et ont donc un impact concret sur les conditions d'exercice de l'activité des membres.

55. De même, si quatre documents ont été transmis aux enquêteurs comme faisant office d'anciens et de nouveaux statuts et de règlement intérieur (32), les dirigeants comme les membres du GIE auditionnés lors de l'instruction ont peine à établir leur application dans le temps.

56. M. A..., membre du GIE GRTAM jusqu'en 2008, abonde en ce sens : " J'insiste sur le fait que je n'étais pas destinataire des projets de RI et statuts dont vous me donnez lecture avant les AG. (Lecture des documents est donnée). D'une manière générale, les documents faisant l'objet du vote en AG n'étaient pas transmis avec la convocation et ni communiqués lors de celles-ci. Il y avait un manque total de transparence et toutes les consignes concernant le GIE étaient données de façon orale. De même, les votes se faisaient à main levée et non par bulletin secret. Je pense qu'il s'agissait d'un moyen de pression. Ce mode d'organisation résultait de la seule volonté de M. C... qui pourtant n'a aucune fonction officielle au sein du conseil d'administration ou du bureau. D'une façon générale, M. C... s'occupe de la gestion administrative, des embauches et de la régulation du standard " (33).

57. Il est par ailleurs apparu que certaines dispositions touchant aux conditions d'adhésion des nouveaux membres ou encore aux modalités de distribution des courses avaient été mises en œuvre ou modifiées sans faire l'objet d'une consignation écrite, ou alors de façon tardive dans le nouveau règlement et les nouveaux statuts par rapport à leur mise en œuvre pratique.

58. Le GIE est administré par un conseil d'administration de 2 à 5 membres. Le président du GIE GRTAM est M. D... depuis juillet 2009 (cote 861).

59. L'article 28 du règlement intérieur (cote 396) indique que " les stratégies de distribution sont définies par le conseil d'administration ".

60. Dans le procès-verbal du 23 septembre 2009, les dirigeants ont décrit de la façon suivante la répartition des courses : " Pour les courses immédiates et les courses réservées, c'est la voiture de tête en station [en gare du Nord] qui est attributaire de la course. Pour les longues courses (+ de 50 km, réservées ou non), c'est une liste qui établit le tour des chauffeurs, et depuis 2005, le permanent de nuit a le droit à deux courses le lendemain, puis en fonction du numéro de plaques. Ceci a été précisé dans les nouveaux statuts " (34).

61. La résolution de l'assemblée générale extraordinaire du 17 juin 2005 acte " de l'abandon de la liste des longues courses (...) le chauffeur rappelé sera le permanent de Nuit (à partir de 19 h) " (35). L'ancien règlement intérieur disposait par ailleurs que " Toutes longues courses, au delà de 50 km (...) prises en automatique de jour et de nuit seront envoyées systématiquement en "voiture de tête " (36).

62. L'article 14 des nouveaux statuts, adopté en juillet 2006 stipule, que " Les paramètres d'attribution des courses, le délai de confirmation et les sanctions automatiques en cas de non réponse, ainsi que le capital de temps de pause seront fixés par l'Assemblée Générale et consignés par le Conseil d'Administration qui par une circulaire devra informer chacun des membres du Groupement de toute modification " (37).

63. Le manque de clarté et de cohérence de ces règles expose les modalités de distribution à une grande volatilité de nature à éveiller des critiques - fondées ou non - sur leur caractère véritablement transparent.

64. Dans le cadre de son mandat (article 9 du règlement intérieur, cote 391), " le conseil d'administration peut être amené à conclure des contrats qui impliquent le paiement différé de certaines courses et éventuellement une remise sur le prix des courses ne pouvant excéder 11 % du tarif de jour. Ces courses sont dites courses en compte ".

65. Pour ces prestations, les tarifs sont négociés directement avec le donneur d'ordre et donnent lieu à l'établissement de la facturation par le GIE, au vu de relevés mensuels établis par les membres. Les taxis membres bénéficient du reversement du prix des courses à " l'euro " dans le délai moyen de 90 jours.

6. LES AUTRES INTERVENANTS SUR LA MÉTROPOLE AMIENOISE

66. L'offre de taxis ne se limite pas à celle du GIE GRTAM. Ainsi, apparaît parallèlement une offre qui résulte de l'activité d'une douzaine de taxis installés pour l'essentiel à la périphérie d'Amiens.

67. Le 10 septembre 2008, et à l'initiative de M. Patrick Y..., exploitant de la SARL " Affair taxi ", douze taxis indépendants ont décidé de constituer entre eux un groupement d'intérêt économique " Amiens taxis métropole " (le GIE ATM) dont l'objet est de " grouper un certain nombre d'artisans taxis en vue d'assurer le lancement commercial, le développement et la promotion du groupement et de réaliser toutes les opérations nécessaires pour atteindre cet objectif ".

68. Lors de l'instruction, M. Y..., a déclaré : " le GIE ATM a pour objet l'activité de taxi, à savoir la mutualisation des appels des clients par un n° unique (03-22-72-80-80), en ce qui concerne l'activité dite réglementée sur la voie publique (chargement à une station ou réservation). Nous avons choisi un système de géolocalisation qui permet de mettre en relation automatiquement le client avec le taxi le plus proche sans l'intervention de standardiste, ce qui permet un gain sur les coûts de personnel, puisqu'il n'y a pas besoin de standardiste. Nous gagnons également sur les coûts d'exploitation, l'abonnement par taxi au système de communication "NG taxi" étant seulement de 110 euro par mois. Vis-à-vis du client, c'est la garantie d'avoir un prix moins élevé qu'un système de radiotéléphone, puisque la course d'approche est nécessairement plus courte. Nous avons divisé Amiens en 5 secteurs, le client choisit le secteur de son lieu de prise en charge au moment de son appel, ce qui permet au client d'avoir la garantie d'avoir le taxi le plus proche. Pour les réservations de longues courses (Roissy, gare TGV), la course est attribuée à tour de rôle aux taxis en fonction de leur n° d'abonnement au système de géolocalisation et de leur disponibilité. La communication étant partagée avec tous les taxis, il n'y a pas de risque d'accaparement de courses. Pour ce qui concerne le transport en "loti " ou en " TAP " (scolaire, transport de malades), nous laissons les taxis contracter à leur niveau et à titre individuel. Ils ont d'ailleurs toute liberté pour le faire. Nous avons créé le GIE pour préserver l'indépendance de chacun, et optimiser le temps d'attente pour les courses sur la voie publique, tout simplement pour augmenter le nombre de courses. Les statuts du GIE, en leur article 6 reconnaissent la possibilité d'avoir et de développer une clientèle propre. Nous n'imposons aucune limitation dans le recours aux moyens de communication personnels (téléphone portable) ou à la publicité " (38).

69. Le GIE ATM se pose moins comme une véritable alternative au GIE GRTAM en termes d'offre de prestations de transport sur les trois segments décrits plus haut que comme un concurrent sur le segment des courses réservées et des réquisitions en station sur Amiens. Le président du GIE ATM a précisé : " Comme je l'ai déjà dit, les membres du GIE sont libres de développer leur clientèle propre. Le GIE n'a par principe aucun contrat à son niveau pour les courses dites " en compte ". La seule exception concernerait l'activité d'assistance pour la clientèle future, que nous n'avons pas encore démarchée. En effet, à la différence des autres courses en compte, la prestation est plus irrégulière et plus facile à gérer en termes d'organisation du travail. Pour des opportunités éventuelles avec des entreprises, le principe de la signature du contrat devrait être approuvé par tous les membres. Nous ne voulons pas faire déraper les délais de règlements sous couvert d'un contrat conclu au niveau du GIE (...) le GIE est vraiment considéré comme apportant un plus, et sert d'appoint à l'activité propre de chaque membre " (39).

70. Depuis sa création, trois anciens membres du GIE GRTAM membres ont rejoint le GIE ATM.

B. LES PRATIQUES RELEVÉES

1. LES PRATIQUES CONCERNANT LES PRIX DE CESSIONS DES AUTORISATIONS DES TAXIS D'AMIENS ENTRE 1999 ET 2009

71. Au cours de leur enquête, les agents de la DGCCRF ont procédé à l'analyse du registre des transactions des cessions de licence de taxi de la ville d'Amiens de 1995 à 2007 (cotes 5 et 6), laquelle a été complétée concernant les années 2008 et 2009 dans le cadre de l'instruction (cotes 842 et 843).

72. Le tableau qui suit retrace par année civile, l'évolution du prix en euro des cessions de licence intervenues à Amiens entre 1995 et 2009, chaque couleur mettant en évidence un prix identique pour un nombre donné de transactions.

<emplacement tableau>

73. Le graphique qui suit met en évidence une augmentation par palier et par intervalle de temps régulier du prix de cession des licences sur la métropole amiénoise.

<emplacement tableau>

74. Il résulte de ces chiffres d'une part, une augmentation globale de 107 % du prix de cession des autorisations de stationnement entre 1995 et 2009, et d'autre part que, sur une même période, variable en durée entre 1 mois et 31 mois, le prix de cession est à quatre exceptions près, identique pour toutes les transactions réalisées sur cette période.

75. Sur les 46 cessions figurant au registre de transactions de la ville d'Amiens, quatre prix n'ont été pratiqués qu'une seule fois (56 489 euro et 70 229 euro en 1997, 54 962 euro en 2000 et 110 000 euro en 2008), dont deux portent sur des transactions qui ne concernent pas des membres du GIE GRTAM. Les autres prix pratiqués sont identiques entre eux sur un même intervalle de temps et toutes les transactions s'y rapportant ont été réalisées au profit de futurs membres du GIE GRTAM par des cédants eux-mêmes membres de ce groupement.

76. C'est ainsi qu'entre les mois de janvier 2003 et juillet 2005, les douze cessions qui sont intervenues dans cet intervalle de temps ont été effectuées au prix identique de 76 225 euro. De même, entre les mois de juillet 2008 et juillet 2009, huit cessions sont intervenues au prix de 120 000 euro.

77. Au vu des documents recueillis auprès de la Communauté d'agglomération " Amiens métropole " (cotes 609 à 614 et cotes 1006 à 1022) le prix de cession mentionné sur le registre se décompose toujours selon les trois éléments suivants :

. les éléments incorporels ;

. les objets mobiliers ;

. une part du groupement GRTAM.

78. Entre le mois de décembre 2006 et le mois de juin 2009, le rythme de hausse s'est amplifié, la valeur globale du prix des licences s'étant appréciée de 57 % avec augmentation moyenne de 12 000 euro en année pleine, alors que sur cette même période, les deux variables économiques fortes résident dans l'augmentation du nombre de licences de 10 % et une inflation modérée de 2,8 % en 2008 (40).

79. La décomposition du prix reste dans sa structure et sur cette période la même pour toutes ces transactions (41), la valeur de la part du GIE GRTAM et des accessoires mobiliers, respectivement de 6 000 euro et 600 euro restant inchangée.

80. Les membres et les dirigeants du GIE GRTAM n'ont pas fourni au cours de leur audition d'explication sur la méthode de valorisation retenue pour fixer le prix d'acquisition de la part du GIE GRTAM.

a) Les éléments recueillis au cours de l'enquête sur la fixation du prix de cession des licences

Les décisions prises par l'Assemblée du GIE GRTAM en 2005 et 2006

81. Le procès-verbal de l'Assemblée du 17 mai 2005 fait état de la présence de 22 membres et de la représentation de 11 membres. La quatrième résolution énonce un prix de la licence de 80 000 euro pour lequel l'unanimité les membres présents se sont prononcés favorablement (33 membres) à l'unanimité.

82. Le procès-verbal de l'Assemblée du 3 juillet 2006 (cotes 454 à 458) fait état de la présence de 25 membres et de la représentation de 13 membres. La quatrième résolution fait état d'un prix de licence de 90 000 euro pour lequel l'unanimité des membres présents s'est prononcée favorablement (38 membres) à l'unanimité.

83. En l'absence de cession entre le mois d'août 2005 et le mois de décembre 2006, la consultation du registre des transactions révèle que les seules transactions qui sont intervenues correspondent à trois cessions réalisées à 90 000 euro par des membres du GIE GRTAM entre les mois de décembre 2006 et le mois juillet 2007. Cette situation explique l'absence de transaction effectuée au prix de 80 000 euro.

84. Ces éléments établissent que la fixation du prix de cession décidée par le GIE GRTAM a fait l'objet d'une application effective sur la période immédiatement postérieure aux deux décisions prises en ce sens par l'Assemblée des membres du groupement.

Les déclarations des artisans taxis confortant l'existence de cette pratique

85. M. Z..., dirigeant du GRTAM jusqu'au mois d'octobre 1999, déclarait aux enquêteurs le 6 décembre 2006 (cote 172) : "En ce qui concerne les modalités de cession des licences, le prix est fixé par l'acheteur avec le vendeur. (...) A mon époque, il n'y avait pas de prix imposé. (...) A mon époque il y avait une liste d'attente pour la cession des licences, il n'y avait pas d'imposition de notaire. (...) Le prix des cessions de licence se définit par l'offre et la demande. Ils ne sont pas fixes. Ils dépendent aussi de la longueur de la liste d'attente. La loi du 20 janvier 1995 a fait augmenter un peu le prix de cession de licence (la formation obligatoire a valorisé le métier). La licence d'un artisan appartenant à un groupement a plus de valeur ".

86. Dans le procès-verbal du 15 novembre 2007, M. A..., membre du GIE GRTAM jusqu'en 2008, a déclaré : " Début 1996, j'ai signé un compromis avec M. E... mais cela ne s'est matérialisé qu'en 1997. En 1997, j'ai acheté ma licence 440 000 francs soit environ 60 000 euro. J'ai appelé un chauffeur de taxi qui était alors malade. J'ai signé un compromis tout de suite mais on a dû patienter l an 1/2 car mon CAP n'était plus valide. J'avais trouvé mon vendeur par le bouche à oreille. Il appartenait au groupement donc tout était compris dedans. Sont inclus la licence, le matériel et le droit d'entrée au groupement. Pour exercer sur Amiens, il faut automatiquement appartenir au groupement. Sinon, il faut acheter ailleurs en dehors d'Amiens. J'ai signé mon acte chez Me C.... Il fallait aller chez Me C.... A l'époque, il y avait encore des gens qui vendaient chez Me F... mais une fois que M. Z... est parti, il a arrêté. Aujourd'hui, une licence vaut 120 000 euro. Lors de la dernière réunion, le président M. B... a dit qu'ils avaient porté le prix de la licence à 120 000 euro. Maintenant, il n'y a plus de liste d'attente. Cela se vend de bouche à oreille pour 120 000 euro " (42).

87. Dans le procès-verbal du 18 décembre 2007, l'existence d'une liste d'attente pour l'attribution des licences de taxi a été confirmée en ces termes par M. B..., président du GIE GRTAM de 2003 à 2008 (cotes 376 à 379) : "On peut également racheter une licence. Vous pouvez venir me voir et je vous dirai s.il y a des personnes susceptibles de vendre. Je le sais car les taxis m'envoient un courrier au préalable. Je connais donc le calendrier des départs à venir. L'ancien président avait fait une liste avec les acheteurs. Quand quelqu'un vendait, il prenait la première personne sur la liste. A mon arrivée, cette liste existait toujours. Cela n'a plus fonctionné car les acquéreurs nous faisaient faux bond. Maintenant, il n'y a plus de liste. Je mets juste en contact les acheteurs et les vendeurs.

88. S'il y a un compromis signé, je convoque l'acheteur pendant une journée dans mon bureau et je lui dis que le prix du marché est de 100 000 euro. Nous essayons de maintenir la valeur de la licence de taxi à 100 000 euro. On leur dit que l'acte notarié est de 100 000 euro sur Amiens. 100 000 euro est en fait un objectif à maintenir. Pour l'instant, j.ai toujours vu des chiffres voisinant les 100 000 euro car je suis toujours présent lors de la signature des actes ".

b) Les éléments recueillis au cours de l'instruction confortant l'existence d'une pratique durable et continue de fixation du prix des licences

Avant 2005

89. La consultation du registre municipal des transactions de taxi fait ressortir d'autres prix identiques. Il s'agit en particulier des 12 cessions effectuées à 76 225 euro entre les mois de janvier 2003 et le mois de juillet 2005, mais également des 5 cessions à 67 175 euro (de mai 1997 à juillet 1997) et des trois cessions faites à 75 572 euro sur l'année 2000.

90. Les auditions réalisées lors de l'instruction convergent sur l'existence d'une liste d'attente propre au GIE avant 2005. Ainsi, M. X..., artisan taxi membre du GIE GRTAM jusqu'en 2008, interrogé sur les conditions d'acquisition de sa licence en 1999, a précisé : " Oui, je peux confirmer l'existence d'une liste d'attente d'acheteurs et de vendeurs au moment de l'acquisition. M. C..., qui était formateur, m'a indiqué qu'il fallait être inscrit sur cette liste. Je n'ai pas pu négocier le prix avec les ayants droits de M. G..., le prix de la licence et des parts ayant été fixés par M. C... respectivement à 69 225 euro et 6 000 euro. Je sais que cette liste existait encore à mon départ, même si je ne peux pas en apporter la preuve " (43).

91. L'existence de cette liste a été également confirmée par les dirigeants du GIE GRTAM en ces termes : " Depuis tout le temps, nous pratiquons ainsi. Nous avons convenu après la loi de 1995, courant 1997, de mettre bon ordre entre acheteurs et vendeurs et en établissant une liste qui était tenue par le GIE, qui a été supprimée au moment où M. B... a vendu sa licence " (44).

92. Dans le procès-verbal d'audition du 18 septembre 2009, M. A... a déclaré, s'agissant des conditions d'acquisition de sa licence en 1997 : " Je l'ai eu par bouche à oreille et j.ai signé un compromis. Le prix a été fixé par le groupement. La transaction a eu lieu avec Me C... en présence de M. Z... (président du GRTAM). Je n'ai pas essayé de modifier le prix qui m'a été imposé (440 000 francs). Au sein de ce prix figurait le montant de la part sociale acquise pour la valeur de 45.000 francs qui m'a été également imposée. Oui, je vous confirme cette liste d'attente établie logiquement par ordre chronologique par rapport à la demande. Elle existait jusqu'en 2008. S'agissant de la cession de la licence de M. H... début 2008, celle-ci s'est effectuée en dehors de cette liste mais au prix imposé par le groupement. Je sais que pour cette transaction, qui s'est tenue chez Me F..., le président du GIE était présent et a demandé en contrepartie de son intervention une participation de 500 euro à l'acheteur et au vendeur pour frais de déplacement. Les dirigeants du GIE assistent à toutes les transactions, c'est un fait connu. La seule exception que je connaisse concerne la licence de M. I... qui souhaitait obtenir une totale liberté de négociation dans la fixation du prix. Je ne connais pas le montant de la transaction qui a eu lieu en 2008 " (45). Après vérification sur le registre des transactions de la commune d'Amiens, il apparaît effectivement que la cession de la licence de M. I... est la seule cession qui ne s'est pas opérée au prix fixé par le groupement, mais à un prix supérieur (110 000 euro).

93. Enfin, l'examen des décisions figurant sur le registre des assemblées générales qui a été présenté lors de l'audition des dirigeants du GIE GRTAM, révèle que l'évolution du prix des licences et sa fixation au niveau du groupement demeurent une préoccupation de longue date du GIE. Ainsi, le compte-rendu de l'Assemblée du 26 avril 1999 contient-il la résolution suivante, qui manifeste l'expression de la volonté commune des entreprises membres du groupement :

TROISIEME RESOLUTION

Vote pour l'évolution du prix des licences

Vote :

augmentation habituelle (20 000 F/an) OUI 1

augmentation 10 000/an OUI 18

pas d'augmentation pour l'année 1999 OUI 9

SEULEMENT LES PRESENTS ON TPRIS PART AU VOTE

Après 2006

94. Les déclarations successives des dirigeants du GIE GRTAM et d'anciens membres de ce groupement accréditent la thèse suivant laquelle le prix de la licence de taxi aurait été fixé en 2007 à 100 000 euro.

95. M. B... a déclaré le 18 décembre 2007 (cote 378) que " s.il y a un compromis signé, je convoque l'acheteur pendant une journée dans mon bureau et je lui dis que le prix du marché est de 100 000 euro. Nous essayons de maintenir la valeur de la licence de taxi à 100 000 euro. On leur dit que l'acte notarié est de 100 000 euro sur Amiens. 100 000 euro est en fait un objectif à maintenir. Pour l'instant, j.ai toujours vu des chiffres voisinant les 100 000 euro car je suis toujours présent lors de la signature des actes. Le prix de la licence n'a jamais baissé mais pendant longtemps cela a stagné à cause de la conjoncture. Entre 1997 et 2007, le prix de la licence a pris 25 000 euro ".

96. Interrogé sur la date de fixation du prix de la licence à 100 000 euro, M. X..., membre du GIE GRTAM jusqu'en 2008, et vice-président du GIE ATM, a déclaré le 14 septembre 2009 : " Le prix est figé par le groupement et son augmentation également. Le prix de 100 000 euro a été fixé en 2007 lors l'AGO ou de l'AGE de mémoire, à main levée, et je regarderai si je retrouve la convocation à l'ordre du jour de cette réunion ".

97. M. A..., membre du GIE GRTAM jusqu'en 2008, a indiqué le 18 septembre 2009 (46) : "je pensais qu'en restant au GIE ma licence prendrait de la valeur. En tout cas c'est ce qui se décidait à chaque AG annuelle en augmentant le prix à chaque fois sauf pour les années 2003 à 2005 où le prix est resté à 76 225 euro. C'était une pratique constante depuis mon entrée. Cela s'est toujours fait en AG et cela donnait ou non lieu à un vote à main levée. Pour 2007, l'AG a fixé le prix de la licence à 100 000 euro. Les PV d'AG ne nous étaient d'ailleurs jamais transmis ".

98. La lecture du registre des transactions de taxi d'Amiens (cotes 614 et suivants, cotes 842 à 843) confirme l'application de ce prix aux quatre cessions concernant des membres du GIE GRTAM qui sont intervenues entre le mois d'octobre 2007 et le mois de mars 2008.

99. S'agissant de l'année 2008, le compte-rendu de l'Assemblée du 30 juin 2008 (47) mentionne la résolution suivante :

Groupement des radio-taxis amiénois

Siège social : 2 passage Alphonse Fiquet Amiens

RC Amiens numéro C 780 599 007

CINQUIEME RESOLUTION

Vote pour : évolution du prix de la licence au sein du groupement sur proposition du CA : 120 000 euro

Vote :

OUI 42

NON 0

ABSTENTION 0

La majorité des 2/3 de ...28... la résolution est adoptée à l'unanimité

100. Interrogés sur les justifications de cette augmentation, les dirigeants du GIE GRTAM ont déclaré le 23 septembre 2009 (48) que " Le nombre d'acheteurs potentiel est le facteur principal de détermination de la valeur de licence, ainsi que le nombre de licences. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons décidé d'augmenter le prix de la licence à 120 000 euro en 2008 au moment de la parution du projet Attali qui prévoyait une augmentation importante du nombre de taxis ".

101. Or, il apparaît que de façon consécutive à cette résolution, les huit cessions qui sont intervenues entre le mois de juillet 2008 et le mois de juin 2009 ont été effectuées au prix de 120 000 euro.

102. Au cours de la même Assemblée du 30 juin 2008, la résolution suivante a par ailleurs été adoptée :

QUATRIEME RESOLUTION

Vote : Faut-il conserver les mêmes conditions et les mêmes procédures qu'avant, l'orsqu'un adhérent désire céder sa licence au sein du groupement. (prix etc...)

Vote :

OUI 42

NON 0

ABSTENTION 0

La majorité des 2/3 de ...28... la résolution est adoptée à l'unanimité

103. Cette résolution montre que les conditions de cessions des licences, y compris les prix, répondent à un processus organisé. Elle contredit les déclarations des dirigeants du GIE GRTAM lorsqu'ils indiquent, alors qu'il leur était demandé de justifier de l'évolution du prix des licences, " On ne parle du prix des licences que lorsque cela est évoqué en AG par les membres eux-mêmes " (49).

104. Cette contradiction est d'ailleurs accentuée par les propos de M. X... qui indique pour sa part que " Le principe était de fixer le prix de la licence par les dirigeants, M. J... et M. B... au moment de l'approbation de comptes, avec l'intervention systématique de M. C... " (50).

105. Enfin, l'examen des déclarations de cessions faites auprès de la commune d'Amiens (51) de même que les procès verbaux du conseil d'administration du GIE (52) révèlent que les cessions des licences interviennent toujours en présence d'un représentant du GRTAM - la plupart du temps chez Maître C..., notaire - de façon concomitante à la cession de la part dont l'agrément préalable par le conseil d'administration est prévu par les statuts.

106. En conclusion, il résulte des éléments qui précèdent que :

- la cession des licences des membres du groupement donnait lieu à l'établissement par le GIE GRTAM d'une liste " acheteurs " jusqu'en juillet 2008 ;

- la fixation du prix des licences et de sa marge d'évolution d'une année sur l'autre résultent de l'intervention active du GIE, qui se manifeste par la volonté commune de ses membres, et dont l'initiative et la mise en œuvre reviennent au conseil d'administration du GIE GRTAM ;

- ces modalités de fixation du prix des licences ont revêtu un caractère répété et continu. Le concours de volonté des entreprises membres du GIE GRTAM est formellement établi pour les années 1999, 2005, 2006, 2007, 2008 et 2009. Il existe par ailleurs un faisceau d'indices concordants sur l'existence du même concours de volonté sur les années 2000, 2003 et 2004, étant observé qu'il n'y a pas eu de transaction sur les licences en 1996, 1998, 2001 et 2002. Il s'agit donc d'une pratique continue, d'une durée particulièrement longue, puisque s'étendant de 1999 à 2009.

2. LES CONDITIONS D'ACCÈS AU GIE

107. Dans leur rapport, les enquêteurs ont estimé, sur la base des documents relatifs au fonctionnement du GIE (dispositions statutaires de 1976 modifiées en 2006) et des auditions des intéressés que les conditions d'accès au GIE GRTAM pouvaient présenter un défaut de transparence et un caractère discrétionnaire préjudiciables à tout nouvel entrant.

a) Les conditions d'adhésion et la procédure d'admission des nouveaux membres du GIE

108. L'article 6 des statuts approuvés par l'assemblée générale extraordinaire du 3 juillet 2006 (cotes 469 à 480) dispose : " L'entrée au groupement sera agréée par l'Assemblée Générale Extraordinaire, sans avoir à donner les motifs de son refus éventuel, au vu d'une demande accompagnée du versement des droits d'entrée comme le stipule le règlement intérieur (...)".

109. L'article 8 du même document précise : " (...) De plus, une période probatoire d'une durée d'un an est appliquée à tout nouvel exploitant ou titulaire de l'autorisation de stationnement pendant laquelle celui-ci est tenu au mêmes droits et devoirs que les autres membres du GIE Au cours de cette période d'essai, le Conseil d'Administration se réserve le droit de proposer l'exclusion du nouvel adhérent à l'Assemblée Générale extraordinaire ou de récuser le nouvel exploitant " (53). Les nouveaux statuts ne contiennent en revanche aucune disposition relative aux conditions de cession des parts du groupement, ni les modalités d'intervention suivant lesquelles les organes délibérants sont censés procéder au refus d'un nouveau membre.

110. Les statuts initiaux du groupement (cotes 449 à 462) prévoyaient en leur article 9 " qu'un membre du groupement ne peut céder ses parts soit à un autre membre du groupement soit à un tiers qu'avec le consentement préalable du conseil d'administration (...) La décision du conseil d'administration n'a pas à être motivée ". L'article 11 des mêmes statuts précisait s'agissant des nouveaux membres que " L'admission des nouveaux membres au sein du groupement est subordonnée à l'agrément préalable donné par décision d'une assemblée générale extraordinaire qui fixera les conditions de leur admission (...) Le successeur d'un membre sortant du groupement ne sera pas considéré comme nouveau membre dès l'instant où la cession à son profit aura été agréée comme il est dit à l'article 9 ci-dessus ".

111. En pratique, l'admission des nouveaux membres donne lieu à la fois à l'intervention du conseil d'administration, qui agrée la cession de part et à une décision de l'Assemblée des membres (application des articles 9 et 11 précités des anciens statuts).

112. Hormis le respect des conditions d'exercice de la profession imposées par la réglementation, l'admission des nouveaux membres - et partant les éventuels refus de candidature - ne reposent sur aucun critère objectif. Les décisions n'ont pas à être motivées. Les conditions d'intervention du conseil d'administration confèrent ainsi à la procédure d'admission d'un nouveau membre, une part d'arbitraire que vient confirmer la consultation des documents remis lors de l'audition des dirigeants du GRTAM.

113. Ainsi, la deuxième résolution de l'assemblée générale extraordinaire du 30 juin 2008 fait-elle apparaître que l'admission d'un candidat a pu être examinée " sous condition de restituer sa licence sur la commune de Boves" (54).

114. Ce défaut de motivation et d'objectivité se retrouve également dans la capacité du conseil d'administration " [à] se réserver le droit de proposer l'exclusion du nouvel adhérent à l'Assemblée Générale extraordinaire ou de récuser le nouvel exploitant" (55).

b) Un traitement différencié entre les nouveaux adhérents

115. L'article 6 du nouveau règlement intérieur du GIE (cote 391) dispose " [qu'] il sera exigé pour toute nouvelle adhésion un droit d'entrée de 25 000 euro indexé sur l'évolution du prix de la licence. Par exception, le demandeur qui a acquis son autorisation de stationnement auprès d'un adhérent du GIE ayant cessé définitivement son activité depuis moins de 6 mois, le montant de ses droits d'entrée sera de 500 euro. Il sera également exigé, pour frais de dossier, la somme de 500 euro H.T au cédant ".

116. Un chauffeur de taxi a déclaré aux enquêteurs le 21 septembre 2007 (cotes 164 à 167) : " On ne peut pas avoir le standard-radio sans entrer dans le groupement. On me l'a proposé plusieurs fois pour un montant de 25 000 euro mais j.ai toujours refusé. (...). Les 25 000 euro constituent en fait un droit d'entrée et en plus je devrai payer 350 euro par mois ".

117. Cette disposition a été appliquée à deux reprises dans le cadre de l'adhésion de MM. K... et L... en 2008, qui ont tous les deux bénéficié de l'attribution gratuite d'une licence par la commune d'Amiens fin 2007 (56).

118. Cela étant, les différentes déclarations recueillies lors de l'instruction confirment l'existence de cette pratique bien avant qu'elle soit mentionnée au sein du règlement intérieur du GIE. Dans le procès-verbal du 14 septembre 2009, M. X..., ancien membre du GRTAM a indiqué : " ...Ce dispositif a été mis en place en 2004, et a été appliqué la première fois à M. Richard M..., basé à Salouel" (57).

119. M. Y..., président du GIE ATM a déclaré quant à lui : " J'ai été contacté oralement fin 2002 par M. N..., décédé depuis lors, qui était trésorier du GRTAM, je crois, et qui m'a proposé en contrepartie d'un droit d'entrée de 25 000 euro, l'accès à la radio pour le secteur de Salouel, qui n'était pas encore dans la métropole et avant la création du service intercommunal. J'ai refusé, considérant que cette somme n'avait aucune contrepartie" (58).

120. Ces propos sont confirmés par les déclarations de M. C... dans le procès-verbal du 23 septembre 2009, qui, interrogé sur la date d'entrée en vigueur de cette disposition dans les nouveaux statuts a indiqué : " Je ne me souviens pas tout à fait de la date à laquelle les nouveaux documents se sont appliqués, mais s'agissant de l'application du droit d'entrée de 25 000 euro, je reconnais avoir proposé cette possibilité à M. Y... avant 2006 " (59).

121. Par ailleurs, l'examen des copies de pièces remises par les dirigeants du GRTAM lors de leur audition indique que la réclamation d'un droit d'entrée spécifique aux taxis qui n'ont pas acquis leur licence auprès d'un membre du GIE GRTAM était une pratique ancienne, bien que non formalisée dans le contrat constitutif et le règlement intérieur du GIE. Ainsi, l'Assemblée Générale extraordinaire du 9 décembre 2003 fixe un droit d'entrée de 23 000 euro à M. O... dans le cadre de son admission au sein du GIE (60). De même, le procès-verbal de l'Assemblée Générale du 26 avril 1999 comporte une résolution, certes non adoptée, fruit des débats au sein du groupement sur le principe de la fixation d'un droit d'entrée entre 250 000 francs et 350 000 francs (61).

122. La portée de ce droit d'entrée a été précisée en ces termes par les dirigeants du GIE GRTAM (cote 377): " Pour les autorisations gratuites ou des autorisations qui n.ont jamais été dans le groupement, nous faisons payer 25 000 euro de droit d'entrée. Cette somme est susceptible d'évoluer en fonction de la variation du prix de la licence. Par exemple, ma plaque est présente depuis 1976. Si l'on multiplie par le montant des cotisations, cela aboutit à environ 99 000 euro. Nous ne voulons pas donner une part à un nouvel arrivant qui n'a jamais entretenu le GIE. Pour une licence gratuite, il y a un droit d'entrée de 25 000 euro ainsi que 350 euro par mois (...) S'il advenait qu'un taxi du GIE bénéficie d'une licence gratuite, il repaierait alors 25 000 euro de droit d'entrée car ce n.est plus la même autorisation ".

123. Ces propos sont recoupés par l'énoncé de l'article 6 des statuts qui dispose que que " l'adhésion au GIE se trouve rattachée à l'exploitation d'une autorisation de stationnement et non à l'entreprise. Si une entreprise possède plusieurs autorisations de stationnement, celle-ci devra s'acquitter d'autant de droits d'entrée, de parts d'intérêt et de cotisation " (62).

124. Interrogés sur la méthode de fixation du montant de 25 000 euro, les dirigeants du GRTAM ont ajouté : " Nous considérons que cette valeur est représentative d'une part de chiffre d'affaires fait grâce au GIE et auquel donne accès ce droit d'entrée " (63).

125. L'opinion d'autres taxis est divergente. Ainsi, M. Y... explique en ces termes la raison pour laquelle il a refusé l'offre du GIE : " J'ai refusé, considérant que cette somme n'avait aucune contrepartie. J'ai par la suite fait l'objet de dénigrement de la part de MM. J... et Guy C..., parce que je stationnais à l'hôpital sud, qui est situé sur le territoire de Salouel. Ma licence me le permettait, mais ça n'a pas plu aux dirigeants du GIE. M. J... m'a demandé à plusieurs reprises de quitter le stationnement devant l'hôpital. En fait, le GIE avait la possibilité de proposer ses services par le biais de son numéro d'appel. C'était donc tout simplement des manœuvres visant à m'évincer. Par exemple, tout le monde dit dans le milieu que M. Richard M..., taxis n°1 à Salouel a payé 25 000 euro en 2007 je crois, et très peu de temps après, sa licence a été vendue alors qu'il n'avait plus de clientèle " (64).

126. M. A... a déclaré dans le procès-verbal du 15 novembre 2007 que " Pour entrer dans le groupement, on demande 25 000 euro comme droit d'entrée au groupement. Mais en fait, cela ne représente rien. On ne sait pas vraiment ce que cela représente. Ça a été voté par la majorité des membres en interne. Je sais que 5 nouvelles licences gratuites vont être données. Les nouveaux qui arrivent avec une licence gratuite, s.ils veulent entrer dans le groupement, devront payer ce droit d'entrée " (65).

3. LA CLAUSE GÉNÉRALE DE NON CONCURRENCE ET LES LIMITATIONS APPORTÉES AU RECOURS À LA PUBLICITÉ POUR LES MEMBRES DU GRTAM

127. Dans leur rapport, les enquêteurs ont considéré que les restrictions statutaires apportées au libre exercice de la profession de taxi avaient pour effet d'aliéner la liberté de l'artisan-taxi et constituent ainsi une clause de non concurrence générale et absolue qui empêche la coopération avec d'autres organismes du même ordre dans le but d'accroître l'activité des artisans taxis. Le rapport administratif d'enquête relève que cette restriction est contraire à l'objet même du GIE, qui a en principe pour but de faciliter et de développer l'activité de ses membres.

128. Plusieurs dispositions des statuts et du règlement intérieur actuellement en vigueur apportent effectivement des limitations à l'exercice de l'activité de taxi, dont la violation fait encourir des sanctions aux membres, mais qui dans l'esprit des dirigeants du GRTAM se veulent être le complément nécessaire au système de distribution des courses. Or, comme il a été indiqué plus haut (§ 58 à 62), les modalités de distribution des courses manquent en elles-mêmes de clarté et de stabilité, ce qui rend d'autant plus difficilement mesurable les marges de manœuvre laissées aux membres.

129. Les anciens statuts de 1976 considéraient en leur article 11 comme motif d'exclusion en tant qu'elle constitue une faute grave " l'appartenance à une autre organisation ou groupement concurrentiel " (66). L'article 2 de l'ancien règlement intérieur disposait également que " les membres ne peuvent appartenir à une autre organisation de Taxi de transport ou groupement concurrentiel, et ne peuvent en aucun cas être pourvus d'un système radioélectrique autre que celui attribué au GRTAM. Le téléphone portable est toléré seulement pour un usage personnel (...) Toute tentative de détournement de la clientèle (Ex : publicité de son N° de portable) donnera lieu à une coupure " Radio " de 1 mois ". L'article 7 disposait également que " les tournées sont distribuées par des chauffeurs mandatés par le Conseil d'administration. Les stratégies de distribution sont définies par le Conseil d administration. Les contrats personnels SECU sont seuls autorisés Les chauffeurs habitués à travailler la nuit seront exemptés de faire des tournées " (67).

130. L'article 14 des nouveaux statuts (juillet 2006) développe la teneur des obligations des membres en ces termes : " Il [ le membre ] s'engage à ne pas adhérer à un autre GIE de taxis, collaborer avec une entreprise ou organisation de taxis durant sa participation au présent groupement et à ne pas participer directement ou indirectement à une activité concurrente ou susceptible de porter atteinte au bon fonctionnement du Groupement, le tout selon jugement de l'Assemblée. Il est tenu de respecter le fonctionnement du Groupement tel que défini par les présents statuts et règlement intérieur " (68).

131. L'article 19 du nouveau règlement intérieur, qui traite du barème des sanctions, prévoit le retrait du système d'attribution des courses notamment en cas de " détournement de clientèle et d'accaparement d'une course du GRTAM ". L'article 24 du même règlement ajoute " [qu'] II est interdit de s'accaparer à titre personnel des courses GRTAM. Lorsqu'un client, dont la prise en charge s'est faite par l'intermédiaire du standard, formulera le souhait d'être transporté ultérieurement, les données (date, heure, adresse...) nécessaires à la prise de rendez-vous devront impérativement transiter par le standard avec l'affectation de la course. Si le client ne peut, dans un premier temps, fournir ces données, le chauffeur devra alors fournir les coordonnées téléphoniques du standard afin qu'il puisse prendre rendez-vous à sa guise " (69). Le point E) de l'article 28 du même document prévoit que " les tournées sont distribuées par des chauffeurs mandatés par le Conseil d'administration. Les stratégies de distribution sont définies par le Conseil d'administration. Les contrats personnels SECU sont seuls autorisés ".

132. Sur la portée de cette " ouverture " et la possibilité de développer une clientèle en dehors du transport de malades, M. X... a déclaré le 14 septembre 2009 : " Je confirme que cette disposition ne s'est appliquée qu'à compter de 2007, mais qu'en pratique un certain nombre de membres du GIE avaient pris l'initiative de demander un agrément personnel auprès de la CPAM (dont moi) pour avoir leur propre clientèle, alors que verbalement nous avions reçu la consigne de M. C... de ne pas développer de clientèle personnelle. C'était donc avec le risque de se faire sanctionner à tout moment. Pour les autres types de transport, je confirme que nous n'avions pas le droit d'avoir notre propre carte de visite et de donner notre n° de téléphone au client. Le passage de l'article 2 du règlement intérieur, dans sa version antérieure à 2007, qui précise que " le téléphone portable est toléré seulement pour un usage personnel " signifie l'impossibilité d'y recourir pour développer une activité professionnelle à titre individuel. Je tiens à préciser que l'adoption des nouveaux statuts n'a rien changé de ce point de vue " (70).

133. M. A... a précisé quant à lui lors de l'instruction : " Je pense que cette possibilité d'ouverture date de 2007. Mais nous n'avions pas le droit d'avoir une clientèle personnelle autre que le médical sur la base de l'article 2 du RI. J'ai d'ailleurs fait l'objet de plusieurs suspensions. (M. A... nous remet 2 documents relatifs à ces sanctions). Pour ce qui concerne la perte des 10 points et la suspension de 10 jours intervenus en avril 2004, cette sanction m'a été appliquée parce qu'en pratique je collaborais avec le taxi de Salouel (M. Y...) " (71).

134. M. A... a remis aux enquêteurs une injonction du GRTAM datée du 18 août 2003 (72), qui contient un rappel au règlement intérieur dans les termes suivants :

Article 2 : Concurrence

Les membres ne peuvent appartenir ou coopérer avec une autre organisation de taxi (y compris un taxi indépendant), de transport ou groupement concurrentiel, et ne peuvent en aucun cas être pourvu d'un système radioélectrique autre que celui attribué au GRTA. Le téléphone portable est toléré seulement pour un usage personnel.

Notre fréquence pouvant être allouée par l'administration à un autre permissionnaire, il est interdit aux adhérents du réseau de divulguer, publier ou utiliser le contenu de correspondance qui ne lui sont pas destinées, transmises par voie radioélectrique. Le contrevenant est passible des peines prévues à l'article 378 du Code pénal

Toute tentative de détournement de la clientèle (exemple : publicité de son n° de portable) entrainera UN RETRAIT DE 10 POINTS

135. Sur l'interdiction du recours à la publicité et le recours au téléphone portable, M. X... a précisé : " Comme je vous l'ai dit, la règlement et le statut nous interdisaient de développer une clientèle personnelle, l'interdiction de faire sa propre publicité étant générale et sur tout support... remise de carte aux clients particuliers, entreprises, y compris les pages jaunes. Par exemple en ce qui me concerne, j.ai attendu d'être parti du GRTA pour m'inscrire dans les pages jaunes. Le détournement de clientèle ou l'appropriation d'une course sont visés à l'article 19 des statuts. De même que l'article 24 nous empêchait d'avoir une clientèle propre. Donner sa carte avec ses coordonnées personnelles aurait constitué un détournement de clientèle " (73).

136. Sur cet aspect, M. A... a précisé : " Par exemple, lorsque les dirigeants se rendaient compte que nous détenions une carte personnelle, nous étions sanctionnés. Il est formellement interdit d'avoir un téléphone portable pour les appels professionnels. C'est comme ça que doit être compris le passage de l'article 2 du RI qui précise " le téléphone portable est toléré seulement pour un usage personnel ". Nous n'avions pas le droit de faire figurer un numéro de téléphone portable dans les pages jaunes. Tout se faisait par menaces verbales et pressions morales lors des AG notamment. Ces sanctions se traduisaient par des coupures radios. Le conseil de discipline tient un cahier de réclamation des chauffeurs sur lequel figurent les sanctions prononcées. Il y a eu des sanctions prononcées pour détention de carte personnelle. Cette disposition de l'article 2 du RI est toujours appliquée. L'adoption des nouveaux statuts votés en 2006 n'a rien changé " (74).

137. Lors de l'instruction, les dirigeants du GRTAM n'ont pas contesté la réalité des limitations apportées à l'exercice de leur activité et au libre recours à la publicité personnelle par les membres. En substance, il a été globalement exposé qu'il y avait incompatibilité manifeste entre l'activité du groupement et le maintien ou le développement d'une clientèle privée.

C. LES GRIEFS NOTIFIÉS

138. Il a été fait grief au seul GIE GRTAM :

- d'avoir mis en œuvre entre 1995 et 2009 une action concertée ayant eu pour objet la fixation du prix de cession des autorisations de stationnement de taxis sur la métropole d'Amiens et ayant eu pour effet d'augmenter ce prix, en violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

- d'avoir mis en œuvre dans les statuts constitutifs du GIE en 1976, puis de manière réitérée dans les statuts déposés en 2006, ainsi que dans le cadre du fonctionnement du groupement, des conditions d'accès audit groupement présentant un défaut d'objectivité, de transparence et ayant un caractère discriminatoire, et qui ont pour objet ou qui ont pu avoir pour effet de limiter l'accès au marché de taxis sur Amiens, en violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce précité. Ces conditions discriminatoires ont notamment été mises en œuvre en 1999, 2003, 2004 et 2008, s'agissant de l'application d'un droit d'entrée discriminatoire aux taxis qui n'avaient pas racheté leur licence auprès d'un membre du GIE ;

- d'avoir mis en œuvre, dans les statuts constitutifs du GIE en 1976, puis de manière réitérée dans les statuts déposés en 2006, ainsi que dans le cadre du fonctionnement du groupement, des dispositions statutaires et des modalités de fonctionnement courant dont la combinaison a pour objet ou a pu avoir pour effet d'empêcher les membres du GIE de développer ou d'acquérir une clientèle propre, en violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce précité.

139. Dans sa réponse du 1er mars 2010 à la notification de griefs, le Président du GIE GRTAM a précisé qu'il n'avait pas d'observations particulières quant aux griefs à formuler.

II. Discussion

A. SUR LE FOND

140. Par nature, la réglementation des prix et les conditions d'accès à la profession de taxi tendent par elles-mêmes à réduire l'espace disponible pour l'exercice de la concurrence. La préservation de cet espace restreint de concurrence a d'autant plus d'importance. Aussi, convient-il d'être très attentif aux éventuels comportements de collusion ou d'exclusion que les acteurs pourraient développer sur ce marché.

1. SUR LE MARCHÉ PERTINENT

141. Le marché est défini comme le lieu sur lequel se rencontrent l'offre et la demande pour un produit ou un service spécifique. Une substituabilité parfaite s'obtenant rarement, sont considérés comme substituables et, par conséquent comme se situant sur un même marché, les produits et les services dont on peut raisonnablement penser que les demandeurs les regardent comme des moyens entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande (75).

142. A cet égard, la prise en compte de la spécificité de l'environnement juridique peut apparaître essentielle dans certaines circonstances pour apprécier la substituabilité de la demande.

143. De même, en matière de transport de personne par route, dans sa décision n° 07-D-39 du 23 novembre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport de personnes sur la route Paris-Londres (§ 80 à 84), le Conseil a rappelé que la question de la substituabilité entre les modes de transport (aérien, ferroviaire) est appréciée au cas par cas et dépend du type de passagers, de la distance ou de la durée des voyages, des fréquences disponibles et des prix des voyages.

a) Le marché de services

144. S'agissant de la demande de prestations de transport de taxi, les attentes des différentes catégories de clientèle se réunissent autour de caractéristiques communes leur permettant de disposer d'un mode de transport de proximité, rapide, souple et individuel. Pour autant, une segmentation des marchés pourrait être retenue selon les prestations qui se rattachent à l'activité traditionnelle de courses sur la voie publique (chargement en station sur réquisition du passager et réservations téléphoniques), le transport de malades, et le transport d'autres catégories de voyageurs (enfants handicapés, passagers de la SNCF), ces dernières prestations donnant lieu à la conclusion de contrats pour le compte de différents donneurs d'ordre et se distinguant notamment par la spécificité de la demande, les courses n'étant pas payées par le passager mais par un tiers (assurance-maladie, par exemple) (76). Au cas d'espèce, la question de la délimitation précise des marchés pertinents peut en tout état de cause être laissée ouverte, dans la mesure où les conclusions de l'analyse demeurent inchangées quelle que soit la segmentation retenue.

145. S'agissant des licences de taxis, le Conseil de la concurrence a, dans sa décision n° 06-D-30 du 18 octobre 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des taxis à Marseille, reconnu l'existence d'un marché secondaire des autorisations de stationnement.

b) Le marché géographique

146. S'agissant de l'activité de taxi, la Cour d'appel de Paris a considéré " (...) qu'en raison d'une réglementation reposant à titre essentiel sur la détention d'autorisation de stationnement dans la commune, le marché concerné est celui de la prestation des transports par taxi dans la ville de Toulon et ses environs " (77).

147. Au vu des éléments exposés supra sur le contexte local propre à la présente affaire (§ 22 à 33), il y a lieu de considérer que l'agglomération amiénoise constitue le marché géographique à partir duquel se structure une offre homogène de service de transport par taxi et de licences de taxi.

148. Au demeurant, lorsqu'une pratique d'entente revêt un objet anticoncurrentiel, la définition du marché pertinent n'est pas essentielle. Dans une décision n° 02-D-42 du 28 juin 2002 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la distribution des appareils électroménagers et d'électronique grand public, le Conseil de la concurrence a précisé " qu.au demeurant, pour définir l'infraction aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce, la définition précise et détaillée des marchés n.est pas nécessaire ". Dans le même sens, dans l'arrêt du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission (T 62-98, Rec. p. II - 2707), le Tribunal de première instance des Communautés européennes a également rappelé que dans le cas d'une pratique d'entente ayant un objet anticoncurrentiel, la définition du marché pertinent n'est pas nécessaire.

2. SUR LES PRATIQUES

149. Aux termes de l'article L. 420-1 du Code de commerce : " Sont prohibées (...) lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à (...) limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises (...) ".

150. Le Conseil de la concurrence a eu à connaître à plusieurs reprises de pratiques anticoncurrentielles relevant du droit des ententes, sur des marchés locaux de taxis caractérisés par un nombre d'offreurs limité, regroupés au sein d'un GIE ou d'une organisation professionnelle. La mise en commun au sein d'un groupement de moyens s'explique la plupart du temps par des raisons tant économiques que techniques : un GIE dispose d'un central radio donnant accès aux réservations par téléphone, lesquelles constituent une part importante de la clientèle. Mais ce type de regroupement, qui n'est pas critiquable en soi, tant il est vrai qu'il peut, lorsqu'il fonctionne conformément à l'objet qui lui est assigné, contribuer à améliorer l'efficacité de l'offre, par la réalisation d'économies d'échelle et une meilleure efficacité du service rendu aux consommateurs, ne doit pas être l'instrument de mise en œuvre de pratiques visant à restreindre la concurrence. Dans la décision n° 01-D-32 du 27 juin 2001 relative à une saisine dirigée contre des pratiques mises en œuvre dans le secteur des taxis à Saint-Laurent-du-Var, le Conseil a indiqué " qu'un groupement d'intérêt économique, créé en vue d'améliorer les conditions d'exploitation de ses membres, ne constitue pas en soi une entente prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ; que, toutefois, le recours à une telle structure ne fait pas obstacle à l'application de ces dispositions, lorsqu'il est établi qu'elle a été utilisée pour mettre en œuvre des pratiques concertées ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet de limiter le libre exercice de la concurrence ".

151. Ainsi, la pratique décisionnelle dans le secteur des taxis comporte-t-elle la reproduction d'un schéma en matière d'ententes qui présente bien souvent des traits communs : un groupement de taxis, comprenant la grande majorité des détenteurs de licence sur la même zone géographique, tente de restreindre la concurrence à la fois entre ses membres et vis-à- vis des exploitants non adhérents, le plus souvent par le biais de clauses restrictives d'adhésion et d'exercice prévues par ses statuts.

a) L'accord de volonté sur le prix de cession des autorisations de stationnement

152. Le Conseil de la concurrence s'est prononcé de nombreuses fois sur la pratique d'entente anticoncurrentielle horizontale consistant en l'élaboration et en la diffusion, par des organismes professionnels, de recommandations ou de directives en matière de prix, utilisant ainsi abusivement leur autorité et leur capacité de rassemblement.

153. Dans la décision n° 06-D-30 du 18 octobre 2006 précitée, le Conseil de la concurrence a eu à connaître d'une entente relative au prix de cession des licences de taxi. Dans cette affaire, les différents syndicats de taxis et les radio-taxis ont signé un protocole d'accord créant une liste unique des licences à vendre et fixant le prix de la licence à 38 100 euro.

154. La pratique, qualifiée d'entente prohibée au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce par le Conseil, poursuivait un objet anticoncurrentiel et avait également un effet anticoncurrentiel : elle a fonctionné grâce aux pressions et menaces de représailles exercées sur les artisans taxis qui souhaitaient acheter leur licence en dehors du dispositif de liste unique gérée par les syndicats.

155. En effet, plusieurs éléments de l'enquête ont démontré que les radio-taxis s'étaient engagés à écarter tout nouvel acquéreur de licence qui aurait acheté celle-ci en dehors de la liste unique. Cette entente a eu pour effet d'augmenter considérablement le prix moyen de vente des licences à Marseille, qui est passé de près de 19 000 euro en 2000 à 50 000 euro en 2005, soit une hausse de 163 % en cinq ans. Le Conseil a noté que cette hausse artificielle du prix des licences pouvait notamment avoir eu un effet indirect sur le prix et l'offre des courses, en incitant les chauffeurs de taxis à pratiquer les prix maximaux et à concentrer leur activité sur les courses les plus rentables.

156. L'existence d'une concertation sur le prix de cession des licences de taxis à Amiens est formalisée par l'accord explicite des membres du GIE GRTAM qui a été exprimé dans le cadre des instances délibérantes de ce groupement, comme cela est décrit plus haut (§ 70 à 104) sur les années 1999, 2005, 2006, 2007, 2008 et 2009. Il existe par ailleurs un faisceau d'indices concordants sur l'existence du même concours de volonté sur les années 2000, 2003 et 2004. Il s'agit donc d'une pratique continue s'étendant de 1999 à 2009.

157. La participation active des organes dirigeants à cette entente, dans le cadre de l'intervention du Conseil d'administration en tant qu'initiateur de la pratique, d'une part, et, au travers de leur présence au niveau de chaque transaction pour en garantir le strict respect et le plein effet d'autre part, est confirmée par de nombreux documents et procès-verbaux et par les témoignages des parties elles-mêmes.

158. L'objet anticoncurrentiel de cette entente est également établi. Les témoignages confirment que les pratiques en cause visaient, en fixant un prix unique de vente des autorisations de stationnement, à le maintenir à un niveau minimum, et à faire remonter le niveau de celui-ci en tant que de besoin.

159. Lors de son audition par les enquêteurs le 18 décembre 2007, le président du GIE GRTAM a déclaré : " Nous essayons de maintenir la valeur de la licence de taxi à 100 000 euro. On leur dit que l'acte notarié est de 100 000 euro sur Amiens. 100 000 euro est en fait un objectif à maintenir. Pour l'instant, j.ai toujours vu des chiffres voisinant les 100 000 euro car je suis toujours présent lors de la signature des actes. Le prix de la licence n'a jamais baissé mais pendant longtemps cela a stagné à cause de la conjoncture. Entre 1997 et 2007, le prix de la licence a pris 25 000 euro " (78).

160. Au cours de l'audition du 14 septembre 2009 précité, M. X... a déclaré : " Le prix est figé par le groupement et son augmentation également. Le prix de 100 000 euro a été fixé en 2007 lors l'AGO ou de l'AGE de mémoire, à main levée, et je regarderai si je retrouve la convocation à l'ordre du jour de cette réunion. (...) Le principe était de fixer la licence par les dirigeants, M. J... et M. B... au moment de l'approbation de comptes, avec l'intervention systématique de M. C.... (...) Pour les dirigeants, c'est l'assurance de tirer les prix de cession vers le haut, alors que le chiffre d'affaires de chacun des membres n.est pas le même et varie selon le travail accompli qui dépend que de la volonté du taxi, sans garantie de chiffre d'affaires du fait de l'appartenance au GIE " (79).

161. Au cours de l'audition du 18 septembre 2009, M. A... a déclaré, s'agissant des motifs qui l'avaient poussé à rester au sein du GIE GRTAM : " Je pensais qu'en restant au GIE ma licence prendrait de la valeur. En tout cas c'est ce qui se décidait à chaque AG annuelle en augmentant le prix à chaque fois sauf pour les années 2003 à 2005 où le prix est resté à 76 225 euro. C'était une pratique constante depuis mon entrée. Cela s'est toujours fait en AG et cela donnait ou non lieu à un vote à main levée. Pour 2007, l'AG a fixé le prix de la licence à 100 000 euro. (...) Je voulais signifier qu'il s'agissait d'un prix minimum garanti. Maintenant [depuis mon départ du GIE] le risque que je cours c'est que le système d'aiguillage mis en place par M. C... au niveau du centre national de formation auprès des nouveaux candidats pour l'achat d'une licence compromette la revente " (80).

162. Lors de leur audition du 23 septembre 2009, les représentants du GIE GRTAM ont indiqué : " Depuis tout le temps, nous pratiquons ainsi. Nous avons convenu après la loi de 1995, courant 1997, de mettre bon ordre entre acheteurs et vendeurs et en établissant une liste qui était tenue par le GIE, qui a été supprimée au moment où M. B... a vendu sa licence. Mais pour nous, le prix de licence faisant l'objet de résolution en AGE reflète la valeur marchande de la licence. (...) Le nombre d'acheteurs potentiel est le facteur principal de détermination de la valeur de licence, ainsi que le nombre de licences. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons décidé d'augmenter le prix de la licence à 120 000 euro en 2008 au moment de la parution du projet Attali qui prévoyait une augmentation importante du nombre de taxis " (81).

163. L'effet sur les prix de cessions des autorisations, aussi bien pour leur alignement que pour leur hausse régulière, est démontré par les relevés et les graphiques présentés aux paragraphes 71 à 72.

164. Compte tenu de ces éléments, il y a lieu de conclure que l'accord sur les modalités de cession des licences conclu dans le cadre et sous l'égide du GIE GRTAM relève des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce en tant qu'il a eu pour objet et pour effet d'empêcher le jeu de la concurrence sur le marché secondaire des autorisations de stationnement sur l'agglomération amiénoise.

b) Les restrictions apportées à l'entrée dans le GIE GRTAM

165. Selon une jurisprudence constante, rappelée par la Cour d'appel de Paris dans un arrêt rendu le 27 mai 2003 (Chambre syndicale des entreprises de déménagements et garde-meubles de France), les conditions d'adhésion à une association professionnelle peuvent porter atteinte à la libre concurrence si cette adhésion est une condition d'accès au marché ou si elle constitue un avantage concurrentiel et si ces conditions d'adhésion sont définies ou appliquées de façon non objective, non transparente ou discriminatoire.

166. Dans ce cadre, le Conseil de la concurrence a sanctionné les comportements de groupements qui menaçaient d'exclure ou de ne pas accepter ceux qui adoptaient des comportements conduisant à accroître l'offre de taxi ou à baisser le prix des courses.

167. Dans les affaires des taxis de Besançon et de Belfort (82), le Conseil a sanctionné les pratiques du groupement visant à imposer des critères non objectifs et discriminatoires aux nouveaux adhérents par l'application d'un droit d'entrée élevé aux candidats qui ne succèdent pas à un membre dudit groupement. Dans le cas des taxis de Belfort, le Conseil a estimé également en l'espèce " que le droit d'entrée dans l'association n.est pas fixé dans les statuts ou par l'assemblée générale dans des conditions objectives, mais que son montant est laissé à l'appréciation du conseil d'administration ; qu'en l'absence de critères de calcul objectifs cette faculté peut être utilisée pour faire obstacle à l'accès d'un nouvel entrant sur le marché des courses de taxis de la ville de Belfort ; Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'obligation d'adhérer au Syndicat professionnel des taxis de Belfort pour être candidat à l'association des taxis de cette même ville, ainsi que la fixation discrétionnaire du droit d'entrée dans cette association par son conseil d'administration, ont pour objet et peuvent avoir pour effet de limiter l'accès au marché ; que, par suite, elles constituent des pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce "

168. Dans le cadre de la décision n° 01-D-32 du 27 juin 2001 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des taxis à Saint-Laurent-du-Var, le Conseil a également jugé que la différence de traitement inscrite dans les statuts d'un groupement pour l'admission des artisans selon qu'ils ont ou non racheté une licence détenue par l'un des membres opère une discrimination artificielle entre les artisans candidats au groupement et constitue une clause prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce. De même, le Conseil a relevé que l'absence de critères objectifs de sélection et le caractère discrétionnaire des décisions, traduit par l'absence de motivation des décisions de refus d'admission, constituent des pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce :

169. " Considérant qu'il résulte de l'article 10 des statuts que l'adhésion au groupement est subordonnée à un parrainage des adhérents du GTL, c'est-à-dire à l'accord de deux concurrents directs sur le marché ; que cette même adhésion ne repose sur aucun critère objectif permettant d'apprécier le caractère éventuellement discriminatoire de la décision prise par le groupement ; qu'en outre, le refus d'une demande d'adhésion n'a pas à être motivé ; que ces dispositions doivent être appréciées au regard de la position économique du GIE qui, à l'époque des faits, réunissait treize des dix-sept artisans taxi habilités à exercer dans la commune, réalisait la quasi-totalité des prestations de courses sur le marché des transports par taxi à Saint-Laurent-du-Var et ses environs et, surtout, disposait seul d'un système de radiotéléphone, représentant un facteur essentiel de contact avec la clientèle ; que, dès lors, l'obligation de parrainage, l'absence de critères objectifs de sélection et le caractère discrétionnaire de la décision du GIE, traduit par l'absence de motivation des décisions de refus d'admission, ont pu faire obstacle à l'accès d'un nouvel entrant au marché concerné ou, du moins, ont pu limiter l'accès des artisans exclus du groupement à la clientèle ; que de telles pratiques, mises en œuvre par un groupement d'entreprises de nature à limiter l'accès au marché et le libre exercice de la concurrence, sont prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce. (...) Considérant que la différence de traitement inscrite dans les statuts du GTL opère une discrimination artificielle entre les artisans selon qu'ils ont ou non racheté une licence détenue par l'un des membres du GTL ; que les artisans qui ont racheté une licence à l'un des membres du groupement sont dispensés de la contrainte de trouver deux parrains pour présenter leur candidature et sont automatiquement acceptés dans le GTL en étant dispensés de payer un coût d'entrée ; qu'à l'inverse, un artisan qui achèterait la licence d'un taxi n'appartenant pas au GTL devrait trouver deux parrains pour présenter sa candidature, ne serait pas assuré d'être accepté par le groupement et devrait faire face à un coût d'entrée ; qu'il résulte de là que la clause litigieuse est prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce ".

170. Au regard des éléments de fait rappelés aux points I et II ci-dessus, il n'est pas contestable que l'accès au GIE GRTAM conditionne l'accès à une part essentielle du marché, ou à tout le moins qu'il peut être considéré, selon l'expression employée par le Conseil de la concurrence comme " un facteur essentiel de contact avec la clientèle " pour ce qui concerne les réservations, et également les réquisitions sur la voie publique, dans la mesure où l'obtention d'une licence est pour une très large part tributaire des conditions fixées par le GIE.

171. De fait, il était historiquement le seul opérateur de radio taxis sur Amiens jusqu'à la création récente en octobre 2008, du GIE ATM. En l'absence de bornes d'appel sur la voie publique, l'appartenance au GIE permet d'accéder au standard, qui demeure le point de contact essentiel pour la clientèle à la recherche de taxis, et par lequel se fait encore la régulation d'une très large part de l'offre dès lors qu'il représente plus de 80 % de la flotte de taxis du service intercommunal de l'agglomération amiénoise.

172. Par ailleurs, si la création du service intercommunal en 2004 a ouvert une brèche dans la structure concurrentielle de l'offre de taxi sur Amiens en permettant à un concurrent d'émerger, force est de constater que les modalités de fonctionnement de ce service intercommunal, telles qu'elles sont exposées aux paragraphes 22 à 34 supra (notamment en ce qui concerne l'absence de réciprocité des autorisations de stationnement, soulevée par les représentants du GIE ATM), sont de nature à entretenir un avantage concurrentiel appréciable pour le GIE GRTAM. D'une part, les taxis de la périphérie qui effectuent des courses au départ ou en retour vers leur commune de rattachement continuent d'assumer d'importants risques de déplacement à vide, et d'autre part, la structure de l'offre n'a pas été modifiée dans le sens d'un rééquilibrage en faveur des taxis de la périphérie.

173. De même, l'entente à l'œuvre sur le prix de cession des licences est de nature à renforcer la position du GIE GRTAM dans le secteur, en tant qu'elle perpétue la conservation de ces licences et contribue à leur captation au sein de ce dernier.

174. Dans la décision n° 08-D-26 du 5 novembre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre par le groupement d'intérêt économique de taxis UAT Abeilles, le Conseil de la concurrence avait pu relever " [qu'] A cet égard, la satisfaction de la clientèle courante dépend du délai de la prise en charge et est étroitement liée à la réactivité et donc à la disponibilité et à la proximité de l'offre, c'est-à-dire au nombre de taxis susceptibles d'être sollicités quel que soit le lieu, la date ou l'heure. La dimension du GIE UAT Abbeilles confère un avantage déterminant à ses membres. Ni le groupement " Caen Radio Taxi " ni les " indépendants ", ne peuvent constituer une véritable alternative ".

175. Concernant le marché comparable de la métropole amiénoise, le défaut d'objectivité et de transparence, voire la part d'arbitraire et d'opacité que portent en elles les conditions réelles d'adhésion au GIE GRTAM et les décisions de refus peuvent avoir pour effet de limiter la possibilité pour un artisan non-membre du GIE GRTAM déjà en exercice, qui souhaiterait y adhérer, de diversifier son activité en dehors de la clientèle scolaire et médicale, en ayant accès à la clientèle courante de la ville d'Amiens (les courses réservées par téléphone et les réquisitions en station).

176. Les représentants du GIE ATM de même que le président du STAS ont d'ailleurs indiqué que l'activité des taxis de la périphérie était de fait essentiellement tournée sur les transports scolaires et médicaux.

Sur le droit d'entrée de 25 000 euro

177. S'agissant du droit d'entrée de 25 000 euro réclamé aux seuls adhérents non-successeurs à un membre du GIE GRTAM, les dirigeants ont tour à tour tenté de justifier de la façon suivante sa perception.

178. " Pour les autorisations gratuites ou des autorisations qui n.ont jamais été dans le groupement, nous faisons payer 25 000 euro de droit d'entrée. Cette somme est susceptible d'évoluer en fonction de la variation du prix de la licence. Par exemple, ma plaque est présente depuis 1976. Si l'on multiplie par le montant des cotisations, cela aboutit à environ 99 000 euro. Nous ne voulons pas donner une part à un nouvel arrivant qui n'a jamais entretenu le GIE. Pour une licence gratuite, il y a un droit d'entrée de 25 000 euro ainsi que 350 euro par mois (...) S'il advenait qu'un taxi du GIE bénéficie d'une licence gratuite, il repaierait alors 25 000 euro de droit d'entrée car ce n.est plus la même autorisation (83) (...) Nous considérons que cette valeur est représentative d'une part de chiffre d'affaires fait grâce au GIE et auquel donne accès ce droit d'entrée " (84).

179. L'application d'une contribution à l'entrée de tout nouveau membre (acquisition gratuite de la licence ou dehors du GIE) pour le financement des coûts venant en quelque sorte " en rattrapage " de ceux supportés historiquement par les membres " partants " est la plus couramment invoquée.

180. Néanmoins, cette approche, qui est reprise à son compte par le GIE GRTAM, de même que celle visant à donner à ce droit d'entrée la nature de contrepartie d'un droit incorporel (type apport de clientèle) ou patrimonial au profit du nouveau membre, ne sauraient être partagées.

181. D'une part, dans le cadre de leur adhésion, les nouveaux membres ont l'obligation de contribuer aux coûts de fonctionnement moyennant le paiement d'une cotisation de 350 euro par mois. D'autre part, si de leur côté, les cédants d'une licence qui sont membres du GIE peuvent se targuer d'avoir contribué aux frais de fonctionnement depuis leur adhésion au groupement, en revanche, ce coût cumulé est un coût qui est supporté à titre personnel en contrepartie du droit d'utilisation des moyens d'exploitation du GIE durant leur période d'activité passée. Dans ces conditions, il ne saurait être inféré de cette situation que le successeur détient un droit patrimonial de ce chef (qui lui est soumis à un droit d'entrée de 500 euro), et à plus forte raison, un nouveau membre, qui par définition, ne succède à personne. De fait, l'examen de la situation individuelle des membres au regard du chiffre d'affaires réalisé dans le cadre des courses en compte montre une très grande amplitude (85) dont rend peu compte en termes de contrepartie l'application d'un montant de 25 000 euro fixé à l'avance.

182. Par ailleurs, au plan économique, l'admission d'un membre supplémentaire n'est pas de nature en elle-même à augmenter les coûts de fonctionnement supportés par chacun des membres, sauf à considérer qu'une faible élasticité de la demande conduirait à réduire également le chiffre d'affaires de chacun des membres. Or, cette perspective est démentie dans une approche théorique (86) et sur un plan pratique, par la décision d'Amiens et du préfet de la Somme de créer en 2008 cinq nouvelles licences - décision qui repose sur l'existence d'une demande latente supplémentaire - et par le constat largement partagé par l'ensemble des personnes auditionnées - y compris des dirigeants du GRTAM - de l'insuffisance de l'offre de taxis aux heures de pointe (87).

183. Dans l'affaire des taxis de Toulon (décision n° 97-D-54 du 9 juillet 1997), le GIE-TRT dont les pratiques ont été mises en cause par le Conseil de la concurrence avait introduit dans son règlement intérieur la clause suivante : " Toute personne qui acquiert un taxi adhérent au GIE est adhérent de plein droit sans frais. Toute personne qui acquiert un taxi non adhérent au GIE, après exclusion ou démission, et qui souhaite y adhérer doit payer un droit d'entrée. Le montant de ce droit se calcule sur la base des cotisations dues depuis le départ dudit taxi, avec un plafond de 100 000 FF " (article 31) ".

184. Le Conseil, conforté en cela par la Cour d'appel de Paris (arrêt du 5 mai 1998 précité) en avait déduit " que compte tenu de la part de marché du GIE-TRT à Toulon, la contrepartie financière demandée par le GIE pour adhérer au groupement dans l'unique hypothèse où le candidat à l'adhésion ne reprend pas la licence d'un exploitant de taxi "GIE syndicat" aboutit à un risque de dévalorisation de l'autorisation de stationnement d'un taxi, devenu indépendant, dès lors que son successeur ne pourra pas bénéficier de la clientèle du groupement sans avoir à payer une indemnité pouvant atteindre 100 000 francs ; que, par suite, un candidat repreneur pourrait être davantage conduit à racheter une licence "GIE" qu'une licence "non GIE " ".

185. La distinction opérée de ce chef entre un nouveau membre et un successeur apparaît donc, s'agissant du cas du GIE GRTAM, comme étant également dépourvue de fondement objectif et opère une discrimination artificielle suivant le seul critère de rachat de licence à un membre du GIE.

186. Cette mesure, de par son objet, porte atteinte à la concurrence, dès lors qu'elle est de nature à limiter l'accès au marché et le libre jeu de la concurrence entre artisans taxis notamment en ce qu'elle peut dissuader et décourager les candidats taxis de racheter la licence d'un taxi n'ayant pas accès aux courses du GRTAM et qu'elle introduit, pour les candidats titulaires d'une autorisation gratuite, une barrière artificielle à l'accès au marché.

Sur l'absence d'objectivité et de justification des motifs de refus d'accès au GIE

187. Ainsi qu'il a été exposé ci-dessus, en dehors du respect des conditions légales d'exercice de la profession, l'examen des demandes d'adhésion ne repose sur aucun critère objectif. A cet égard, les statuts du GIE prévoient que les décisions de refus n'ont pas à être motivées et que le Conseil d'administration du GIE peut se réserver le droit de proposer l'exclusion d'un nouvel adhérent à l'Assemblée Générale extraordinaire ou de récuser le nouvel exploitant pendant sa période d'essai d'un an. Il apparaît d'ailleurs que le GIE a pu procéder en 2008 à deux rejets de candidatures de taxis sans en justifier les motifs et qui, pour l'une d'entre elles, comportait l'obligation de restituer une autorisation de stationnement de la part du candidat (88).

188. Dès lors qu'il n'est contestable que l'adhésion au GIE est de nature à constituer, compte tenu de sa prédominance sur le secteur des taxis à Amiens (§169 à 175 plus haut), une condition essentielle d'accès au marché, l'absence d'objectivité et de justification des motifs de refus d'accès au GIE a pu faire obstacle à l'accès d'un nouvel entrant sur le marché concerné et limiter l'accès à la clientèle des artisans exclus du GIE GRTAM.

189. Dans ce contexte, il résulte des décisions du Conseil précitées (notamment §168 supra) qu'une telle pratique d'exclusion relève des pratiques prohibées visées à l'article L. 420-1 du Code de commerce.

c) Les entraves au développement de la clientèle propre des membres

190. S'agissant d'une clause générale de non concurrence prévoyant que les membres d'un groupement s'interdisent de démarcher directement ou indirectement la clientèle créée par ses diligences, le Conseil de la concurrence a indiqué dans la décision n° 98-D-27 du 21 avril 1998 relative à des pratiques constatées à l'occasion de la passation d'un marché de sel de déneigement dans le département de la Nièvre : " Considérant, en second lieu, que l'article 15 du règlement intérieur, en interdisant aux membres du GIE, lesquels continuent d'exercer, indépendamment de leur participation au groupement, une activité de transport autonome, de démarcher la clientèle du GIE, a pu limiter ainsi les possibilités de concurrencer le GIE pour tout membre qui serait en mesure de proposer des prix plus compétitifs que ceux du GIE, lequel, dans ses propositions, peut être amené à opérer des compensations entre les coûts de ses membres, afin de tenir compte des écarts qui peuvent exister entre eux dans leurs conditions d'exploitation ; qu'une telle clause, ayant pour objet et ayant pu avoir pour effet de restreindre le jeu de la concurrence entre les membres du groupement, est prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ".

191. Plusieurs décisions du Conseil de la concurrence ont mis en évidence des situations où un groupement de taxis empêchait la constitution par ses membres d'une clientèle personnelle, en interdisant par exemple l'usage de moyens de communication privés ou le recours à toute publicité personnelle. Ainsi, dans l'affaire des taxis de Cannes (décision n° 96-D-53 du 17 septembre 1996), le règlement intérieur de la coopérative stipulait dans les clauses d'adhésion que " Tout chauffeur de taxi utilisant dans son véhicule, un téléphone ou un moyen de communication privé, se verra interdire, ainsi que ses successeurs, l'entrée de la coopérative ". Dans un contexte où la majorité des recettes résultait de commandes téléphoniques et où la société coopérative bénéficie des appels téléphoniques adressés depuis les bornes de tête de station, le Conseil a pu estimer qu'une telle clause décourageait la constitution d'une clientèle propre par un adhérent en lui faisant prendre le risque d'une dévalorisation de son autorisation de stationnement.

192. Dans l'affaire des taxis de Toulon précitée, et s'agissant de mesures interdisant le recours à la publicité et aux moyens de communication personnels, le Conseil a conclu : " considérant que les interdictions (...) du règlement intérieur sont énoncées dans le contexte d'un marché où la quasi totalité des courses sont effectuées par les membres du syndicat et du GIE TRT qui réunit 96 % des exploitants de taxis toulonnais ; qu'ensemble les articles 10 et 10 bis du règlement intérieur énoncent l'interdiction de détention de moyens de télécommunication personnels et suppriment toute possibilité pour les exploitants de taxis d'être contactés directement dans leurs véhicules par d'éventuels clients ou collègues et sanctionnent tout manquement aux dispositions de l'article 10 bis par l'exclusion de plein droit du groupement ; que la lecture du procès-verbal de l'assemblée générale annuelle mixte du 15 avril 1992 confirme que l'article 10 bis du règlement intérieur est opposable et opposé aux membres du groupement ; que l'application de l'article 29 du règlement aboutit à priver un exploitant de taxi membre du GIE TRT et du syndicat de la possibilité de recevoir des appels personnels de commandes de courses de taxis à Toulon ; que le chiffre d'affaires généré par les courses sur appels représente près de la moitié de la recette totale journalière d'un exploitant de taxi à Toulon ; que la pérennité de l'activité d'un exploitant de taxi " GIE " est largement liée à la clientèle drainée par le groupement puisque la plus grande majorité des courses s'effectuent à partir de Toulon ; Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions des articles 10, 10 bis, 29 et 28 du règlement intérieur ont pour objet et ont pu avoir pour effet de limiter l'accès au marché et le libre exercice de la concurrence par les membres du GIE, notamment en les empêchant de développer une clientèle extérieure au GIETRT ; qu'elles sont, par suite, prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ".

193. La Cour d'appel de Paris a confirmé dans un arrêt du 5 mars 1998 que de telles clauses, qui visent à interdire à l'exploitant tout rapport direct et personnel avec une clientèle propre, par un moyen de son choix, sont anticoncurrentielles par leur objet.

194. Dans les décisions relatives aux taxis de Montbéliard (décision n° 00-D-77 du 21 mars 2001), aux taxis de Besançon (décision n° 01-D-78 du 21 mars 2001) et des taxis de Belfort (décision n° 00-D-79 du 21 mars 2001), le Conseil de la concurrence a adopté la même position s'agissant de clauses statutaires identiques.

195. Les limitations apportées à l'exercice de l'activité de taxis des membres du GIE GRTAM tant dans le cadre de l'interdiction de recourir à des moyens propres de communication que de celle de conserver ou d'acquérir une clientèle propre résultent de l'énonciation des dispositions statutaires et du règlement intérieur du groupement, telles qu'exposées plus haut (§125 à 134). Leur réalité est par ailleurs confirmée dans les procès-verbaux et n'est pas contestée par les dirigeants du GRTAM eux-mêmes.

196. Ces pratiques ont pour objet de dissuader, voire de rendre impossible la constitution d'une clientèle propre par les membres du GIE GRTAM. Au demeurant, la dérogation affichée en ce qui concerne le transport de malades au travers de l'autorisation des seuls " contrats personnels SECU ", telle qu'elle est analysée au paragraphe 131 n'est que le reflet de la réalité juridique dès lors que la CPAM considère être en relation contractuelle avec chacun des taxis en application de l'article 12 de la convention cadre signée entre la CPAM et le syndicat des taxis de la Somme le 19 juillet 1999 (89). Cela étant, le fait que le GIE ait par commodité bénéficié du paiement des prestations à son niveau, via l'attribution d'un identifiant unique, lui permet de replacer les courses correspondantes dans le circuit de distribution du GIE et partant, de limiter la possibilité pour ses membres de se constituer une clientèle propre.

197. Ainsi, s'il apparaît légitime que le GIE revendique la possibilité d'organiser de façon pérenne l'activité de radio-taxi en son sein, en revanche, les restrictions apportées à la liberté commerciale des membres, compte tenu de leur portée générale, n'apparaissent ni proportionnées, ni nécessaires, à la poursuite de cet objectif. C'est d'ailleurs en substance ce que reconnaît le représentant du GRTAM lorsqu'il déclare dans le procès-verbal du 23 septembre 2009 : " Encore une fois, depuis ma présence au sein du GIE, nous considérons que rentrer dans le groupement, cela veut dire accepter les règles du GIE. Nous concevons que le développement d'une clientèle personnelle soit possible, mais historiquement, elle n.est pas admise au sein du groupement " (90).

198. Il y a lieu de conclure que les clauses des statuts et du règlement intérieur du GIE GRTAM, qui visent à interdire ou à empêcher tout rapport direct et personnel avec une clientèle propre, par un moyen de communication personnel, sont anticoncurrentielles par leur objet, et relèvent de ce chef des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

B. SUR L'IMPUTABILITÉ DES PRATIQUES

199. Il résulte des éléments qui précèdent que le conseil d'administration du GIE GRTAM a pris une part déterminante dans la mise en œuvre des pratiques qui font l'objet des griefs notifiés.

200. Dans la décision n° 94-D-51 du 4 octobre 1994 relative à la situation de la concurrence dans le secteur du déménagement, le Conseil de la concurrence a estimé devoir imputer des pratiques d'ententes au niveau du groupement et non à celui de ses membres en ces termes : " considérant que le GIE InterDem, à qui le grief a été notifié, estime que celui-ci ne le concernerait pas, mais ses membres ; que si le pacte social par lequel plusieurs entreprises décident d'unir une partie de leurs moyens dans un but commun ne saurait être considéré en lui-même comme anticoncurrentiel, les décisions prises par le GIE InterDem sont la manifestation de l'accord de volontés des membres de cette structure commune, dont il n.est pas contesté qu'ils sont des entreprises juridiquement distinctes, poursuivant des objectifs économiques distincts et en situation de se faire concurrence ; que le GIE InterDem doit être mis en cause parce que ce sont les organes dirigeants de ce GIE en tant que tel, quoique par délégation, qui apparaissent comme étant les auteurs des pratiques d'ententes entre ses membres ".

201. Par identité de motifs et compte tenu des éléments d'appréciation retenus dans la présente affaire, il y a lieu d'imputer les pratiques au GIE GRTAM.

C. SUR LES SANCTIONS

202. L'article L. 464-2 du Code du commerce dispose que " les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 464-5 du Code de commerce, lorsque l'Autorité statue selon la procédure simplifiée prévue à l'article L. 463-3 de ce Code, c'est-à-dire sans établissement préalable d'un rapport, le plafond de la sanction encourue est de 750 000 euro.

1. SUR LA GRAVITÉ DES PRATIQUES

204. Les pratiques d'ententes horizontales sur les prix sont graves par nature dès lors qu'elles ont pour objet de fausser le jeu de la concurrence, ainsi que l'illustre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 24 avril 2007 : " considérant que le Conseil a retenu à juste titre (points 422 à 427 de la décision) la gravité des pratiques tenant à la nature même de l'entente, s'agissant de la fixation de prix minima entre concurrents, à l'implication dans la concertation des principaux opérateurs du secteur concerné - appréciation qui demeure pertinente même si l'on retient, comme le soutient la société JH Industries, que ces opérateurs représentent près de 70 % du marché - à l'importance du marché affecté (300 millions d'euro) et à la durée des pratiques (3 ans) ; que le fait que la participation de la société Malerba à cette entente n'ait pas été assortie d'agissements directement dirigés contre ses concurrents, comme ceux qu'elle invoque, ne suffit pas à lui ôter tout caractère de gravité ".

205. De même, dans le domaine des restrictions horizontales de type " cartels de prix ", la CJUE a jugé que " le Tribunal n'a commis aucune erreur de droit en se fondant sur les lignes directrices qui retiennent, au titre des infractions "très graves", les restrictions horizontales de type "cartels de prix" et de quotas de répartition des marchés ou autres pratiques portant atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur (...) la nature propre de l'infraction peut suffire à la qualifier de "très grave" et ce, indépendamment de son impact concret sur le marché et de son étendue géographique " (arrêt du 24 septembre 2009, Erste group Bank Ag / Commission, C-125-07, points 101 et103).

206. En l'espèce, les pratiques relevées sont d'autant plus graves qu'elles interviennent dans un secteur où les atteintes à la concurrence réduisent considérablement un espace concurrentiel déjà limité par la réglementation des prix et les conditions d'accès et d'exercice de la profession.

207. Par ailleurs, le Conseil de la concurrence considère que le fait qu'une entreprise, auteur de pratiques anticoncurrentielles, détienne un monopole de droit ou de fait ou bénéficie d'une exclusivité publique ou privée, emporte nécessairement des conséquences graves sur le marché (décision n°04-D-30). La même analyse doit être retenue s'agissant de pratiques mises en œuvre par un groupement auquel l'appartenance demeure une condition essentielle d'accès au marché local.

208. Les pratiques du GRTAM relatives au fonctionnement du GIE - qui regroupe sur la période concerné entre 80 % et 90 % de la flotte de taxi en activité sur l'agglomération amiénoise - visaient à empêcher ou gêner le développement d'entreprises susceptibles de concurrencer les adhérents du GRTAM et à limiter la concurrence entre ces adhérents eux-mêmes. Ces pratiques aboutissent à supprimer, dans un secteur déjà très réglementé, les faibles marges où peut s'exercer la concurrence, et revêtent également de par cet effet, un caractère de gravité indéniable.

2. SUR L'IMPORTANCE DU DOMMAGE À L'ÉCONOMIE

209. Le dommage à l'économie s'analyse théoriquement comme la conséquence d'une allocation sous-optimale des ressources et d'un détournement de tout ou partie du surplus collectif au profit des auteurs des pratiques anticoncurrentielles, et ne se réduit pas à une perte objectivement mesurable qui serait facteur de l'étendue du marché concerné, de la durée de la pratique et de son effet sur le marché.

210. Ainsi que l'a précisé la Cour de cassation dans un arrêt du 7 avril 2010, il résulte des dispositions de l'article L. 464-2 du Code de commerce " que le montant de la sanction d'une pratique, ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, doit être proportionné à l'importance du dommage causé par cette pratique à l'économie et [que] ce dommage ne saurait être présumé ".

211. L'entente sur le prix des licences à Amiens a conduit à une hausse artificielle du prix de ces licences.

212. En 2007, et à la suite de réclamations d'usagers concernant l'insuffisance de taxi, la réponse des pouvoirs publics a consisté à porter le nombre d'autorisations de stationnement de 50 à 55. Même si l'effet de l'augmentation du nombre de licences sur la valeur de la licence est partiellement atténué par la réponse de la demande à une augmentation de la disponibilité, cette augmentation quantitative de l'offre aurait dû se faire ressentir sur l'évolution du niveau du prix des licences. Or, entre les années 2007 et 2009, il apparaît que le rythme de hausse du prix des licences s'est au contraire amplifiée, la valeur globale du prix des licences s'étant appréciée de 57% , alors que sur cette même période, les deux variables économiques fortes résident dans l'augmentation du nombre de licences de 10% et une inflation modérée de 2,8% en 2008 (91).

213. Cette inflation du prix de la licence est de nature à induire deux effets indirects : une pression à la baisse sur l'offre de licence et une pression à la hausse sur le tarif des courses.

214. En effet, et ainsi que l'avait exposé le Conseil dans l'affaire des taxis de Marseille déjà citée (n° 06-D-30), l'augmentation du prix des licences a les effets suivants : " l'entente, qui a eu pour effet d'augmenter artificiellement le prix des licences, a rendu de ce fait moins accessible la profession de chauffeur de taxi, en particulier aux jeunes titulaires du certificat de capacité professionnelle des conducteurs de taxi. Les nouveaux acquéreurs de licence ont dû payer un prix supérieur à celui qui aurait découlé du libre jeu du marché, ce qui a eu pour effet de déséquilibrer dès l'origine leur bilan financier et a créé une double incitation, d'une part, à obtenir une augmentation de leurs revenus et, d'autre part, à demander une garantie sur le prix de revente futur de leur licence. Ces contraintes financières artificielles les conduisent à concentrer leurs activités sur les courses les plus rentables en négligeant une partie de la demande et à faire pression sur le pouvoir réglementaire pour que celui-ci, d'une part, augmente le tarif des courses chaque année en arguant du prix élevé d'achat de leurs licences et, d'autre part, ne délivre pas de nouvelles autorisations à titre gratuit ".

215. A cette situation, parfaitement transposable au cas d'espèce, s'ajoute, en ce qui concerne les taxis de l'agglomération d'Amiens, la soumission à un droit d'entrée discriminatoire pour les détenteurs de licence gratuite qui souhaitent intégrer le GIE GRTAM et l'impossibilité pour les membres du GIE de se faire concurrence entre eux en développant une clientèle personnelle.

216. S'agissant du droit d'entrée dans le GIE, fixé à 25 000 euro pour les titulaires de nouvelles licences et pour les taxis ayant acquis leur licence en dehors du GIE, il a pour effet, combiné à l'opacité des règles relatives à l'adhésion, d'ériger une barrière à l'entrée dans le GIE, alors que l'appartenance au GIE peut être déterminant compte tenu de sa part de marché sur Amiens. Mais, plus encore que de dissuader l'entrée, il a pour effet de dissuader de sortir du GIE, par exemple pour rejoindre ou créer un GIE concurrent, dans la mesure où toute décision de quitter le GIE est quasiment irréversible. En conséquence de cet effet de capture, la situation concurrentielle demeure largement figée et la position du GIE est difficilement contestable.

217. Enfin, l'interdiction pour les membres du GIE de développer une clientèle personnelle a pour conséquence, sur un marché réglementé où la concurrence par les prix est largement atone, de supprimer toute possibilité pour les membres du GIE de se faire concurrence en cherchant à se différencier en termes de variété ou de qualité dans le service. Cette neutralisation de la concurrence entre les membres du groupement a un effet d'autant plus sensible que ceux-ci représentent ensemble entre 80 % et 90 % du marché.

218. En l'espèce, les pratiques se sont poursuivies sur 10 ans et n'ont pas eu un caractère ponctuel et fortuit mais bien un caractère répété et continu.

219. En conclusion, les pratiques mises en œuvre par le GIE GRTAM entre 1999 et 2009 ont eu pour effet de renchérir artificiellement les coûts d'entrée sur le marché et d'éliminer durablement toute concurrence entre les membres du GIE, au détriment des consommateurs.

3. SUR LA SITUATION INDIVIDUELLE DU GIE GRTAM

220. Dans le cadre de la décision n° 06-D-30 du 18 octobre 2006 déjà citée, le Conseil a fait application de la jurisprudence communautaire selon laquelle "le préjudice d'une association d'entreprises doit être apprécié en prenant en compte la situation de ses membres, lorsque les intérêts objectifs de l'association ne présentent pas un caractère autonome par rapport à ceux des entreprises qui y adhèrent" (92). Le tribunal justifiait cette jurisprudence par le fait que si les faibles moyens financiers des associations d'entreprise était le seul critère d'appréciation "sans que les moyens financiers de leurs membres soient pris en compte, les entreprises envisageant des comportements anticoncurrentiels auraient intérêt à constituer une association d'entreprises pour conclure des accords contraires au droit de la concurrence (...)". Appliquant ce raisonnement, il constatait que "par ailleurs, aucun élément du dossier ne permet de penser qu'il serait inconcevable que la majorité des membres [des fédérations] votent une augmentation des cotisations des membres les plus concernés par les accords litigieux".

221. Au cas d'espèce, les intérêts objectifs du GIE GRTAM ne présentent pas un caractère autonome par rapport à ceux de ses membres et les pratiques en cause, mises en œuvre par le GIE GRTAM, ont pour objet et pour effet de favoriser les intérêts de ses membres, au détriment in fine des consommateurs.

222. Il s'ensuit que, selon cette jurisprudence, il y a lieu, dans une telle configuration, de prononcer des sanctions " proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entité sanctionnée, ce dernier critère incluant la possibilité pour elle de répercuter ou non le montant de la sanction sur ses adhérents par une cotisation exceptionnelle, dans le respect des capacités financières de ces derniers " (point 119 de la décision n° 06-D-30 précitée).

223. Il convient de faire application de ces principes dans la présente affaire pour la détermination du montant des sanctions qui pourraient être prononcées à l'encontre du GIE GRTAM en application de l'article L. 464-2 du Code de commerce.

224. Les ressources propres du GIE GRTAM, constituées par les cotisations de ses membres, s'élèvent à 173 425 euro en 2008 et 123 011 euro en 2009 (provisoire). Les courses en compte, qui transitent par la comptabilité du GIE mais sont reversées intégralement à ses membres, représentent 973 560 euro en 2008 et 786 152 euro en 2009 (provisoire).

225. S'agissant du chiffre d'affaires des membres du GIE, 38 des 44 membres du GIE ont réalisé en 2008 un chiffre d'affaires cumulé de 1 589 000 euro, soit un chiffre d'affaires estimé pour la totalité des membres du GIE de 1 898 000 euro.

4. SUR LA SANCTION

226. Compte tenu des éléments généraux et individuels exposés ci-dessus, il y a lieu d'infliger au GIE GRTAM une sanction pécuniaire de 30 000 euro.

227. Par ailleurs, il est enjoint au GIE GRTAM d'insérer à ses frais dans le journal "Le Courrier Picard" et dans la revue "L'artisan du Taxi" la publication suivante : "Par décision du 11 mai 2010, l'Autorité de la concurrence a infligé une sanction de 30 000 euro au GIE " Groupement des radios taxis amiénois et de la métropole ", pour avoir enfreint les dispositions sur la prohibition des ententes visées à l'article L. 420-1 du Code de commerce, en se rendant auteur d'une pratique d'entente sur le prix des licences de taxis entre 1999 et 2009 et en adoptant des règles de fonctionnement interne ayant pour objet ou ayant eu pour effet de limiter l'accès au marché des taxis à Amiens. Le texte intégral de la décision de l'Autorité de la concurrence est accessible sur le site www.autoritedelaconcurrence.fr ".

Décision

Article 1er : Il est établi que le GIE GRTAM a enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Article 2 : Il est infligé au GIE GRTAM une sanction pécuniaire de 30 000 euro.

Article 3 : Il est enjoint au GIE GRTAM de procéder à la publication du texte figurant au paragraphe 227 dans le journal "Le Courier Picard" et dans la revue "L'artisan du Taxi" dans les deux mois qui suivront la notification de cette décision. Cette publication interviendra dans un encadré en caractères noirs sur fond blanc de hauteur au moins égale à trois millimètres sous le titre suivant, en caractère gras de même taille : "Décision n° 10-D-15 du 11 mai 2010 de l'Autorité de la concurrence relative à des pratiques mises en œuvre par le GIE "Groupement des taxis amiénois et de la métropole". Elle pourra être suivie de la mention selon laquelle la décision a fait l'objet de recours devant la Cour d'appel de Paris si de tels recours sont exercés. Le GIE GRTAM adressera, sous pli recommandé, au bureau de la procédure, copie de ces publications, dès leur parution

Délibéré sur le rapport oral de M. Ludovic Halbwax et l'intervention de M. Stanislas Martin, rapporteur général adjoint, par M. Patrick Spilliaert, vice-président, président de séance, Mme Pierrette Pinot, MM. Emmanuel Combe, Thierry Tuot, membres.

Notes :

1 Les conditions d'obtention ont été modifiées par le décret 2009-72 du 20 janvier 2009, qui a fusionné la procédure d'examen professionnel.

2 Articles 2 et 2 bis de la loi n° 95-66 du 20 janvier 1995.

3 Articles 9 à 12.

4 Le préfet est notamment compétent pour organiser et autoriser l'exploitation des taxis dans les aérogares et les dépendances des gares qui appartiennent au domaine public ferroviaire. De même, le préfet de police de Paris exerce dans la capitale les pouvoirs de police en principe dévolus aux maires.

5 L'article L .2215-1 du Code général des collectivités territoriales constitue la base légale de création d'un service intercommunal de taxis.

6 Cessation d'activité, fusion, scission, liquidation judiciaire et décès.

7 Article 1 bis de la loi du 20 janvier 1995 précitée.

8 Décision du Directeur général de l'Union nationale des caisses d'assurances maladies du 8 septembre 2008 relative à l'établissement d'une convention type à destination des entreprises de taxi et des organismes locaux, dont l'article 2 prévoit que " compte tenu de la solvabilité apportée par l'assurance maladie à ses assurés, ces tarifs comportent une remise par rapport aux tarifs fixés par le préfet."

9 Nombre de taxis recensés au 28 mai 2008 qui figure au sein du protocole d'accord relatif à l'évolution de la profession de taxi conclu entre les syndicats professionnel et le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.

10 Source ministère de l'intérieur qui recensait une augmentation de 4,6% entre 1992 et 2001.

11 Source OCDE, septembre 2008.

12 " Amiens métropole " regroupe la commune d'Amiens et les 32 autres communes avoisinantes qui comportent 177 345 habitants.

13 Cote 838.

14 Il s'agit des communes de Cagny, Poulainville, Camon, Dreuil et Boves.

15 Cotes 836 à 839.

16 Cote 702.

17 Cote 698.

18 Cote 704.

19 Cote 856.

20 Source INSEE 2006.

21 Données INSEE 2005.

22 Source Agence régionale d'hospitalisation de Picardie, 2005.

23 Source ARH Picardie, 2005.

24 Ratio national de 1/1345 (source ministère de l'intérieur 2004).

25 Cote 837.

26 Cote 978.

27 Cote 821.

28 Cote 377.

29 A savoir en principe, le transport médical et le transport de malades, et le transport de voyageurs donnant lieu à la conclusion de contrats pour le compte de différents donneurs d'ordre (cotes 509 à 816).

30 Moyenne annuelle de 60 000 euro (cotes 399 à 437).

31 94 % des taxis d'Amiens, ou encore 82 % des taxis du service intercommunal de la métropole.

32 Cotes 590 à 596 et cotes 390 à 398 pour l'ancien et le nouveau règlement intérieur (ce dernier ayant été approuvé pour une période d'essai de 6 mois lors de l'assemblée générale extraordinaire du 3 juillet 2006, cote 492). Cotes 449 à 462 et 589 à 596 pour les statuts (les statuts dans la version la plus récente ayant été approuvés par l'assemblée générale extraordinaire du 3 juillet 2006, avec un dépôt au greffe du tribunal de commerce d'Amiens le 28 mai 2008).

33 Cote 819.

34 Cote 854.

35 Cote 485.

36 Cote 591.

37 Cote 392.

38 Cote 702.

39 Cote 703.

40 Chiffres Insee figurant sur le site http://www.insee.fr/fr.

41 Réserve faite du cas du taxi n° 7 (cession du 2 septembre 2008, pour lequel la commune d'Amiens s'est vu opposer un refus de la part du notaire qui a procédé à la déclaration de cession).

42 Cote 266.

43 Cote 697.

44 Cote 855.

45 Cote 823.

46 Cote 822.

47 Cote 877.

48 Cote 856.

49 Cote 856.

50 Cote 698.

51 Cotes 39 à 139.

52 Cotes 912 à 954.

53 Cote 471.

54 Cote 876.

55 Cote 471 précitée.

56 Cote 879, deuxième résolution de l'AGE du 5 avril 2008.

57 Cote 698.

58 Cote 703.

59 Cote 853.

60 Cote 882.

61 Cote 885.

62 Cote 470.

63 Cote 855.

64 Cote 704.

65 Cote 266.

66 Cote 454.

67 Cote 590.

68 Cote 473.

69 Cote 395.

70 Cote 696.

71 Cote 822.

72 Cote 390

73 Cote 696.

74 Cote 822.

75 Voir en ce sens le rapport annuel 2007 du Conseil de la concurrence, paragraphe 179.

76 Voir en ce sens la décision 08-D-23 du 15 octobre 2008, points 27 à 29.

77 Arrêt du 5 mai 1998 relatif au recours formé par le Syndicat professionnel des taxis du Var et le GIE Taxi- radio toulonnais (TRT).

78 Cote 378.

79 Cote 698.

80 Cotes 823 et 824.

81 Cote 855.

82 Décisions n° 00-D-78 et 00-D-79 du 21 mars 2001.

83 Cote 377.

84 Cote 855.

85 Cotes 809 à 816.

86" Réglementation, dérèglementation et concurrence : le cas des taxis ". ; Maya Bacache-Beauvallet et Lionel Jamin. Revue concurrence n°2-2009, pages 41(§9), 42 (§15).

87 Cote 856, réponse à la question 18 de l'audition du 23 septembre 2009.

88 Cote 876.

89 Cote 753.

90 Cote 855.

91 Source Insee

92 TPICE, Ordonnance rendue le 24 janvier 2004 dans l'affaire T-245-03 R, point 84.