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Décisions

CJUE, 4e ch., 3 juin 2010, n° C-127/09

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Coty Prestige Lancaster Group GmbH

Défendeur :

Simex Trading AG

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Bonichot

Avocat général :

M. Cruz Villalón

Juges :

Mme Toader, MM. Timmermans (rapporteur), Kuris, Bay Larsen

Avocats :

Mes Lehment, Hildebrandt, Stolz, Russo

CJUE n° C-127/09

3 juin 2010

LA COUR (quatrième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 13, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 40-94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), et de l'article 7, paragraphe 1, de la première directive 89-104-CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1), telle que modifiée par l'accord sur l'Espace économique européen du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après la "directive 89-104").

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant Coty Prestige Lancaster Group GmbH (ci-après "Coty Prestige"), société établie à Mayence (Allemagne), à Simex Trading AG (ci-après "Simex Trading"), société établie à Appenzell (Suisse), et ayant donné lieu à une action en cessation introduite par Coty Prestige contre Simex Trading, fondée sur l'allégation que cette dernière, en commercialisant des produits de parfumerie en Allemagne, viole les droits attachés à des marques communautaires et internationales dont Coty Prestige est le titulaire ou l'ayant droit.

Le cadre juridique

Le droit de l'Union

3 L'article 13 du règlement n° 40-94, intitulé "Épuisement du droit conféré par la marque communautaire", prévoit à son paragraphe 1:

"Le droit conféré par la marque communautaire ne permet pas à son titulaire d'interdire l'usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement."

4 L'article 7, paragraphe 1, de la directive 89-104, dans sa version initiale, énonçait:

"Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire l'usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement."

5 Conformément à l'article 65, paragraphe 2, de l'accord sur l'Espace économique européen, lu en combinaison avec l'annexe XVII, point 4, de cet accord, l'article 7, paragraphe 1, de la directive 89-104, dans sa version initiale, a été modifié aux fins dudit accord, l'expression "dans la Communauté" étant remplacée par les mots "sur le territoire d'une partie contractante".

Le droit national

6 L'article 24, paragraphe 1, de la loi sur la protection des marques et autres signes distinctifs (Markengesetz) du 25 octobre 1994 (BGBl. 1994 I, p. 3082) dispose:

"Le titulaire d'une marque ou d'une désignation commerciale n'a pas le droit d'interdire à un tiers d'utiliser ladite marque ou désignation commerciale pour des produits qui ont été mis dans le commerce en Allemagne, dans un autre État membre de l'Union européenne ou dans un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen sous cette marque ou cette désignation commerciale par le titulaire ou avec son consentement."

Le litige au principal et la question préjudicielle

7 Coty Prestige fabrique et distribue des produits de parfumerie sous ses propres marques, telles Lancaster et Joop!, ainsi que sous des marques de tiers, telles Davidoff, Jil Sander, Calvin Klein, Lagerfeld, J.Lo/Jennifer Lopez, Jette Joop, Nikos, Chopard et Vivienne Westwood.

8 Sous ces marques, qui ont fait l'objet d'enregistrements communautaires et internationaux, Coty Prestige commercialise ses produits à travers le monde entier par un système de distribution sélective, ses distributeurs étant généralement appelés "dépositaires".

9 L'article 5 du contrat type conclu par Coty Prestige avec chacun de ses dépositaires est rédigé comme suit:

"5.1. Dans les limites de ce qui est économiquement acceptable, [Coty Prestige] soutiendra de multiples façons les efforts de vente du dépositaire. Les détails seront réglés au cas par cas, par accord entre les parties.

5.2. [Coty Prestige] peut également mettre gratuitement à la disposition du dépositaire de la décoration et d'autres matériels publicitaires. À moins qu'il ne soit destiné à être remis au consommateur, ce matériel reste la propriété de [Coty Prestige], qui peut le réclamer à tout instant.

5.3. Le matériel publicitaire mis à disposition par [Coty Prestige] doit être utilisé par le dépositaire à seule fin de promotion. Il est interdit [au dépositaire] d'exploiter ce matériel commercialement, [...] notamment en vendant des échantillons, des testeurs ou des miniatures."

10 Simex Trading, qui ne fait pas partie du réseau de dépositaires de Coty Prestige, commercialise notamment des produits de parfumerie.

11 Le 26 septembre 2007, Coty Prestige a obtenu deux flacons, dénommés "testeurs", contenant du parfum de marque Davidoff Cool Water Man, provenant d'un achat, effectué à titre de test, dans un magasin de la chaîne Sparfümerie situé à Ingolstadt (Allemagne).

12 Les testeurs en cause sont des flacons d'origine contenant du parfum également d'origine, lesdits flacons étant toutefois dépourvus du système de fermeture d'origine et portant la mention "démonstration". Le conditionnement des testeurs diffère de celui des marchandises d'origine en ce que, d'une part, il est constitué d'un emballage en carton blanc sur lequel figurent en noir les indications qui apparaissent généralement en couleurs sur l'emballage d'origine. D'autre part, la mention "démonstration" figure sur la face frontale de l'emballage des testeurs et une face latérale de celui-ci porte l'indication "vente interdite".

13 Les numéros de fabrication des testeurs obtenus le 26 septembre 2007 ont permis à Coty Prestige de constater que les exemplaires en cause avaient été livrés en juillet 2006 à un de ses dépositaires, établi à Singapour.

14 Par la suite, un exploitant de la chaîne Sparfümerie a informé Coty Prestige qu'il s'était procuré lesdits exemplaires auprès de Simex Trading pour le principal point de vente de cette chaîne à Nuremberg, en produisant des factures à l'appui de cette affirmation.

15 Sur la base des constatations opérées à l'occasion de cet achat et d'un autre achat effectué à titre de test d'un testeur initialement livré au Proche-Orient, Coty Prestige a introduit devant les juridictions allemandes une action en cessation contre Simex Trading, faisant valoir que les testeurs concernés ont été mis dans le commerce pour la première fois dans la Communauté ou dans l'Espace économique européen (EEE) sans l'accord du titulaire de la marque.

16 Simex Trading a conclu au rejet de cette action, soutenant que le droit tiré de la marque est épuisé en ce qui concerne les testeurs en cause dès lors qu'ils ont été mis dans le commerce dans l'EEE avec le consentement du titulaire de la marque.

17 Coty Prestige a rétorqué qu'il n'y a pas eu de mise dans le commerce des produits concernés à son initiative ou avec son consentement. Les parfums, y compris les testeurs, seraient fournis exclusivement à ses dépositaires. Or, dans les contrats passés avec ceux-ci, Coty Prestige se réserverait la propriété des testeurs. Il s'agirait en outre de matériels publicitaires qui ne sont pas destinés en tant que tels aux consommateurs, ce qui expliquerait pourquoi les testeurs sont clairement signalés comme étant interdits à la vente.

18 Le Landgericht Nürnberg-Fürth (tribunal régional de Nuremberg-Fürth) a rejeté la demande de Coty Prestige, considérant que le droit tiré de la marque était épuisé dans le cas des testeurs en cause, bien que ceux-ci eussent été signalés comme étant interdits à la vente.

19 En effet, dès lors que les testeurs sont remis par Coty Prestige aux dépositaires avec l'autorisation de consommer la totalité du parfum qu'ils contiennent, le pouvoir de disposition effectif sur ces produits serait transmis et, partant, lesdits produits seraient mis dans le commerce au sens de l'article 7 de la directive 89-104 et de l'article 13 du règlement n° 40-94.

20 Selon cette juridiction, le principe d'épuisement ne saurait être restreint ou rendu inapplicable par des restrictions contractuelles. La violation par un dépositaire du contrat qu'il a conclu avec Coty Prestige ne concernerait que les relations contractuelles entre les opérateurs concernés. La réserve de propriété serait, en outre, dépourvue de pertinence puisque l'épuisement exigerait simplement un transfert du pouvoir de disposition effectif.

21 Saisi en appel, l'Oberlandesgericht Nürnberg (tribunal régional supérieur de Nuremberg) estime que des doutes sérieux existent quant au bien-fondé de la thèse retenue par la juridiction de première instance.

22 Selon la juridiction de renvoi, il ressort de la jurisprudence de la Cour, et en particulier de l'arrêt du 30 novembre 2004, Peak Holding (C-16-03, Rec. p. I-11313), que les critères centraux sous-tendant la notion de "mise dans le commerce" au sens de l'article 7, paragraphe 1, de la directive 89-104 et de l'article 13, paragraphe 1, du règlement n° 40-94 sont le transfert du pouvoir de disposition sur la marchandise et la réalisation de sa valeur économique.

23 Or, la particularité de l'affaire au principal résiderait dans le fait que, en raison de stipulations contractuelles, les testeurs restent la propriété du titulaire de la marque, seul leur contenu étant mis à disposition pour être consommé, mais non pour être vendu. Du fait des mentions qui figurent sur les testeurs et leur conditionnement, les acquéreurs sauraient que les testeurs ne sont pas destinés à la vente, de sorte que la possibilité d'une acquisition de bonne foi par des tiers serait exclue.

24 Dans de telles circonstances, le dépositaire n'aurait donc qu'un pouvoir de disposition limité sur les testeurs. Par ailleurs, le titulaire de la marque ne pourrait pas avoir réalisé la valeur économique de la marchandise, puisque la vente de celle-ci n'est pas prévue.

25 La juridiction de renvoi observe en outre que le véritable objet de la mise à disposition des testeurs est la promotion. Cela ressortirait d'ailleurs clairement des indications figurant sur l'emballage extérieur et sur le flacon. Or, dans les circonstances visées par Coty Prestige dans le cadre de son action en cessation, cette finalité ne serait pas réalisée, puisque les testeurs n'ont pas été mis à la disposition des clients pour qu'ils puissent en essayer le contenu, dès lors qu'ils ont été vendus à des tiers en violation du contrat conclu avec le dépositaire concerné.

26 Dans ces circonstances, l'Oberlandesgericht Nürnberg a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"La notion de mise dans le commerce au sens de l'article 13, paragraphe 1, du règlement n° 40-94 et de l'article 7 de la directive 89-104 englobe-t-elle la remise - sans transfert de propriété et avec interdiction de vente - de 'testeurs à parfum' à des intermédiaires liés par contrat pour que leurs clients potentiels puissent en essayer le contenu, alors que l'interdiction de vente est signalée sur la marchandise, que le fabricant/titulaire de la marque peut à tout moment rappeler cette marchandise en vertu du contrat et que la présentation de celle-ci se distingue clairement, par une plus grande simplicité, de celle de la marchandise habituellement mise dans le commerce par le fabricant/titulaire de la marque ?"

Sur la question préjudicielle

27 Selon une jurisprudence bien établie, les articles 5 à 7 de la directive 89-104 procèdent à une harmonisation complète des règles relatives aux droits conférés par la marque et définissent ainsi les droits dont jouissent les titulaires de marques dans l'Union (voir, notamment, arrêt du 15 octobre 2009, Makro Zelfbedieningsgroothandel e.a., C-324-08, non encore publié au Recueil, point 20 et jurisprudence citée).

28 En particulier, l'article 5 de ladite directive confère au titulaire de la marque un droit exclusif lui permettant d'interdire à tout tiers, notamment, d'importer des produits revêtus de sa marque, de les offrir, de les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins. L'article 7, paragraphe 1, de la même directive contient une exception à cette règle, en ce qu'il prévoit que le droit du titulaire est épuisé lorsque les produits ont été mis dans le commerce dans l'EEE par le titulaire lui-même ou avec son consentement (voir, notamment, arrêt Makro Zelfbedieningsgroothandel e.a., précité, point 21 et jurisprudence citée).

29 L'extinction du droit exclusif résulte soit du consentement du titulaire à une mise dans le commerce dans l'EEE, exprimé de manière expresse ou implicite, soit de la mise dans le commerce dans l'EEE par le titulaire lui-même ou par un opérateur lié économiquement au titulaire, tel que, en particulier, un licencié. Le consentement du titulaire ou la mise dans le commerce dans l'EEE par celui-ci ou par un opérateur qui lui est lié économiquement, qui équivalent à une renonciation au droit exclusif, constituent donc chacun un élément déterminant de l'extinction de ce droit (voir, en ce sens, arrêts du 8 avril 2003, Van Doren + Q, C-244-00, Rec. p. I-3051, point 34; du 23 avril 2009, Copad, C-59-08, non encore publié au Recueil, point 43, ainsi que Makro Zelfbedieningsgroothandel e.a., précité, point 24 et jurisprudence citée).

30 Afin d'assurer la protection des droits conférés par la marque tout en rendant possible la commercialisation ultérieure des produits revêtus d'une marque sans que le titulaire de celle-ci puisse s'y opposer, il est essentiel que ce dernier puisse contrôler la première mise dans le commerce de ces produits dans l'EEE, indépendamment du fait que ceux-ci ont éventuellement fait l'objet d'une première mise en circulation en dehors de cette zone, une telle commercialisation ne produisant aucun effet extinctif aux fins de l'article 7, paragraphe 1, de la directive 89-104 (voir en ce sens, notamment, arrêt Makro Zelfbedieningsgroothandel e.a., précité, points 31 et 32 ainsi que jurisprudence citée).

31 En outre, les droits conférés par la marque ne sont épuisés que pour les exemplaires du produit qui ont fait l'objet d'une première mise dans le commerce dans l'EEE par le titulaire lui-même ou avec son consentement. En revanche, le titulaire peut toujours interdire l'usage de la marque conformément au droit exclusif que lui confère la directive 89-104 pour d'autres exemplaires du même produit qui n'ont pas fait l'objet d'une telle première mise dans le commerce dans l'EEE (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 1999, Sebago et Maison Dubois, C-173-98, Rec. p. I-4103, points 19 et 20).

32 Dans l'affaire au principal, se pose la question de savoir si, dans les circonstances de l'espèce, les produits en cause, à savoir des testeurs de parfum que Coty Prestige met à la disposition de ses dépositaires dans le cadre d'un contrat de distribution sélective, ont fait l'objet d'une première mise dans le commerce dans l'EEE par le titulaire lui-même ou par un tiers, mais avec le consentement du titulaire.

33 Contrairement à l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Peak Holding, précité, la présente affaire au principal ne porte pas sur la question de savoir si certains actes concernant des produits revêtus d'une marque, dès lors qu'ils sont effectués dans l'EEE par le titulaire de cette marque ou par un opérateur lié économiquement à celui-ci, peuvent être qualifiés de "mise dans le commerce" au sens de l'article 7, paragraphe 1, de la directive 89-104. Partant, les enseignements relatifs à la notion de mise dans le commerce dégagés dans cet arrêt sont sans pertinence dans des circonstances telles que celles de la présente affaire au principal.

34 En effet, dans la présente affaire au principal, ainsi qu'il résulte de la décision de renvoi, l'acte devant être qualifié de première mise dans le commerce dans l'EEE des produits en cause pour lesquels l'épuisement des droits conférés par la marque est invoqué a été effectué non pas par le titulaire de la marque ou par un opérateur économiquement lié à celui-ci, mais par un tiers, dès lors qu'il est constant que le premier acte de commercialisation dans l'EEE des testeurs en cause au principal est constitué par la vente en Allemagne par Simex Trading à la chaîne Sparfümerie de testeurs importés par Simex Trading et obtenus par cette société auprès d'un dépositaire de Coty Prestige établi à Singapour.

35 En outre, eu égard à la jurisprudence rappelée aux points 30 et 31 du présent arrêt, ni la fourniture initiale par Coty Prestige des exemplaires des produits en cause au principal à son dépositaire établi à Singapour ni la fourniture par Coty Prestige à ses dépositaires établis dans l'EEE d'autres exemplaires de ce même produit ne peuvent être considérées comme une mise dans le commerce au sens de l'article 7, paragraphe 1, de la directive 89-104 des produits en cause au principal pour lesquels l'épuisement des droits conférés par la marque est invoqué.

36 Il en découle, compte tenu de la jurisprudence rappelée au point 29 du présent arrêt, que, dans un contexte tel que celui de l'affaire au principal, l'épuisement du droit exclusif du titulaire de la marque ne saurait résulter que de son consentement éventuel, exprimé de manière expresse ou implicite, à une mise dans le commerce dans l'EEE par un tiers des produits en cause. Partant, dans un tel contexte, l'élément déterminant qui est susceptible d'engendrer l'extinction du droit exclusif concerne un tel consentement, qui équivaut à une renonciation du titulaire de la marque à son droit exclusif.

37 À cet égard, il convient de rappeler que, même dans les hypothèses où la première mise dans le commerce des produits en cause dans l'EEE a été effectuée par un sujet n'ayant aucun lien économique avec le titulaire de la marque et en l'absence du consentement explicite de celui-ci, la volonté de renoncer au droit exclusif prévu à l'article 5 de la directive 89-104 peut résulter d'un consentement implicite dudit titulaire (voir arrêt Makro Zelfbedieningsgroothandel e.a., précité, point 19 et jurisprudence citée).

38 Il ressort en effet de la jurisprudence que, si une telle volonté résulte normalement d'une formulation expresse du consentement, il ne saurait être exclu que, dans certains cas, elle puisse résulter d'une manière implicite d'éléments et de circonstances antérieurs, concomitants ou postérieurs à la mise dans le commerce en dehors de l'EEE ou à l'intérieur de cette zone, qui, appréciés par le juge national, traduisent également, de façon certaine, une renonciation du titulaire à son droit (arrêt du 20 novembre 2001, Zino Davidoff et Levi Strauss, C-414-99 à C-416-99, Rec. p. I-8691, point 46).

39 À cet égard, au point 60 de l'arrêt Zino Davidoff et Levi Strauss, précité, la Cour a également jugé qu'un consentement implicite ne peut pas résulter:

- d'une absence de communication par le titulaire de la marque, à tous les acquéreurs successifs des produits mis dans le commerce en dehors de l'EEE, de son opposition à une commercialisation dans l'EEE;

- d'une absence d'indication, sur les produits, d'une interdiction de mise sur le marché dans l'EEE;

- de la circonstance que le titulaire de la marque a transféré la propriété des produits revêtus de la marque sans imposer de réserves contractuelles et que, selon la loi applicable au contrat, le droit de propriété transféré comprend, en l'absence de telles réserves, un droit de revente illimité ou, à tout le moins, un droit de commercialiser ultérieurement les produits dans l'EEE.

40 En outre, au point 66 du même arrêt, la Cour a jugé qu'il n'est pas pertinent, en ce qui concerne l'épuisement du droit exclusif du titulaire de la marque:

- que l'opérateur qui importe les produits revêtus de la marque n'ait pas connaissance de l'opposition du titulaire à leur mise sur le marché dans l'EEE ou à leur commercialisation sur ce marché par des opérateurs autres que des revendeurs agréés, ou

- que les revendeurs et les grossistes agréés n'aient pas imposé à leurs propres acheteurs des réserves contractuelles reprenant une telle opposition, bien qu'ils en aient été informés par le titulaire de la marque.

41 S'il incombe ainsi à la juridiction de renvoi d'apprécier, au regard des éléments rappelés aux points 38 à 40 du présent arrêt, si, dans l'affaire au principal, il y a eu consentement du titulaire de la marque à une mise dans le commerce dans l'EEE, exprimé de manière expresse ou implicite, force est de constater que, dans un contexte tel que celui de cette affaire, certains éléments et circonstances devant être pris en compte afin de déterminer s'il peut être conclu à un consentement implicite du titulaire ne plaident pas en faveur d'une renonciation certaine de celui-ci à son droit exclusif prévu à l'article 5 de la directive 89-104.

42 En effet, il ressort des éléments contenus dans la décision de renvoi résumés au point 12 du présent arrêt que les produits en cause au principal sont des flacons de parfum présentés dans un conditionnement comportant, outre la mention "démonstration", également l'indication "vente interdite".

43 Une telle indication, dès lors qu'elle traduit clairement la volonté du titulaire de la marque concernée que les produits revêtus de celle-ci ne fassent l'objet d'aucune vente, ni à l'extérieur de l'EEE ni à l'intérieur de cette zone, constitue en soi, et en l'absence d'éléments probants en sens contraire, un élément décisif s'opposant à ce qu'il soit conclu à l'existence d'un consentement du titulaire à une mise dans le commerce dans l'EEE au sens de l'article 7, paragraphe 1, de la directive 89-104.

44 Par ailleurs, si, eu égard en particulier à la portée de la demande reconventionnelle formée par Simex Trading dans l'affaire au principal, la demande de décision préjudicielle devait être comprise en ce sens qu'elle englobe, outre l'hypothèse décrite au point 34 du présent arrêt, également celle d'une fourniture initiale par Coty Prestige des testeurs en cause au principal à un de ses dépositaires établis dans l'EEE, se poserait la question de savoir si cette fourniture doit être qualifiée de "mise dans le commerce" au sens de l'article 7, paragraphe 1, de la directive 89-104.

45 Or, une indication "vente interdite" telle que figurant sur le conditionnement des flacons de parfum en cause au principal exclut une telle qualification, dès lors que, ainsi qu'il a déjà été dit au point 43 du présent arrêt, elle traduit clairement la volonté du titulaire de la marque concernée que les produits revêtus de celle-ci ne fassent l'objet d'aucune vente, ni à l'extérieur de l'EEE ni à l'intérieur de cette zone.

46 Compte tenu du fait que le libellé de l'article 13, paragraphe 1, du règlement n° 40-94 est en substance identique à celui de l'article 7, paragraphe 1, de la directive 89-104, à l'exception de la définition du territoire dans lequel la mise dans le commerce doit avoir lieu, circonstance qui est toutefois sans pertinence dans un contexte tel que celui de l'affaire au principal, et dès lors qu'il n'existe pas d'autres éléments contextuels ou liés à l'objectif desdites dispositions nécessitant une interprétation différente de celles-ci, l'interprétation opérée dans le présent arrêt de l'article 7, paragraphe 1, de la directive 89-104 aux fins d'apporter une réponse à la question préjudicielle posée vaut de la même manière pour l'article 13, paragraphe 1, du règlement n° 40-94.

47 Au vu de ce qui précède, il convient de répondre à la question posée que, dans des circonstances telles que celles de l'affaire au principal, l'article 13, paragraphe 1, du règlement n° 40-94 et l'article 7, paragraphe 1, de la directive 89-104 doivent être interprétés en ce sens que l'épuisement des droits conférés par la marque n'a lieu que si, selon une appréciation incombant à la juridiction de renvoi, il peut être conclu au consentement exprès ou implicite du titulaire de celle-ci à une mise dans le commerce, respectivement dans la Communauté ou dans l'EEE, des produits pour lesquels cet épuisement est invoqué.

48 Dans des circonstances telles que celles de l'affaire au principal, où la remise de "testeurs à parfum" aux intermédiaires liés par contrat au titulaire de la marque afin que leurs clients puissent en essayer le contenu a lieu sans transfert de propriété et avec interdiction de vente, où le titulaire de la marque peut à tout moment rappeler cette marchandise et où la présentation de celle-ci se distingue clairement de celle des flacons de parfum habituellement mis à la disposition desdits intermédiaires par le titulaire de la marque, le fait que ces testeurs soient des flacons de parfum qui comportent les mentions "démonstration" et "vente interdite" s'oppose à ce que le consentement du titulaire de la marque à leur mise dans le commerce soit implicitement reconnu, en l'absence de tout élément probant en sens contraire dont l'appréciation incombe à la juridiction de renvoi.

Sur les dépens

49 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs, LA COUR (quatrième chambre) dit pour droit:

Dans des circonstances telles que celles de l'affaire au principal, l'article 13, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 40-94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire, et l'article 7, paragraphe 1, de la première directive 89-104-CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, telle que modifiée par l'accord sur l'Espace économique européen, du 2 mai 1992, doivent être interprétés en ce sens que l'épuisement des droits conférés par la marque n'a lieu que si, selon une appréciation incombant à la juridiction de renvoi, il peut être conclu au consentement exprès ou implicite du titulaire de celle-ci à une mise dans le commerce, respectivement dans la Communauté européenne ou dans l'Espace économique européen, des produits pour lesquels cet épuisement est invoqué.

Dans des circonstances telles que celles de l'affaire au principal, où la remise de "testeurs à parfum" aux intermédiaires liés par contrat au titulaire de la marque afin que leurs clients puissent en essayer le contenu a lieu sans transfert de propriété et avec interdiction de vente, où le titulaire de la marque peut à tout moment rappeler cette marchandise et où la présentation de celle-ci se distingue clairement de celle des flacons de parfum habituellement mis à la disposition desdits intermédiaires par le titulaire de la marque, le fait que ces testeurs soient des flacons de parfum qui comportent les mentions "démonstration" et "vente interdite" s'oppose à ce que le consentement du titulaire de la marque à leur mise dans le commerce soit implicitement reconnu, en l'absence de tout élément probant en sens contraire dont l'appréciation incombe à la juridiction de renvoi.