CA Caen, 3e ch. sect. 2 soc., 14 mars 2008, n° 07-03004
CAEN
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Sico (SAS)
Défendeur :
Toutain
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Deroyer
Conseillers :
M. Collas, Mme Guenier-Lefevre
Avocats :
Me Descamps, Tordjman
Faits et procédure
Le 8 août 2005 Madame Valérie Toutain était embauchée par contrat à durée indéterminée en qualité de VRP par la Société industrielle et commerciale de l'Ouest Barbe-Bleue (Sico).
Le 16 février 2006, elle était licenciée pour insuffisance professionnelle.
Estimant que son employeur lui restait devoir des sommes au titre de sa rémunération et contestant le bien-fondé de son licenciement, Madame Valérie Toutain saisissait le Conseil des prud'hommes de Flers pour faire valoir ses droits.
Vu le jugement du 4 septembre 2007 dont le dispositif est le suivant:
"condamne la Société industrielle et commerciale de l'Ouest Barbe-Bleue à verser à Madame Valérie Toutain les sommes suivantes:
- 2 526,23 euro au titre des heures supplémentaires, congés payés compris,
- 290,98 euro au titre des retenues sur salaire,
- 200 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
déboute la société Sico de ses demandes,
condamne la société Sico aux entiers dépens."
Vu les conclusions de la Société industrielle et commerciale de l'Ouest, appelante, déposées le 29 janvier 2008 et soutenues à l'audience,
Vu les conclusions de Madame Valérie Toutain, appelante incidente, déposées le 11 janvier 2008 et soutenues à l'audience.
Motifs
I) Sur la nullité du jugement
Même si le jugement prononcé le 4 septembre 2007 ne comporte sous la rubrique "motifs" qu'une explication très laconique et peu explicite des raisons pour lesquelles la société Sico a été condamnée à verser des heures supplémentaires et des retenues sur salaire, du moins faut-il considérer quelle que soit la maladresse de la motivation, que sur ces points, le conseil a répondu à l'obligation posée par l'article 455 du Code de procédure civile.
La demande tendant au prononcer de la nullité devra donc être rejetée, observation devant être faite que la juridiction du premier degré a manifestement omis de statuer sur les demandes tenant à l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement, de travail dissimulé et de harcèlement moral dont elle avait été saisie par la salariée, laquelle a renouvelé devant la cour d'appel ces mêmes demandes.
II) Sur le licenciement
La lettre de licenciement dont les termes fixent les limites du litige est ainsi rédigée:
"Lors de l'entretien du 13 février 2006, Monsieur Morin, votre responsable régional vous a exposé les griefs que nous avions à votre encontre qui se rapportent :
- à une présence sur le terrain très insuffisante
- au non-respect du nombre minimum de contacts journaliers,
- une insuffisance de création de nouveaux clients.
Ces insuffisances ont eu pour conséquence : un chiffre d'affaire mensuel moyen de 5 041,50 euro ce qui fait que vous n'atteignez pas les objectifs contractuels.
De ce fait nous avons décidé de vous licencier pour insuffisance professionnelle. (...) "
Sans que l'absence de référence à toute date des faits puisse être retenue comme viciant la mesure de licenciement, la salariée ne contestant pas que l'employeur ait fondé la rupture du contrat sur des faits ayant trait à l'activité professionnelle qu'elle a eue au sein de la société à compter d'août 2005, il convient néanmoins d'observer alors que Madame Valérie Toutain verse aux débats diverses attestations de clients démontrant ses passages réguliers et l'instauration ou la réactivation de relations commerciales, qu'il ne résulte pas des pièces versées, qu'elle ait, dans la façon dont elle exerçait ses fonctions, fait preuve d'une insuffisance professionnelle justifiant son licenciement.
En effet, s'agissant de la présence sur le terrain et du nombre insuffisant de contacts journaliers, aucune conclusion ne peut être tirée du suivi d'activité versé en pièce 14 par la société Sico, puisque l'examen de ce document que l'employeur ne s'est pas donné la peine d'autrement expliciter, permet de considérer que ne sont recensés ici que les clients avec lesquels a été faite une opération (de vente ou de reprise) sans que ne soient comptabilisées les clients contactés sans succès.
Rien n'établit donc que Madame Valérie Toutain ait manqué à l'obligation que lui fait l'article 5 de son contrat de " visiter régulièrement la clientèle confiée avec au moins une visite par trimestre de chaque client ou prospect en fichier ".
Quant à l'insuffisance de création de nouveaux clients, là encore le listing versé en pièce 13 par l'appelant sans autre explication ou référence à d'autres documents ne permet pas de contrer l'affirmation de la salariée, confirmée par les attestations cotées B, D, F bis, H, I ou N, selon laquelle elle était à l'origine de la création ou de la réactivation de très anciennes relations commerciales.
Au surplus, en l'absence de tout renseignement sur les éléments constituant chacun des secteurs des représentants de la société sur la circonscription de Rennes, (démographie, étendue, concurrents présents...), le tableau versé en pièce 11 de l'appelant, selon lequel la moyenne d'activité de Madame Valérie Toutain est parmi les plus basses, ne peut être exploité, aucune des autres pièces versées ne permettant à la cour de vérifier que les objectifs non atteints étaient raisonnables et pouvaient être réalisés, ce que conteste la salariée.
Le licenciement sera donc déclaré sans cause réelle et sérieuse.
Faute d'éléments sur l'étendue du préjudice subi, et en considération de la faible ancienneté de Madame Valérie Toutain, la société Sico sera condamnée à verser la somme de 4 000 euro à titre de dommages et intérêts.
II) Sur les heures supplémentaires
L'article L. 751-1 du Code du travail détermine un statut spécifique des voyageurs représentants placiers qui s'applique à toute personne physique ayant une activité itinérante de prospection supposant un démarchage personnel auprès de la clientèle auprès de laquelle elle prend les ordres pour les transmettre.
De l'article 2 du contrat de travail qui précise que la salarié s'engage à assurer la vente des articles qui lui sont confiés au moyen d'un véhicule magasin qui lui est procuré, de l'importance du stock confié (49 000 euro environ), laquelle résulte amplement de la pièce 12 de l'appelant et des difficultés relatées par Madame Valérie Toutain quant à son réassort, confirmées par exemple par l'attestation de Madame Marchandet (pièce cotée K de l'appelante incidente), il résulte que le rôle de la salariée n'était pas seulement de prendre les ordres pour les transmettre et donc de remplir des bons de commande mais de remettre contre encaissement immédiat du prix, les marchandises vendues.
Dès lors manque l'une des conditions posées pour l'application du statut spécifique ci-dessus rappelé.
Si donc les règles sur la durée légale du travail doivent être écartées ce ne peut être au titre de l'application du statut VRP inapplicable en l'espèce.
Mais alors d'une part que le contrat de travail ne peut être considéré comme prévoyant un horaire déterminé au seul prétexte qu'il fixe par référence au Smic mensuel une rémunération minimale et d'autre part que la salariée ne conteste pas qu'elle échappe à tout contrôle en matière d'horaires admettant qu'elle était libre d'organiser son activité, il convient de considérer au vu du tableau établi par Madame Valérie Toutain pour les seuls besoins du litige, lequel n'est en fait que l'expression de la demande, que cette dernière en l'absence d'autres éléments n'étaye pas la demande formulée au titre des heures supplémentaires laquelle doit donc être rejetée, le jugement du conseil des prud'hommes devant être infirmé de ce chef.
La demande en indemnisation au titre du travail dissimulé sera de ce fait, rejetée.
III) Sur les retenues au titre des jours fériés et des journées non travaillées.
En vertu de l'accord interprofessionnel du 10 décembre 1977 dont l'article premier rappelle qu'il est applicable à l'ensemble des salariés mensualisés, le chômage des jours fériés ne peut être la cause d'une réduction de la rémunération sous réserve pour l'intéressé qu'il ait été présent le dernier jour de travail précédent le jour férié et le premier jour de travail qui fait suite sauf autorisation d'absence préalablement accordée.
Alors que le contrat stipule qu'il est conclu à compter du 8 août 2005 et que l'employeur fournit une fiche hebdomadaire de tournée démontrant la présence de Madame Valérie Toutain le mardi 16 août, aucune pièce ne venant établir qu'elle était absente le vendredi 12 août précédent, ce qui n'est pas soutenu, il apparaît que la salariée pouvait prétendre au paiement de la journée du 15 août à hauteur de 52,95 euro.
Par ailleurs, faute pour l'employeur d'établir que conformément aux annotations figurant dans les bulletins de salaires des mois de janvier et février 2006, Madame Valérie Toutain n'a pas accompli de travail effectif sur la durée totale prévue au contrat, c'est à bon droit que le conseil des prud'hommes a condamné la société Sico à verser le montant du salaire indûment retenu.
Le jugement du conseil des prud'hommes sera donc confirmé de ce chef
IV) Sur le harcèlement moral
Les quatre notes écrites transmises par le chef de secteur à Madame Valérie Toutain, certes, mais également à l'ensemble des vendeurs dans le but de stimuler leur activité et d'améliorer les résultats ne permettent pas de considérer que la salariée ait été victime de pressions répétées d'une force telles qu'elles pouvaient constituer un harcèlement moral.
La demande formulée à ce titre sera donc rejetée.
En raison des circonstances de l'espèce, il apparaît équitable d'allouer à Madame Valérie Toutain une indemnité en réparation de tout ou partie de ses frais irrépétibles dont le montant sera fixé au dispositif.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Sico à verser à Madame Valérie Toutain la somme de 290,98 euro au titre des retenues sur salaire outre 29,10 euro au titre des congés payés y afférents, Le réforme pour le surplus, y additant, Condamne la société Sico à verser à Madame Valérie Toutain les sommes suivantes : - 4 000 euro de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse; - 600 euro d'indemnité par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Dit que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur en conciliation et que les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt. Déboute les parties de leurs autres demandes. Laisse les dépens à la charge de la société Sico.