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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 18 février 2010, n° 07-07030

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Barbey

Défendeur :

Joséphine C (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Deurbergue

Conseillers :

Mme Mouillard, M. Roche

Avoués :

SCP Grappotte Benetreau Jumel, Me Teytaud

Avocats :

Mes Mamaliga, Uzan-Fallot

TGI Paris, du 23 févr. 2007

23 février 2007

Le 11 janvier 2005, la SARL Joséphine C, qui exerce une activité d'organisation de salons ayant trait au mariage sous l'enseigne "Agence L", a rompu sans préavis le contrat d'agent commercial qui l'unissait à Mlle Laure Barbey depuis le 15 février 2002, en invoquant une faute grave.

Le 28 juillet 2005, Mlle Barbey, contestant cette résiliation, a assigné Joséphine C pour obtenir le paiement de commissions qu'elle estimait lui être dues, ainsi que de divers dommages et intérêts.

Par jugement du 23 février 2007, le Tribunal de grande instance de Paris a:

- débouté les parties de leurs demandes respectives portant sur l'arriéré ou le trop-perçu de commissions,

- déclaré non écrite la clause de non-concurrence figurant dans le contrat d'agent commercial du 15 février 2002,

- débouté Mlle Barbey de ses autres demandes,

- condamné Mlle Barbey à payer à Joséphine C une somme de 1 200 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

LA COUR :

Vu l'appel de ce jugement interjeté par Mlle Barbey le 19 avril 2007

Vu les conclusions signifiées le 7 janvier 2010 par lesquelles l'appelante poursuit la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré non écrite la clause de non-concurrence post-contractuelle et rejeté les demandes de Joséphine C, mais son infirmation pour le surplus et demande à la cour de condamner cette société à lui payer:

- 192 euro HT au titre de commissions dues,

- 56 794,40 euro au titre de l'indemnité de cessation de contrat,

- 14 766,54 euro au titre de frais de réemploi,

- 9 404 euro HT au titre de l'indemnité de préavis, avec les intérêts légaux à compter de l'assignation,

- outre 6 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

Vu les conclusions signifiées le 15 décembre 2009 par lesquelles Joséphine C poursuit la confirmation du jugement et réclame à Mlle Barbey une somme de 6 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

Sur ce:

Considérant, d'abord, que les parties ne discutent pas le jugement en ce qu'il déclare non écrite la clause de non-concurrence figurant dans le contrat d'agent commercial litigieux; que le jugement est donc définitif de ce chef;

Considérant, ensuite, sur les commissions dues, que Mlle Barbey ne produit aucune explication ni aucun document au soutien de sa demande en paiement de la somme de 192 euro à ce titre ; que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il la déboute de ce chef;

Considérant, sur la rupture du contrat, qu'il résulte des dispositions combinées des articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce que l'agent commercial n'a pas droit à une indemnité compensatrice lorsque la cessation du contrat est provoquée par une faute grave de sa part;

Qu'à cet égard, Joséphine C, suivie en cela par le tribunal, invoque les mauvais résultats enregistrés par Mlle Barbey, qui n'a jamais atteint les objectifs contractuellement fixés, et en impute l'origine à un manque d'activité de cette dernière, constitutif selon elle d'une faute grave;

Considérant que, les parties s'opposant sur le chiffre d'affaires à prendre en compte et sur les objectifs convenus, il y a lieu de se reporter aux stipulations conventionnelles et aux documents produits ; que, selon le contrat du 15 février 2002, conclu pour une durée indéterminée (article 2), Joséphine C confiait à Mlle Barbey la commercialisation en son nom de stands pour le salon Fêtes et Mariages qu'elle organisait chaque année à l'Espace Champerret, au mois de novembre, auprès de clients dont l'activité a un rapport avec le mariage ; qu'il était précisé que la commercialisation se faisait en principe de février à octobre mais que cette période pourrait être modifiée en fonction des fluctuations du marché ou de la nécessité de changer la date du salon, les parties devant s'entendre chaque année pour définir la période de mission, qui ne devrait pas excéder sept mois par an (article 2) ; que l'article 6 stipulait que l'agent commercial s'engageait à réaliser un chiffre d'affaires minimum de 112 000 euro HT, soit pour l'année 2002, 40 stands de 9 m2, avant le 15 octobre 2002;

Considérant qu'aucun document signé des deux parties ne concrétise leur accord pour modifier ces clauses; que toutefois, les nombreuses pièces produites de part et d'autre (factures, courriels etc) révèlent que:

- Mlle Barbey ne s'est pas contentée de travailler sept mois sur l'année pour le salon qui se tenait en novembre mais s'est consacrée toute l'année à cette activité, laquelle en tout cas générait un chiffre d'affaires tant avant qu'après le 15 octobre, que Joséphine C lui rémunérait en connaissance de cause, apparemment parce que les paiements n'étaient pas versés immédiatement (cf. factures de Mlle Barbey et document récapitulatif établi par Joséphine C en pièce 3);

- l'affirmation de Joséphine C selon laquelle l'objectif de chiffre d'affaires - calculé sur une superficie vendue (chaque stand représentant 9 m2) et un prix au m2 - a été révisé chaque année est confirmée par les relevés de commissions que Mlle Barbey a établis à son intention tant pour 2003 que pour 2004, où elle applique un prix au m2 en augmentation, conforme aux chiffres avancés par Joséphine C soit 316 euro/m2 en 2003 et 320 euro/m2 en 2004, et par les tableaux qu'elle lui a adressés, notamment au soutien de la facture n° 21 du 16 juin 2004, où elle compare ses résultats avec l'objectif révisé de 50 stands;

Qu'il suit de là, d'une part, que c'est artificiellement que Joséphine C prétend arrêter au 15, voire au 30 octobre le chiffre d'affaires enregistré par Mlle Barbey, alors que c'est au regard de la totalité de ses résultats obtenus sur l'exercice, pour le salon en cause, que doit s'apprécier son activité par rapport aux objectifs conventionnels, et, d'autre part, que c'est faussement que Mlle Barbey prétend que l'objectif de 112 000 euro HT, retenu pour 2002, n'a pas été révisé ;

Que, dans ces conditions, les données pertinentes, telles qu'elles résultent des documents produits par Joséphine C, non critiqués sur ce point par Mlle Barbey, s'établissent ainsi :

- objectif 2002 : 112 000 euro HT (40 stands de 9 m2 à 304 euro/m2) chiffre réalisé : 85 945 euro

- objectif 2003 : 127 980 euro HT (45 stands de 9 m2 à 316 euro/m2) chiffre réalisé : 76 714 euro

- objectif 2004 : 144 000 euro HT (50 stands à 9 m2 à 320 euro/m2) chiffre réalisé : 117 960 euro

Considérant, toutefois, que l'insuffisance, avérée, des résultats par rapport aux objectifs convenus ne suffit pas à caractériser une faute grave de l'agent ; qu'il appartient à Joséphine C de démontrer que cette situation est imputable à Mlle Barbey qui n'aurait pas agi en bonne professionnelle, contrairement à ce que l'article L. 134-4 du Code de commerce exige d'elle, commettant ainsi une faute grave ;

Considérant qu'à cet égard, la cour observe que les nombreux courriels échangés par Mlle Barbey et Mme Marie-Josèphe Cresson, gérante de Joséphine C, au cours de l'exécution du contrat révèlent des rapports de confiance et une collaboration efficace, chacune ayant manifestement à cœur de tenir l'autre informée des démarches entreprises et des résultats espérés et toutes deux se communiquant sans délai les données utiles pour y parvenir, qu'ils traduisent l'implication et le dynamisme de Mlle Barbey, qui faisait souvent état de son activité de prospection par téléphone (d'où des factures importantes), qui visitait les salons concurrents pour adresser ensuite des comptes-rendus détaillés à Joséphine C et qui n'hésitait pas à prendre des initiatives, comme proposer des idées pour la décoration des stands, à la grande satisfaction de sa mandante (courriels du 7 octobre 2004, pièces 56 et 57 de Mlle Barbey) ;

Qu'il en résulte également que Mme Cresson n'a pas émis la moindre critique ni manifesté de regret ou fait part d'une quelconque déception à propos des résultats obtenus, avant le courriel du 19 septembre 2004 où elle s'est mise à évoquer, pour ce motif, la possible caducité du contrat, les accords "n'étant respectés qu'unilatéralement", tout en reprochant à Mlle Barbey d'amputer sa disponibilité en s'adonnant à une activité de "baby-sitting" à deux mois du salon ("l'heure par jour pendant un mois donne 20 h soit 3 jours d'activité") et en lui faisant grief d'avoir reçu une longue conversation d'ordre privé alors qu'elle se trouvait dans ces locaux pendant ses heures d'activité ("auriez-vous fait cela si j'étais un client ? en l'occurrence, je suis votre cliente") ; que ce revirement soudain a été péniblement ressenti par l'intéressée qui répondait dès le lendemain en ces termes : "Je suis très surprise du changement de ton avec lequel vous vous exprimez à mon égard dans ce mail. Cette façon subite de me parler me fait l'effet d'un coup de poignard dans le dos. C'est étonnant de votre part de tout d'un coup vous considérer comme ma cliente alors que jusqu'ici vous teniez au titre de collaboratrice..." à quoi Mme Cresson a répliqué en maintenant sa position, exprimée selon elle en sa qualité de "chef d'entreprise" se devant de "tirer la sonnette d'alarme", et en formulant de nouveaux griefs, présentés comme récurrents, quant aux chiffres communiqués et aux calculs effectués par Mlle Barbey qui aurait compté des contrats non encore payés, tout en précisant, de façon assez contradictoire, que cette mise au point ne remettait pas en cause l'estime et le respect qu'elle lui portait et qu'elle était sûre que, "en bonne professionnelle", elle parviendrait à placer les 19 stands manquants avant le 15 octobre ; que, toutefois, cette prise de position était particulièrement mal venue en l'espèce, si l'on se reporte au chiffre en très nette augmentation obtenu par Mlle Barbey, qui a presque atteint l'objectif contractuel cette année-là ; qu'étant observé en outre qu'aucun élément n'est venu utilement établir le grief prétendument récurrent formulé pour la première fois à cette occasion, ou celui d'activité habituelle de "baby-sitting", que, certes, Mlle Barbey n'a pas contestée sur l'instant mais qu'elle discute à présent et que rien n'établit, la cour estime que le changement d'attitude exprimé dans ce courriel, avec une telle soudaineté, ne pouvait être motivé que par la volonté de mettre un terme au contrat à bref délai, à moindres frais;

Qu'au demeurant, Joséphine C ne produit aucun autre document démontrant que Mlle Barbey aurait manqué à ses obligations, quelles qu'elles soient, alors que cette dernière de son côté verse aux débats les nombreux courriers reçus des clients potentiels qu'elle avait démarchés, la remerciant pour son professionnalisme et sa gentillesse, et expliquant les raisons pour lesquelles ils ne donnaient pas suite, la plupart invoquant leur surface financière insuffisante - ce qui tend à corroborer l'explication fournie par elle dans son courrier du 7 mars 2005, selon laquelle ses résultats s'expliquent par le fait que Mme Cresson avait conservé la clientèle traditionnelle et lui avait confié le démarchage d'une clientèle de petites ou de jeunes entreprises, explication cohérente également avec le montant des objectifs qui lui étaient assignés, qui ne dépassaient pas 25 % du chiffre réalisé par Mme Cresson - et d'autres précisant qu'il optaient pour des salons se tenant à peu près à la même période, comme ceux de la Porte de Versailles ou du Carrousel du Louvre - ce qui corrobore également l'explication de Mlle Barbey selon laquelle Joséphine C s'était lancée sur un marché étroit et très concurrentiel, en choisissant d'intercaler le "Salon du Mariage et de la Fête" entre deux autres préexistants, d'une grande notoriété ;

Qu'enfin, s'il est constant que Mlle Barbey exerçait une activité annexe de peinture sur porcelaine sous l'enseigne "Le crayon et la cuillère", cette situation était manifestement connue et acceptée, de longue date, par Mme Cresson qui lui souhaitait le 25 décembre 2001, au titre des vœux pour l'année 2002, "qu'il y ait beaucoup de stands réservés, beaucoup de "crayons ", beaucoup de "fourchettes" dans tous les foyers !" (pièce 61 Mlle Barbey) et qui, d'ailleurs, n'a pas songé à lui en faire le reproche dans son courrier de résiliation ; qu'au demeurant, Mlle Barbey justifie qu'elle n'en a tiré qu'un chiffre d'affaires limité ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Joséphine C ne démontre pas la faute grave de Mlle Barbey ; qu'elle doit donc l'indemniser du préjudice causé par la cessation du contrat, ainsi que le prévoit l'article L. 134-12 du Code de commerce, de sorte que le jugement qui en a décidé autrement, doit être infirmé de ce chef;

Considérant, sur les indemnités de cessation de contrat, de préavis et de frais de réemploi demandées, que le contrat stipulait, en son article 8, qu'il pourrait être résilié par chacune des parties "moyennant un préavis qui ne sera pas inférieur à (...) trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes" ; que c'est à bon droit en conséquence que Mlle Barbey réclame l'indemnisation du préavis dont elle a été privée;

Qu'en outre, les usages et une jurisprudence constante allouent à l'agent commercial, en cas de rupture du contrat par le mandant, une indemnité de cessation de contrat correspondant à deux années de commissions ; que, Joséphine C ne démontre que le préjudice subi par Mlle Barbey serait inférieur ; que la réclamation de Mlle Barbey à ce titre est donc fondée en son principe;

Considérant que le montant à retenir au titre de ces commissions doit être calculé par référence à la moyenne mensuelle perçue au cours des deux dernières années ; que Mlle Barbey n'explique pas d'où résulte le montant de 3 134 euro par mois qu'elle retient pour le calcul de l'indemnité de préavis ; qu'en tenant compte des chiffres d'affaires réalisés en 2003 et en 2004, et du taux de commission de 25 % dont elle bénéficiait, le montant mensuel moyen de commissions qui lui a été alloué au cours des deux dernières années du contrat s'établit à 2 028 euro; qu'il en résulte que Mlle Barbey est fondée à obtenir la somme de 6 084 euro au titre du préavis et celle de 48 672 euro au titre de l'indemnité de cessation de contrat;

Considérant que Mlle Barbey est bien fondée à demander que ces sommes soient assorties des intérêts au taux légal à compter de la demande, soit de l'assignation du 28 juillet 2005 ; que de même la capitalisation est de droit pour les intérêts échus depuis plus d'une année, à compter de la demande qui en est faite;

Considérant en revanche, sur les frais de réemploi, que l'assujettissement à l'impôt de l'indemnité de cessation de contrat ne constitue pas un préjudice réparable; qu'il suit de là que, dans la mesure où elle se fonde sur l'assujettissement à la TVA de l'indemnité qui lui est allouée, la demande formée par Mlle Barbey à ce titre ne peut être admise ; qu'il en va de même si cette demande correspond - Mlle Barbey vise les deux hypothèses - aux droits d'enregistrement qu'elle pourrait être amenée à payer si elle faisait l'acquisition d'une autre carte d'agent commercial, un tel préjudice étant éventuel et dénué de lien causal direct avec la cessation du contrat conclu avec Joséphine C;

Et considérant que Mlle Barbey a dû exposer des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge ; qu'il y a lieu de lui accorder le bénéfice des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, dans la mesure qui sera précisée au dispositif, et de rejeter la demande présentée par Joséphine C à ce titre;

Par ces motifs, Confirme le jugement en ce qu'il déboute Mlle Barbey de sa demande en paiement portant sur un arriéré de commissions, L'infirme en ce qu'il déboute Mlle Barbey de sa demande en paiement d'indemnités et en ce qu'il la condamne en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Et statuant à nouveau de ces chefs, Condamne la société Joséphine C à payer à Mlle Barbey la somme de 6 084 euro à titre d'indemnité compensatrice de préavis et celle de 48 672 euro au titre d'indemnité compensatrice de cessation de contrat, lesdites sommes assorties des intérêts au taux légal à compter du 28 juillet 2005, Ordonne la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1154 du Code civil, à compter du 7 janvier 2010, Déboute Mlle Barbey de sa demande d'indemnité au titre de frais de réemploi, Condamne la société Joséphine C à payer à Mlle Barbey la somme de 6 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et rejette sa demande formée à ce titre, Condamne la société Joséphine C aux dépens de première instance et d'appel, et dit que ces derniers pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.