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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 15 mai 2008, n° 07-01252

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

SMEA (SA)

Défendeur :

France Tambour (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Maron

Conseillers :

MM. Boilevin, Coupin

Avoués :

SCP Fievet-Lafon, SCP Gas

Avocats :

SCP Gendre, Me Fayon

T. com. Pontoise, 1re ch., du 16 janv. 2…

16 janvier 2007

Faits et procédure :

La société Partner's est un groupement de distributeurs grossistes de pièces destinées au marché de l'automobile dont l'activité consiste à commercialiser par l'intermédiaire de grossistes adhérents, répartis principalement sur le territoire national, différents matériels, outillage, pièces détachées automobiles ou se rapportant à l'automobile.

France Tambour est l'un des fournisseurs de la société Partner's.

Partner's obtient de manière habituelle de ses fournisseurs différentes remises et notamment, expose-t-elle, une remise improprement qualifiée de " Ducroire ".

Estimant qu'elle n'avait pas été réglée par France Tambour de ses remises de " Ducroire ", Partner's a saisi le Tribunal de commerce de Pontoise pour obtenir la condamnation de cette société à lui payer une somme de 82 118,94 euro, qui lui était due par les différents grossistes ayant fait l'objet de procédures collectives et qu'elle estimait avoir réglé à France Tambour pour le compte desdits grossistes.

Elle formait, par des conclusions ultérieures, une seconde demande par laquelle, exposant qu'il existait sur le territoire national français différents groupements de grossistes concurrents de Partner's qui distribuaient également aux grossistes locaux des pièces destinées au marché de la seconde monte de l'automobile, elle sollicitait la condamnation de France Tambour à communiquer aux débats l'ensemble de ses conditions de vente, remises, rabais et ristournes par elle consenties aux différents groupements nationaux de grossistes et notamment Auto Distribution, 3G, Star Excel.

Par le jugement déféré, en date du 16 janvier 2007, le Tribunal de commerce de Pontoise a débouté Partner's de ses demandes et l'a condamnée à payer à France Tambour la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Partner's a interjeté appel de cette décision.

Dans ses premières conclusions, du 14 juin 2007, Partner's demandait à la cour de lui "donner acte" de ce qu'elle acquiesçait aux dispositions du jugement en ce qu'il rejetait sa demande en paiement d'une somme de 82 118,94 euro.

France Tambour a alors soulevé l'irrecevabilité de l'appel de Partner's, sur le fondement de l'article 544 du Code de procédure civile, au motif qu'ayant acquiescé à la décision qu'elle entend déférer à la cour, en ce qu'elle tranche le principal, cette société est irrecevable à ne solliciter devant la cour que le prononcer sur une simple mesure avant dire droit.

Subsidiairement, elle entend voir déclarer la demande de Partner's irrecevable, sur le fondement de l'article 70 du Code de procédure pénale. En effet, estime-t-elle, la demande originelle tendait seulement à voir juger que Partner's n'était pas Ducroire de France Tambour, et elle a acquiescé au jugement qui l'en a déboutée, reconnaissant par là-même qu'elle était bien Ducroire de France Tambour. Aussi le fait de solliciter que soient versés aux débats le barème de prix et les conditions de vente de France Tambour avec les autres prestataires de service est-il désormais sans lien avec la demande d'origine. Au demeurant faire droit à une telle demande priverait France Tambour du double degré de juridiction et toute nouvelle demande de Partner's liée à cette communication de pièces serait irrecevable, par application de l'article 564 du Code de procédure civile.

A titre infiniment subsidiaire, France Tambour estime la demande mal fondée. En effet, elle a bien satisfait aux dispositions de l'article "L. 441 alinéa 6" du Code de commerce, puisque ses conditions générales de vente figurent au dos de ses factures et que les conditions particulières consenties aux autres centrales d'achat, qui reposent sur des situations radicalement différentes, n'ont pas à être communiquées.

Aussi demande-t-elle 25 000 euro de dommages intérêts pour procédure abusive et 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur la recevabilité de son appel, Partner's estime qu'elle "était parfaitement recevable à régulariser appel des dispositions du jugement par lesquelles le tribunal avait rejeté sa seconde demande formulée à l'encontre de France Tambour".

Sur l'irrecevabilité de la seconde demande formulée par elle devant les premiers juges, Partner's fait valoir que "les dispositions de l'article 70 du Code de procédure civile qui sont visées par l'intimée aux termes desquelles la demande serait une demande additionnelle et donc irrecevable comme ne se rattachant pas aux prétentions originaires par un lien suffisant sont totalement inapplicables en l'espèce puisque la demande de la société Partner's ne constitue évidemment pas une demande additionnelle mais une seconde demande rejetée par le premier juge".

Au fond, Partner's estime que les dispositions de l'article L. 441-6 du Code de commerce sont bien applicables à France Tambour et l'éventuelle spécificité des services rendus, derrière laquelle tente de se réfugier France Tambour devrait, si elle existait, reposer sur des critères objectifs communicables à tout acheteur. Or France Tambour ne précise en rien quels seraient les prétendus critères dont elle se prévaut.

Partner's demande condamnation de France Tambour au paiement d'une provision de 20 000 euro et se réserve de conclure à nouveau plus amplement sur ce point après communication aux débats des conditions objectives de remises rabais et ristournes consenties par France Tambour aux groupements de grossistes. Elle demande enfin la condamnation de l'intimée à lui payer 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR,

Attendu, sur la recevabilité de l'appel, que la recevabilité d'un recours s'apprécie au jour où il est effectué ; que lorsqu'elle a interjeté appel, Partner's n'avait pas encore partiellement acquiescé le jugement qu'elle entendait déférer à la cour ; que l'appel, qui n'est pas limité aux seules dispositions relatives au rejet de la demande avant dire droit est dès lors recevable;

Attendu, sur la recevabilité de la demande avant dire droit formée devant les premiers juges, que cette demande complémentaire, non formée dans l'acte introductif d'instance, est bien une demande additionnelle au sens des dispositions de l'article 70 du Code de procédure civile;

Attendu que les prétentions originaires de Partner's tendaient à la condamnation de France Tambour de factures impayées de certains de ses adhérents, dont elle avait cependant elle même réglé France Tambour, estimant, à tort selon elle, y être tenue en vertu d'une convention de Ducroire;

Attendu qu'en réplique aux conclusions en réponse développées par France Tambour, Partner's a formé la demande additionnelle dont l'irrecevabilité est aujourd'hui soulevée ;

Attendu que la recevabilité de cette demande doit s'apprécier au moment où elle a été faite ; qu'il n'importe que, depuis, Partner's ait acquiescé au jugement en ce qu'il a écarté ses prétentions originaires;

Attendu que lorsqu'elle a été formée la demande subsidiaire en condamnation de France Tambour à verser aux débats ses conditions générales de vente, remises, rabais, ristournes consenties aux autres groupements de grossistes se rattachait à ses prétentions originaires par un lien étroit ; qu'elle était dès lors recevable ;

Attendu qu'aucune autre irrecevabilité n'est soulevée ; qu'il n'y a pas lieu d'en relever d'office;

Attendu, sur la demande de communication, que selon l'article L. 441-6 du Code de commerce, "tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur est tenu de communiquer à tout acheteur de produits ou demandeur de prestation de service pour une activité professionnelle, qui en fait la demande, ses conditions générales de vente" qui comprennent "les conditions de vente, le barème des prix unitaires, les réduction de prix, les conditions de règlement" ; que ce même article précise que "les conditions générales de vente peuvent être différenciées selon les catégories d'acheteurs de produits ou de demandeurs de prestation de services, et notamment entre grossistes et détaillants" ; qu'enfin, "tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur peut, par ailleurs, convenir avec un acheteur de produits ou un demandeur de prestation de services des conditions particulières de vente justifiées par la spécificité des services rendus qui ne sont pas soumises à cette obligation de communication";

Attendu que l'acheteur de produits ou le demandeur de prestation de service auquel le producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur refuse de communiquer ses conditions générales de vente peut saisir le juge d'une demande à fin d'obtenir ces documents ; que cette demande peut être formée tant en référé que par saisine du juge du fond ; qu'en ce dernier cas, elle peut être formée tant à titre principal que comme demande de mesure avant dire droit;

Attendu que par courrier en date du 10 janvier 2006, Partner's a demandé à France Tambour communication de ses "conditions de vente, remises, rabais, ristournes, consentis (...) aux différents groupements de grossistes nationaux et notamment Auto Distribution, 3G et Star Excel" ; que par courrier en date du 24 janvier suivant, France Tambour a répondu qu'elle ne souhaitait "pas déférer à cette demande dont elle ne compren(ait) pas les motifs" dans la mesure où "les conditions commerciales avec tel ou tel client ou tel ou tel groupement sont des conditions négociées au cas par cas" et où "les conditions de collaboration avec les groupements varient par ailleurs de l'un à l'autre et il n'y a aucune analyse comparative possible. Ces conditions dépendent des volumes d'affaires, des lignes de produits et des conditions de paiement" ; qu'elle ajoutait que dans ces conditions, elle soumettait la communication de ses conditions commerciales avec les groupements de grossistes à l'autorisation de ces derniers ;

Attendu que s'il est loisible à l'acheteur de négocier ses conditions d'achat et de s'éloigner ainsi des conditions générales de vente de celui-ci et si, par voie de conséquence, s'il est loisible au vendeur de consentir des conditions particulières, le traitement différencié qui en résulte doit être justifié par une ou des contreparties réelles et non manifestement disproportionnées ;

Attendu que pour refuser de communiquer les conditions particulières qu'elle fait à Auto Distribution, 3G et Star Excel, France Tambour fait valoir qu'"on ne peut comparer les services rendus par le groupement Partner's et ceux rendus par Auto Distribution (AD) et encore Star G/3G : les chiffres d'affaires faits avec le groupement Partner's en témoignent : 2005 : 154 434,17 euro ; 2006 : 207 576,35 euro. En retenant le chiffre d'affaires fait par les adhérents qui se sont maintenus dans le groupement au cours des deux années dans le même temps où les chiffres d'affaires réalisés avec AD et Star G/3G sont supérieurs au million d'euro!"; qu'elle verse aux débats une attestation de son président-directeur général (pièce n° 29) certifiant que les chiffres d'affaires HT réalisés avec ces deux sociétés ont été respectivement de 916 835,09 euro en 2005 et 1 062 647,59 euro en 2006 en ce qui concerne la première nommée et 1 357 841,50 euro et 1 354 212,79 euro en ce qui concerne la seconde;

Attendu que les critères objectifs qui président à la négociation des conditions particulières de vente et qui sont susceptibles de justifier d'un écart de tarif entre les clients sont communicables à tout acheteur qui sollicite le bénéfice de conditions comparables;

Attendu qu'en l'espèce France Tambour se borne à se retrancher non derrière des contreparties réelles que lui apporteraient les deux sociétés acheteuses que sont Auto Distribution et Star G/3G, qui l'une et l'autre sont, comme Partner's, des groupements de grossistes nationaux, mais derrière le seul critère du chiffre d'affaires réalisé avec elles ;

Attendu que si ce critère peut justifier, conformément aux dispositions de l'article L. 441-6 alinéa 2 du Code de commerce, une différenciation selon la catégorie d'acheteurs de produits, entre les grossistes réalisant un montant d'achat se situant dans des seuils différents, il ne saurait, en revanche, servir de base à des conditions particulières, qui ne peuvent reposer, conformément à l'alinéa 3 de ce même article, que sur la spécificité des services rendus par l'acheteur;

Attendu dans ces conditions que le refus de France Tambour de communiquer les conditions de vente faites à Auto Distribution et Star G/3G ne saurait être justifié par les dispositions de l'article L. 441-6 alinéa 3, in fine du Code de commerce qui prévoit que ne sont pas soumises à l'obligation de communication édictée par l'alinéa 1er que les seules conditions particulières de vente justifiées par la spécificité des services rendus par l'acheteur;

Attendu en conséquence qu'il y a lieu de faire droit à la demande de Partner's (aujourd'hui Société de matériel électrique automobile SMEA Groupe européen Partner's GEP) tendant à voir ordonner la communication, par France Tambour, de ses conditions de vente, barèmes des prix unitaires, réductions de prix et conditions de règlement aux différents groupements nationaux de grossistes;

Attendu qu'il y a lieu de faire droit à la demande en ce qu'elle sollicite que ces documents soient certifiés par son commissaire aux comptes et eu égard au fait que le refus opposé jusqu'à ce jour par France Tambour est constitutif d'une infraction pénale en ce qu'elle requiert que cette injonction soit assortie d'une astreinte ;

Attendu que le refus illégalement opposé par France Tambour à la demande de Société de matériel électrique automobile SMEA Groupe européen Partner's GEP a nécessairement causé à celle-ci un préjudice dans la mesure où ce refus est révélateur d'une pratique discriminatoire ; que cependant la cour ne dispose pas, en l'état, d'éléments suffisants pour l'apprécier autrement que par l'allocation d'une indemnisation provisionnelle de 1 euro ;

Attendu que l'équité conduit à condamnation de France Tambour à payer à la Société de matériel électrique automobile SMEA Groupe européen Partner's GEP la somme de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, Statuant en audience publique, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme, dans les limites des demandes, le jugement déféré et statuant à nouveau, Ordonne communication par France Tambour de ses conditions de vente, barèmes des prix unitaires, réductions de prix et conditions de règlement aux différents groupements nationaux de grossistes sous astreinte provisoire de 500 euro par jour de retard qui commencera à courir un mois après signification du présent arrêt, Dit que ces documents devront être certifiés par le commissaire aux comptes de France Tambour, Condamne France Tambour au paiement à la Société de matériel électrique automobile SMEA Groupe européen Partner's GEP d'une indemnité provisionnelle de 1 euro, La condamne à payer à la Société de matériel électrique automobile SMEA Groupe européen Partner's GEP la somme de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, La condamne aux dépens, Admet la SCP Fievet-Lafon, avoués, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.