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Décisions

CA Chambéry, ch. com., 5 janvier 2010, n° 08-02668

CHAMBÉRY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

OSD (SARL), Dutruc (Epoux)

Défendeur :

Ondongo

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Robert

Conseillers :

MM. Busché, Morel

Avoués :

SCP Fillard Cochet-Barbuat, SCP Forquin-Rémondin

Avocats :

Mes Bensoussan, Ongaro

T. com. Chambéry, du 26 sept. 2008

26 septembre 2008

Faits, procédure, prétentions et moyens des parties

Maryvonne Dutruc exploite à Chambéry depuis 2001 un institut de prothésie ongulaire sous l'enseigne "Ongle Story"; courant 2002 elle forme le projet, avec une de ses clientes, Nicole Ondongo qu'elle formerait, d'ouvrir un autre institut d'onglerie en franchise; c'est ainsi que le 26/10/2002 cette dernière signe avec la société en formation OSD, à constituer entre les époux Dutruc, un contrat préparatoire de franchise et verse un acompte de 4 604 euro à valoir sur la redevance forfaitaire initiale, et que le 18/12/2002 la société OSD, immatriculée depuis le 13/11/2002 au registre de commerce et des sociétés de Chambéry, signe devant notaire un contrat de franchise d'une durée de cinq ans avec Nicole Ondongo qui effectue un second versement de 3 850 euro;

Se prévalant d'une inexécution fautive de ses obligations par Nicole Ondongo qui cesse en novembre 2006 de régler les redevances, la société OSD, après lui avoir notifié la résiliation du contrat par lettre recommandée datée du 10/03/2007, signifiée le 15/03/2007 par huissier et avoir immédiatement saisi le mobilier et le matériel équipant son établissement, lui fait délivrer le 25/07/2007 une ordonnance d'injonction de payer la somme de 1 997,32 euro égale au montant des factures de redevances impayées;

Par acte du 13/08/2007 Nicole Ondongo fait opposition à cette ordonnance en soulevant la nullité absolue du contrat de franchise pour absence de cause dès lors que la société OSD qui venait de se créer n'avait constitué aucun réseau et ne bénéficiait d'aucune notoriété, ainsi que pour non-respect des obligations légales en matière d'information précontractuelle et de transmission d'un savoir-faire réel;

Estimant avoir été trompée par les époux Dutruc elle les a appelés en cause pour qu'ils soient condamnés, en qualité de codébiteurs solidaires de la société, à lui restituer les sommes qu'elle a versées soit 9 209, 00 euro et 7 355,40 euro au titre de son droit d'entrée et des redevances courues, celle de 16 415,10 euro au titre des frais d'installation (location de matériel et mobilier), ainsi qu'à lui verser 39 600 euro à titre de dommages et intérêts en réparation des pertes financières subies et 15 000 euro pour saisie abusive de son matériel et de son enseigne;

Par jugement du 26/09/2008 le Tribunal de commerce de Chambéry a:

- déclaré recevable la mise en cause à titre personnel des époux Dutruc pour avoir réalisé les actes préparatoires au contrat de franchise, lesquels n'ont pas été repris par la société OSD aux termes des statuts,

- rejeté la demande de nullité absolue du contrat de franchise sollicitée par Mme Ondongo comme n'étant pas fondée sur un motif relevant de l'ordre public économique,

- dit n'y avoir lieu de requalifier le contrat en contrat de concession;

- retenu l'existence de manquements de la société OSD à ses obligations en matière d'information précontractuelle, d'étude de marché, de transfert de notoriété, d'assistance commerciale, ainsi que pour non-respect d'un délai de préavis avant résiliation et enfin pour récupération forcée du matériel;

Considérant que ces manquements présentaient une gravité sans commune mesure avec ceux imputés à Mme Ondongo, il a fait droit à l'opposition à l'ordonnance d'injonction de payer formée par cette dernière, débouté en conséquence la société OSD de sa demande en paiement et condamnée celle-ci sur le fondement de l'article 1147 du Code civil, pour inexécution fautive de ses obligations, solidairement avec les époux Dutruc, à payer à Mme Ondongo la somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts, ainsi qu'une indemnité de procédure de 2 500 euro;

La société OSD et les époux Dutruc ont relevé appel de ce jugement et aux termes de leurs dernières écritures signifiées le 02/09/2009, ils concluent à l'infirmation du jugement entrepris sauf en ce qu'il a validé le contrat liant les parties et demandent à la cour de condamner Nicole Ondongo au paiement des droits de franchise et des loyers relatifs au matériel conformément à l'ordonnance d'injonction de payer du 23/07/2007, et correspondant aux factures n° 197, 198, 199, 202, 203, 208 et 209 soit un total de 1 997,32 euro avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts, ainsi que la somme de 30 000 euro à titre de dommages et intérêts en raison du préjudice qu'elle leur a causé par ses manquements contractuels et la somme de 4 000 euro pour la société OSD et 2 000 euro pour chacun des époux Dutruc en application de l'article 700 du Code de procédure civile;

Ils font essentiellement valoir au soutien de leurs prétentions que :

- Nicole Ondongo a bénéficié d'un certain nombre d'avantages de la part de la société OSD (formation à titre gratuit, dispense de paiement de la redevance mensuelle, loyer réduit), avantages que le contrat n'imposait nullement de lui consentir.

- le dossier d'informations précontractuel, l'étude de marché et la présentation de la réalité du réseau ont été fournis par le franchiseur qui a pris soin, mesure très inhabituelle en la matière, de faire sceller l'accord des parties en la forme authentique;

- Nicole Ondongo a commencé à invoquer le non-respect de la loi Doubin plus de cinq ans après la signature du contrat;

- le franchiseur n'est pas tenu de réaliser une publicité quelconque, si le contrat ne prévoit pas expressément une telle obligation, ce qui était le cas en l'espèce, néanmoins, bien que n'y étant pas tenue, la société OSD a ouvert un site Internet et participé au salon de la franchise de Paris;

- le 15/03/2007, c'est avec l'autorisation expresse de Nicole Ondongo que le 15/03/2007 M. Dutruc, accompagné de Me Ormedo, est venu récupérer le matériel de celle-ci, après qu'elle ait eu le temps de consulter son conseil;

- en application de l'alinéa 2 de l'article L. 210-6 du Code de commerce, la responsabilité personnelle des époux Dutruc ne peut être engagée qu'en cas de manquements préjudiciables à Nicole Ondongo ayant pour origine des actes antérieurs à l'acquisition de la personnalité morale de la société OSD, or, les manquements allégués, à les supposer avérés, résultent nécessairement de l'inexécution du contrat de franchise signé le 18/12/2002;

- au-delà des défauts de paiement Mme Ondongo n'a pas été loyale envers la société OSD (manque de communication sur la marque du réseau, déménagement sans information, invocation de difficultés financières fictives, ouverture d'un compte bancaire au nom d'Ongle Story, défaut de délivrance de l'extrait Kbis...) de sorte que sa responsabilité se trouve engagée sur le fondement de l'article 1147 du Code civil, en raison de l'inexécution répétée de ses obligations contractuelles nées du contrat de franchise.

Aux termes de ses dernières écritures signifiées le 09/11/2009, Nicole Grinner épouse Ondongo a formé un appel incident et conclu à la confirmation du jugement déféré sauf en ce qu'il a estimé qu'il n'y a pas lieu de prononcer la nullité du contrat de franchise;

Reprenant les prétentions qu'elle avait fait valoir en première instance elle demande à la cour de condamner la société OSD et les époux Dutruc à la restitution des sommes versées au titre de la franchise, soit 9 209 euro au titre de la redevance initiale et 7 355,40 euro au titre des redevances mensuelles qu'elle a versées, ainsi qu'à lui rembourser les frais d'acte engagés lors de la souscription du contrat, soit la somme de 598 euro et les sommes versées au titre de la location du matériel, soit 16 415,10 euro et enfin à lui payer, à titre de dommages et intérêts, la somme de 10 000 euro pour publicité mensongère et celle de 15 000 euro pour saisie abusive du matériel et de l'enseigne équipant son fonds, outre la somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;

Elle fait valoir au soutien de ses prétentions que:

- elle n'a jamais obtenu un document d'informations précontractuelles tel que défini par la loi digne de ce nom, c'est-à-dire qui lui permette de s'engager en connaissance de cause;

- la prescription applicable avant l'entrée en vigueur de la loi du 17/06/2008 était de 10 ans et non de 5 ans comme le laisse croire la partie adverse;

- alors que la loi impose que les documents d'information précontractuelle soient remis 20 jours avant le versement de toute somme par le franchisé pour la réservation de l'exclusivité, elle démontre avoir versé un acompte le jour même de la remise du dossier d'informations précontractuelles,

- la description qui lui a été faite de l'activité était trompeuse, de même que les perspectives et évolutions de la franchise et de l'institut pilote, de sorte, qu'ayant été contrainte de cesser son activité qui n'était pas rentable, elle est en droit d'invoquer la nullité du contrat de franchise pour défaut d'information ayant vicié son consentement,

- qu'en toute hypothèse les sommes qu'elle a versées ne correspondaient nullement aux prestations et avantages propres à un réseau de franchise, la société OSD ne disposant pas de la qualité et de l'expérience d'un vrai franchiseur, et que la seule formation qu'elle a reçue lui a été dispensée au sein de l'institut de Mme Dutruc, entité juridique distincte.

- qu'entre février 2003 et janvier 2006 les factures qu'elle a reçues ne répondaient pas aux exigences de l'article R. 123-237 du Code de commerce

- que la rupture sans préavis et avec récupération forcée de son matériel et enseigne par M. Dutruc constitue une résiliation abusive;

- que les époux Dutruc sont responsables solidairement et indéfiniment des actes effectués pour le compte de la société en formation qui ne les a pas repris dans les statuts, conformément aux dispositions de l'article 210-6 du Code de commerce, notamment la signature du contrat préparatoire;

Sur quoi, LA COUR,

Attendu qu'aux termes de l'article 1 de la loi dite "Doubin", devenu l'article L. 330-3 du Code de commerce, applicable au contrat litigieux, "toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause", l'alinéa 2 de cet article ajoute que "ce document, dont le contenu est fixé par décret, précise notamment, l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat, ainsi que le champ des exclusivités"; enfin il résulte des deux derniers alinéas que le document d'information précontractuelle et le projet de contrat doivent être communiqués vingt jours au moins avant la signature du contrat, ou, le cas échéant, avant le versement de la somme éventuellement exigée préalablement à la signature du contrat, notamment en vue d'obtenir la réservation d'une zone;

Or attendu qu'il résulte des pièces versées aux débats que le document d'information précontractuelle que Nicole Ondongo reconnaît avoir reçu le 26/10/2002 se borne, en fait de présentation du franchiseur, à reproduire les mentions figurant sur l'extrait délivré par le registre du commerce, à l'exclusion de toute autre information relative à l'expérience et au développement de l'entreprise, puis, à énoncer les obligations financières à la charge du franchisé ainsi que les autres clauses essentielles du contrat, à l'exclusion de toute réelle information non seulement quant à la consistance du savoir-faire et à la notoriété de l'enseigne transmis au franchisé en contrepartie des charges financières lui incombant, mais aussi quant à l'état et aux perspectives de développement du marché concerné;

Qu'il s'ensuit que même si Nicole Ondongo n'ignorait pas, qu'à cette date, la société OSD était alors en cours de constitution entre les époux Dutruc en vue de créer et d'exploiter un réseau de franchise destiné à développer le savoir-faire en matière de pose d'ongles que Mme Dutruc avait acquis dans le cadre de l'exploitation de son institut de soins et de signer avec elle le premier contrat de franchise d'un réseau en devenir, il n'en demeure pas moins que, profane en matière de gestion d'une entreprise artisanale, la seule transmission de ces informations sommaires, en l'absence notamment de communication d'un bilan financier prévisionnel que la société OSD aurait pu aisément dresser à partir des données chiffrées fournies par les bilans comptables de l'institut pilote exploité par Mme Dutruc à Chambéry, ne lui a pas permis d'apprécier les perspectives de rentabilité du salon qu'elle allait créer à Aix-les-Bains et par conséquent d'accepter en connaissance du chiffre d'affaires qu'elle pouvait raisonnablement espérer réaliser, les charges financières imposées par la société OSD, de sorte que celle-ci ne peut prétendre avoir satisfait à cette obligation d'information pré- contractuelle dont la finalité est précisément de garantir un consentement éclairé;

Or attendu qu'il résulte des pièces versées aux débats par Nicole Ondongo qu'en dépit de la clientèle importante qu'elle a développée et de la qualité des prestations fournies par elle, telles qu'attestées par de nombreuses clientes, n'a pu, après plusieurs années d'exploitation, dégager de bénéfices en raison de l'importance des charges financières imposées par le contrat de franchise et manifestement disproportionnées aux services réellement fournis par la société OSD à laquelle le contrat n'impose aucune obligation précise en matière de promotion et développement, ni en matière de collaboration et d'assistance technique et commerciale;

Qu'en conséquence, le tribunal, qui avait pourtant à juste titre relevé qu'en omettant d'établir un compte de résultat prévisionnel de la franchise, les époux Dutruc n'avaient pas mis Nicole Ondongo en mesure d'apprécier l'adéquation des loyers contractuels avec la rentabilité prévisible de l'activité, alors que, représentant 15 % du chiffre d'affaires réalisé, ils constituaient une charge difficilement supportable que la faible notoriété de la marque ainsi que le manque d'assistance de la franchisée n'étaient pas de nature à justifier, aurait dû en déduire que le consentement de celle-ci avait été vicié, si ce n'est par le dol, en tous cas par l'erreur, faute d'avoir été éclairée par les informations pré-contractuelles exigées par la loi;

Que la nullité du contrat de franchise résultant de cette erreur conduit à débouter la société OSD de sa demande en paiement des dernières redevances impayées et à la condamner, pour les avoir encaissées, à restituer à Nicole Ondongo l'intégralité des sommes qu'elle a acquittées en vertu du contrat, soit la somme de 9 209 euro TTC au titre du droit d'entrée et celle de 7 355,40 euro TTC au titre des redevances mensuelles versées de juin 2003 à octobre 2006, ainsi qu'à lui rembourser les frais d'acte exposés par elle à hauteur de 598 euro;

Qu'en vertu de l'article L. 210-6 du Code de commerce c'est à juste titre que le tribunal a estimé que, faute d'avoir été repris par la société dans les conditions définies dans ses statuts, les actes préparatoires à la signature du contrat de franchise, réalisés par les époux Dutruc, les rendaient solidairement et indéfiniment responsables des conséquences dommageables des dits actes, à l'origine de l'erreur ayant vicié le consentement de Nicole Ondongo.

Qu'elle n'est en revanche pas fondée à réclamer le remboursement des loyers qu'elle a versés en contrepartie de la mise à disposition par la société OSD des divers matériels et mobiliers équipant le fonds, s'agissant d'une obligation accessoire au contrat de franchise;

Que la nullité du contrat ne lui permettant pas de se prévaloir du préjudice que sa résiliation, qualifiée d'abusive, lui aurait causé, la demande en dommages et intérêts qu'elle a formée de ce chef n'est pas fondée;

Que faute de preuve du grief allégué, elle n'est pas non plus fondée à réclamer réparation d'un préjudice pour publicité mensongère;

Que l'équité commande qu'elle soit indemnisée des frais qu'elle a dû exposer dans la présente instance;

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a fait droit à l'opposition formée par Nicole Grinner épouse Ondongo et mis à néant l'ordonnance d'injonction de payer rendue à son encontre le 23/07/2007; Le réformant en ses autres dispositions et statuant à nouveau, Prononce la nullité du contrat de franchise signé le 18/12/2002 entre la société OSD et Nicole Grinner épouse Ondongo pour vice du consentement de cette dernière; Condamne en conséquence la société OSD et les époux Dutruc, solidairement, à rembourser à Nicole Ondongo les sommes de 9 209 euro au titre des droits d'entrée, de 7 355,40 euro au titre des redevances mensuelles et de 598 euro au titre des frais d'acte, assorties des intérêts légaux à compter de son assignation délivrée le 15/11/2007; Les condamne sous la même solidarité à lui verser une indemnité de 3 000 euro en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile; Déboute Nicole Ondongo de ses autres demandes; Déboute la société OSD et les époux Dutruc de leurs prétentions; Les condamne in solidum aux dépens de première instance et d'appel et accorde à la SCP Forquin et Remondin, avoués, le bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.