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Décisions

CA Grenoble, ch. soc., 23 juin 2008, n° 07-03399

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Deuvletian

Défendeur :

JG Diffusion (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gallice (faisant fonction)

Conseillers :

M. Vigny, Mme Combes

Avocats :

SCP Guy-Lecoyer-Millias, Benhamou

Cons. prud'h. Gap, du 10 sept. 2007

10 septembre 2007

Monsieur Deuvletian a été embauché comme VRP exclusif par la société JG Diffusion le 1er avril 1979.

Des difficultés ont opposé les parties à propos du remboursement des frais de déplacement de Monsieur Deuvletian.

En juillet 2006 Monsieur Deuvletian a été victime d'un accident du travail et a été en arrêt-maladie.

Il a saisi le Conseil de orud'hommes de Gap d'une demande de résiliation de son contrat de travail comportant des réclamations financières.

Par jugement du 10 janvier 2007, le Conseil de prud'hommes de Gap a débouté Monsieur Deuvletian de toutes ses demandes.

Monsieur Deuvletian qui a relevé appel sollicite :

- la résiliation de son contrat de travail aux torts de son employeur

- 8 199 euro et 819,90 euro à titre de préavis et des congés payés afférents

- 6 500 euro à titre d'indemnité de clientèle

- 6 500 euro à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive

- indemnité de non-concurrence de 1 822 euro par mois pendant deux ans

- 3 250 euro à titre de prime d'objectifs pour 2006

- 6 142,28 euro à titre de rappel de frais de déplacement

- 2 398,72 euro à titre d'indemnité journalière

- 4 266,32 euro à titre de rappel de commissions

- 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il expose que :

- l'indemnité forfaitaire de frais de déplacement lui a été supprimée (2 290 euro par mois) à partir de 2006 (février) après avoir été réduite à partir de juillet 2005. Il parcourait 50 à 60 000 km par an

- sur la prime sur objectifs : elle résulte d'une note manuscrite de l'employeur (0,5 % du chiffre d'affaire si objectif 650 000 euro atteint du 1er juillet 2005 au 30 juin 2006). La prime est dûe. Il n'y avait pas de clause de bonne fin. Son employeur a refusé, de façon abusive, de prendre en considération de nombreuses commandes et factures

- son mode de rémunération a été modifié unilatéralement : ses avances sur commissions, de 2 400 euro par mois, ont été brutalement réduites à la valeur du SMIC

- ses absences pour rechute d'accident du travail n'ont pas été indemnisées sur la base de l'article 9 de l'accord national interprofessionnel des VRP

- un successeur a été embauché en septembre 2007.

La société JG Diffusion conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation de l'appelant à lui payer 10 000 euro de dommages-intérêts pour procédure abusive ainsi que 1 500 euro en application de l'article 400 du Code de procédure civile.

Elle expose que :

- sur les frais et indemnités de déplacement : depuis plusieurs années, les frais (2 290 euro) ont été inclus dans les commissions perçues. Le salarié a toujours donné les justificatifs des frais avancés. Ces frais ne rentrent pas dans la rémunération.

- sur la prime d'objectifs : seules les commissions effectuées et définitives peuvent être prises en compte. L'objectif de 650 000 euro n'a pas été atteint. L'affaire "Chalet les Abeilles" ne peut être prise en considération: l'appelant ne verse que des devis.

- sur l'avance sur commission: elle n'a pas d'influence sur le montant final de la rémunération, elle constitue une facilité. Elle a été réduite parce que le salarié n'avait opéré quasiment aucune vente.

Motifs de l'arrêt

1°) La demande de résiliation du contrat de travail de Monsieur Deuvletian :

Le salarié peut demander à la juridiction prud'homale la résiliation judiciaire de son contrat de travail en cas de manquements de son employeur à ses obligations.

Le remboursement de frais :

L'examen des bulletins de salaire de Monsieur Deuvletian fait apparaître qu'il a bénéficié, à partir de juillet 2002 jusqu'à juin 2005 d'un "remboursement frais de route" d'un montant mensuel de 2 290 euro et que ce remboursement a été réduit, à partir du mois de juillet 2005 à 1 500 euro puis n'a plus été mentionné sur les bulletins de paie à dater de février 2006.

La société intimée justifie la réduction de ses frais à 1 500 euro par la mise à disposition de Monsieur Deuvletian d'un véhicule de fonction.

Si un véhicule de fonction a effectivement été mis à la disposition de Monsieur Deuvletian, celle-ci a été de courte durée puisque le véhicule a été rapidement inutilisable pour cause de panne.

La mise à disposition de Monsieur Deuvletian d'un véhicule ne peut justifier une baisse aussi considérable du remboursement de ses frais, alors même que son employeur évaluait dans un courrier adressé le 3 février 2006 au salarié, que l'utilisation de son véhicule personnel - le véhicule de fonction étant hors d'usage - à la somme de 400 euro par mois.

Les modifications de la somme versée à Monsieur Deuvletian au titre du remboursement de ses frais sont injustifiées et ont entraîné pour le salarié une baisse significative de sa rémunération.

En l'espèce, ce ne sont pas, ainsi que le soutient la société intimée, les modalités de remboursement qui ont été modifiées mais leur nature même et leur volume. La société JG Diffusion n'établit pas que Monsieur Deuvletian a consenti à ces modifications et n'établit pas non plus de ce dernier ait commis des " abus ".

Ces faits constituent de la part de la société JG Diffusion un manquement à ses obligations contractuelles à l'égard de Monsieur Deuvletian.

La prime de juin 2006 :

Monsieur Deuvletian avait pour objectif la réalisation d'un chiffre d'affaires de 650 000 euro pour la période du 1er juillet 2005 au 30 juin 2006.

Le contrat de travail de Monsieur Deuvletian ne comportait pas de clause de bonne fin ou de paiement.

Le droit à commission est lié à la commande passée.

La société JG Diffusion produit une pièce indiquant que Monsieur Deuvletian a réalisé un chiffre d'affaires de 569 633,99 euro. Elle reconnaît qu'il convient d'ajouter à ce chiffre des commandes d'un total de 32 000 euro et 3 825 euro.

Les pièces produites par Monsieur Deuvletian établissent qu'ont été émises les factures Mas de l'Orangerie à Gréoux les Bains (1 003,82 euro), la Ferme de l'Izoard à Arvieux (1 667,29 euro) cinq factures pour un montant global de 2 847,80 euro.

Des écarts doivent être constatés également au mois de juillet 2005 (2 633,19 euro), août 2005 (1 637,90 euro) et octobre 2005 (2 673,74 euro).

Monsieur Deuvletian produit enfin un bon de commande émanant du Chalet des Abeilles Levallois Découvertes daté du 10 mai 2006, d'un montant de 37 106 euro HT. Ce bon n'est signé ni de Monsieur Deuvletian ni du client. Par ailleurs, sont produits deux devis concernant le même client en date des 7 avril 2006 et 20 juillet 2006 d'un montant respectif de 38 428,60 euro et de 34 084,76 euro HT. Ces éléments sont contradictoires et ne permettent pas de retenir que Monsieur Deuvletian a pris la commande du 10 mai 2006, commande au demeurant non signée.

Monsieur Deuvletian n'ayant pas atteint l'objectif de chiffre d'affaires, il ne peut être reproché à la société intimée de ne pas lui avoir payé la prime d'objectifs.

Le mode de rémunération de Monsieur Deuvletian :

Jusqu'au mois de juillet 2006, Monsieur Deuvletian bénéficiait d'une avance sur commission d'un montant de 2 437 euro par mois, voire parfois supérieure à cette somme.

Au mois d'août 2006, semaine du 1 au 6 août, cette avance sur commission a été considérablement réduite (267,95 euro).

Ce fait constitue une modification unilatérale du contrat de travail de Monsieur Deuvletian.

Ce fait constitue un manquement de la société JG Diffusion à ses obligations contractuelles.

L'indemnisation de Monsieur Deuvletian pendant son arrêt de travail :

Monsieur Deuvletian a été en arrêt de travail à compter du 7 juin 2006 jusqu'au 21 juin 2006 puis en raison de son accident du 7 août 2006 au 10 octobre 2006.

L'article 9 de l'accord national interprofessionnel des VRP dispose :

"Lors que après deux an d'ancienneté dans l'entreprise, le contrat de travail d'un représentant de commerce est suspendu par suite d'une maladie professionnelle ou d'un accident du travail reconnus par la sécurité sociale, l'indemnité prévue à l'article 8 est égale par jour civil d'absence indemnisable à :

- 1/60 de la rémunération moyenne mensuelle, définie au paragraphe 2 de l'article 8, à partir du premier jour d'indemnisation par la sécurité sociale et ce pendant les 28 premiers jours

- 1/90 de cette rémunération moyenne mensuelle à compter du 29e jour. Cette indemnité sera servie pendant la durée d'indemnisation et selon les modalités prévues par l'article 8.

L'employeur de Monsieur Deuvletian n'a pas mis en œuvre ces dispositions et a donc failli à ses obligations contractuelles.

Il est dû à Monsieur Deuvletian les sommes suivantes :

- à partir du premier jour d'indemnisation

période du 7 août 2006 au 3 septembre 2006

28 jours x (2 733 euro x 1/60) = 1 275,40 euro

- à partir du 29e jour d'indemnisation

période du 4 septembre 2006 au 10 octobre 2006

37 jours x (2 733 euro x 1/90) = 1 123,32 euro

Total dû 2 398,72 euro

La circonstance que certains bons de commande aient été établis au cours de la période du 7 au 21 juin 2006 est indifférente. En effet, certains bons ont été établis le 7 juin 2006, alors que Monsieur Deuvletian a été arrêté le soir du 7 juin 2006 ; les autres bons ont été complétés téléphoniquement.

Le contrat de travail de Monsieur Deuvletian doit être résilié aux torts de la société JG Diffusion, à la date du 9 octobre 2006.

2°) Les conséquences de la rupture :

Il est dû à Monsieur Deuvletian au titre de ses frais de déplacements la somme de 6 142,28 euro, au titre du complément indemnités journalières : 2 398,72 euro, au titre de l'indemnité compensatrice de préavis : 8 199 euro (3 mois de rémunérations en application de l'article 12 de l'accord national) outre les congés payés afférents.

Les manquements de l'employeur de Monsieur Deuvletian lui ont causé un préjudice important, dès lors que les relations contractuelles ont été rompues, après plus de 27 ans d'activités au service de la société JG Diffusion, sans aucune difficulté jusqu'au cours de l'année 2005.

L'ancienneté de Monsieur Deuvletian est de 27 ans et non de 6 ans. En effet, si Monsieur Deuvletian embauché en 1979, a vu son statut modifié le 1er juin 1994, date à laquelle il va devenir agent commercial pour le compte de la société JG Diffusion, il est redevenu VRP le 1er avril 1999. En fait, il n'a jamais cessé d'exercer son activité de manière similaire, en se conformant aux instructions de la société JG Diffusion.

Il n'est pas douteux que Monsieur Deuvletian aura les plus grandes difficultés à retrouver un emploi à 54 ans.

Au titre du préjudice de Monsieur Deuvletian, il lui sera alloué la somme de 50 000 euro à titre de dommages-intérêts.

Monsieur Deuvletian qui soutient avoir été mis dans l'impossibilité de prendre ses congés payés, produit une lettre de son employeur du 21 octobre 2005 dans laquelle celui-ci indique : " je vous signale que je règle vos frais de déplacement sur 12 mois et ce sera la dernière année car nous ne pourrons éternellement faire admettre que vous ne prenez pas de vacances ".

Contrairement ce que prétend l'appelant, cette lettre n'établit pas que son employeur lui interdisait ou l'empêchait de prendre ses congés.

Monsieur Deuvletian ne prouve pas que son employeur l'ait empêché de quelque façon que ce soit de prendre ses congés. Il ne produit ni lettre de réclamation ni témoignage.

La demande de Monsieur Deuvletian liée aux congés payés doit être rejetée.

L'indemnité de clientèle :

Cette indemnité est liée à la part qui revient personnellement au VRP dans l'importance en nombre et en valeur de la clientèle apportée, créée ou développée par lui.

En l'espèce, le contrat de travail de monsieur Deuvletian, entré au service de la société JG Diffusion, mentionnait que son secteur était composé des départements des Alpes de Haute-Provence, des Hautes-Alpes, de l'Ardèche, de la Drôme et des communes des Deux-Alpes et de Corps (Isère).

Le contrat précisait en son article 15 consacré à l'indemnité clientèle qu'étaient annexées audit contrat :

- la liste des clients de la société existant à la date de signature du contrat ainsi que le chiffre d'affaires réalisé avec ces clients dans les 12 mois pendant la signature du contrat

- la liste des clients apportés à la société par Monsieur Deuvletian ainsi que le chiffre d'affaires réalisé avec ces clients dans les 12 mois précédant la signature du contrat.

Le contrat produit tant par Monsieur Deuvletian que la société JG Diffusion ne comporte aucune annexe.

La consultation des bulletins de paie produits par Monsieur Deuvletian et concernant la période mars 1999 à août 2006 permet de constater que le volume de ses commissions a évolué de façon significative et s'est maintenu à un niveau mensuel élevé.

Par ailleurs, alors que le chiffre d'affaires que Monsieur Deuvletian devait atteindre au début de son activité professionnelle (1999) était fixé à 121 959,21 euro, il a atteint le montant de 650 000 euro dans les dernières années des relations contractuelles.

Ces éléments établissent que Monsieur Deuvletian a, par son activité, développé de façon importante la clientèle dont il se trouve privé pour l'avenir du fait de la rupture.

Il lui sera alloué au titre de l'indemnité de clientèle la somme de 20 000 euro.

La clause de non-concurrence :

Monsieur Deuvletian n'a pas été délié de la clause de non-concurrence.

Le contrat de travail prévoyait une clause de non-concurrence de 2 ans.

L'article 17 de l'accord national interprofessionnel dispose que pendant l'exécution de l'interdiction de concurrence, le VRP a droit à une contrepartie pécuniaire mensuelle dont le montant est égal à 2/3 ou 1/3 de mois selon que la durée de l'interdiction est supérieure ou au plus égale à 1 an.

Il est dû à Monsieur Deuvletian la somme de :

2 733 euro x 2/3 x 24 = 43 728 euro.

L'équité commande la condamnation de la société intimée à payer à Monsieur Deuvletian la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi, Infirme le jugement. Statuant à nouveau Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur Deuvletian aux torts de la société JG Diffusion à la date du 9 octobre 2006. Condamne la société JG Diffusion à payer à Monsieur Deuvletian : - 8 199 euro à titre d'indemnité compensatrice de préavis - 819,99 euro au titre des congés payés afférents - 2 398,72 euro à titre de complément de salaires - 6 142 euro au titre des frais de déplacement - 50 000 euro à titre de dommages-intérêts pour la rupture du contrat de travail - 20 000 euro à titre d'indemnité de clientèle - 43 728 euro à titre de contrepartie de la clause de non-concurrence - 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile. Déboute Monsieur Deuvletian de toute autre demande. Condamne la société JG Diffusion aux dépens de première instance et d'appel.