Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 25 mars 2010, n° 09-12157

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

BB Racing Team Banzaï Bike (SARL)

Défendeur :

Kawasaki Motors Europe NV (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mme Mouillard, M. Roche

Avoués :

SCP Bernabe-Chardin-Cheviller, Me Teytaud

Avocats :

Mes André, Panneau

T. com. Paris, du 11 oct. 2005

11 octobre 2005

Depuis 1992, la SARL BD Racing Team (DB Racing Team), exploitant sous l'enseigne " Banzaï Bike ", était concessionnaire de la marque Kawasaki pour la commercialisation et le service après-vente de motos, initialement à titre exclusif puis, à partir de 1997, dans le cadre d'une concession multi-marques.

Dans le dernier état de leurs relations, les parties étaient liées par un contrat à durée déterminée d'un an, conclu le 2 mars 2002 - avec effet au 1er janvier 2002 - entre BB Racing Team et la société Kawasaki Motors Europe NV (Kawasaki).

Le 25 septembre 2002, Kawasaki a prévenu DB Racing Team qu'elle ne renouvellerait pas le contrat à son échéance, soit au 1er janvier 2003.

Estimant ce refus de renouvellement abusif et brutal, BB Racing Team a fait assigner Kawasaki, le 19 janvier 2004, en paiement de dommages et intérêts.

Par jugement du 11 octobre 2005, le Tribunal de commerce de Paris a rejeté les demandes de DB Racing Team et celle de Kawasaki au titre des propos tenus dans les écritures de BB Racing Team, et a condamné BB Racing Team à payer à Kawasaki une somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

LA COUR :

Vu l'appel de ce jugement interjeté par BB Racing Team le 21 novembre 2005 ;

Vu l'arrêt du 20 mai 2009 par lequel la cour a, à la demande des parties, ordonné le retrait de l'affaire du rôle de la cour;

Vu les conclusions déposées le 9 juin 2009 par lesquelles DB Racing Team poursuit l'infirmation du jugement et demande à la cour de juger :

- que le non-renouvellement est irrégulier,

- que le préavis de trois mois imposé par Kawasaki était insuffisant pour lui permettre de se réorganiser,

- qu'en imposant à ses concessionnaires des contrats d'un an, renouvelables avec un préavis de seulement 3 mois, Kawasaki a fait preuve de mauvaise foi et de déloyauté,

- que la rupture du contrat à l'initiative de Kawasaki est illégitime, donc fautive,

en conséquence de condamner cette dernière à lui payer la somme de 236 698,56 euro à titre de dommages et intérêts dont 25 000 euro au titre du préjudice moral et 211 698,56 euro au titre du préjudice matériel et financier, d'ordonner la publication de la décision à intervenir dans deux journaux locaux marseillais qu'il lui plaira de déterminer, aux frais de la défenderesse dans la limite de 1 500 euro par insertion, enfin de condamner Kawasaki à lui payer la somme de 17 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;

Vu les conclusions déposées le 29 décembre 2009 par lesquelles Kawasaki poursuit la confirmation du jugement, et réclame à BD Racing Team une somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

Sur ce :

Considérant que le contrat du 1er mars 2002 précisait qu'il se terminerait le 31 décembre 2002 et qu'il ne se renouvellerait pas par tacite reconduction ; qu'il prévoyait, en cas de non-renouvellement, un préavis de trois mois et stipulait que le refus de renouvellement par Kawasaki n'ouvrirait droit à aucune indemnisation du concessionnaire;

Considérant qu'au regard du droit commun des contrats, Kawasaki était donc libre de ne pas renouveler le contrat à son expiration, pourvu qu'elle respecte le préavis contractuel, ce qu'elle a fait en l'espèce ; qu'elle n'avait pas à en fournir les motifs, de sorte qu'il serait sans conséquence que ceux qu'elle a avancés fussent inexacts ; qu'il n'est justifié d'aucun comportement abusif de sa part, puisqu'elle n'a nullement encouragé BB Racing Team à engager des investissements pour la conservation de la concession, l'achat du banc invoqué par cette dernière étant daté de décembre 2002, soit plus de deux mois après la notification du non-renouvellement, et les emprunts importants que celle-ci avait souscrits en 1995 étant remboursés, et, enfin, aucun engagement personnalisé ne pouvant être raisonnablement déduit de la lettre-circulaire du 2 avril 2002 adressée à tous les concessionnaires de la marque qui, portant notification de la fusion intervenue au profit de Kawasaki Motors Europe, se concluait par la formule d'usage que cette dernière " espér(ait) poursuivre (leur) collaboration dans des conditions aussi fructueuses ";

Qu'au demeurant, même si Kawasaki n'était pas fondée à se prévaloir, dès septembre 2002, du non-respect de quotas d'achats convenus pour l'exercice courant jusqu'au 31 décembre 2002, BD Racing Team, qui d'ailleurs ne fournit que les chiffres des ventes, ne prétend pas avoir atteint les objectifs contractuels d'achat pour cet exercice, ni pour les motos de grosse cylindrée (97 vendues au lieu de 135 achetées), ni pour celles de 125 cm3 (6 vendues au lieu de 35 achetées), et ce, bien qu'elle ait procédé à des ventes à prix réduits au cours des mois de novembre et décembre, assorties de publicités locales (publicité dans le " 13 ", pièce n° 18 de Kawasaki) ;

Considérant que, du point de vue du droit de la concurrence, le refus de Kawasaki de contracter avec BD Racing Team pour l'avenir était motivé par le non-respect de quotas contractuellement convenus, étant observé qu'une telle clause n'est pas, en elle-même, contraire à l'article L. 420-1 du Code de commerce ; qu'il n'est pas démontré que ces quotas, librement discutés par les parties, " fixés d'un commun accord " lors de la conclusion du nouveau contrat et jamais remis en cause par BB Racing Team avant la rupture, ni même en apprenant celle-ci (courrier du 28 septembre 2002), seraient discriminatoires ou qu'ils ne seraient pas proportionnés compte tenu des résultats de la marque à cette époque sur le territoire national (en diminution de 1999 à 2001, en redressement en 2002), ou plus particulièrement dans les Bouches-du-Rhône (immatriculations de véhicules neufs Kawasaki 422 en 1997, 517 en 1998, 653 en 1999, 496 en 2000, 502 en 2001, 552 en 2002) ; qu'il en résulte que la décision de Kawasaki ne saurait être considérée comme illégitime ;

Considérant que c'est à tort que BB Racing Team se prévaut de la notification, tardive selon elle, de la dissolution de Kawasaki Motors France, intervenue le 26 février 2002 par suite la réunion en une seule main de ses parts sociales au profit de Kawasaki Motors Europe, dès lors que la transmission universelle de patrimoine qui s'en est suivie le 29 mars 2003 conformément à l'article 1844-5, alinéa 3, du Code civil, lui a été notifiée le 2 avril 2002 ; qu'en effet, l'article 18 du contrat, intitulé " Circulation du contrat ", stipule que le contrat et les droits qui y sont attachés peuvent être librement transmis, cédés ou apportés en société par Kawasaki sans l'accord du concessionnaire, que dans l'une de ces hypothèses, le contrat sera automatiquement et de plein droit transféré au successeur de Kawasaki Motors France, et le concessionnaire recevra la notification du transfert par lettre recommandée AR dans un délai de quinze jours suivant le transfert ; qu'il en résulte d'une part, que le délai de quinze jours a été observé, d'autre part, que, le non-respect de ce délai n'étant assorti d'aucune sanction, il aurait de toute façon suffi que la notification intervienne pour que la transmission du contrat soit opposable au concessionnaire;

Considérant que Kawasaki, qui devait protéger ses propres intérêts et ceux de son réseau, n'est pas fautive pour avoir informé sa clientèle, le 14 avril 2003, soit trois mois après la cessation des relations contractuelles - ce qui avait laissé le temps à DB Racing Team d'écouler son stock - que cette dernière ne distribuait plus ses produits, et l'orienter vers son unique concessionnaire à Marseille;

Considérant en revanche que l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels;

Qu'il est constant qu'en l'espèce, Kawasaki et DB Racing Team entretenaient une relation commerciale établie depuis 1992, exclusive jusqu'en 1997, puis dans le cadre de contrats multimarques ; qu'il importe peu à cet égard que cette relation soit le fait de contrats successifs d'une durée d'un an, non reconductibles tacitement, dès lors qu'ils ont été renouvelés, de fait, pendant dix ans et que DB Racing Team était fondée, dans ces conditions, à anticiper un renouvellement pour 2003;

Qu'il résulte des explications de DB Racing Team elle-même qu'au moment où la rupture est intervenue, le chiffre d'affaires qu'elle réalisait avec les machines Kawasaki représentait environ 30 % de son chiffre d'affaires global, étant rappelé qu'elle commercialisait aussi depuis 1997 les marques Triumph, Aprilia, Derbi, puis Voxan ; qu'au-delà de cette considération purement économique, BD Racing Team avait avec Kawasaki un lien particulier puisque son dirigeant, M. Battistini, avait couru sous ses couleurs dans les années 80-90, qu'il avait alors remporté plusieurs compétitions tant en France qu'à l'étranger et que cette qualité lui conférait un prestige particulier, qui bénéficiait à BD Racing Team dans l'exercice de son activité ; que, compte tenu de ces éléments et de la durée de la relation commerciale, la cour estime que Kawasaki aurait dû respecter un préavis de six mois pour permettre à BD Racing de trouver une autre marque d'une notoriété équivalente;

Considérant qu'eu égard aux justificatifs comptables produits, et aux explications fournies par DB Racing Team selon lesquelles elle réalisait une marge de 16 % en moyenne sur la vente des produits Kawasaki, la cour estime que le préjudice global subi par cette société, privée de trois mois de préavis, sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 40 000 euro et ce, sans qu'il y ait lieu d'ordonner la publication de la présente décision;

Et considérant que BD Racing Team a dû exposer des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge ; qu'il y a donc lieu de lui accorder le bénéfice des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif;

Par ces motifs, Infirme le jugement déféré, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de la société DB Racing Team fondée sur l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et la condamne au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Et statuant à nouveau de ce chef, Dit que la société Kawasaki Motors Europe a engagé sa responsabilité en rompant la relation commerciale qu'elle entretenait avec DB Racing Team depuis 1992 sans respecter un préavis de six mois, Condamne en conséquence la société Kawasaki Motors Europe à payer à la société BD Racing Team la somme de 40 000 à titre de dommages et intérêts en réparation de la privation de trois mois de préavis; Vu l'article 700 du Code de procédure civile, condamne la société Kawasaki Motors Europe à payer à la société BD Racing Team la somme de 6 000 euro et rejette sa demande; Condamne la société Kawasaki Motors Europe aux dépens de première instance et d'appel et dit que ces derniers pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.