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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 1 avril 2010, n° 09-07999

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Phone Pratique (SARL)

Défendeur :

SFR (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Mouillard, Dekinder

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Gaultier-Kistner

Avocats :

Mes Michel, d'Ales

T. com. Paris, du 3 mars 2005

3 mars 2005

La société Phone Pratique distribue à Courbevoie des produits de téléphonie de la Société française de radiotéléphone (SFR), et ce depuis le 21 novembre 1996, au titre d'un contrat "partenaire" par lequel elle s'engageait à commercialiser 80 % des abonnements au profit de SFR. Le 21 avril 2001, elle a conclu avec cette dernière un nouveau contrat "partenaire", assorti d'un avenant "e-phone Espace SFR" qui lui permettait notamment d'exploiter la marque "e-phone Espace SFR" à titre d'enseigne, à condition d'aménager son point de vente selon un cahier des charges précis. L'avenant "e-phone Espace SFR" a été modifié le 15 mars 2002 par un avenant "Espace SFR" par lequel le partenaire était autorisé à utiliser, à titre d'enseigne, non plus la marque "e-phone Espace SFR" mais celle "Espace SFR", déjà précédemment concédée.

Prétendant que, contrairement à ses prévisions, un autre point de vente commercialisant des abonnements SFR s'était ouvert à Courbevoie au cours de l'année 2003, Phone Pratique a, le 12 mars 2004, assigné SFR en paiement de dommages et intérêts pour avoir manqué à l'obligation d'information pré-contractuelle prévue par l'article L. 330-3 du Code de commerce.

Par jugement du 3 mars 2005, le Tribunal de commerce de Paris a dit n'avoir pas trouvé dans les contrats de clause d'exclusivité territoriale, a débouté Phone Pratique de sa demande en paiement de la somme de 642 500 euro du fait du non-respect d'une clause d'exclusivité, a condamné Phone Pratique a payer à SFR la somme de 3 000 euro du titre de l'article 700 du Code de procédure civile, déboutant les parties de leurs autres demandes.

LA COUR,

Vu l'appel de ce jugement interjeté par Phone Pratique;

Vu l'arrêt de cette cour, 5e chambre, section A, en date du 26 septembre 2007, confirmant le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, y ajoutant, déboutant Phone Pratique de sa demande au titre de la concurrence déloyale et de sa demande d'expertise, condamnant SFR à payer à Phone Pratique une somme de 37 316,95 euro au titre du solde de ses rémunérations pour 2004, et condamnant Phone Pratique à payer 4 000 euro à SFR en application de l'article 700 du Code de procédure civile;

Vu l'arrêt de la Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, en date du 27 janvier 2009, cassant cet arrêt, mais seulement en ce qu'il rejetait l'action de Phone Pratique en paiement de dommages et intérêts pour manquement de SFR aux obligations résultant de l'article L. 330-3 du Code de commerce, et renvoyant l'affaire devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée;

Vu la déclaration de saisine déposée par Phone Pratique le 6 mars 2009 ;

Vu les conclusions signifiées le 6 novembre 2009 par lesquelles la partie saisissante et appelante demande à la cour de constater que SFR a manqué à son obligation légale d'information et de condamner en conséquence cette dernière à lui payer 271 131 euro à titre de dommages et intérêts, outre 7 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

Vu les conclusions signifiées le 18 janvier 2010 par lesquelles SFR demande à la cour, à titre principal, de constater qu'elle n'a commis aucune faute au sens de l'article L. 330-3 du Code de commerce, de confirmer le jugement entrepris, de débouter Phone Pratique de ses demandes, à titre subsidiaire, de constater que Phone Pratique ne démontre pas l'existence d'un lien de causalité entre la faute qu'elle invoque et le dommage dont elle entend obtenir réparation, ainsi que sa carence dans la démonstration d'un préjudice, en conséquence de rejeter les demandes de Phone Pratique et, en tout état de cause, de condamner cette dernière à lui payer 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Sur ce :

Considérant que l'article L. 330-3 du Code de commerce dispose que " toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause " ;

Considérant que Phone Pratique fait valoir que SFR ne lui a remis aucun document d'information pré-contractuelle, notamment quant à l'état du réseau, ni en 1996, ni 2001, ni en 2002 ; qu'elle-même avait alors été entretenue dans l'idée que, SFR ayant renoncé en 2001 à l'enseigne "Espace SFR" au profit de "e-phone Espace SFR", elle serait le seul point de vente "e-phone Espace SFR" à Courbevoie compte tenu des critères sélectifs géographiques appliqués et de l'engagement de SFR rappelé dans son courrier du 2 juin 2003, qu'en fait, le 24 avril 2001, soit deux jours avant qu'elle signe son contrat "e-phone Espace SFR", la société Le Portable Télécom avait été autorisée à exploiter un autre point de vente à Courbevoie, rue Victor Hugo, SFR ayant ainsi délibérément organisé une concurrence déloyale, qui s'est poursuivie d'avril 2001 jusqu'à la rupture du contrat "partenaire" en 2004 ; qu'elle souligne qu'elle n'aurait pas signé le contrat "e-phone Espace SFR", impliquant des investissements en contrepartie de l'usage de l'enseigne, si elle avait été informée de cet événement, comme du fait que SFR n'utiliserait "e-phone Espace SFR" que sur une très courte période, de moins d'un an, la marque Espace SFR ayant d'ailleurs été déposée le 27 août 2001, soit quatre mois après qu'elle eut signé l'avenant "e-phone Espace SFR" ; qu'elle soutient qu'en définitive, ce défaut d'information lui a porté un préjudice de 89 949 euro en 2003 et de 181 182 euro en 2004, représentant le chiffre d'affaires qu'elle aurait pu réaliser sans cette concurrence déloyale;

Considérant que le texte précité a pour vocation à assurer à la partie qui contracte un engagement d'exclusivité une information loyale et sincère qui lui permette de " s'engager en connaissance de cause " ; qu'il suit de là que son inobservation ne peut donner lieu à indemnisation qu'à condition que soient clairement identifiées les informations dont le défaut de communication a altéré le consentement de cette partie, la conduisant à accepter des conditions et des engagements qu'elle n'aurait pas pris autrement et qui se sont révélés préjudiciables pour elle; qu'il appartient donc à Phone Pratique de démontrer quel préjudice elle a subi en relation directe avec des conditions et des engagements auxquels elle n'aurait pas consenti si elle avait été correctement informée;

Qu'en l'espèce, s'il est constant que SFR n'a remis aucun document à Phone Pratique en 2001 et en 2002, et que Phone Pratique a consenti en 2001 des efforts financiers (30 490 euro HT) afin d'aménager son magasin selon les normes de l'avenant "e-phone Espace SFR", qui n'a pas duré plus d'un an, ce n'est pas ce préjudice dont Phone Pratique demande réparation;

Qu'elle invoque le manque à gagner résultant de sa mise en concurrence, qu'elle estime déloyale, avec un autre point de vente "Espace SFR" à Courbevoie, où elle croyait être en situation d'exclusivité; qu'il convient de souligner d'ailleurs, à ce stade du raisonnement, qu'en l'absence d'une stipulation écrite en ce sens, Phone Pratique se méprend sur la portée de la promesse que lui avait faite SFR oralement, et telle qu'elle-même la rapporte dans un courrier du 20 janvier 2003 adressé à SFR : " Lors de notre entretien..., début 2001... il a été convenu ce qui suit. Si nous n'acceptions pas de passer à la nouvelle enseigne e-phone Espace SFR, vous installeriez une autre boutique sur la rue de Bezons à Courbevoie car la rue et la ville de Courbevoie étaient classées en zone stratégique A ", promesse que SFR a expressément reconnue le 2 juin 2003 dans les mêmes termes : " nous avons convenu, dès votre engagement à travers la signature de l'avenant e-phone, de ne pas agréer d'autres points de vente rue de Bezons à Courbevoie, ... nous avons tenu nos engagements, ... la présence d'un point de vente sur Victor Hugo se justifie par la couverture d'une autre zone de chalandise que la rue de Bezons " ; qu'ainsi, cette mise en concurrence ne peut imputée à faute à SFR, ainsi que Phone Pratique continue à l'affirmer bien qu'elle ne fonde pas sa demande sur une telle faute;

Qu'il demeure incontestable, en tout cas, que Phone Pratique n'a pas été informée par SFR de la consistance du réseau d'exploitants et des perspectives de développement du marché, en particulier local, et que, si elle l'avait été conformément aux prescriptions de l'actuel article R. 330-1 du Code de commerce, pris pour l'application de l'article L. 330-3 précité, elle aurait connu l'existence de l'ouverture d'un magasin concurrent à Courbevoie ; que, toutefois, elle ne précise pas dans quelle mesure ce défaut d'information a influé sur son comportement au moment de souscrire l'avenant "e-phone Espace SFR" - étant observé que, le magasin de la rue Victor Hugo se trouvant à quelques minutes du sien, elle avait dû en découvrir l'existence par elle-même avant de conclure l'avenant "Espace SFR" en 2002 - et, surtout, n'indique pas quelle autre décision elle aurait prise si elle l'avait su ; qu'en outre, elle-même explique qu'elle a obtenu à la même époque des résultats en forte progression, nettement supérieurs à la moyenne de l'ensemble des points de vente SFR en Ile-de-France (en 2002 : + 13,10 % contre + 2,26 % pour la région, en 2002 : + 23,24 % contre + 7,61 % pour la région) ; qu'elle ne peut donc utilement revendiquer l'indemnisation d'un préjudice constitué d'un simple manque à gagner - dont le mode de calcul au demeurant est totalement incompréhensible - qui ne serait que la conséquence de sa mise en concurrence, dont il vient d'être vu qu'elle était licite et non déloyale ;

Considérant qu'il suit de là que sa demande, faute de préjudice démontré en relation avec la faute relevée, ne peut qu'être rejetée et que le jugement, qui en a décidé ainsi, doit être confirmé;

Et considérant que SFR a dû exposer des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge ; qu'il y a donc lieu de lui accorder le bénéfice des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, dans la mesure qui sera précisée au dispositif, et de rejeter la demande présentée par Phone Pratique à ce titre ;

Par ces motifs, Confirme le jugement en ce qu'il déboute la société Phone Pratique de sa demande fondée sur l'article L. 330-3 du Code de commerce, Condamne la société Phone Pratique à payer à la société SFR la somme de 7 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et rejette sa demande formée à ce titre, Condamne la société Phone Pratique aux dépens d'appel, incluant ceux afférents à l'instance ayant abouti à l'arrêt cassé, et dit qu'ils pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.