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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 19 mai 2010, n° 08-19311

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Lina's développement (SA)

Défendeur :

K3 (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Fevre

Conseillers :

MM. Roche, Vert

Avoués :

SCP Arnaudy-Baechlin, SCP Autier

Avocats :

Mes Ferchiche, Cross

T. com. Paris, du 3 sept. 2008

3 septembre 2008

LA COUR,

Vu le jugement du 3 septembre 2008 par lequel le Tribunal de commerce de Paris a prononcé la nullité du contrat de franchise conclu le 30 juin 2005 entre les sociétés K3 et Lina's développement aux torts exclusifs de cette dernière et a condamné celle-ci à payer à la société K3 la somme de 14 374,70 euro du titre du préjudice économique, outre celle de 15 000 euro au titre du préjudice financier et 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu l'appel interjeté par la société Lina's développement et ses conclusions du 30 mars 2010 tendant à titre principal à faire infirmer le jugement et, statuant à nouveau, débouter la société K3 de ses prétentions, ordonner la restitution par celle-ci des sommes allouées par la décision déférée, outre les intérêts y afférents et leur capitalisation, à titre subsidiaire confirmer le jugement sur les sommes allouées à l'intimée, condamner cette dernière à verser la somme de 1 968,55 euro au titre des redevances impayées, outre les intérêts y afférents et leur capitalisation, ainsi que celle de 53 500 euro à titre de dommages et intérêts et de 30 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les conclusions de la société K3 du 2 avril 2010 tendant à la confirmation du jugement et, y ajoutant, à la condamnation de l'appelante à lui verser les sommes de 4 712,50 euro au titre des frais de prescription, de 18 682,64 euro au titre des frais de lancement et de 15 8420 euro ou, à défaut, de 149 275 euro au titre de son préjudice financier, outre 10 000 euro pour les frais hors dépens;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que depuis 1989 la société Lina's développement exploite au travers de la mise en place d'un réseau de franchisés un concept dénommé " Lina's café " destiné à la fabrication de sandwiches et salades confectionnés sur mesure et à consommer sur place ou à emporter ; que, courant 2003, elle a mis au point une formule spécifique destinée au marché de l'entreprise et intitulée " Lina's entreprises " ; que ce nouveau concept, caractérisé par l'élaboration de sandwiches et salades devant être livrés à des entreprises qui en font la commande sans aucune consommation sur le site, a été expérimenté au sein d'un unique point de vente situé à Courbevoie ; que le 30 juin 2004 la société K3 signait avec la société Lina's développement un contrat de franchise lui conférant le droit d'exploiter ledit concept " Lina's entreprises "; qu'invoquant toutefois la carence de la société Lina's développement dans l'exécution de son obligation précontractuelle d'information, la société K3 a, par lettre du 3 mars 2007, informé son franchiseur de sa décision de résiliation de l'engagement les liant ; que, devant l'absence de réponse de l'intéressée, la société K3 l'a, par acte du 6 avril 2007, assignée devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de solliciter le prononcé de la nullité du contrat litigieux ainsi que la réparation de son entier préjudice ; que c'est dans ces conditions de fait et de droit qu'est intervenu le jugement susvisé présentement entrepris ;

Sur la demande tendant au prononcé de la nullité du contrat de franchisé

Considérant qu'aux termes de l'article L. 330-3 du Code de commerce " toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permettent de s'engager en connaissance de cause.

Ce document, dont le contenu est fixé par décret, précise notamment, l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités... ";

Considérant, en l'espèce, que si le contrat de franchise litigieux mentionne que " le franchisé déclare avoir reçu du franchiseur les documents d'information précontractuels légalement requis ", l'appelante ne justifie nullement de la remise matérielle des documents considérés et aucune des annexes jointes audit contrat ne peut être regardée comme étant constitutive de ces pièces ; qu'il sera également relevé que la société Lina's développement n'est pas à même de verser aux débats le récépissé de la remise des documents précontractuels qu'elle aurait dû fournir préalablement à la conclusion du contrat ; que, dans ces conditions, la clause-type sus rappelée insérée dans l'engagement lui-même ne saurait utilement établir l'effectivité et la consistance de l'information donnée au futur franchiseur et répondre de la sorte aux exigences de l'article L. 330-3 précité ; que si dans ses écritures la société Lina's développement soutient que certains documents dont la société K3 a constaté l'absence ne seraient pas exigés par la loi et que, notamment, le franchiseur n'a pas à remettre un compte d'exploitation prévisionnel au candidat à la franchise, celui-ci se devant de procéder lui-même à une analyse d'implantation précise lui permettant d'apprécier le potentiel et, par là-même, la viabilité du fonds de commerce envisagé, il n'en reste pas moins qu'aucune des mentions prévues par l'article L. 330-3 n'a été transmise à l'intimée qui n'a ainsi ou connaissance ni de l'état général du secteur concerné ni, surtout, de la nature, de l'ancienneté et, donc, de l'authenticité du réseau de franchise dont s'agit; que la société K3 doit ainsi être regardée comme s'étant engagée sans avoir pu utilement appréhender la portée de sa décision du fait de la privation d'informations déterminantes pour son consentement et qu'elle ne pouvait obtenir par ailleurs s'agissant précisément d'un concept nouveau et expérimenté en un seul point de vente ; que la circonstance que certains des associés de la société K3 auraient eux-mêmes expérimenté le concept initial intitulé "Lina's café" ne saurait avoir pu dispenser le franchiseur du respect de son obligation précontractuelle d'information dès lors que ce dernier souligne lui-même dans ses écritures le caractère novateur de la franchise "Lina's entreprise" et son autonomie complète par rapport au concept précédemment développé; que, dans ces conditions, cette rétention d'informations est constitutive d'une manœuvre intentionnelle et dolosive de la part du franchiseur au sens de l'article 1116 du Code civil sans laquelle la société K3 n'aurait pas contracté ; qu'il y a lieu, en conséquence, de prononcer la nullité du contrat de franchise litigieux et ce sans qu'il [soit] besoin de se prononcer sur les autres motifs de nullité également soulevées par la société K3 ;

Sur les conséquences financières de la nullité ainsi prononcée

Considérant que le contrat liant les parties ayant été rétroactivement anéanti la société K3 est fondée à solliciter le remboursement des frais d'enseigne qu'elle dû exposer (490 euro), du droit d'entrée versé au franchiseur (10 000 euro) ainsi que des "royalties" également réglées à ce dernier (3 884,70 euro) soit la somme totale de 14 374,70 euro ;

Considérant en revanche que sachant qu'elle a poursuivi après la rupture du contrat de franchise une activité commerciale similaire, l'intéressée ne saurait obtenir en outre le remboursement des "frais de prospection" ainsi que des "frais de lancement" qu'elle indique avoir dû engager pour se faire connaître et qui ont nécessairement profité à l'établissement de sa notoriété ultérieure;

Considérant, enfin, que le contrat de franchise ci-dessus annulé ayant censé ne jamais avoir existé la société K3 ne peut utilement, sauf à méconnaître directement les conséquences mêmes de la nullité prononcée, réclamer l'allocation d'un " préjudice financier " correspondant à la non-obtention des résultats commerciaux qu'elle eut été en droit d'attendre de l'exploitation de la franchise considérée;

Sur les demandes reconventionnelles formées par la société Lina's développement

Considérant, tout d'abord, que du fait même de l'annulation du contrat de franchise la société appelante n'est pas fondée à demander le paiement d'un quelconque solde de redevances demeuré impayé;

Considérant, par ailleurs, que si l'appelante reproche à la société K3 d'avoir "poursuivi une activité identique à celle qu'elle exerçait sous la franchise Lina's développement, utilisant de manière indue le concept dédié au monde de l'entreprise développé par et appartenant à Lina's développement, violant par là-même son obligation de confidentialité" ainsi que son "obligation de non-concurrence", il convient de rappeler que l'action en concurrence déloyale qui a pour fondement non une présomption de responsabilité reposant sur l'article 1384 du Code civil mais une faute engageant la responsabilité délictuelle de son auteur au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil suppose l'accomplissement d'actes positifs et caractérisés dont la preuve, selon les modalités de l'article 1315 du Code civil, incombe à celui qui s'en déclare victime ; qu'il échet, également, de souligner que le parasitisme économique présentement allégué se définit comme l'ensemble des comportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts, de son savoir-faire ainsi que de sa notoriété ; qu'à ce sujet il sera, cependant, souligné que, sauf à méconnaître directement le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ainsi que la règle de la libre concurrence en découlant, le simple fait de copier la prestation d'autrui n'est nullement fautif dès lors qu'il s'agit d'un produit pour lequel il n'est pas justifié de droits de propriété intellectuelle ou d'un effort créatif dans la mise en œuvre de données révélant une originalité particulière ; qu'en l'occurrence si la société K3 poursuit la vente de sandwiches coupés en triangle, cette activité ne présente en elle-même aucune originalité particulière dont la société Lina's entreprise aurait l'exclusivité ; qu'au demeurant il sera souligné que le concept de vente mis en œuvre par la société K3 est intitulé " Ayme " et n'est pas susceptible d'être confondu avec celui développé par la société appelante ; que l'intimée n'utilise au demeurant aucun des signes distinctifs de cette dernière, qu'il s'agisse du logo, des couleurs ou du " packaging ", les similitudes constatées n'étant en tout état de cause que celles induites par l'identité de l'activité de fourniture de sandwiches exercée par les intéressées ; que la société Lina's entreprises sera dès lors, déboutée de l'ensemble de ses prétentions;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu de confirmer le jugement sauf en ce qu'il a alloué à la société K3 la somme de 15 000 euro au titre de son préjudice financier, de rejeter la demande de l'intimée de ce chef et de débouter les parties du surplus de leurs prétentions respectives;

Sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant que l'équité commande, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la société Lina's développement à verser à la société K3 la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article susvisé ;

Par ces motifs, Confirme le jugement en ses dispositions non contraires au présent arrêt. L'infirme en ce qu'il a condamné la société Lina's développement à payer à la société K3 la somme de 15 000 euro au titre de son préjudice financier. Rejette la demande de la société intimée de ce chef. Déboute les parties du surplus de leurs prétentions respectives. Condamne la société Lina's développement aux dépens d'appel avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile. La condamne également à payer à la société K3 la somme de 2 000 euro au titre des frais hors dépens.