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Décisions

Cass. soc., 8 juin 2010, n° 08-44.965

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

B&B Hôtels (SAS)

Défendeur :

Billod-Laillet, Colmard (Epoux), Laine (Epoux), Ninet, Oudart (Epoux), Gaine (Epoux), Laurent, Bourgeois, Le Bars, Maréchal, Sauvaire, Pouliquen, Lalau

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gosselin (faisant fonction)

Rapporteur :

M. Ballouhey

Avocat général :

M. Aldigé

Avocats :

SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, SCP Waquet, Farge, Hazan

Angers, ch. soc., du 15 mai 2007 ; Anger…

15 mai 2007

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué rendu sur renvoi après cassation (Soc., 10 mai 2006, pourvoi n° 04-44.759) que Mme Billod-Laillet ainsi que 16 autres personnes, ont attrait la société B&B devant le Conseil de prud'hommes de Brest pour faire constater l'existence d'un contrat de travail ;

Sur les deux premiers moyens réunis, dirigés contre l'arrêt du 15 mai 2007 : - Attendu que la société fait grief à l'arrêt d'avoir dit que ces personnes étaient liées à la société B&B par un contrat de travail, que la juridiction prud'homale était compétente pour statuer sur leurs demandes chiffrées, d'avoir mis hors de cause les diverses sociétés gérant les hôtels mises en cause par la société B&B, et d'avoir - après évocation - enjoint aux parties de produire un certain nombre de pièces, alors, selon le moyen : 1°) que sont inhérentes à la notion même de mandat de gestion d'un fonds de commerce d'hôtel, dont la propriété reste au mandant qui en supporte les risques d'exploitation, les stipulations exigeantes voire détaillées du contrat de mandat relatives à la définition et aux caractéristiques de l'ensemble des prestations fournies, dès lors que ces exigences sont celles qui résultent de l'intégration de cet hôtel dans un réseau, une chaîne d'hôtel à prestation de qualité et à prix économiques, impliquant une exacte identité de prestations et de produits dans chaque hôtel de la chaîne ; qu'en se bornant à déduire du "livret d'exploitation" détaillé remis à chaque gérant, comportant des règles de gestion d'un hôtel dont elle relève elle-même "qu'elles vont de soi", l'existence d'une subordination propre au contrat de travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 121-1 du Code du travail ; 2°) que le contrat de mandat de gérance est distinct du contrat de franchise, le mandataire-gérant d'un fonds de commerce n'étant pas le propriétaire du fonds qui reste la propriété du mandant, alors que le franchisé est propriétaire de son fonds ; que le mandant, propriétaire du fonds, est donc fondé à poser des exigences précises, propres à assurer la conservation de son bien ; qu'en appréciant la portée des obligations du mandataire-gérant au regard de la situation d'un contrat de franchise, inapplicable à l'espèce, la cour d'appel a violé l'article 1984 du Code civil ; 3°) que faute de constater que les exigences et observations faites par le directeur d'exploitation de la chaîne, salarié d'encadrement sans aucun pouvoir de direction au sein de B&B, dans des messages indépendants des documents contractuels, aient eu le moindre caractère contraignant, en droit ou en fait, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 121-1 du Code de travail ; 4°) que ne constitue pas à elle seule, la caractéristique d'un pouvoir disciplinaire propre à un employeur, la stipulation d'une clause de résiliation contractuelle dans le contrat de mandat, une telle clause étant au demeurant réputée écrite dans tous les contrats ; que la cour d'appel a violé les articles 1134, 1184 du Code civil et L. 121-1 du Code du travail ; 5°) que la cour d'appel a dénaturé le contrat en énonçant que la société B&B aurait eu contractuellement le pouvoir d'exercer des "représailles", aucune clause de ce type, autre que la clause de résiliation de plein droit pour inexécution, ne figurant dans le contrat ; que la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ; 6°) que le lien de subordination suppose l'exercice par l'employeur d'un pouvoir disciplinaire, pouvant se traduire par diverses sanctions, pouvant aller jusqu'au licenciement ; que lorsque l'objet du litige est la requalification d'un contrat de mandat en contrat de travail, une telle requalification n'est possible que si, effectivement et concrètement, un pouvoir disciplinaire a été exercé ; que l'arrêt attaqué ne constate pas qu'un tel pouvoir ait jamais été donné à la société B&B ni exercé, et relève au contraire qu'aucune sanction n'a jamais été effectivement appliquée ; qu'ainsi, la stipulation d'une clause résolutoire n'étant pas caractéristique d'un pouvoir disciplinaire et en l'absence de tout pouvoir disciplinaire exercé par le prétendu employeur, la requalification en contrat de travail n'était pas possible ; que la cour d'appel a violé les articles L. 121-1 du Code du travail et 1134 du Code civil ; 7°) que l'appréciation d'un éventuel lien de subordination, en cas de demande de requalification d'un contrat de mandat en contrat de travail, ne peut se faire qu'au regard de l'ensemble des éléments en présence, y compris ceux militant en faveur de l'indépendance du mandataire, la requalification ne pouvant être éventuellement opérée qu'après une balance faite entre les éléments d'indépendance et les éléments de subordination ; que la cour d'appel, qui s'est bornée à mettre en exergue les éléments propres à l'existence d'une chaîne d'hôtels et destinés à assurer la nécessaire identité des hôtels, ainsi que la bonne conservation des fonds de commerce confiés aux mandataires-gérants, pour en déduire l'existence d'une subordination, sans examiner à aucun moment les éléments démontrant à l'inverse l'indépendance du mandataire et son autonomie dans son organisation soulignés par la société B&B, à savoir la possibilité d'organiser librement son temps, au besoin en déléguant ses fonctions, le choix totalement libre de ses congés, le choix totalement libre de son personnel, en quantité et en qualité, la possibilité d'organiser librement sur le plan juridique et pratique sa propre situation au sein des sociétés mandataires ayant contracté avec B&B (possibilité se traduisant, en pratique, par des choix extrêmement variés selon les gérants notamment quant à leur rémunération - importance du salaire, avantages en nature, dividendes, choix du régime fiscal - BNC, IRPP -), et qui a ainsi omis de procéder à la mise en balance de l'ensemble des éléments caractérisant la situation des mandataires-gérants a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du Code civil et L. 121-1 du Code du travail ; 8°) que la société B&B faisait clairement valoir que sur les 17 demandeurs à l'instance, un certain nombre d'entre eux (par exemple Mmes Gaine, Oudart, Bourgeois et Colmard) n'avaient jamais contracté avec la société Galaxie, n'avaient jamais été désignés comme mandataires-gérants des hôtels, n'étaient pas représentants légaux des sociétés gérantes, n'avaient donc aucun lien juridique d'aucune sorte avec la société B&B, et n'avaient été engagés que par les sociétés de gestion elles-mêmes et leurs dirigeants, et qu'ils étaient - éventuellement - salariés ou associés uniquement au sein de ces structures dont la fictivité n'a pas été consacrée ; qu'en l'absence de tout lien de droit ou de fait quelconque avec B&B, ils ne pouvaient se prétendre salariés de cette dernière ; qu'en s'abstenant totalement de s'expliquer sur ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 9°) qu'à supposer que les gérants des hôtels, avec lesquels la société B&B avait contracté, fussent les salariés de cette dernière, cette qualité n'emportait pas automatiquement la qualité de salarié de B&B pour le personnel ou les associés des sociétés mandataires, recrutés librement, dans le cadre d'une structure sociale dont la réalité n'est pas déniée par les juges du fond ; que la cour d'appel a violé l'article L. 121-1 du Code du travail et l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que le travail au sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail ; que l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs ;

Et attendu qu'appréciant les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, parmi lesquels le livret d'exploitation détaillé systématiquement joint aux contrats de gérants-mandataires et les courriels adressés tant aux gérants-mandataires qu'à leurs épouses ou compagnes, la cour d'appel après avoir relevé que ces personnes travaillaient sous l'autorité et le contrôle direct de la société B&B, qu'elles devaient impérativement respecter les normes et standards de la chaîne, selon le livret annexé sans pouvoir y déroger, qu'elles ne disposaient d'aucune liberté en matière de fixation des prix et de choix des clients, de procédure d'accueil, de promotion, de publicité et de tenue de la comptabilité, qu'elles devaient suivre les directives de la société B&B qui en contrôlait la bonne exécution en pratiquant des inspections suivies de remontrances et en menaçant de représailles ceux qui ne respecteraient pas ces instructions, et de résiliation du contrat ceux qui voudraient être indépendants dans leurs décisions commerciales ; qu'ayant ainsi fait ressortir l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné, elle a pu décider, par motifs propres et adoptés, sans encourir les griefs du moyen et abstraction faite d'un motif erroné mais surabondant justement critiqué par la deuxième branche du moyen que les gérants-mandataires et leurs épouses ou compagnes étaient liés à cette société par un contrat de travail ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen dirigé contre l'arrêt du 15 mai 2007 : - Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce moyen qui ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Sur le quatrième moyen dirigé contre l'arrêt du 4 novembre 2008 : - Attendu que la société fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de sa demande tendant à voir déclarer prescrite la demande de congés payés sur heures supplémentaires formée pour la première fois en 2007, alors, selon le moyen, que l'effet interruptif de prescription attaché à une demande en justice ne s'étend pas à une demande différente de la première par son objet ; que la demande de congés payés sur heures supplémentaires formée pour la première fois devant la cour d'appel dans des conclusions datées de novembre 2007, soit plus de cinq ans après la date d'exigibilité de ces sommes, n'a pu bénéficier de l'effet interruptif de la prescription attaché à la citation prud'homale initiale ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 143-14 devenu L. 3245-1 du Code du travail et 2277 du Code civil ;

Mais attendu que la prescription a été interrompue par la saisine du conseil de prud'hommes même si certaines demandes ont été présentées en cause d'appel ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le cinquième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches : - Attendu que la société fait grief à l'arrêt d'avoir dit que l'ensemble des dirigeants de droit des sociétés avec lesquelles elle a conclu des contrats de gérance-mandat pouvaient prétendre à la qualification de cadres niveau V, échelon 3 et que leurs épouses pouvaient prétendre à la qualification de chef de service niveau IV, échelon 1 au sens de l'annexe 4 de la Convention nationale des hôtels, cafés et restaurants dès leur entrée en fonction en cette qualité au sein des mêmes sociétés, alors, selon le moyen : 1°) que la qualification professionnelle dépend des fonctions réellement exercées par le salarié ; qu'en se bornant à déduire des seules obligations stipulées dans le contrat de mandat-gérance, la conséquence automatique que les dirigeants de droit des sociétés ayant conclu de tels contrats pouvaient prétendre au statut de cadre niveau V, échelon 3, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'annexe 4 de la Convention collective nationale des hôtels, restaurants et cafés et 1134 du Code civil ; 2°) qu'aux termes de l'annexe 4 de la convention collective, les salariés bénéficiant du statut cadre niveau V, échelon 3, disposent non seulement d'un large pouvoir d'initiative et de décision concernant l'élaboration des programmes applicables dans leurs établissements mais également d'une autonomie dans la gestion de leurs établissements ; qu'en l'espèce, l'arrêt du 15 mai 2007 - si les moyens articulés contre cet arrêt sont rejetés - a relevé que le livret d'exploitation détaillait de façon "hypocondriaque" des directives extrêmement strictes de sorte que les mandataires-gérants n'avaient aucune liberté de manœuvre, ni aucune maîtrise de leurs méthodes d'exploitation ; qu'en leur attribuant néanmoins le statut de cadre niveau V, échelon 3, bien qu'il ressortît de ses propres constatations alors définitives que ceux-ci ne disposaient ni de l'autonomie, ni du pouvoir de décision nécessaires pour prétendre à cette qualification, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard de l'annexe 4 de la Convention collective nationale des hôtels, restaurants et cafés ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui ne s'est pas bornée à analyser les obligations nées du contrat de gérance, appréciant les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, a pu décider, en se fondant sur les fonctions réellement exercées, que les gérants devaient bénéficier de la qualification de cadres niveau V, échelon 3, selon la classification de l'annexe 4 de la Convention collective nationale des hôtels cafés restaurants dès leur entrée en fonction et que leurs compagnes ou épouses devaient bénéficier de la classification d'assistante de direction selon cette même classification ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur la recevabilité des sixième et septième moyens réunis examinée d'office après avertissement donné aux parties conformément à l'article 1015 du Code de procédure civile : - Vu l'article 150 du Code de procédure civile ; - Attendu que la cour d'appel, après avoir dit que le temps de travail effectif des mandataires gérants, seuls ou en couple, était de 106,50 heures hebdomadaires, a, dans son dispositif, fixé en principe à cette durée le travail effectif hebdomadaire "sous réserve de ce qui pourra être découvert par l'expert désigné" ;

Attendu que les moyens dirigés contre un arrêt qui se borne, dans son dispositif, à fixer un temps de travail effectif sous réserve d'une expertise à venir, ce dont il résulte qu'il ne tranche pas une partie du principal, ne sont pas recevables en application des dispositions de l'article 150 du Code de procédure civile ;

Sur la recevabilité du neuvième moyen examinée d'office après avertissement donné aux parties conformément à l'article 1015 du Code de procédure civile : - Vu les articles 606 et 608 du Code de procédure civile ; - Attendu qu'il résulte de ces textes que sauf dans les cas spécifiés par la loi, les jugements en dernier ressort qui ne mettent pas fin à l'instance ne peuvent être frappés de pourvoi en cassation indépendamment des jugements sur le fond que s'ils tranchent dans leur dispositif tout ou partie du principal ;

Attendu que la cour d'appel qui a relevé qu'aucune des démissions ou résiliations des contrats ne pourront être requalifiées en licenciements sans cause réelle et sérieuse avant qu'il ne soit définitivement jugé que les salariés étaient bien titulaires de créances salariales sur leur employeur aux dates de ces démissions et résiliations, n'a pas tranché la demande de requalification des ruptures de contrats dans son dispositif ; que le moyen n'est pas recevable ;

Mais sur le cinquième moyen, pris en sa première branche : - Vu la Convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants, HCR du 30 avril 1997, étendue par arrêté du 3 décembre 1997 JORF 6 décembre 1997 ; - Attendu que l'arrêt attaqué retient que les salariés ont la qualité de cadre niveau V, échelon 3, de la convention collective susvisée dès leur entrée en fonction dans les hôtels B&B ; qu'en statuant ainsi alors que la cour d'appel, qui s'est fondée sur cette convention collective pour accorder une classification se rapportant à une période antérieure à sa date d'entrée en vigueur et qui a fait produire à ce texte un effet rétroactif qu'il n'a pas, a violé le texte susvisé ;

Et sur le huitième moyen : - Vu l'article 455 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour fixer à deux heures la durée du travail effectif réalisé par les salariés au titre des astreintes de nuit, l'arrêt retient que les interventions réelles ne pouvaient être valorisées qu'à concurrence de deux heures par nuit compte tenu d'une part, des difficultés de certains clients à s'adapter à une gestion automatisée de l'accès à leurs chambres et d'autre part, des incidents auxquels ont pu faire face ces gérants dans des zones d'agglomération difficiles ; qu'en statuant ainsi, sans aucune analyse ni des éléments fournis par la société B&B, ni des éléments que les gérants devaient rapporter quant à la réalité de leur travail effectif de nuit, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ; Et vu l'article 627 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs : Casse et annule, mais seulement en ce que l'arrêt a fait application de la convention collective des hôtels cafés restaurant dès l'entrée en fonction de Mme Billod-Laillet et des 16 autres personnes dans les hôtels B&B sur une période antérieure à son entrée en vigueur et qu'il a fixé à deux heures par nuit la durée du travail effectif réalisé au titre des astreintes de nuit, l'arrêt rendu le 4 novembre 2008, entre les parties, par la Cour d'appel d'Angers. Dit n'y avoir lieu à renvoi du chef de l'application de la convention collective des hôtels cafés restaurant ; Dit que la convention collective des hôtels cafés restaurant leur est applicable à compter du 6 décembre 1997 ; Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Caen pour qu'il soit statué sur la fixation de la durée du travail effectif réalisé pendant les astreintes de nuit.