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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 27 novembre 2008, n° 06-20393

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Thorel

Défendeur :

Papeteries du Rhin (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Simon

Conseillers :

MM. Fohlen, Jacquot

Avoués :

SCP Blanc Amsellem-Mimran Cherfils, SCP Liberas-Buvat-Michotey

Avocats :

Mes Joly, Rosselot, Willm

T. com. Marseille, du 16 nov. 2006

16 novembre 2006

Exposé du litige

Les faits :

Selon contrat du 23 juillet 1998, Olivier Thorel est devenu l'agent commercial de la société Papeteries du Rhin avec mandat de commercialiser auprès de sa clientèle différentes gammes de papiers. Le mandat a été consenti pour une durée indéterminée pour le territoire national.

A la fin de l'année 2004, la société Papeteries du Rhin a décidé d'augmenter le tarif des produits commercialisés par l'intermédiaire d'Olivier Thorel. Ce dernier a répercuté la hausse auprès des clients et a informé le 26 janvier 2005 la société Papeteries du Rhin des difficultés rencontrées auprès d'eux tenant également à l'abandon de certains produits. Selon courrier recommandé du 29 mars 2005, Olivier Thorel sollicitait de la société Papeteries du Rhin de revoir ses tarifs à la baisse mais cette dernière s'y refusait selon courrier en réplique du 3 mai 2005 expliquant que les sociétés concurrentes s'étaient trouvées dans l'obligation d'augmenter à leur tour leurs propres tarifs.

La procédure :

Considérant qu'il n'était plus en mesure d'exécuter son mandat d'agent commercial, Olivier Thorel a assigné la société Papeteries du Rhin en paiement des indemnités compensatrices et de préavis prévues aux articles L. 134-11 et L. 134-12 du Code de commerce. Selon jugement du 16 novembre 2006, le Tribunal de commerce de Marseille l'a débouté au motif que la société Papeteries du Rhin n'avait pas manqué à ses obligations de collaboration, d'information et de loyauté et n'avait pas cherché à nuire à son agent.

Olivier Thorel est appelant du jugement selon déclaration du 4 décembre 2006. Prenant acte du jugement et de l'appel, la société Papeteries du Rhin notifiait par courrier recommandé du 18 décembre 2006 à Olivier Thorel la rupture du contrat et lui réclamait par retour l'ensemble des documents commerciaux relatifs à la société.

Dans ses conclusions d'appelant du 19 juillet 2007, Olivier Thorel expose que :

- seule une faute grave peut priver l'agent commercial des indemnités compensatrice et de préavis;

- la société Papeteries du Rhin a fait valoir ses griefs a posteriori après l'engagement de la procédure;

- au demeurant ils sont infondés, la société Papeteries du Rhin ne versant aucune pièce à l'appui de ses dires;

- il n'a disposé que de quatre jours ouvrés pour annoncer l'augmentation à la clientèle compte tenu des fêtes de fin d'année ;

- il a apporté l'essentiel de la clientèle et s'est impliqué dans la qualité des produits commercialisés par la société Papeteries du Rhin;

- elle ne conteste pas la perte de commissions subie qui au 29 mars 2005 était de 53 %;

- elle ne justifie pas l'augmentation du coût des matières premières qu'elle allègue et aucun événement particulier n'explique la hausse brutale décidée le 15 décembre 2004 par la société Papeteries du Rhin avec effet au 1er janvier 2005;

- cette augmentation pouvait être modulée et les concurrents de la société Papeteries du Rhin ont d'ailleurs procédé de la sorte;

- en la maintenant, la société Papeteries du Rhin ne pouvait ignorer le préjudice qu'elle causait à son agent;

- paradoxalement la société Papeteries du Rhin a connu en 2005 une hausse spectaculaire de son chiffre d'affaires, et de son résultat bénéficiaire;

- de manière tout aussi étonnante, elle s'est montrée réticente à l'égard des nouveaux clients démarchés alors qu'Olivier Thorel tentait de reconstituer la clientèle;

- en réalité, la société Papeteries du Rhin avait décidé, selon réunion de son conseil d'administration du 9 décembre 2004 de recentrer ses activités et d'adapter sa production en fonction des besoins du groupe Paul, nouvel actionnaire.

Olivier Thorel conclut à l'infirmation du jugement déféré et au paiement par la société Papeteries du Rhin des sommes de 11 454 euro à titre d'indemnité de préavis, de 97 903 euro au titre de l'indemnité de cessation de mandat et de 6 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans ses conclusions responsives du 19 décembre 2007, la société intimée soutient pour sa part que:

- Olivier Thorel a démarché la clientèle essentiellement par fax et téléphone;

- les hausses des produits consommables ont fragilisé sa situation financière en 2004;

- elle a informé Olivier Thorel dès novembre 2004 de ses difficultés et la hausse du 16 décembre 2004 relève d'une saine gestion;

- Olivier Thorel n'a pas estimé utile de se déplacer pour l'expliquer à la clientèle et ne s'est pas impliqué dans la qualité des produits;

- les sociétés concurrentes Sonoco et Corenso ont procédé à des hausses similaires et la société Papeteries du Rhin n'a fait que s'adapter à la situation économique;

- Olivier Thorel a exigé pour le client San Marco des conditions de vente totalement injustifiées que ne pouvait accorder la société Papeteries du Rhin;

- il s'est livré à des actes de concurrence déloyale en demandant à la société Grégoire de s'aligner sur les tarifs de la société Papeteries du Rhin.

La société intimée conclut à la confirmation du jugement déféré et au paiement par l'appelant d'une indemnité de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 octobre 2008.

Discussion

La réalité du mandat n'est pas discutée, ni sa durée soit sept années. L'article L. 134-12 du Code de commerce prévoit qu'en cas de cessation des relations, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice dont il ne peut être privé qu'en cas de faute grave ou si la cessation des relations procède du seul fait de l'agent commercial.

Il ressort de l'échange de lettres et de télécopies intervenu entre les parties que la société Papeteries du Rhin a d'une part décidé brutalement une hausse de ses tarifs et d'autre part un recentrage de ses activités par abandon de certains produits et de certains clients. En effet nonobstant une réunion préparatoire de novembre 2004, le nouveau barème et la suppression de produits n'ont été communiqués à l'agent commercial qu'au 15 décembre 2004, ne lui laissant, compte tenu des fêtes de fin d'année, que quelques jours pour contacter la clientèle et la convaincre du bien-fondé de la nouvelle politique économique de la société.

Ce faisant, elle ne pouvait sérieusement ignorer les conséquences qui en résulteraient pour son agent et qui ont été immédiates puisque dès mars 2005, Olivier Thorel avait perdu 53 % de son chiffre d'affaires. Le mandat d'agent commercial étant un mandat d'intérêt commun, la société Papeteries du Rhin devait prendre toutes mesures utiles pour atténuer les effets de sa décision vis-à-vis de son agent quant bien même elle demeure libre de réorienter sa stratégie commerciale. Nonobstant les demandes réitérées d'Olivier Thorel exprimées dans ses courriers des 20 avril, 10 et 30 juin 2005, la société Papeteries du Rhin a persisté dans son attitude rigoriste et c'est vainement qu'elle explique que ses concurrents ont finalement dû se résoudre à procéder aussi à des hausses de tarifs alors que celles-ci sont intervenues plus tard ce qui démontre à tout le moins qu'elles pouvaient être modulées. Olivier Thorel était donc fondé à tirer toutes conséquences utiles et faire constater judiciairement que sa mandante ne lui permettait plus d'exécuter son mandat.

Convaincue de cette réalité, la société Papeteries du Rhin a tenté pourtant de la contourner en notifiant postérieurement au jugement la résiliation du mandat sur le fondement d'une faute grave qui serait tirée des motifs des premiers juges. Cet argumentaire n'est pas pertinent, la société Papeteries du Rhin tentant a posteriori de justifier une résiliation fautive. En effet:

- alors que le mandat a duré sept ans, elle n'excipe d'aucun courrier et encore moins d'une mise en demeure à son agent faisant état d'un grief quelconque;

- peu importe qu'Olivier Thorel ait démarché sa clientèle par téléphone ou télécopie (ce qui peut s'expliquer par le territoire concédé soit la France entière), l'agent commercial ayant la maîtrise des moyens à mettre en œuvre pour assurer la prospection;

- la visite annuelle de la clientèle opérée avec Monsieur Blanchard directeur commercial dont elle fait grand cas ne constitue aucunement une aide visant à pallier une défaillance de l'agent commercial mais une pratique destinée à fidéliser la clientèle;

- la société Papeteries du Rhin n'a pas été en mesure d'assurer les délais de livraison mettant en péril la relation avec les clients Cerebos et San Marco et alors qu'Olivier Thorel était déjà privé de la moitié de sa rémunération;

- la société Papeteries du Rhin ne conteste pas que lorsque la société Grégoire a cessé la production de tubes, Olivier Thorel a incité ses clients à se fournir auprès de la société Papeteries du Rhin et lui a ainsi apporté cette clientèle de telle sorte que la télécopie fortuite du 21 mars 2006 échangée entre la société Grégoire et Olivier Thorel n'apparait pas significative et ne peut constituer à elle seule la faute grave invoquée par la société intimée et cela est si vrai que cette pièce n'a pas été invoquée par elle dans son courrier de résiliation du 18 décembre 2006.

Le jugement est infirmé et il sera fait droit aux demandes indemnitaires d'Olivier Thorel.

La société Papeteries du Rhin ne discute pas du montant des commissions perçues ni de la durée du préavis dû à l'agent commercial. Elle ne conteste pas non plus les termes du courrier d'Olivier Thorel du 10 juin 2005 lui indiquant qu'il lui faudra "des mois pour reconstituer une clientèle nouvelle, cette dernière ne générant un flux équivalent qu'au bout d'un an et demi voire deux ans". La cour dispose ainsi des éléments suffisants pour arbitrer aux sommes respectives de 97 000 euro et 11 000 euro les indemnités compensatrice et de préavis. L'équité conduit à mettre à la charge de la société Papeteries du Rhin les frais de procédure exposés par l'appelant.

Condamnée à paiement la société Papeteries du Rhin supportera les dépens.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel; Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions; Et statuant à nouveau: Constate la résiliation du mandat d'agent commercial à l'initiative de la société Papeteries du Rhin; Condamne la société Papeteries du Rhin à payer à Olivier Thorel les sommes de : * 97 000 euro (quatre-vingt-dix-sept mille euro) au titre de l'indemnité compensatrice; * 11 000 euro (onze mille euro) au titre de l'indemnité de préavis; * 4 000 euro (quatre mille euro) en application de l'article 700 du Code de procédure civile en première instance et en cause d'appel; Condamne la société Papeteries du Rhin aux dépens tant de première instance que d'appel et autorise la SCP Blanc-Amsellem-Mimran, avoués, à les recouvrer selon les dispositions prévues à l'article 699 du Code de procédure civile.