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Décisions

CA Chambéry, ch. com., 23 mars 2010, n° 09-01211

CHAMBÉRY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Gaudel

Défendeur :

Agence des Alpes (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Robert

Conseillers :

MM. Greiner, Morel

Avoués :

SCP Dormeval-Puig, SCP Bollonjeon-Arnaud-Bollonjeon

Avocats :

Lexalp-Selurl Cochet, Selarl FDA Fallion-Dubreuil

T. com. Annecy, du 24 mars 2009

24 mars 2009

Faits et procédure

Par contrat d'agent commercial du 01/07/2004 la société Agence des Alpes a confié à Mme Dominique Gaudel mandat de rechercher des biens immobiliers à commercialiser ainsi que les acquéreurs potentiels pour ces biens et tous ceux que l'agence aurait mandat de vendre, et ce moyennant le versement d'une commission égale à 25 % du chiffre d'affaires HT réalisé grâce à son concours.

En 2007, les relations entre les parties se sont dégradées.

Par lettre recommandée du 13/09/2007 Mme Gaudel a notifié à la société Agence des Alpes la rupture de son mandat en raison du refus de paiement d'un complément de commission et des mesures vexatoires dont elle estimait avoir fait l'objet de la part de la gérante de l'agence.

Puis, par acte du 15/10/2007, elle a assigné cette société devant le Tribunal de grande instance de Bonneville statuant en matière commerciale aux fins qu'il dise qu'elle était entièrement responsable de la résiliation du contrat d'agent commercial et qu'il la condamne à lui payer diverses indemnités ainsi que le montant des factures demeurant impayées, le tout représentant une somme globale de 646 314,61 euro, outre intérêts.

Par jugement du 24/03/2009 le Tribunal de commerce d'Annecy, substitué par le Tribunal de grande instance, a:

- dit que la résiliation du contrat n'était pas imputable à la société Agence des Alpes,

- débouté Mme Gaudel de toutes ses demandes indemnitaires,

- condamné la société Agence des Alpes à verser à Mme Gaudel la somme de 21 404,69 euro au titre des factures impayées,

- débouté Mme Gaudel de ses autres demandes,

- débouté la société Agence des Alpes de sa demande reconventionnelle,

- condamné Mme Gaudel à verser à la société Agence des Alpes la somme de 1 500 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- condamné Mme Gaudel aux dépens.

Le tribunal a estimé que la rupture du contrat n'était pas imputable à la société Agence des Alpes puisque, d'une part Mme Gaudel ne pouvait se prévaloir d'un droit acquis au paiement d'un complément de commission, le refus de règlement opposé par l'agence n'étant donc pas fautif, et d'autre part, que les mesures vexatoires qu'elle invoquait ne constituaient pas des fautes suffisamment caractérisées ou graves pour justifier une résiliation.

Il a ensuite fait droit à la demande de paiement concernant 4 factures de commission.

En revanche, il a écarté les autres demandes faute d'éléments probatoires suffisants ainsi que la demande de dommages et intérêts.

Il a également écarté la demande indemnitaire formée par la société Agence des Alpes, faute de preuve.

Par déclaration reçue au greffe le 11/06/2009 Mme Gaudel a relevé appel de cette décision.

La clôture de la mise en état a été fixée au 19/02/2010.

Prétentions et moyens des parties

Mme Dominique Gaudel demande à la cour :

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Agence des Alpes à lui payer la somme de 21 404,69 euro, sauf à y ajouter que les intérêts de droit seront dus à compter du 13/09/2007, date de la mise en demeure, ou à tout le moins, à compter du jour de l'assignation et en ce qu'il a débouté la société Agence des Alpes de sa demande reconventionnelle,

- de le réformer pour le surplus,

- de dire que la rupture du contrat est imputable à la société Agence des Alpes,

- de la condamner à lui payer la somme de 48 490 euro au titre du préavis, la somme de 193 961,22 euro au titre de l'indemnité compensatrice du préjudice subi, la somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts du chef de la clause de non-concurrence, la somme de 40 741,73 euro au titre du rattrapage des commissions 2006 avec intérêts de droit à compter du 13/09/2007 et, en tout cas, à compter du jour de l'assignation, ainsi que la somme de 5 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle soutient que les parties ont nové le contrat initial en prévoyant le versement annuel d'un rattrapage de commissions, de sorte que la somme qu'elle réclame à ce titre pour 2006 est bien due.

Elle fait valoir que la rupture du contrat a été provoquée par les fautes commises à son encontre par la société Agence des Alpes, à savoir le non-paiement des commissions de rattrapage 2006 et les mesures vexatoires prises sans raison à son égard: changement de serrures et installation dans un bureau au sous-sol, qui ne lui ont pas permis d'exercer normalement son activité.

Elle ajoute que cette rupture fautive lui donne droit aux indemnités de préavis et compensatrice qu'elle réclame.

Elle estime également pouvoir prétendre à une indemnité pour avoir respecté la clause de non-concurrence, alors que celle-ci était nulle comme stipulée sans contrepartie financière.

Elle se réfère à la décision des premiers juges en ce qui concerne le paiement de ses factures.

Enfin, elle conclut au rejet de la demande reconventionnelle de dommages et intérêts, la rupture étant imputable à l'Agence des Alpes et cette dernière ne justifiant, en tout état, d'aucun préjudice.

La société Agence des Alpes demande à la cour:

- de confirmer le jugement déféré, sauf en ce qu'il a rejeté sa demande reconventionnelle,

- de débouter Mme Gaudel de toutes ses prétentions,

- de la condamner à lui payer la somme de 242 451,22 euro à titre de dommages et intérêts, ainsi que la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle soutient que la rupture est imputable à Mme Gaudel, puisqu'elle en a pris l'initiative sans avoir fait judiciairement consacrer les griefs dont elle se prévalait. Elle fait valoir qu'aucun complément de commission ne lui était dû pour l'année 2006, la preuve d'un accord à ce titre n'étant pas rapportée, les compléments antérieurs ayant été accordés à titre exceptionnel.

Elle conteste avoir interdit l'accès de l'agence à Mme Gaudel, cette dernière ayant toujours été en possession des clés, nonobstant le changement de serrure. Elle soutient aussi que Mme Gaudel a toujours pu occuper les bureaux disponibles, sa présence au rez-de-jardin n'ayant aucun caractère vexatoire, l'un des deux bureaux s'y trouvant étant au demeurant habituellement utilisé par sa gérante.

Elle conteste les indemnités et la facturation réclamées par Mme Gaudel, compte tenu de ce que la rupture ne lui est pas imputable ainsi que des erreurs affectant leur calcul.

Elle rappelle qu'une contrepartie financière n'est pas exigée en matière de clause de non-concurrence concernant un agent commercial, celui-ci n'étant pas un salarié.

Elle souligne qu'elle s'est acquittée de la condamnation prononcée en première instance au titre des factures.

Reconventionnellement, elle fait valoir que la rupture unilatérale et sans motifs du contrat justifie l'allocation à son profit d'une indemnité correspondant au préavis contractuel de trois mois ainsi qu'au préjudice économique qu'elle a subi, équivalent à une année de commissions.

Motifs

1. Sur les demandes de Mme Gaudel

Attendu que l'article L. 134-12 du Code de commerce dispose qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi;

Que selon l'article L. 134-13 de ce même code cette indemnité n'est pas due lorsque la cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent, à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée;

Attendu que Mme Gaudel a, par lettre recommandée du 13/09/2007, pris l'initiative de rompre le contrat d'agent commercial la liant à la société Agence des Alpes, en se prévalant de l'absence de règlement de sa facture de rattrapage des commissions 2006, datée du 29/03/2007, d'un montant de 40 741,73 euro ainsi que de mesures vexatoires ayant consisté à procéder au changement des serrures de l'agence pour l'empêcher d'y pénétrer et à lui attribuer un bureau au sous-sol la privant de tout contact avec la clientèle;

Mais attendu que Mme Gaudel ne justifie pas, par la seule production d'un constat d'huissier établi le 31/03/2007, que les clés de la nouvelle serrure de l'agence ne lui auraient pas été remises dans un temps proche de son remplacement, intervenu l'avant-veille seulement, soit le 29/03/2007, alors qu'elle ne les a jamais ultérieurement réclamées à la société Agence des Alpes et qu'elle les a restituées à cette dernière à la suite de la rupture du contrat; Qu'elle ne saurait non plus utilement se prévaloir de l'attribution qui lui a été faite d'un bureau au rez-de-jardin, au sujet de laquelle elle n'a jamais formulé de réclamation, alors de surcroît que le contrat ne mettait à sa charge aucune obligation de présence dans les locaux de l'agence;

Attendu, en revanche, qu'il résulte des productions et qu'il n'est pas contesté qu'outre la commission de 25 % du chiffre d'affaires HT réalisé prévue par le contrat signé par les parties le 01/07/2004, la société Agence des Alpes a versé à Mme Gaudel, sur présentation d'une facture de rattrapage établie en janvier de l'année suivante, un supplément de commissions basé sur le chiffre d'affaires TTC et ce, tant au titre de l'année 2004 que de l'année 2005;

Que ce versement réitéré sur deux années consécutives établit l'existence d'un accord des parties opérant novation des dispositions initiales du contrat concernant la rémunération de Mme Gaudel, sans que la société Agence des Alpes ne prouve qu'il aurait été limité dans le temps et n'aurait plus été en vigueur en 2006, étant rappelé que le contrat d'agent commercial présentant un caractère mixte, Mme Gaudel peut se prévaloir à l'encontre de la société commerciale mandante de la liberté de preuve du droit commercial;

Que Mme Gaudel était donc en droit de réclamer à la société Agence des Alpes la somme de 40 741,73 euro, correspondant au rattrapage des commissions pour l'année 2006 sur la base du chiffre d'affaires TTC;

Qu'à la suite de la mise en demeure par lettre recommandée qu'elle a adressée à la société Agence des Alpes le 04/09/2007, cette dernière a persisté dans son refus de lui payer cette somme;

Que cette attitude fautive du mandant justifiait l'initiative prise par Mme Gaudel de rompre le contrat par courrier recommandé du 13/09/2007;

Que, contrairement à ce qu'ont décidé les premiers juges, Mme Gaudel a donc droit à l'indemnité compensatrice du préjudice subi prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce;

Que, compte tenu de la durée du contrat, d'environ 3 ans, cette indemnité sera chiffrée à une année de commissions, soit, en se basant sur les recettes figurant sur les déclarations de revenus 2005 et 2006 produites, auxquelles il y a lieu d'ajouter les 40 741,73 euro correspondant au rattrapage 2006 impayé, une somme de 141 481 euro + 153 385 euro + 40 741,73 euro 335 607,73 euro / 2 = 167 803,86 euro, au paiement de laquelle il y a lieu de condamner la société Agence des Alpes;

Qu'il convient également de condamner cette société à payer à Mme Gaudel la somme de 40 741,73 euro, au titre du rattrapage des commissions 2006;

Que, par ailleurs, c'est à bon droit que les premiers juges ont condamné la société Agence des Alpes à payer à Mme Gaudel la somme de 21 404,69 euro au titre des factures 68, 69, 70 et 71, relatives à des prestations intervenues en 2007, non contestées par la société Agence des Alpes;

Que ces deux dernières sommes seront assorties des intérêts au taux légal à compter du 13/09/2007, date de la mise en demeure par lettre recommandée, ainsi que le sollicite Mme Gaudel;

Attendu qu'en revanche, Mme Gaudel ne peut prétendre à une indemnité de préavis dans la mesure où la rupture du contrat résulte de son initiative;

Attendu enfin que l'article L. 134-14 du Code de commerce, qui dispose que le contrat peut contenir une clause de non-concurrence, n'impose pas la mise en place d'une contrepartie financière au profit de l'agent commercial; Que la demande de dommages et intérêts formée à ce titre par Mme Gaudel ne peut donc prospérer;

2. Sur les demandes reconventionnelles, les frais irrépétibles et les dépens

Attendu que la rupture du contrat étant imputable à la société Agence des Alpes, il n'y a pas lieu de faire droit à ses demandes reconventionnelles en dommages et intérêts et au titre de l'article 700 du Code de procédure civile; Attendu que la société Agence des Alpes succombant dans ses prétentions, elle devra payer à Mme Gaudel une somme de 2 500 euro en dédommagement de ses frais irrépétibles de procédure de première instance et d'appel et supportera l'entière charge des dépens;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle et condamné la société Agence des Alpes à payer à Mme Dominique Gaudel la somme de 21 404,69 euro, Y ajoutant, Dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 13/09/2007, Le réforme pour le surplus, Statuant à nouveau, Dit que l'initiative prise par Mme Gaudel de rompre le contrat d'agent commercial qui la liait à la société Agence des Alpes était justifiée par l'attitude fautive de cette société, Condamne la société Agence des Alpes à payer à Mme Dominique Gaudel la somme de 167 803,86 euro au titre de l'indemnité compensatrice du préjudice subi, Condamne la société Agence des Alpes à payer à Mme Dominique Gaudel la somme de 40 741,73 euro au titre du rattrapage des commissions 2006, outre intérêts au taux légal à compter du 13/09/2007, Condamne la société Agence des Alpes à payer à Mme Dominique Gaudel la somme de 2 500 euro en dédommagement de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel, Rejette les autres demandes, Condamne la société Agence des Alpes aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de la SCP Dormeval Puig en ce qui concerne ceux d'appel.