CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 15 juin 2010, n° ECEC1016087X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Veolia Transport (SA), Keolis (SA)
Défendeur :
Transdev (SA), Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, Président de l'Autorité de la concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Fossier
Conseillers :
M. Remenieras, Mme Jourdier
Avoués :
Mes Teytaud, Buret, SCP Fisselier Chiloux Boulay
Avocats :
Mes Donnedieu de Vabres-Tranie, Gastaldy, Lacaze
Pour faire assurer l'exécution de transports réguliers dans le cadre du service public des transports, les collectivités publiques peuvent soit passer des marchés publics conformément au Code des marchés publics, soit confier ces services à des entreprises par voie de délégation de service public, cette dernière formule, qui donne également lieu à mise en concurrence depuis la loi n° 93.122 du 29 janvier 1993, dite loi Sapin, étant le plus souvent utilisée.
Les demandes émanent, selon les cas, de collectivités territoriales, de syndicats intercommunaux, de districts urbains, de communautés urbaines, ou encore de communautés de villes ou de communes.
Trois grands groupes d'envergure nationale ou internationale se partagent la majeure partie du marché français (61 % en 1996, 57 % en 1997 et 61 % en 1998) et sont susceptibles, à côté d'entreprises indépendantes le plus souvent locales, de répondre aux appels d'offres des collectivités :
- la société VIA-GTI, qui a fusionné en 2001 avec la société Cariane et a pris le nom de société Keolis,
- la société CGEA Transport, ayant pour filiale la société CGFTE pour le transport urbain et la CFTI pour le transport interurbain, devenue la société Connex,
- la société Transdev.
Le Conseil de la concurrence a été saisi le 7 juillet 2000 par le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie de pratiques relatives à l'exercice de la concurrence dans le secteur public de voyageurs et, au vu des faits analysés, il a été notamment notifié à la société Keolis, à la SA CGEA Connex devenue Veolia Transport et à la SA Transdev ainsi qu'à la société Keolis trois griefs sur le fondement de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 81 du traité CE :
"Grief n° 1 : à la SA Keolis et à la SA CGEA Connex, de s'être concertées pour limiter le jeu de la concurrence sur les marchés de la CUB de Bordeaux, du district de Rouen et de Châteauroux, de l'agglomération de Toulon et du département du Var, des départements de la Meuse, de la Moselle et des Vosges attribués par les autorités organisatrices des transports entre 1994 et 1999, soit en s'abstenant systématiquement de présenter des offres contre celle qui était titulaire du marché, soit en simulant une concurrence qui n'existait pas en fait en déposant des offres de couverture. Ces pratiques ont eu pour objet et pour effet, d'une part, d'élaborer en commun les stratégies de soumission et de geler la répartition de ces marchés entre ces groupes, d'autre part, compte tenu du faible nombre d'entreprises susceptibles de présenter des offres compétitives au plan technique et financier, d'enlever aux autorités organisatrices la possibilité de faire jouer le jeu de la concurrence lors du renouvellement de ces marchés.
Grief n° 2 : à la SA Keolis et à la SA Transdev de s'être concertées pour restreindre le jeu de la concurrence sur les marchés de Bar-le-Duc, Epernay, Laval, Chalon, Saint-Claude, Oyonnax et Sens attribués par les autorités organisatrices des transports entre 1994 et 1999 en s'abstenant systématiquement de présenter des offres contre l'entreprise membre de l'entente déjà titulaire du marché ou en remettant des dossiers incomplets ou peu offensifs n'ayant à l'avance aucune chance d'être retenus. Ces pratiques ont eu pour objet et pour effet de fixer à l'avance le bénéficiaire de ces marchés et d'empêcher les autorités organisatrices de transport de faire jouer pleinement les règles d'une libre concurrence fondée sur la présentation d'offres pleinement indépendantes découlant du choix autonome de chaque entreprise.
Grief n° 3 : à la SA Keolis, à la SA CGEA Connex et à la société Transdev d'avoir organisé au plan national une concertation pour se répartir les marchés du transport public de voyageurs urbain, interurbain et scolaire venus à échéance entre 1994 et 1999. Cette concertation qui s'est traduite par des rencontres et échanges d'information entre leurs dirigeants a permis à ces groupes d'élaborer au plan national des stratégies communes de soumission et d'en suivre l'application au niveau local. Cette pratique a eu pour objet de déterminer à l'avance l'entreprise bénéficiaire des marchés et pour effet d'empêcher les autorités organisatrices de transport de faire jouer la concurrence".
Au stade du rapport, le rapporteur a considéré que, faute d'éléments suffisamment probants, devait être retirée la partie du grief n° 3 relative à l'entente nationale sur les marchés du transport interurbain et scolaire.
Par décision n° 05-D-38 du 5 juillet 2005, le Conseil de la concurrence a statué comme suit :
"Article 1er : il est établi que les sociétés Keolis, Connex et Transdev ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 81 du traité CE.
Article 2 : sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
· à la société Keolis une sanction de 3 900 000 euro;
· à la société Connex une sanction de 5 050 000 euro;
· à la société Transdev une sanction de 3 000 000 euro.
Article 3 : les sociétés Keolis, Connex et Transdev feront publier les visas, les paragraphes 329 à 336 de la présente décision et les articles 1er et 2 du dispositif de celle-ci, à frais communs et à proportion des sanctions pécuniaires, dans une édition de "la Gazette des communes, des départements et des régions" et dans une édition de "Les Echos". Cette publication sera précédée de la mention : "Décision n° 05-D-38 du 5 juillet 2005 du Conseil de la concurrence relative à des pratiques mises en œuvre par les sociétés Keolis, Connex et Transdev sur le marché du transport public de voyageurs".
Article 4 : les sociétés Keolis, Connex et Transdev adresseront, sous pli recommandé, au bureau de la procédure du Conseil de la concurrence, copie des publications prévues à l'article 3, dès leur parution et au plus tard le 2 décembre 2005."
Par arrêt du 7 février 2006, la cour d'appel de céans a notamment déclaré recevable l'intervention volontaire principale de la Communauté Urbaine de Bordeaux-CUB, a rejeté les recours formés par les sociétés Connex, désormais Veolia Transport, Keolis et Transdev et a débouté la Communauté Urbaine de Bordeaux-CUB de sa demande.
Par arrêt du 9 octobre 2007, la Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre l'arrêt de la cour d'appel par la société Keolis mais, sur le pourvoi formé par la société Veolia Transport l'a cassé et annulé pour défaut de base légale, sauf en ce qu'il a déclaré recevable l'intervention volontaire de la Communauté Urbaine de Bordeaux-CUB et a rejeté sa demande, et a renvoyé l'affaire devant la même cour, autrement composée.
LA COUR :
Vu la déclaration de Saisine déposée par la société Veolia Transport le 8 octobre 2009 tendant à l'annulation et subsidiairement à la réformation de la décision n° 05-D-38 du 5 juillet 2005 du Conseil de la concurrence ;
Vu la déclaration de recours incident sur déclaration de saisine déposée par la société Keolis le 10 novembre 2009 ;
Vu le mémoire déposé le 8 octobre 2009 par la société Veolia Transport, soutenu par son mémoire en réplique déposé le 26 mars 2010 ;
Vu l'exposé des moyens déposé le 7 janvier 2010 par la société Keolis, soutenu par ses mémoires en réplique déposés le 26 mars 2010 ;
Vu le mémoire déposé le 8 janvier 2010 par la société Transdev, intervenante volontaire, soutenu par son mémoire récapitulatif, déposé le 25 mars 2010 ;
Vu le recours déposé le 8 octobre 2009 en application de l'article 5 IV alinéa 2 de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 par la société Veolia Transport contre l'ordonnance du juge délégué par le Président du Tribunal de grande instance de Nanterre qui a autorisé des visites et saisies sur le fondement de l'article 48 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ;
Vu les conclusions d'intervention volontaire déposées par la société Keolis le 20 novembre 2009, soutenues par son premier ainsi que par son second mémoire en réplique déposé le 26 mars 2010 ;
Vu les observations du ministre chargé de l'Economie du 12 février et du 12 mars 2010 afférentes au recours déposé contre l'ordonnance du juge délégué;
Vu les observations du Conseil en date du 11 février 2010 relatives à l'ensemble des recours;
Vu les observations écrites du Ministère public, mises à la disposition des parties à l'audience;
Après avoir entendu à l'audience publique du 6 avril 2010, les conseils des requérantes qui ont été mis en mesure de répliquer ainsi que le représentant du ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'emploi, le Conseil et le Ministère public;
Sur ce :
Sur la recevabilité des recours incidents de la société Keolis et de la société Transdev
Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 615 du Code de procédure civile qu'en cas d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties le pourvoi de l'une produit effet à l'égard des autres même si celles-ci ne sont pas jointes à l'instance de cassation;
Considérant cependant que le seul fait qu'un grief identique d'entente (grief n° 3) ait été reproché à la société Transdev et à la société Veolia Transport ne suffit pas à forger un lien d'indivisibilité susceptible de conduire Transdev, qui n'a pas formé de pourvoi à l'encontre de l'arrêt de la cour, à se prévaloir de la cassation qui est intervenue, dès lors qu'au regard de ce grief, notifié séparément à chacune de ces entreprises, le Conseil leur a infligé, après l'avoir déterminée de manière individuelle, une sanction qui peut être appréciée puis le cas échéant exécutée séparément;
Que, dès lors, le recours incident de la société Transdev sera déclaré irrecevable tout comme celui de la société Keolis qui, en tout état de cause, alors que son pourvoi a été rejeté par la Cour de cassation, se prévaut également à tort d'une situation d'indivisibilité;
Sur le recours la société Veolia Transport contre l'ordonnance d'autorisation de visite et de saisie
Considérant, à titre liminaire, que compte tenu de l'irrecevabilité de leur recours incident, les interventions volontaires des sociétés Transdev et Keolis formées à la suite du recours spécial de Veolia Transport contre l'ordonnance d'autorisation de visite et de saisie en application de l'article 5 IV alinéa 2 de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 seront déclarées irrecevables;
Considérant que l'article 5 IV alinéa 2 de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 dispose : "Si l'autorisation de visite et saisie n'a pas fait l'objet d'un pourvoi en cassation ou si cette autorisation a fait l'objet d'un pourvoi en cassation ayant donné lieu à un arrêt de rejet de la Cour de cassation, un recours en contestation de l'autorisation est ouvert devant la Cour d'appel de Paris saisie dans le cadre de l'article L. 464-8 du Code de commerce, hormis le cas des affaires ayant fait l'objet d'une décision irrévocable à la date de la publication de la présente ordonnance" ;
Considérant que, saisi d'une requête du 23 novembre 1998 du chef de la direction nationale des enquêtes de concurrence tendant à obtenir l'autorisation d'effectuer des visites et saisies en vertu de l'article 48 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, devenu l'article 450-4 du Code de commerce, le juge délégué par le président du Tribunal de grande instance de Nanterre l'a autorisé par ordonnance du 27 novembre 1998 à faire procéder à ces opérations dans les locaux de quatre entreprises dont CGEA Transport, devenue Veolia Transport, opérations qui ont été effectuées par les enquêteurs de la DGCCRF le 17 décembre 1998 et que, par arrêt du 14 juin 2000, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cette ordonnance par la société CGEA devenue Veolia Transport ;
Considérant que la requérante demande à la cour de prononcer l'annulation de cette ordonnance en faisant valoir, à titre principal, qu'à la date à laquelle les opérations litigieuses ont été effectuées, elle n'a pas bénéficié d'un contrôle juridictionnel effectif, en fait et en droit, au sens de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme (CESDH) et comme l'a jugé la Cour européenne des Droits de l'Homme, dans la mesure où le pourvoi en cassation constituait alors la seule voie de recours qui lui était offerte contre la décision d'autorisation de ces opérations;
Qu'elle précise, en outre, que les dispositions précitées de l'ordonnance du 13 novembre 2008 ne satisfont pas non plus aux exigences de la Convention et de la jurisprudence de la Cour européenne au regard d'un recours effectif au moment de l'autorisation des opérations de visites et de saisies et au droit à un procès équitable, dès lors que la nouvelle voie de recours est ouverte tardivement, à un moment où la procédure approche de son terme et alors qu'est intervenue entre-temps une décision de condamnation prononcée par le Conseil ;
Qu'elle ajoute qu'en toute hypothèse, le Conseil s'est déjà prononcé sur le fond, de sorte qu'à l'occasion de l'examen de l'ordonnance d'autorisation, la cour ne peut faire abstraction de la décision de condamnation du Conseil sur la base des documents saisis;
Qu'elle affirme, enfin, que le défaut d'information sur la voie de recours différée ouverte par l'ordonnance du 13 novembre 2008 contre la décision d'autorisation de visites et saisies contrevient également aux exigences de l'article 6 § 1 de la CESDH ;
Que Veolia Transport fait aussi valoir, à titre subsidiaire, que l'ordonnance du magistrat délégué qui a autorisé des visites et saisies en l'absence d'éléments de nature à laisser présumer l'existence des pratiques recherchées et qui est disproportionnée par rapport aux éléments apportés par l'administration, constitués quasi-exclusivement de dossiers d'appels d'offres, non corroborés par d'autres éléments, n'est pas conforme aux dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce;
Mais considérant, concernant en premier lieu le caractère effectif du recours exercé par Veolia Transport, que s'il est vrai que le pourvoi en cassation qui était ouvert à la date de l'ordonnance déférée pouvait être regardé comme insuffisant pour lui assurer un accès à un tribunal répondant aux exigence du procès équitable posées par l'article 6 § 1 de la CESDH, tel n'est plus le cas désormais, dès lors que, préalablement saisie comme en l'espèce, en application des dispositions précitées de l'ordonnance du 13 novembre 2008 du recours en contestation de l'autorisation de visite et saisie, la Cour d'appel de Paris est tenue d'examiner non plus seulement en droit mais aussi en fait, au vu des éléments concrets du dossier, la régularité de la décision d'autorisation de visite et de saisie ;
Qu'en dépit du prononcé entre-temps par le Conseil de la concurrence d'une décision de condamnation, un tel recours satisfait cependant aux exigences de l'article 6 § 1 de la CESDH en ce qui concerne le droit à un procès équitable, dès lors qu'il revient seulement à la cour de vérifier, indépendamment de l'examen du fond de l'affaire et sans que cela implique pour autant une appréciation préalable de sa part sur le bien fondé des griefs et des sanctions, si le juge qui a autorisé les opérations de visites et saisies l'a fait dans les conditions prescrites par l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 450-4 du Code de commerce, au vu de présomptions suffisantes d'une pratique anticoncurrentielle ;
Qu'au surplus, les modalités d'exercice du recours exceptionnel étant clairement précisées à l'alinéa 2 du IV de l'ordonnance du 13 novembre 2008 qui fait expressément référence à l'article L. 464-8 du Code de commerce, la société Veolia Transport n'est pas non plus fondée à se prévaloir d'un défaut d'information contrevenant aux exigences de l'article 6 § 1 de la CESDH, étant observé qu'elle a de toute façon exercé ce recours ;
Considérant, en second lieu, sur la régularité de l'ordonnance déférée, que l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dans sa rédaction en vigueur à la date du 27 novembre 1998, disposait : "le juge doit vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information de nature à justifier la visite" ;
Considérant, en l'espèce, que le chef de la Direction Nationale d'Enquête de concurrence avait saisi le magistrat délégué sur la base d'un dossier constitué d'indices recueillis par les services d'enquête à l'occasion de plusieurs procédures de mise en concurrence en exposant, dans sa requête, à laquelle étaient annexés les procès-verbaux de communication de documents relatifs à des appels d'offres organisés par des acheteurs publics et qui comportait aussi des informations sur le secteur économique en cause et sur trois leaders et les filiales qui avaient obtenu les marchés :
- que l'examen de huit marchés de transport urbains lancés au cours des années 1996 et 1997 conduisait, au vu des éléments recueillis, à s'interroger sur le comportement des sociétés Connex, Keolis et Transdev qui détenaient alors plus de 60 % du marché;
- que ces éléments concernaient des procédures de mise en concurrence dans environ huit agglomérations et révélaient des comportements similaires;
- qu'à une seule exception près, dans chacun de ces marchés, deux ou trois des entreprises "leaders" avaient déposé des candidatures soit directement, soit par l'intermédiaire de filiales;
- que cependant alors même que les candidatures avaient été retenues, seule la société titulaire du précédent marché avait déposé une offre, l'autre candidat ou les autres candidats se désistant notamment pour des motifs peu crédibles;
- que ces désistements intervenus après agrément des candidatures, et donc manifestation d'un intérêt à obtenir le marché, mais avant le dépôt des offres, ont eu pour conséquence de contraindre l'organisateur de la procédure à négocier la seule offre déposée, réduisant tant son choix que ses possibilités de négociation qui n'ont pu être menées qu'avec le seul précédent titulaire du marché;
- que ces constatations conduisaient les enquêteurs à présumer des pratiques d'entente entre les leaders du marché et justifiaient afin d'éviter la disparition d'éléments de preuve et pouvoir agir de manière efficace en réalisant des visites simultanées dans les locaux des différentes entreprises de présenter au magistrat compétent une demande d'autorisation de visite et de saisie;
Qu'en dépit du prononcé entre-temps par le Conseil de la concurrence d'une décision de condamnation, un tel recours satisfait cependant aux exigences de l'article 6 § 1 de la CESDH en ce qui concerne le droit à un procès équitable, dès lors qu'il revient seulement à la cour de vérifier, indépendamment de l'examen du fond de l'affaire et sans que cela implique pour autant une appréciation préalable de sa part sur le bien fondé des griefs et des sanctions, si le juge qui a autorisé les opérations de visites et saisies l'a fait dans les conditions prescrites par l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 450-4 du Code de commerce, au vu de présomptions suffisantes d'une pratique anticoncurrentielle ;
Qu'au surplus, les modalités d'exercice du recours exceptionnel étant clairement précisées à l'alinéa 2 du IV de l'ordonnance du 13 novembre 2008 qui fait expressément référence à l'article L. 464-8 du Code de commerce, la société Veolia Transport n'est pas non plus fondée à se prévaloir d'un défaut d'information contrevenant aux exigences de l'article 6 § 1 de la CESDH, étant observé qu'elle a de toute façon exercé ce recours ;
Considérant, en second lieu, sur la régularité de l'ordonnance déférée, que l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dans sa rédaction en vigueur à la date du 27 novembre 1998, disposait : "le juge doit vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information de nature à justifier la visite" ;
Considérant, en l'espèce, que le chef de la Direction Nationale d'Enquête de concurrence avait saisi le magistrat délégué sur la base d'un dossier constitué d'indices recueillis par les services d'enquête à l'occasion de plusieurs procédures de mise en concurrence en exposant, dans sa requête, à laquelle étaient annexés les procès-verbaux de communication de documents relatifs à des appels d'offres organisés par des acheteurs publics et qui comportait aussi des informations sur le secteur économique en cause et sur trois leaders et les filiales qui avaient obtenu les marchés :
- que l'examen de huit marchés de transport urbains lancés au cours des années 1996 et 1997 conduisait, au vu des éléments recueillis, à s'interroger sur le comportement des sociétés Connex, Keolis et Transdev qui détenaient alors plus de 60 % du marché;
- que ces éléments concernaient des procédures de mise en concurrence dans environ huit agglomérations et révélaient des comportements similaires;
- qu'à une seule exception près, dans chacun de ces marchés, deux ou trois des entreprises "leaders" avaient déposé des candidatures soit directement, soit par l'intermédiaire de filiales;
- que cependant alors même que les candidatures avaient été retenues, seule la société titulaire du précédent marché avait déposé une offre, l'autre candidat ou les autres candidats se désistant notamment pour des motifs peu crédibles;
- que ces désistements intervenus après agrément des candidatures, et donc manifestation d'un intérêt à obtenir le marché, mais avant le dépôt des offres, ont eu pour conséquence de contraindre l'organisateur de la procédure à négocier la seule offre déposée, réduisant tant son choix que ses possibilités de négociation qui n'ont pu être menées qu'avec le seul précédent titulaire du marché;
- que ces constatations conduisaient les enquêteurs à présumer des pratiques d'entente entre les leaders du marché et justifiaient afin d'éviter la disparition d'éléments de preuve et pouvoir agir de manière efficace en réalisant des visites simultanées dans les locaux des différentes entreprises de présenter au magistrat compétent une demande d'autorisation de visite et de saisie;
Considérant qu'il suffit de constater qu'après avoir écarté les pièces qui ne lui apparaissaient pas utiles à la qualification des présomptions avancées dans la requête de l'administration, le magistrat délégué a énuméré et décrit de manière très précise les autres pièces annexées à cette requête, dont l'origine licite n'est pas contestée, desquelles il a exactement déduit :
- que les faits relevés concernant le marché des transports urbains de voyageurs lui permettaient de présumer des pratiques prohibées en application de l'ordonnance du 1er décembre 1986 mais que la portée de ces présomptions devait être précisée au regard des qualifications prévues par son article 7, points 2 et 4 ;
- qu'au regard notamment de la position des sociétés concernées et de leurs candidatures sur les marchés en cause et de leur comportement, une concertation semble exister sur le marché de transport urbain de voyageurs ;
- que le parallélisme de comportement des entreprises constitue une présomption sérieuse de répartition de marché prohibée par le point 4 de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;
- que, s'agissant du point 2 de l'article 7, le comportement des trois sociétés "leaders" sur le marché du transport urbain de voyageurs laisse présumer l'existence de pratiques ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence qui font obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché;
- qu'ainsi, la portée des présomptions est suffisante au regard des qualifications prévues à l'article 7, points 2 et 4 de l'ordonnance précitée et que la recherche de la preuve de ces pratiques paraît justifiée;
Considérant qu'au rebours de ce que soutient la requérante, le juge délégué a ainsi autorisé l'administration à faire procéder aux visites et saisies en satisfaisant à son obligation de contrôle de la requête qui lui était présentée dans les conditions fixées par les dispositions de l'article 48 l'ordonnance du 1er décembre 1986, en s'assurant de sa recevabilité et de son bien fondé en appréciant le caractère suffisant des présomptions avancées;
Que le moyen n'est pas fondé;
Sur la procédure
En ce qui concerne les pièces saisies:
Considérant que Veolia Transport demande à la cour de prononcer l'annulation de la décision déférée au motif que certains des documents sur lesquels le Conseil se fonde pour retenir sa participation à une entente nationale sur le marché considéré ont été irrégulièrement saisis dès lors qu'ils ne correspondaient pas au champ de l'autorisation accordée par le juge délégué par le Président du Tribunal de grande instance de Nanterre tant en ce qui concerne les contrats en cause que le secteur dans lesquels ils avaient été passés;
Qu'il résulte en effet de l'ordonnance du 27 novembre 1998 que les recherches autorisées par le juge visaient le seul secteur du transport urbain de voyageurs et plus précisément "les pratiques dans la mesure où elles ont été énoncées et présumées par [cette] ordonnance", soit 8 contrats de transport urbains - Nancy, Le Havre, Calais, Cannes-Le Cannet, Caen, Chauny, Lille, département du Calvados - ; qu'à l'exception de deux documents - "Les Rapides de Lorraine Nancy Plan d'action 1998 1999 2000", d'une part, une note de M. Cornil, d'autre part" - les pièces saisies qui lui sont opposées par la décision déférée ne concernent aucun des 8 contrats en cause, de sorte qu'étant irrégulièrement saisies, la décision déférée ne pouvait ainsi s'appuyer sur elles pour caractériser des griefs à son encontre;
Que, concernant ensuite les documents saisis relatifs au transport interurbain, si la décision déférée admet en effet que les documents saisis relatifs aux transports interurbains "portent sur une catégorie de marchés qui n'était pas visée par l'ordonnance (...) ", en soulignant dans le même temps "qu'ils sont utiles à la démonstration des pratiques d'entente dans le secteur du transport public urbain de voyageurs", il n'en demeure pas moins que ces documents sont étrangers à l'autorisation accordée par le juge et que le simple constat que les entreprises concernées "exercent indifféremment leurs activités sur les deux secteurs du transport urbain et interurbain" ne peut suffir à établir un tel lien; qu'à cet égard, la décision déférée se réfère vainement à la circulaire du 18 novembre 1993 qui démontre au contraire que ces deux activités étaient distinctes;
Mais considérant, en premier lieu, que les enquêteurs qui ont procédé à des perquisitions et saisies en vertu de l'ordonnance du Président du Tribunal de grande instance de Nanterre du 27 novembre 1998 n'ont pas excédé le champ de l'autorisation qui leur était accordée en appréhendant des pièces relatives à des marchés de transport concernant d'autres villes que celles expressément désignées dans l'ordonnance, dès lors que cette dernière décrivait des pratiques d'entente commises par des entreprises "dont l'implantation nationale leur a permis d'obtenir des marchés dans des communes situées sur l'ensemble du territoire" et que, au-delà des villes nommément désignées par l'ordonnance, était visé l'ensemble du "marché de transport urbain de personnes" qui pouvait être concerné par les pratiques anticoncurrentielles présumées;
Considérant, en second lieu, que s'agissant des documents saisis relatifs au transport interurbain dont la saisie est contestée par la société Veolia Transport, le Conseil retient à juste titre que, si ces documents, qui illustrent essentiellement une concertation affectant le transport interurbain de personnes, non visé par l'ordonnance, ne peuvent être utilisés afin de fonder un grief d'entente sur ce marché, ils ont pu être régulièrement appréhendés par les enquêteurs et pouvaient demeurer inclus dans le dossier soumis au Conseil, dès lors qu'ils contiennent des éléments éclairants sur la coopération explicite des entreprises dans le secteur du transport urbain, étroitement imbriqué avec celui du transport interurbain ;
Qu'ainsi, n'étant pas établi que les documents saisis ne se rapportaient pas aux pratiques visées par l'ordonnance, les moyens doivent être écartés;
En ce qui concerne la violation des droits de la défense et le principe du contradictoire:
Considérant que Veolia Transport demande à la cour d'annuler la décision du Conseil en ce qu'en violation des droits de la défense et du principe du contradictoire, elle a procédé à une modification radicale et à une extension du grief numéro 3 d'entente nationale qui visait une entente "à trois" et non pas deux ententes bilatérales avec un "pivot" et ne faisait mention ni d'une surveillance des marchés assortie de représailles ni d'un effet de hausse des prix alors que le rapport ne faisait pas état de tels éléments qui ont été retenus à sa charge alors qu'elle n'a pas eu la possibilité d'en débattre contradictoirement;
Mais considérant que le grief d'entente nationale sur le marché national du transport urbain de voyageurs qui a été retenu par le Conseil (point 220 de la décision) à l'encontre de la requérante consiste, comme le grief qui lui a été notifié, en une entente nationale entre les trois sociétés sur le marché du transport public de voyageurs urbain et que les notions de surveillance et de représailles étaient induites par la nature même de la pratique dénoncée;
Qu'il importe peu, de surcroît, que ce grief ait été retenu au terme d'une analyse différente de celle du rapporteur, dès lors qu'il ressort de la décision déférée que tous les éléments sur lesquels le Conseil s'est appuyé figuraient bien au dossier et que Veolia Transport a été mise en mesure d'en prendre connaissance et d'en discuter;
Que le moyen doit être rejeté;
Sur le fond
En ce qui concerne le marché pertinent et la situation d'oligopole :
Considérant qu'il est constant que le marché pertinent est le marché national du transport public urbain de voyageurs et que, sur ce marché, les trois groupes en cause qui occupaient ensemble en 1994 - à compter du mois d'août - en 1995, 1996 et 1997 environ 60 % du marché, étaient en situation d'oligopole;
En ce qui concerne l'entente nationale entre les sociétés Keolis, Connex et Transdev :
Considérant que Veolia Transport poursuit l'annulation de la décision du Conseil en soutenant, à titre principal, qu'il n'a pas démontré sa participation à un cartel sur le marché national du transport urbain de voyageurs dans les conditions exigées par l'arrêt de la Cour de cassation et en faisant valoir, à titre subsidiaire, non seulement que les pratiques qui lui sont reprochées ne sont démontrées ni sur ce marché ni sur le marché local considéré et qu'au surplus c'est à tort que le Conseil a cru déceler une surveillance des marchés ainsi qu'une possibilité de représailles; qu'en effet, ni le plan d'action de CGEA en Lorraine qui concerne un marché connexe non visé par le grief et qui n'est que la manifestation, licite, d'une "veille concurrentielle" liée à l'arrivée d'un nouveau concurrent ni la réunion du 18 avril 1997 entre les représentants de Via-GTI et CGEA, dont l'objet anticoncurrentiel n'est pas démontré, ne permettent d'établir que les entreprises en cause auraient procédé à une surveillance nationale des appels d'offres; qu'en ce qui concerne les représailles qui auraient été exercées à l'encontre des contrevenants à l'entente, la décision est également critiquable en ce qu'elle se fonde exclusivement sur une note interne adressée par le directeur de la Sodetrav, filiale de Via GTI à Toulon à M. Cornil, directeur général de cette société alors que par ailleurs, au vu de cette même note, le Conseil a décidé qu'aucune entente sur le marché du transport urbain de la ville de Toulon n'était établie;
Que la requérante critique également la décision du Conseil en ce qu'il a attribué des effets anticoncurrentiels au prétendu cartel alors que:
- la stabilité des attributaires relevée par la décision peut résulter de la conjugaison du coût de l'élaboration de l'offre et de la prime au sortant constatée à l'époque des faits;
- l'impossibilité dans laquelle se trouveraient d'autres entreprises de faire échec aux trois entreprises mises en cause que croit devoir constater le Conseil ne peut constituer un effet de l'entente dès lors que le Conseil admet qu'il existe un grand nombre de petites entreprises capables, au plan local, de leur faire concurrence et, qu'en outre, les maîtres d'ouvrage disposent d'un important pouvoir de négociation et peuvent précisément avoir recours à des solutions alternatives constituées par le recours à ces petites entreprises ou, le cas échéant à des entreprises étrangères;
- le dossier ne comporte aucun élément permettant d'établir une hausse des prix;
Mais considérant que c'est au terme d'une analyse pertinente que la cour adopte en ses motifs non contraires aux siens, que le Conseil a retenu qu'il ressort du dossier (points 135 à 202 de la décision), concernant le troisième grief notifié, que les trois entreprises mises en cause se sont concertées pour coordonner, de manière explicite, au niveau national, leurs comportements en vue de l'attribution des marchés, relevant à ce titre un faisceau d'indices graves, précis et concordants démontrant leur accord de volonté en ce sens, ensuite que le cartel ainsi mis en place avait un caractère stable et pérenne eu égard aux capacités de surveillance et de représailles dont bénéficiaient ses membres, enfin que l'effet anticoncurrentiel de cette entente résulte du fait que ni les maîtres d'ouvrage ni les autres entreprises n'ont pu faire échec à ces pratiques qui ont eu permis à leurs auteurs d'imposer des prix élevés aux collectivités publiques;
Considérant, en premier lieu, qu'au titre des indices de concertation, il est établi par le dossier :
1°) qu'en 1996 et 1997, les dirigeants de Keolis et de Connex se sont rencontrés à six reprises pour parler de la situation de 22 marchés urbains et qu'une rencontre a eu lieu, le 29 avril 1997, entre le directeur général de Keolis (à l'époque VIA-GTI) et celui de Transdev pour discuter des appels d'offres de Rennes, Saint-Etienne, Nice et Cagnes-sur-Mer;
2°) qu'en 1994 et 1995, Keolis et Connex ont coordonné leurs comportements au plan national pour l'attribution des marchés des villes de Bordeaux à Connex, de Rouen aux filiales de Keolis et de Châteauroux à Connex,
3°) qu'en 1997, Keolis (VIA-GTI) et Transdev ont échangé des informations sur le marché de la ville de Sens préalablement au dépôt des offres et se sont mises d'accord pour "figer les positions" lors de l'attribution de ce marché,
4°) qu'en novembre 1994, Transdev, pour pouvoir négocier à son profit le réseau d'Epernay, a décidé de baisser le niveau de son offre à Bar-le-Duc et de l'abandonner ainsi à Keolis (VIA-GTI),
5°) qu'en juin 1996, Keolis et Transdev ont échangé le marché de la ville de Chalon-sur-Saône, qui a été ensuite attribué à Transdev, et celui de la ville de Laval, qui a été attribué à Keolis,
6°) qu'en 1996 et 1997, Keolis et Transdev ont conclu un pacte de non-agression dans le Jura, le Doubs et l'Ain,
7°) qu'en 1997, Connex (CGEA) a conclu avec Keolis (VIA-GTI) un accord tacite de non-agression sur le marché connexe des transports interurbains et scolaires en Lorraine, prolongeant ainsi une situation de non-concurrence entre les deux groupes au-delà du seul marché du transport urbain de voyageurs ;
Considérant qu'il résulte de ce faisceau d'indices graves précis et concordants que la société Connex devenue Veolia Transport, la société Keolis et la société Transdev se sont concertées deux par deux, de manière bilatérale, pour coordonner leurs comportements dans le cadre des procédures de délégation de service public auxquelles les collectivités publiques avaient recouru pour attribuer certains marchés du transport public urbain de voyageurs et que la participation de la société Connex à une entente au niveau national est démontrée, étant précisé qu'en raison de l'emploi de la méthode du faisceau d'indices, il n'y a pas lieu de déterminer si, pris séparément, chacun des éléments retenus comme indice a un caractère probant;
Considérant, en revanche, qu'il ne ressort pas du dossier que Keolis a entendu contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l'ensemble des participants et qu'elle avait connaissance des comportements matériels envisagés ou mis en œuvre par ces autres participants dans la poursuite des mêmes objectifs ou qu'elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu'elle était prête à en accepter le risque, de sorte que la participation de cette entreprise à une entente à trois n'est pas démontrée;
Considérant, en deuxième lieu, concernant la surveillance des marchés et la possibilité de représailles, que le Conseil a constaté que plusieurs éléments du dossier démontrent que les entreprises en cause ont non seulement utilisé les possibilités offertes par les caractéristiques du marché pour vérifier leur soumission réciproque à la ligne de conduite commune mais encore ont agi de façon volontaire pour améliorer cette vérification et que, par ailleurs, lorsque des événements imprévus sont venus troubler "le jeu", des représailles ont été effectivement étudiées;
Qu'au titre de la surveillance des marchés, tout d'abord, le Conseil a ainsi constaté :
- d'une part, une surveillance de l'arrivée d'un nouveau concurrent (points 49 à 52 et 194 et 195 de la décision) illustrée, en particulier, par le fait que la rédaction du plan d'action de la CGEA en Lorraine - qui constitue le septième indice précédemment énuméré - a été notamment motivée par la menace que faisait courir à l'entente entre les deux groupes présents dans cette région l'arrivée d'un nouveau concurrent; que, dans cette hypothèse, l'entente n'a pas été jugée viable dans le temps, notamment dans la perspective des futurs appels d'offres sur les petits réseaux urbains et que la filiale de la CGEA s'est adressée à la société-mère pour qu'elle définisse une stratégie à partir des éléments fournis sur l'état de la concurrence au plan local et, souligne le document, "dans la perspective d'appels d'offres sur des petits réseaux urbains" ; que le Conseil en a exactement déduit que cette surveillance était assurée conjointement par les filiales et les sociétés-mères, celles-ci pouvant seules décider au niveau national avec les autres groupes des stratégies particulières à mettre en œuvre pour organiser une riposte quand un nouveau concurrent s'annonce sur de nouveaux marchés qui vont s'ouvrir;
- d'autre part, une surveillance nationale des appels d'offres (points 24 et 196 de la décision) attestant que les sociétés-mères ne se sont pas contentées de laisser à leurs filiales locales la surveillance des appels d'offres, comme le démontre:
* le fait qu'au cours d'une réunion du 18 avril 1997, les dirigeants de VIA-GTI et de CGEA se sont directement impliqués dans la coordination de leurs offres à Amiens, et ont observé la procédure de négociation à Auxerre et à Sens, élément qui atteste l'implication des directions générales dans la surveillance de la coopération explicite;
* le fait que les dirigeants des groupes Keolis et Connex ont évoqué ensemble la situation des appels d'offres dans 27 villes réparties sur l'ensemble du territoire (point 136 de la décision concernant la relation du premier indice) ;
Qu'au titre de l'exercice de représailles à l'encontre des contrevenants à l'entente, ensuite, la possibilité d'exercer une rétorsion pour faire pression sur un partenaire récalcitrant est également envisagée, comme cela ressort d'une note (points 42 à 45 et 198 à 202 de la décision) adressée par le directeur de la filiale de VIA-GTI à Toulon, Sodetrav, au directeur général du groupe, étant observé que le fait que le grief d'entente sur le marché de Toulon imputé aux sociétés Keolis et Connex n'a finalement pas été retenu n'interdisait pas au Conseil d'analyser en soi cet élément du dossier, au regard de la seule question de la possibilité de représailles ;
Qu'au surplus, comme le Conseil l'observe à juste titre, le fait que l'alternative proposée à la direction nationale soit la mise en œuvre de représailles sur les marchés qui vont être lancés fin 1997 et en 1998 ou la signature d'un armistice, témoigne clairement du rôle des sociétés-mères qui ont seules le pouvoir de faire respecter les accords entre leurs filiales;
Considérant que l'existence d'une surveillance et des représailles complète ainsi le faisceau d'indices démontrant que l'entente par coopération explicite établie par le Conseil présentait les caractères de stabilité et de pérennité propres au cartel;
Considérant, en troisième lieu, sur les effets de l'entente, que le Conseil qui, ayant démontré l'existence de pratiques ayant un objet anticoncurrentiel, n'était pas tenu en vertu des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 81 du traité CE de caractériser par surcroît les effets de telles pratiques anticoncurrentielles ni, a fortiori, de les chiffrer, a néanmoins constaté, par des appréciations pertinentes que la cour adopte, que l'entente, qui a permis aux entreprises mises en cause, dont Veolia Transport, de préserver leurs positions respectives et a empêché les autres entreprises de le concurrencer, a également affecté les prix du transport urbain;
Considérant concernant tout d'abord la stabilité des attributaires qui a été relevée par le Conseil (points 203 à 205 de la décision) à partir d'une analyse précise de données chiffrées, qu'une telle situation ne peut résulter que de la coopération explicite des entreprises en cause accompagnée d'une surveillance et le cas échéant de représailles, quels que soient par ailleurs le coût de l'élaboration de l'offre et la position de l'entreprise sortante qui sont mis en exergue par la requérante;
Que, concernant ensuite l'impossibilité dans laquelle se trouvent les autres entreprises de faire des offres dans des conditions permettant de concurrencer les entreprises en cause, les allégations de la société Veolia Transport ne sont pas de nature à faire échec aux constatations du Conseil (points 207 à 210 de la décision) - reprises du rapport administratif d'enquête relatives aux résultats des appels d'offres en 1996, 1997 et 1998 - dont il ressort que, lorsqu'un des membres au moins du cartel présente une offre, les entreprises tierces ne sont dans aucun cas capables de l'emporter et qu'à l'inverse, dans les 19 cas où ces dernières emportent le marché face à l'offre de l'une ou de l'autre des entreprises membres du cartel, elles sont reconduites en tant que gestionnaire sortant;
Que, concernant enfin les effets de l'entente sur les prix, rien ne permet non plus de remettre en cause les constatations du Conseil (points 212 à 216 de la décision) desquelles il résulte que les pratiques en cause ne sont pas restées sans effet sur les prix du transport urbain, même si la décision déférée retient que cet impact s'est révélé difficile à mesurer, étant au demeurant observé qu'une concurrence faussée par des ententes de répartition de marchés entraîne nécessairement une pression moindre sur les entreprises pour qu'elles fassent des efforts de prix;
En ce qui concerne la participation de Veolia Transport à une entente locale sur le marché du transport urbain de la CUB de Bordeaux (grief n° 1)
Considérant que la requérante soutient, à titre principal, que faute d'établir une entente tripartite, le grief relatif à sa participation à une application locale, sur le marché du transport urbain de la Communauté Urbaine de Bordeaux (CUB) de l'entente nationale en question étant, de ce fait, privé de tout fondement, et fait valoir, à titre subsidiaire, que l'offre déposée par la société Via-GTI n'étant pas une offre de couverture, sa participation à une entente locale sur le marché du transport urbain de la CUB n'est pas établie;
Considérant, à titre liminaire, qu'il convient de rappeler que le Conseil :
- a justement observé que l'existence, dans les conditions qui viennent d'être rappelées, d'un cartel national associant les entreprises Via-GTI (Keolis), CGEA (Veolia Transport) et Transdev rend, en principe, inutile la vérification de l'existence d'ententes particulières sur certains des marchés locaux où ces entreprises étaient présentes, de telles ententes locales n'étant pas dissociables de la pratique générale du cartel national dont ils ne sont que l'aboutissement, étant observé que le fonctionnement général du cartel n'exigeait pas qu'il soit doublé d'une entente locale sur un marché particulier, seuls les cas dans lesquels le cartel rencontrait des difficultés justifiant que ces cas soient examinés par les entreprises parties à l'entente nationale;
- en a exactement déduit qu'il n'y avait lieu de procéder à l'examen des griefs n° 1 et n° 2 qu'afin de statuer de manière exhaustive sur l'ensemble des griefs notifiés et non, au cas où ils seraient établis, pour sanctionner les entreprises "de manière additionnelle" ;
Considérant que, dans cette limite, sur le bien fondé du grief n° 1, c'est par des appréciations pertinentes que la cour adopte, que le Conseil a décidé qu'il ressort du dossier (Points 32 à 36 et 234 à 238 de la décision) que les entreprises Keolis et Connex ont échangé des informations lors des appels d'offres de la ville de Bordeaux et ont organisé un partage de ces marchés sur la base du maintien des gestionnaires sortants, étant au surplus observé que, même si l'existence d'une entente tripartite dont Keolis serait le pivot n'a finalement pas été établie, les ententes locales n'en demeurent pas moins des applications des ententes bilatérales, notamment entre Keolis et Connex ;
Considérant qu'au rebours de ce que soutient la requérante, dès lors que Via-GTI (Keolis), bien qu'informée de ce que la position de CGFTE (filiale de CGEA devenue Connex puis Veolia Transport), concessionnaire sortant, était contestable, a néanmoins déposé une offre plus chère mais aussi moins bien placée sur tous les critères de choix précisés dans le règlement d'appel d'offres, son offre doit être analysée comme une offre de couverture, conformément à l'accord défini au plan national entre les deux entreprises;
Sur l'affectation du commerce intracommunautaire
Considérant que les articles 81 et 82 - devenus 101 et 102 - du traité CE s'appliquent aux accords horizontaux et verticaux et aux pratiques abusives susceptibles d'affecter les commerce entre Etats membres ; que, selon la communication de la Commission du 27 avril 2004 relative aux lignes directrices relative à l'affectation du commerce figurant aux articles - alors numérotés - 81 et 82 du traité (2004-C 101-07), tel est le cas, en principe, des cartels nationaux qui ont pour effet de consolider les effets de cloisonnement de caractère national et, partant, d'entraver l'interpénétration économique voulue par le traité, les participants à l'entente devant se protéger contre les concurrentes d'autres Etats membres (point 78 de la communication), et, lorsqu'un accord est susceptible, par sa nature même, d'entraver le commerce intracommunautaire, il est présumé affecter sensiblement le commerce dès lors que le chiffre d'affaires réalisé par les parties avec les produits concernés par l'accord excède 40 millions d'euro (point 53 de la communication) ;
Que, dès lors, c'est à juste titre que le Conseil a décidé que les pratiques en cause violaient l'article - alors numéroté - 81 du traité après avoir relevé (points 305 à 310 de la décision) qu'elles avaient consisté à mettre en œuvre un cartel national, sur un marché important, par des entreprises d'envergure internationale qui réalisent un chiffre d'affaires largement supérieur à 40 millions d'euro (800 millions d'euro), et alors qu'il a été constaté que des candidatures avaient été déposées, notamment à Sens, Epernay et Laval, par des entreprise européennes ;
Sur les sanctions
Considérant que Veolia Transport demande à la cour de réduire substantiellement le montant de la sanction prononcée à son encontre par le Conseil qui, au regard de la gravité des faits reprochés, du dommage à l'économie allégué et de sa situation individuelle, n'est pas proportionnée;
Que, selon la requérante, la gravité des faits n'a pas été correctement appréciée par le Conseil dès lors, d'une part, que compte tenu de l'important pouvoir de négociation de l'acheteur public, la structure du marché du transport urbain de voyageurs n'incite pas aux ententes et, d'autre part, que ce marché n'est pas oligopolistique dans la mesure où les trois opérateurs privés mis en cause font face à la concurrence des régies, qui constituent une modalité de gestion laissée à l'appréciation des collectivités concernée qui, au rebours de ce qu'a estimé le Conseil, ne sont pas privées de toute possibilité de choix;
Que, s'agissant du dommage à l'économie, Veolia Transport prétend que c'est à tort qu'en l'absence de démonstration de hausse des prix, le Conseil évoque l'accroissement du coût des obligations des collectivités publiques en la matière et que la décision déférée retient une entrave à la concurrence d'autres entreprises de transport européennes, compte tenu de leur absence manifeste d'intérêt pour le marché français au cours de la période considérée, notamment en raison des coûts salariaux élevés et des contraintes de la réglementation; qu'enfin, le Conseil ne pouvait se référer (point 323 de la décision) à un chiffre d'affaires des trois entreprises mises en cause de 3 Mds d'euro réalisé en 2003 alors que les pratiques poursuivies couvrent la période 1994/1999 et qu'en 1998, ce chiffre d'affaires s'élevait seulement à 800 millions d'euro;
Que, s'agissant enfin de sa situation individuelle, Veolia Transport fait valoir que la décision, qui a mis toutes les entreprises sur le même plan, s'abstient de présenter tout élément d'individualisation la concernant, alors qu'elle était le plus petit opérateur du prétendu oligopole et qu'une seule entente locale lui est reprochée;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 464-2, alinéa 3, du Code de commerce, les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération des pratiques prohibées par le présent titre;
Considérant, concernant la gravité des pratiques, que le Conseil a relevé à juste titre que la constitution du cartel a eu pour objet et pour effet de faire échec au déroulement normal des procédures de dévolution des marchés de transport public organisées par la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et que, compte tenu du très petit nombre d'entreprises en mesure de présenter des offres crédibles pour la gestion de ces services, la limitation de la concurrence a, dans de nombreux cas, supprimé toute réelle possibilité de choix pour les collectivités publiques;
Qu'au rebours de ce que soutient la requérante, ni le fait que les collectivités publiques aient disposé, par ailleurs, de la possibilité de recourir à des régies, qui obéissent à une autre logique économique, ni le plus ou moins grand pouvoir de négociation de ces collectivités ne sont de nature à atténuer la gravité des ententes poursuivies;
Que c'est également avec raison que le Conseil a mis en exergue la dimension nationale de la concertation incriminée mise en œuvre sur un grand nombre de marchés de transport public urbain par des dirigeants nationaux de groupes importants qui ne pouvaient ignorer les nouvelles règles mises en place par la loi du 29 janvier 1993 précitée et dont le comportement était de nature à constituer une malheureuse valeur d'exemple;
Considérant qu'en ce qui concerne le dommage à l'économie, c'est à bon droit que le Conseil a souligné que la concertation opérée par les entreprises en cause est de nature à favoriser la moindre performance des transports publics et qu'elle a accru le coût des obligations des collectivités publiques en la matière, en favorisant par surcroît le cloisonnement du marché national ce qui, au rebours de ce que soutient Veolia Transport, ne peut qu'aboutir à entraver la concurrence d'entreprises établies dans l'Union européenne, peu important par ailleurs l'existence de contraintes objectives inhérentes au marché considéré ;
Qu'au surplus, le Conseil a justement considéré que l'importance du dommage à l'économie devait être également mesuré (point 323) en fonction de la durée des conventions qui, pour les réseaux urbains, sont signées pour une période allant selon les cas de 5 à 10 ans et qu'il devait aussi tenir compte du chiffre d'affaires global réalisé en France par les trois entreprises en cause dans le transport public de voyageurs, soit environ 3 Mds d'euro en 2003, étant observé que ce chiffre d'affaires ne peut, comme le soutient l'appelante, être cantonné pour l'appréciation de l'importance du dommage à l'économie à la période pendant laquelle les pratiques se sont déroulées;
Considérant, enfin, que c'est en vain que la requérante prétend que sa situation individuelle n'a pas été correctement appréciée, dès lors que le Conseil, après avoir constaté que le chiffre d'affaires réalisé en France par la société Connex au titre du dernier exercice connu, 2003, s'est élevé à 101 millions d'euro, a constaté, d'une part, que l'entente spécifique sur le marché de Bordeaux qui lui est imputée, n'a pas été sanctionnée de manière spécifique, n'étant que l'aboutissement de la cartellisation de l'oligopole et, d'autre part, qu'il ressortait du dossier que les trois entreprises mises en cause ont entendu, dans les conditions qui ont été définies plus haut, prendre des parts de responsabilité égales dans le fonctionnement du cartel;
Considérant qu'en l'état de l'ensemble des éléments d'appréciation généraux et individuels ci-dessus indiqués, la sanction pécuniaire de 5 050 000 euro infligée à la société Veolia Transport est proportionnée à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de cette entreprise;
Par ces motifs, Déclare irrecevables les recours incidents et les interventions volontaires des sociétés Keolis et Transdev ; Les condamne aux dépens afférents à leurs recours et à leurs interventions volontaires; Rejette le recours de la société Veolia Transport ; Condamne la société Veolia Transport aux dépens dans les conditions prévues par l'article 639 du Code de procédure civile; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.