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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 10 mars 2010, n° 08-08911

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sport Découverte (SARL)

Défendeur :

QG Com (SARL), Marsily

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pimoulle

Conseillers :

Mmes Chokron, Gaber

Avoués :

SCP Grappotte Benetreau Jumel, SCP Kieffer-Joly-Bellichach

Avocats :

Mes Jonvel, Cohen

T. com. Paris, du 10 avr. 2008

10 avril 2008

Vu le jugement contradictoire du 10 avril 2008 du Tribunal de commerce de Paris (15e chambre),

Vu l'appel interjeté le 5 mai 2008 par la société Sport Découverte,

Vu les dernières conclusions du 10 novembre 2009 de la société appelante,

Vu les dernières conclusions du 30 octobre 2009 de la société QG Com intimée et de Jacques Marsily intervenant volontaire en cause d'appel,

Vu l'ordonnance de clôture du 17 novembre 2009,

Sur ce, LA COUR,

Il est expressément renvoyé pour un plus ample exposé des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux dernières conclusions des parties.

Il sera simplement rappelé que la société QG Com qui commercialise les activités de professionnels de sports à sensation, notamment les sauts en parachute, par un site web " 4000m.com ", est présente sur la première page du moteur de recherche Google et qu'elle a découvert que la société Sport Découverte, dont le site " sport-découverte.com " figure également sur Google, proposerait de façon trompeuse des prestations concurrentes à des prix largement inférieurs et utiliserait sans droit une photographie lui appartenant.

Soutenant qu'après une mise en demeure du 5 février 2007 seule la photographie litigieuse a été retirée du site et se fondant notamment sur un procès verbal de constat d'huissier de justice des 14 février et 30 mars 2007 sur le moteur de recherche, elle a fait assigner le 16 juillet 2007 la société Sport Découverte devant le Tribunal de commerce de Paris en contrefaçon et concurrence déloyale.

Les premiers juges ont condamné la société Sport Découverte à lui payer les sommes réclamées au titre de la contrefaçon et de la concurrence déloyale, à savoir respectivement 2 000 euro et 58 590 euro, outre une indemnité de 2 500 euro au titre des frais irrépétibles, et la défenderesse a été condamnée aux dépens en ce compris les frais de constat.

La société Sport Découverte, qui ne conteste pas être en situation de concurrence avec la société QG Com et utiliser également, comme outil essentiel, son site Internet référencé sur le même moteur de recherche, dénie tout acte de contrefaçon ou de concurrence déloyale et conteste la décision du tribunal.

Elle fait valoir que :

- la société QG Com est irrecevable à agir en contrefaçon pour l'utilisation de la photographie en cause, faute de justifier de sa qualité d'auteur et de droit sur cette photographie,

- Jacques Marsily est irrecevable en son intervention volontaire et en son action en contrefaçon concernant l'utilisation de cette photographie,

- la photographie litigieuse ne présente aucun caractère original,

- elle n'a commis aucun acte de concurrence déloyale,

- subsidiairement, la société QG Com ne justifie d'aucun préjudice,

- en revanche, cette société est de mauvaise foi et a commis des actes de concurrence déloyale à son encontre justifiant l'allocation de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts, outre celle d'une indemnité pour ses frais irrépétibles de procédure.

La société QG Com et Jacques Marsily s'opposent à ces prétentions, faisant valoir que Jacques Marsily est recevable en son intervention et doit bénéficier en sa qualité d'auteur de la photographie en cause de l'indemnité allouée en première instance au titre de la contrefaçon, et demandent pour le surplus la confirmation de la décision déférée ainsi que l'application "en tant que de besoin" de l'article 1154 du Code civil et l'allocation " globalement " d'une indemnité de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile " à Monsieur Marsily d'une part, et à la société QG Com d'autre part ".

Sur l'intervention volontaire en cause d'appel de Jacques Marsily

Il résulte des pièces de la procédure que c'est en réponse à la fin de non recevoir soulevée par la société Sport Découverte pour la première fois en cause d'appel le 19 janvier 2009, au motif que Jacques Marsily serait l'auteur du cliché, que ce dernier est intervenu dans la présente instance le 13 octobre 2009 aux côtés de la société Sport Découverte pour demander que l'indemnité allouée à cette dernière lui soit accordée.

La société Sport Découverte soutient cependant que cette intervention est irrecevable en application des dispositions de l'article 554 du Code de procédure civile, comme soumettant à la cour un litige nouveau.

Or l'acte introductif d'instance vise expressément " l'utilisation d'une photographie sans autorisation de la société QG Com (Article L. 122-1 du Code de la propriété intellectuelle) " et les premiers juges ont statué sur ce point en rappelant que " QG Com ne fonde pas son action concernant ce cliché sur la concurrence déloyale mais bien sur la contrefaçon " et il n'est pas sans intérêt de relever que ce point n'était d'ailleurs pas contesté devant la cour par la société Sport Découverte dans ses premières écritures des 5 et 11 septembre 2008.

En de telles conditions, il doit être considéré que Jacques Marsily, qui n'était ni partie ni représenté en première instance et qui en tout état de cause n'y a pas figuré à titre personnel (étant simplement gérant de la société demanderesse), et dont l'intérêt à agir n'est pas sérieusement contesté, est recevable en son intervention en cause d'appel.

Sur la contrefaçon

La société Sport Découverte prétend que Jacques Marsily est par ailleurs irrecevable à agir "en application des règles propres à la contrefaçon", faute de rapporter la preuve de sa qualité d'auteur et de l'originalité du cliché en cause.

Il sera relevé que la société Sport Découverte indiquait le 22 février 2007:

"Nous avons retiré la photo de notre site car elle vous appartient" même si elle ajoute "Nous n'avons pas vérifié cet élément".

Le seul fait que Jacques Marsily n'ait pas cru devoir agir en son nom en première instance ne saurait ôter toute valeur probante à son attestation du 10 janvier 2008 dûment circonstanciée alors produite par la société QG Com, étant relevé que cette société dont il n'est pas contesté qu'elle utilise et publie sous son nom la photographie en cause précise que son gérant est l'auteur de ce cliché et qu'il en est en fait demeuré propriétaire.

Au contraire la qualité de Jacques Marsily s'avère suffisamment établie. Le cliché litigieux représente de profil deux parachutistes :

- dont seul le visage de profil de l'un apparaît, les cheveux de l'autre semblant presque dans la continuité de ceux du premier,

- vêtus d'une tenue à dominante blanche ou gris-rose, avec un ample sac bleu, rappelant les tons du décor, même si des taches de couleur orangée sont présentes sur l'une des tenues,

- sur fond de ciel présentant un dégradé de bleu au dessus d'une sorte de diagonale et sous laquelle apparaît une étendue de nuages groupés formés de flocons blancs apparaissant comme en relief en dessous des parachutistes, qui ont sensiblement la même inclinaison, créant ainsi une impression 'de profil parfait'.

La société Sport Découverte conteste l'originalité, non caractérisée par les premiers juges, de ce cliché et produit d'autres photographies, dont certaines représentant également deux parachutistes de profil dans les airs, étant observé que:

- le visage des deux parachutistes est le plus souvent visible et presque de face,

- leur tenue ainsi que leur sac de parachute est pour certains à dominante de couleurs vives,

- l'arrière plan constitué par le ciel, certes par nature changeant, comprend soit une étendue pratiquement parallèle uniforme de nuages plus grise, soit une vue partielle du paysage au sol, soit un effet de contre-jour, qui illustrent en fait des représentations manifestement différentes du cliché revendiqué.

Au vu de l'examen auquel la cour s'est livrée, qui démontre que si des éléments composant ce cliché sont effectivement connus, étant fonction des sujets ou du thème à photographier et, pris séparément, appartiennent au fonds commun de l'univers des photographies du saut en parachute en tandem, le choix du positionnement, du point de vue, du cadrage, des couleurs et de l'atmosphère créée par la combinaison telle que représentée, dès lors que l'appréciation de la cour doit s'effectuer de manière globale, en fonction de l'aspect d'ensemble produit par l'agencement des différents éléments et non par l'examen de chacun d'eux pris individuellement, confère au cliché en cause une physionomie propre qui le distingue des autres clichés du même genre et qui traduit un parti-pris esthétique empreint de la personnalité de son auteur, malgré les contraintes du genre.

L'originalité de la photographie en cause est ainsi suffisamment établie et les premiers juges ont justement estimé le préjudice subi du fait de l'utilisation non contestée de cette photographie sans l'autorisation de son auteur par la société Sport Découverte à 2 000 euro, le jugement entrepris devant toutefois être infirmé en ce qu'il a alloué cette somme à la société QG Com.

Sur la concurrence déloyale

Le tribunal a retenu que " le prix spectaculairement bas [...] prix mis par Sport Découverte pour inciter les internautes à cliquer sur le lien conduisant à son site [...] plutôt que sur les autres liens et notamment celui de QG Com [...] par son caractère mensonger, rompt l'égalité des chances entre des concurrents qui devraient s'obliger à un comportement loyal ".

Tout en contestant la force probante du procès verbal de constat de 2007 produit par la société QG Com, l'appelante reconnaît (p. 16 de ses écritures) qu'est démontrée l'existence d'un lien commercial ainsi libellé : " Saut en parachute - Offrez baptêmes, stages partout en France dès 65 euro adrénaline assurée!

- Sport-découverte.com/parachutisme ", étant observé que, même si elle a fait appel à un professionnel pour le rédiger, elle en demeure responsable dans ses rapports avec ses concurrents.

L'appelante critique l'appréciation faite par le tribunal de ce lien, faisant valoir qu'il est normal d'associer l'activité de simulateur de chute libre aux mots clés "saut en parachute" et que le site permet immédiatement de savoir que le prix de 65 euro correspond à la prestation de simulateur de chute libre.

Toutefois, c'est par des motifs exacts et pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont estimé qu'à la seule lecture du lien, qui annonce un prix particulièrement attractif, " le marché du saut en tandem étant en général supérieur à 200 euro ", les internautes ne peuvent imaginer, sans aller sur le site, que celui-ci ne correspond pas à un saut en chute libre mais à la simulation d'un tel saut, et que ce lien est ainsi de nature à induire en erreur de façon déloyale l'internaute qui ouvrira préférentiellement le site de la société Sport Découverte plutôt qu'un autre même si ensuite il est rapidement détrompé.

Par ailleurs, la société Sport Découverte ne peut valablement soutenir que l'internaute qui découvre sur le site une offre de " stage PAC - 735 euro TTC " sait nécessairement que ce montant n'inclut pas les coûts obligatoires, alors que l'information ne lui en est donnée qu'après qu'il ait décidé de passer commande, procédé déloyal qui incite l'internaute à cliquer sur une offre dans la croyance erronée d'un prix global compétitif avant de l'informer que des frais substantiels se rajoutent obligatoirement au coût annoncé de la prestation.

Enfin, si le tribunal a pu constater que les annonces de la société Sport Découverte ne comportent plus de prix susceptibles de tromper le consommateur, l'appelante admet avoir depuis fait figurer sur son site une nouvelle mention : "les tarifs des sports aériens sont identiques à ceux de nos partenaires ainsi nous pouvons vous garantir les prix les plus bas du marché". Il résulte des éléments fournis par un procès verbal de constat du 30 juin 2008 non sérieusement contestés et confortés par un procès verbal postérieur du 26 octobre 2009 (les mots " sauts tandem parachutisme " apparaissant en fait au lieu de " sports aériens ") que la première partie de la phrase jusqu'au mot " identiques " attire l'attention par ses caractères en gras et en rouge, même si effectivement la seconde partie est moins lisible apparaissant en petits caractères noirs, et que si cette mention apparaît dans la partie inférieure de la page elle est placée en tête des informations relatives au site.

Dans la mesure où il n'est pas sérieusement dénié qu'en dépit de cette information a pu être établie l'existence d'une prestation moins onéreuse de la société intimée pour un saut donné, la garantie des prix les plus bas du marché s'avère erronée et de nature à amener fautivement l'internaute à passer commande, étant observé que contrairement à ce que soutient l'appelante, la formulation ne l'incite pas à comprendre qu'il s'agirait des "prix les plus bas possible" pour ses seuls "prestataires".

En réalité, ce procédé, comme les précédents, ne tend qu'à rompre déloyalement ainsi que l'a justement relevé le tribunal l'égalité de chance entre des concurrents qui utilisent le même moteur de recherche pour l'accès à leur site et à leurs offres, étant observé que l'internaute qui se trouvera capté sur un site à raison d'une mention trompeuse ou qui cliquera sur une offre lui apparaissant indûment compétitive ne sera pas nécessairement amené à rechercher d'autres sites après avoir été détrompé alors qu'il a déjà poursuivi très avant sa recherche.

La concurrence déloyale est ainsi suffisamment caractérisée à l'encontre de la société Sport Découverte, laquelle conteste encore la réalité et l'estimation du préjudice subi "représentant la marge brute qu'auraient générés les clients détournés" qui s'établirait selon elle au plus à 2 048,40 euro.

Toutefois le nombre de clients détournés à raison de l'accroche mensongère de la société Sport Découverte retenue par le tribunal, savoir en fait celle d'un client sur cinq, la période qu'il a manifestement prise en compte d'octobre 2006 à mars 2007 dont la réalité est confortée par des constatations d'huissier du 28 octobre 2009, l'investissement admis et le chiffre d'affaires alors attesté par l'expert comptable, justifient suffisamment l'évaluation faite, nonobstant l'argumentation de l'appelante, laquelle au demeurant n'a pu que générer un nouveau trouble commercial par ses actes fautifs de 2008.

Il doit en conséquence être considéré que la somme allouée en première instance répare justement l'entier préjudice subi par la société QG Com.

Sur les autres demandes

Les dispositions de l'article 1154 du Code civil ne peuvent concerner que des intérêts dus pour au moins une année entière, étant rappelé qu'en l'espèce la consignation du montant des condamnations prononcées en première instance a été ordonnée le 1er octobre 2008 par le délégataire du premier président de cette cour et qu'il n'est pas contesté qu'elle a été régularisée.

L'appelante reproche à la société QG Com d'avoir de mauvaise foi modifié avec Jacques Marsily son argumentation et d'avoir elle-même commis des actes de concurrence déloyale en utilisant deux sites Internet sur Google pour la même activité et en proposant sous couvert d'une autre société des prestations illicites d'agence de voyages.

Toutefois, il n'est pas démontré que l'action et la résistance de la société QG Com ou l'intervention volontaire de Jacques Marsily ont revêtu un caractère malin et en conséquence abusif qui ouvrirait droit à indemnité compensatoire.

Par ailleurs, s'il est recommandé de ne pas ouvrir deux sites pour des activités similaires sur le même moteur de recherche, il n'est pas pour autant établi que la présentation momentanée en 2007 par la société QG Com d'un site dédié à une des activités visées dans un autre site constitue un acte fautif préjudiciable alors même que l'appelante n'a cru devoir s'en prévaloir, à son encontre, qu'en cause d'appel.

Enfin la responsabilité de l'intimée et de l'intervenant volontaire ne saurait être recherchée à raison d'actes imputés à une société tiers à la présente instance nonobstant les liens de participation ou de direction les unissant à celle-ci.

Les demandes de l'appelante en dommages et intérêts pour procédure abusive et concurrence déloyale seront donc rejetées.

L'équité commande de faire une nouvelle application de l'article 700 du Code de procédure civile au seul profit de la société QG Com pour ses frais irrépétibles d'appel, et il n'y a pas lieu d'inclure dans les dépens ses frais relatifs aux constats diligentés depuis le jugement de première instance.

Par ces motifs, Reçoit Jacques Marsily en son intervention volontaire; Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a condamné la société Sport Découverte à payer à la société QG Com une indemnité au titre de la contrefaçon; Statuant à nouveau dans cette limite, Condamne la société Sport Découverte à payer à Jacques Marsily la somme de 2 000 euro au titre de la contrefaçon; Y ajoutant, Ordonne, en tant que de besoin, la capitalisation des intérêts dus dans les conditions fixées par l'article 1154 du Code Civil; Déboute la société Sport Découverte de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive et concurrence déloyale; Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation; Condamne la société Sport Découverte aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés par la SCP Kieffer-Joly & Bellichach, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, et à verser au titre des frais irrépétibles d'appel une somme complémentaire de 1 000 euro à la société QG Com.