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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 19 mai 2010, n° 09-02285

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Multipass (SARL)

Défendeur :

Smart & Co (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Fèvre

Conseillers :

MM. Roche, Vert

Avoués :

SCP Hardouin, SCP Gerigny-Freneaux

Avocats :

Mes Woog Lumeau, Tessonnière

T. com. Paris, du 29 janv. 2009

29 janvier 2009

LA COUR,

Vu le jugement du 29 janvier 2009 du Tribunal de commerce de Paris qui, dans un litige en concurrence déloyale entre la SAS Smart & Co, qui commercialise, sous les noms de Weekendesk, puis de Smartbox, des coffrets-cadeaux contenant des "chèques-cadeaux", bons échangeables contre diverses prestations fournies par des tiers, et la SARL Multipass, qui exerce la même activité sous le nom de Wonderbox, a notamment dit qu'il n'était pas prouvé que la SARL Multipass ait été responsable de l'utilisation des mots-clés "weekendesk", "weekenddesk", "week end desk" et "smartbox", mais a dit que Multipass avait commis des actes de concurrence déloyale en utilisant des fichiers appartenant à son concurrent et en faisant l'annonce mensongère de frais de livraison gratuits pour des achats de moins de 100 euro, l'a condamnée à payer à Smart & Co 100 000 euro de dommages et intérêts, lui a fait injonction sous astreinte de supprimer de ses matériels informatiques et de détruire les supports papiers relatifs aux informations confidentielles de Smart & Co, lui en a interdit l'usage, lui a interdit d'exploiter l'annonce "coffret cadeau dès 29,90 euro livraison offerte. Commandez vite un coffret cadeau et profitez de la livraison gratuite" sans proposer une livraison gratuite pour tous les coffrets en vente sur le site, a ordonné l'exécution provisoire et accordé à Smart & Co 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;

Vu les appels des sociétés Smart & Co et Multipass, la jonction des deux affaires, les conclusions du 30 mars 2010 de la SARL Multipass qui demande à la cour d'infirmer partiellement le jugement ; dire qu'elle n'a pas commis d'actes déloyaux envers Smart & Co, n'a pas utilisé les fichiers litigieux ni diffusé de message publicitaire trompeur, n'est pas à l'origine de message de nature à créer la confusion et que l'existence des préjudices de Smart & Co n'est pas démontrée ; condamner Smart & Co à lui payer 30 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile;

Vu les conclusions du 6 avril 2010 de la SAS Smart & Co qui demande notamment à la cour d'infirmer partiellement le jugement ; condamner Multipass à lui payer les sommes de 500 000 euro, 100 000 euro, 100 000 euro et 50 000 euro en réparation de plusieurs préjudices allégués ; ordonner diverses interdictions et publications, et réclament 45 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

Considérant que le tribunal a rappelé les faits, la cour se référant à son exposé;

Considérant que c'est de manière pertinente et par des motifs que la cour adopte que le tribunal a estimé qu'il n'était pas établi que Multipass avait commis des actes de concurrence déloyale par acquisition ou utilisation des mots litigieux, " propriété ", comme l'a dit le tribunal, de Smart & Co;

Considérant certes que Smart & Co rapporte la preuve, par divers constats d'huissier, de l'apparition de liens commerciaux de sa concurrente lors d'une recherche sur les mots-clés litigieux ; qu'entre août 2007 et janvier 2008 le site internet www.wonderbox.fr de la société Multipass apparaissait en lien commercial lorsqu'une recherche était effectuée sur Google ou Msn avec les noms commerciaux et de domaines "smart box", "weekendesk", weekenddesk" et "week end desk" de la société Smart & Co ; que celle-ci affirme que Multipass a réservé lesdits mots-clés auprès de Google et Msn, commettant ainsi un acte de concurrence déloyale;

Mais considérant que l'apparition du lien avec Multipass lorsque ces mots-clés sont saisis ne suffit pas à prouver l'implication de cette dernière, ni à constituer une présomption que Multipass devrait combattre en apportant la preuve contraire ; que les règles de la preuve et de la responsabilité civile, résultant notamment de l'article 1382 du Code civil, ne sauraient être écartées ou inversées en matière informatique;

Considérant qu'outre que Multipass fait état de divers constats d'huissiers effectués en décembre 2007 dont il ressort que les mots-clés litigieux ne renvoyaient pas alors vers le site de Wonderbox, elle fait valoir que dans le cadre du processus de mise en ligne des liens commerciaux Multipass et eSearch Vision sélectionnent la liste des mots-clés destinés à permettre l'apparition du lien commercial sur la page présentée à l'internaute lorsqu'il entre un de ces mots-clés ; que les mots sélectionnés sont acquis auprès des moteurs de recherche pour être intégrés à une liste par eSearch Vision pour le compte de Multipass; que l'annonce qui apparaît est une annonce déposée par eSearch Vision auprès des moteurs de recherche pour le compte de Multipass ; que cette dernière se réfère à un courrier électronique de eSearch Vision du 6 août 2007 précisant qu'aucun mot clé en relation avec les mots litigieux n'avait été acheté par eSearch Vision au profit de Multipass et remarque que les annonces mises en ligne par eSearch Vision au profit de Multipass mentionnaient 2 000 activités alors que les annonces litigieuses n'en mentionnaient que 600; qu'il apparaît tout à fait possible que les annonces litigieuses résultent de l'intervention de tiers ou d'une erreur technique de eSearch Vision; que Smart & Co répond elle-même, en réponse à une accusation de son adversaire, en page 16 de ses conclusions, que l'apparition de ses annonces commerciales lorsqu'on saisissait le mot "dakotabox" sur le moteur de recherche Google était due aux fonctionnalités de recherche étendue de Google et non à l'achat de ce mot clé par Smart & Co;

Considérant toutefois que les moyens nouveaux et notamment l'allégation de fautes nouvelles, à l'appui de la même demande de réparation que celle formulée en première instance, sont recevables en appel ; que Multipass a commis une faute en ne mettant fin en tout cas de manière définitive et permanente puisqu'il résulte des constats précités qu'à certains moments en décembre 2007 les liens litigieux n'apparaissaient pas - au trouble allégué qu'en février 2008 alors qu'elle en avait connaissance depuis août 2007 et qu'elle avait la possibilité de la faire en inscrivant un "mot clé négatif" comme l'a fait Smart & Co à propos du mot clé "dakotabox";

Considérant en ce qui concerne les fichiers que c'est de manière inexacte que la société Multipass soutient que l'argument émis par Smart & Co devant les premiers juges a été soulevé en violation des termes de l'ordonnance du 18 septembre 2007 ; que dans cette ordonnance, le juge rappelait seulement qu'une mesure de séquestre avait été ordonnée par une précédente ordonnance du 26 mars 2007, "les documents saisis ne devant être portés à la connaissance du requérant qu'à l'issu d'un débat contradictoire" ; que l'ordonnance du 26 mars 2007 avait été rendue sur requête et sans débat contradictoire ; mais que celle du 18 septembre a été rendue à l'issue d'un tel débat; que ceci impliquait nécessairement la levée de la restriction; que l'ordonnance du 18 septembre maintenait et complétait la mission de l'huissier; que ceci n'avait de sens que si les parties pouvaient utiliser dans le cadre d'un débat au fond les documents saisis par l'huissier ; qu'adopter la position de Multipass rendrait sans objet, en tout cas priverait de toute efficacité, l'ordonnance du 18 septembre 2007, ce qui ne saurait être admis;

Considérant que le tribunal a justement retenu la concurrence déloyale de Multipass du fait de l'utilisation de fichiers appartenant à Smart & Co ; que Multipass reconnaît elle-même en page 20 de ses conclusions qu'au moins une partie des fichiers saisis chez elle et analysés par l'huissier appartenait à Smart & Co, même si elle en évalue la proportion à seulement 20 % ; que Multipass est responsable des agissements de ses salariés, et ne peut utilement se défendre en déclarant que la présence des fichiers résulte de l'initiative de l'un d'entre eux;

Considérant sur le mensonge publicitaire trompeur que le tribunal a également retenu à juste titre la faute de Multipass ; que le message "coffret cadeau dès 29,90 euro www.wonderbox.fr/livraison offerte. Commandez vite un coffret cadeau et profitez de la livraison gratuite", alors que ladite livraison n'est gratuite que si l'achat est de plus de 100 euro est manifestement trompeur même si l'on peut apprendre aisément ce dernier point au moyen d'une manœuvre supplémentaire ; que l'annonce de Smartbox étant au même prix de 29,90 euro mais sans annonce de gratuité de livraison laissait supposer qu'il y avait un avantage de prix pour Wonderbox;

Considérant sur le préjudice que les agissements de Multipass ont créé un principe de préjudice pour Smart & Co ; que celui-ci est certes limité dans la mesure où, en ce qui concerne le message publicitaire, on apprenait en cliquant sur Wonderbox que les ports n'étaient gratuits que "à partir 100 euro d'achat et par colissimo uniquement" ; qu'en ce qui concerne les fichiers Smart & Co n'apporte pas d'éléments de calcul précis quant à l'impact de leur utilisation; qu'en ce qui concerne le retard apporté à la régularisation de la situation concernant l'affichage des liens commerciaux Multipass a bénéficié de manière parasitaire des investissements de Smart & Co ; qu'elle l'a privée d'une chance d'obtenir de meilleurs résultats et lui a causé aussi un préjudice moral;

Considérant qu'en l'absence de démonstration chiffrée précise de la part de Smart & Co, la cour évalue à 100 000 euro, toutes causes incluses, le montant de son préjudice; qu'il y a lieu de confirmer le jugement, quoique partiellement pour d'autres motifs, la cour en adoptant les motifs non contraires pour le surplus;

Considérant que la cour n'estime pas utile d'ordonner les publications demandées;

Considérant qu'il est équitable d'accorder à la société Smart & Co la somme de 10 000 euro au titre de ses frais irrépétibles ; que la cour reconnaissant la commission de plusieurs fautes de la part de la société Multipass, celle-ci devra les dépens d'appel ;

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris. Condamne la SARL Multipass à payer à la SAS Smart & Co la somme supplémentaire de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile. Déboute les parties de leurs autres demandes. Met à la charge de la SAS Multipass les dépens d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.