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Décisions

Cass. soc., 23 mai 2000, n° 97-42.063

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Mobil Oil française (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gelineau-Larrivet

Rapporteur :

M. Chagny

Avocat général :

M. Martin

Avocats :

SCP Defrénois, Levis, SCP Le Bret-Desaché, Laugier

Cons. prud'h. Rouen, du 3 juill. 1995

3 juillet 1995

LA COUR : - Attendu que, par acte sous seing privé en date du 3 mars 1992, la société Mobil Oil française a donné la gérance d'un fonds de commerce de station-service sis à Petit-Quevilly (Seine-Maritime) à la société Z ; que le bailleur a mis fin, le 14 décembre 1993, avec effet au 31 janvier 1994, au contrat de gérance ; que la procédure de liquidation judiciaire de la société Z a été ouverte le 21 décembre 1993 ; que M. et Mme Z, cogérants de cette société, ont demandé au Conseil de prud'hommes de condamner la société Mobil Oil française à indemniser la rupture des contrats de mandat et de gérance ayant existé entre les parties ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société Mobil Oil française fait grief à l'arrêt attaqué statuant sur contredit (Rouen, 18 mars 1997) d'avoir décidé qu'il y avait lieu à application de l'article L. 781-1 du Code du travail et d'avoir déclaré la juridiction prud'homale compétente pour connaître des demandes des époux Z, alors, selon le moyen, 1°) que les dispositions de l'article L. 781-1 du Code du travail ne s'appliquent pas aux relations nouées entre deux sociétés commerciales ; qu'en l'espèce, il était constant que le contrat de gérance avait été conclu entre la société Mobil Oil française et la société Z, société juridiquement et financièrement indépendante, régulièrement constituée et immatriculée, normalement pourvue d'organes sociaux exerçant l'intégralité de leurs prérogatives et dans le fonctionnement et la gestion de laquelle il n'était pas allégué, et a fortiori démontré, que Mobil Oil se soit à un moment ou à un autre immiscée ; qu'en décidant, dans ces conditions, qu'il y avait lieu à application de l'article L. 781-1 du Code du travail et en retenant la compétence de la juridiction prud'homale, motif pris du caractère fictif de la société Z, la cour d'appel a violé ensemble les articles L. 781-1 et L. 511-1 du Code du travail ; alors, 2°) que ni le fait que Mobil Oil ait prétendument incité à la création de la société Z, ni l'obligation faite aux gérants de cette société de communiquer les statuts et d'informer Mobil Oil des modifications susceptibles d'intervenir dans le contrôle ou la direction de la société, exigences normales et parfaitement justifiées dans le cadre d'un contrat de gérance, ni enfin la faculté de résiliation stipulée en cas de méconnaissance par les gérants de la société des obligations mises à sa charge, sanction habituelle de toute violation du contrat, n'autorisaient à qualifier de fictive ou de société-écran la société Z ; qu'ainsi, en se déterminant par des motifs inopérants, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 781-1 et L. 511-1 du Code du travail ; alors, 3°) qu'en ne caractérisant aucun des éléments du prétendu mandat de fait par lequel les époux Z auraient agi au nom et pour le compte de la société Mobil Oil française, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1984 du Code civil ; alors, 4°) qu'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était invitée, si le fait, par les époux Z, ensuite relayés par M. Y, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Z, d'avoir préalablement saisi le Tribunal de commerce de Paris de demandes, notamment indemnitaires, fondées sur le contrat de location-gérance et sur les accords interprofessionnels, n'avait pas emporté renonciation des époux Z à revendiquer l'application du Code du travail, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 781-1 et L. 511-1 du Code du travail ; alors, 5°) que si la société Z était contractuellement tenue de se fournir exclusivement auprès de la société Mobil Oil en carburants, combustibles, lubrifiants et produits pétroliers connexes, cette société disposait en revanche, aux termes des dispositions claires et précises de l'article 2-2 du contrat de gérance, d'une liberté totale d'approvisionnement auprès des fournisseurs de son choix pour les autres produits et articles vendus et les services, lavages ou autres, fournis à la clientèle ; qu'ainsi, en énonçant que la société Z avait l'obligation de se fournir "presque exclusivement" auprès de Mobil Oil pour les produits autres que pétroliers ou assimilés et de n'utiliser que les produits de la marque dans le cadre de ses activités libres, notamment pour les lavages, la cour d'appel a dénaturé les dispositions susvisées du contrat de gérance, notamment l'article 2-2 du titre II-B, et violé l'article 1134 du Code civil ; alors, 6°) qu'à la seule exception des carburants et combustibles vendus dans le cadre du mandat et faisant l'objet d'une rémunération forfaitaire, la société Z fixait librement les prix et conditions de vente des autres produits et articles vendus, y compris les lubrifiants et les produits pétroliers connexes et des services proposés ; qu'ainsi, en énonçant que le contrat de gérance révélerait l'existence d'un contrôle permanent de Mobil Oil sur les prix pratiqués par le gérant "qui ne pouvait réellement disposer d'une politique personnelle de prix", la cour d'appel a, sur ce point encore, dénaturé les termes clairs et précis des dispositions susvisées du contrat et violé l'article 1134 du Code civil ; alors, 7°) qu'aux termes de l'article 4 du titre III du contrat de gérance, le gérant détermine les jours et heures d'ouverture de la station-service, avec pour seule obligation, en cas de modification, d'en informer Mobil Oil huit jours avant l'application des nouveaux horaires ; qu'ainsi, en relevant, au titre des conditions imposées, que le gérant était tenu de respecter les horaires d'ouverture de la station, la cour d'appel a de nouveau méconnu les termes clairs et précis des dispositions susvisées du contrat et violé l'article 1134 du Code civil ; et alors, 8°) que les conditions d'application de l'article L. 781-1 du Code du travail ne sont pas réunies lorsque le gérant retire de son action libre des revenus suffisants ou "non négligeables" de nature à assurer son indépendance économique ; qu'ainsi, en se déterminant comme elle l'a fait, sur la base de simples affirmations, au demeurant erronées, quant au caractère prétendument peu significatif en terme de chiffre d'affaires de cette activité, sans préciser la part du chiffre d'affaires réalisée par la société Z dans le secteur libre par rapport à l'activité dépendante de vente de carburants et de combustibles, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle de qualification et a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 781-1 et L. 511-1 du Code du travail ;

Mais attendu que, selon le premier alinéa de l'article L. 781-1 du Code du travail, les dispositions de ce Code, qui visent les apprentis, ouvriers, employés, travailleurs, sont applicables, en particulier, aux personnes dont la profession consiste essentiellement, soit à vendre des marchandises ou denrée de toute nature, des titres, des volumes, publications, billets de toute sorte qui leur sont fournis exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise industrielle ou commerciale, soit à recueillir les commandes ou à recevoir des objets à traiter, manutentionner ou transporter, pour le compte d'une seule entreprise industrielle ou commerciale, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par ladite entreprise ;

Attendu que le fait, par les époux Z, d'avoir saisi la juridiction commerciale de demandes formées, avant sa liquidation, au nom de la société commerciale dont ils étaient les cogérants, ne caractérise pas à lui seul la manifestation d'une volonté claire et non équivoque de renoncer aux droits qu'ils pouvaient tenir à titre individuel du Code du travail ;

Et attendu que la cour d'appel, qui, sans dénaturer les documents, a constaté que les époux Z recevaient de la société Mobil Oil française l'exclusivité des carburants et combustibles vendus et la quasi-exclusivité des lubrifiants et produits pétroliers connexes utilisés par la station-service, la vente possible d'autres produits ne pouvant en aucun cas modifier ou porter préjudice aux produits de la marque, que la société Mobil Oil française était propriétaire des locaux dans lesquels s'exerçait l'activité de la station-service et que la vente des produits de la marque Mobil Oil française aux prix fixés par l'entreprise représentait la quasi-totalité du chiffre d'affaires de la station-service, a exactement déduit de ses constatations et énonciations que les époux Z pouvaient se prévaloir des dispositions de l'article L. 781-1 du Code du travail et que la juridiction prud'homale était compétente pour connaître de leurs demandes ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen : - Attendu qu'il est encore reproché à l'arrêt d'avoir évoqué le fond de l'affaire par application de l'article 89 du nouveau Code de procédure civile, alors, selon le moyen, que la faculté d'évocation offerte à la cour d'appel par l'article 89 du nouveau Code de procédure civile suppose que l'affaire soit en état d'être jugée sur le fond ; que tel n'était pas le cas en l'espèce où la société Mobil Oil française n'avait conclu que sur la recevabilité des demandes époux Z et sur l'incompétence ratione materiae de la juridiction prud'homale ; qu'ainsi, en décidant d'évoquer, sans avoir au préalable invité la société Mobil Oil à conclure sur le fond, notamment à l'effet de fournir des explications sur la nature et l'imputabilité de la rupture des relations contractuelles et sur les demandes indemnitaires des gérants fondées sur l'existence d'un licenciement, la cour d'appel a violé l'article 89 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'il résulte de l'arrêt que les époux Z avaient conclu tant sur la recevabilité du contredit qu'ils avaient formé et la nullité du jugement déféré aux juges du second degré, que sur les causes, circonstances et qualification de la rupture des relations contractuelles et leurs demandes pécuniaires ; que, dès lors que ces demandes étaient dans le débat, la cour d'appel a estimé de bonne justice d'évoquer le fond en état de recevoir une solution définitive ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le troisième moyen : - Attendu qu'il est enfin fait grief à l'arrêt d'avoir condamné la société Mobil Oil française à payer aux époux Z des indemnités de préavis et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen, d'une part, que, dans la mesure où, selon l'arrêt, la rupture des relations contractuelles était intervenue à l'initiative de la société Mobil Oil française, la lettre par laquelle cette rupture a été notifiée, datée du 14 décembre 1993, constituait la lettre de licenciement ; que cette lettre comportait l'énoncé du motif justifiant tout à la fois la cessation de l'exploitation de la station-service et la rupture corrélative du contrat de gérance, à savoir "les conditions actuelles d'exploitation et d'environnement" ; que la rupture, ou le licenciement selon l'arrêt, avait donc été notifiée par une lettre motivée, conformément aux prescriptions des articles L. 122-14-1 et L. 122-14-2 du Code du travail ; qu'ainsi, en se déterminant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé ensemble les articles L. 122-14-1, L. 122-14-2, L. 122-14-3 et L. 122-14-4 du Code du travail ; et alors, d'autre part, qu'il résulte des propres motifs de l'arrêt, notamment de la constatation selon laquelle "des modifications survenues dans l'environnement routier immédiat du fonds de commerce ont entraîné pour celui-ci des difficultés importantes pour sa survie... ; que le motif de rupture invoqué, tiré des conditions actuelles d'exploitation et d'environnement, était réel et sérieux ; qu'ainsi, en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations quant à l'existence d'une cause réelle et sérieuse de rupture et a violé les articles L. 122-14-3 et L. 122-14-4 du Code du travail ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui a constaté que la lettre du 14 décembre 1993, par laquelle la société Mobil Oil française s'était bornée à faire connaître aux époux Z sa décision de mettre fin au contrat de location-gérance de la station-service et de reprendre la libre disposition de celle-ci, n'énonçait pas le ou les motifs du licenciement, en a justement déduit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse ; que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.