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Décisions

Cass. soc., 9 juillet 1974, n° 73-11.650

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Shell (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Laroque

Rapporteur :

M. Hertzog

Avocat général :

M. Lesselin

Avocat :

Me Lyon-Caen

Aix-en-Provence, 2e ch., du 30 mars 1973

30 mars 1973

LA COUR : - Sur la première et la deuxième branche du moyen unique : - Attendu que la société Shell française fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir décidé que X, gérant d'une station-service remplissait toutes les conditions exigées par la loi du 21 mars 1941 pour bénéficier de la législation du travail, alors que, d'une part, en raison de l'impossibilité aussi bien théorique que pratique d'appliquer cumulativement la loi du 20 mars 1956 sur la location-gérance des fonds de commerce et la loi du 21 mars 1941 réservée à certaines catégories de travailleurs dont le statut est très voisin de celui des salariés, l'arrêt attaqué ne pouvait juger que X bénéficiaire d'un contrat de location-gérance consenti par la société Shell et régi comme tel par la loi de 1956 pouvait également revendiquer le bénéfice de la loi du 21 mars 1941 qui ne s'applique pas aux locataires-gérants de station-service, alors que, d'autre part, et à titre tout à fait subsidiaire à supposer même que la loi de 1941 soit applicable en l'espèce, X ne remplissait aucune des quatre conditions impérativement exigées par ce texte pour son application, dans la mesure où en premier lieu, la cour n'a pu estimer que le gérant ne vendait que des marchandises qui lui étaient exclusivement fournies ou presque par la société Shell qu'au prix d'une dénaturation du contrat de location-gérance qui prévoyait expressément la possibilité pour X d'adjoindre à la distribution de carburants des activités annexes telles que réparations, graissage, etc., dans la mesure où, en second lieu, la cour d'appel ne pouvait considérer que la société avait " fourni " un local à son locataire, au sens de l'article 2, alinéa 2, de la loi de 1941, la location d'un fonds de commerce ne pouvant juridiquement équivaloir à la simple fourniture d'un local, dans la mesure où en troisième lieu, la cour d'appel non seulement n'a relevé aucun élément permettant à la Cour de cassation de vérifier si X était tenu de vendre les produits livrés par la société Shell dans des conditions imposées par cette dernière, privant ainsi son arrêt de base légale, mais encore a méconnu les termes du contrat régissant les rapports entre les parties qui imposaient seulement à X les obligations pesant normalement sur tout locataire-gérant sans y ajouter une contrainte particulière;

Et dans la mesure encore où l'arrêt attaqué, qui a constaté que la convention n'imposait au gérant aucun prix de revente si ce n'est le respect de la réglementation légale en ce domaine, ne pouvait affirmer, sans se contredire et sans méconnaitre, à nouveau les dispositions du contrat de location-gérance que X était tenu de vendre aux prix imposés par la société;

Mais attendu, d'une part, que la loi du 21 mars 1941 n'a pas été modifiée par la loi du 20 mars 1956 et n'est pas incompatible avec elle; Que les juges du fond ont estimé exactement que le fait que Roland X ait la qualité de gérant libre du fonds de commerce, donc de commerçant, ne peut l'empêcher de bénéficier de la législation du travail dans ses rapports avec son employeur s'il remplit les conditions exigées à cet effet;

Attendu, d'autre part, que les juges du fond ont constaté qu'il résultait des termes du contrat conclu par Roland X avec la société Shell, et des circonstances dans lesquelles celui-ci travaillait, qu'il devait vendre les produits et marchandises fournies en exclusivité par la société, que contrairement aux affirmations de celle-ci, X ne disposait pas d'un atelier de réparation ni d'un poste de lavage ou de graissage, de telle sorte que son rôle consistait essentiellement à vendre les produits pétroliers livrés par la Shell et les accessoires fournis par cette société ou par les entreprises commerciales désignées par elle; Qu'il exerçait son activité dans un local agrée par ladite société dont il était le locataire; Qu'il devait se soumettre pour l'exploitation de la station-service aux conditions imposées par la société à l'avantage non seulement du fonds mais encore de l'ensemble du réseau de distribution; Qu'enfin, si la convention n'interdisait pas à X de vendre les produits de son activité à des prix inferieurs aux maxima imposés, la modicité des marges qui lui étaient laissées ne lui permettait pas de pratiquer une politique personnelle des prix; Que la cour d'appel a pu en déduire que Roland X remplissait les conditions de dépendance économique exigées par la loi du 21 mars 1941; Que des lors le moyen ne peut être accueilli en ses deux premières branches;

Par ces motifs : Rejette les deux premières branches;

Mais sur la troisième branche du moyen unique : - Vu l'article 631 du Code de commerce et l'article 2 de la loi du 20 mars 1956; - Attendu qu'il résulte des constatations de la cour d'appel que plusieurs mois après la cessation de sa gérance et lors du règlement des comptes entre les parties, Roland X, locataire-gérant de la station-service s'était reconnu débiteur à l'égard de sa bailleresse la société Shell de fournitures de marchandises impayées; Que selon un pacte d'atermoiement des délais lui avaient été accordés pour le règlement par traites mensuelles acceptées de la somme due de ce chef; Qu'il avait été stipulé entre les parties qu'à défaut du paiement d'une mensualité à son échéance, le solde deviendrait immédiatement exigible; Que Lucien X s'était porté caution solidaire du débiteur envers la société Shell; Qu'aucun d'eux n'ayant payé dans les conditions convenues, la société les avait assignés devant le tribunal de commerce; Que la cour d'appel sur contredit a estimé que les rapports de Roland X, locataire-gérant de la station avec la société Shell étant soumis aux dispositions de la loi du 21 mars 1941, le Conseil de prud'hommes était compétent pour connaitre de ce litige;

Attendu, cependant, qu'il résultait de ces mêmes constatations qu'il s'agissait d'un différend relatif à un paiement de fournitures et concernant les modalités commerciales d'exploitation de la station-service, et non d'un litige se rapportant aux conditions de travail du gérant non salarié et à l'application de la réglementation du travail; Que par analogie avec les dispositions de l'article 7 de la loi du 3 juillet 1944, le tribunal de commerce était compétent pour en connaitre; d'où il suit qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes susvisés;

Par ces motifs : Casse et annule, du chef de la compétence du Conseil de prud'hommes, l'arrêt rendu entre les parties par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence le 30 mars 1973; Remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties au même et semblable état où elles étaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Nîmes.