CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 29 juin 2010, n° 2009-19724
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Colas Rail (SA), Etablissements Offroy (SA), Européenne de Travaux Ferroviaires (Sté), Pichenot Bouillé (SAS), R. Vecchietti (SAS)
Défendeur :
Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, Président de l'Autorité de la concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Fossier
Conseillers :
M. Remenieras, Mme Jourdier
Avoués :
Mes Teytaud, Huygue, SCP Lagourgue, Olivier, SCP Monin d'Auriac de Brons
Avocats :
Mes Donnedieu de Vabre-Tranie, Aferia, Jalabert-Doury, Levy, Horlon
Exposé du litige
En 2004 le ministre de l'Economie a confié à la DNECCRF une enquête sur la situation de la concurrence dans le secteur des travaux de régénération des voies ferrées. Dans ce cadre il a été procédé, avec l'autorisation des juges des libertés et de la détention territorialement compétents, à des visites et saisies le 6 juillet 2004 dans les locaux de huit entreprises, dont ceux de la société Seco-Rail (devenue Colas Rail) à Chatou et à Lyon, et ceux de la société Pichenot-Bouillé à Trappes et à Toussus-le-Noble.
Ayant saisi des pièces relatives à des marchés passés en 2004 pour la régénération des voies ferrées par la SNCF en tant que maître d'œuvre pour le compte de la société RFF, les enquêteurs ont poursuivi leurs investigations auprès des entreprises concernées par ces marchés.
Par lettre du 27 mai 2005, le ministre de l'Economie a alors saisi le Conseil de la concurrence, en application de l'article L. 462-5 du Code de commerce, de pratiques anticoncurrentielles relevées dans le secteur de la régénération des voies ferrées.
C'est dans ces conditions qu'après instruction du dossier par le rapporteur, ont été notifiés le 11 avril 2008, sur le fondement des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 81 du traité de l'Union européenne, à 18 entreprises du secteur, les griefs suivants:
- s'agissant du marché " hors suites " du 1er semestre 2004:
" 1) le fait, pour les sociétés Pichenot Bouillé, ETF, Colas Rail (ex Séco-Rail), Vecchietti, Offroy et huit autres sociétés d'avoir mis en œuvre une entente anticoncurrentielle en échangeant des informations concernant leurs offres respectives avant le dépôt de celles-ci,
2) le fait pour les mêmes sociétés de s'être réparti les lots du marché en désignant à l'avance les attributaires,
3) le fait pour la société Colas Rail (ex Séco-Rail) d'avoir mis en place des offres de couverture au bénéfice des sociétés Pichenot Bouillé, ETF, Vecchietti et trois autres sociétés.
- S'agissant du marché " hors suites " du 2e semestre 2004:
" 1) le fait, pour les sociétés Pichenot Rouillé, RTF, Vecchietti, Colas Rail (ex Séco-Rail), Offroy et treize autres sociétés, d'avoir mis en œuvre une entente anticoncurrentielle en échangeant des informations concernant leurs offres respectives avant le dépôt de celles-ci,
2) le fait pour les mêmes sociétés de s'être réparti les lots du marché en désignant à l'avance les sociétés attributaires. "
L'Autorité de la concurrence a rendu sa décision n° 09-D-25 le 29 juillet 2009. Après un article 1er mettant hors de cause 13 entreprises, elle a statué comme suit:
" Article 2 : Il est établi que les sociétés Colas Rail (ex- Séco-Rail), R. Vechietti, Européenne de Travaux Ferroviaires, Entreprise Pichenot Bouillé et Etablissements Offroy ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE.
" Article 3 : Il est infligé:
- à la société Colas Rail (ex- Séco-Rail) une sanction de 2 600 000 euro,
- à la société R. Vechietti une sanction de 200 000 euro;
- à la société ETF une sanction de 1 200 000 euro;
- à la société Entreprise Pichenot Rouillé une sanction de 150 000 euro;
- à la société Etablissements Offroy une sanction de 50 000 euro.
Ces cinq sociétés ont formé un recours contre la décision de l'Autorité de la concurrence.
Motifs de la décision
LA COUR :
Vu les recours contre la décision n° 09-D-25 rendue le 29 juillet 2009 par l'Autorité de la concurrence, formé:
- le 16 septembre 2009, en annulation, subsidiairement en réformation, par la société Etablissements Offroy et par la société Pichenot Bouillé,
- le 17 septembre 2009, en annulation, subsidiairement en réformation, par la société Colas Rail (anciennement Séco-Rail)
- le 18 septembre 2009, en annulation, subsidiairement en réformation, par la SAS R. Vecchietti et la société Européenne de Travaux Ferroviaires (ETF);
Vu l'exposé des moyens de la société Etablissements Offroy déposé le 12 octobre 2009, soutenu par son mémoire récapitulatif du 25 février 2010,
Vu l'exposé des moyens de la société Pichenot Bouillé déposé le 16 octobre 2009, soutenu par son mémoire en réponse déposé le 25 février 2010,
Vu l'exposé des moyens de la société Colas Rail déposé le 19 octobre 2009, soutenu par ses conclusions en réplique déposées le 25 février 2010,
Vu l'exposé des moyens de la société R. Vecchietti déposé le 19 octobre 2009, soutenu par ses conclusions en réplique déposées le 25 février 2010,
Vu l'exposé des moyens de la société Européenne de Travaux Ferroviaires déposé le 23 octobre 2009 soutenu par son mémoire récapitulatif en réplique déposé le 25 février 2010,
Vu les observations écrites de l'Autorité de la concurrence déposées le 12 janvier 2010,
Vu les observations écrites du ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi déposées le 12 janvier 2010,
Vu les observations écrites du Ministère public, mises à la disposition des parties avant l'audience;
Après avoir entendu à l'audience publique du 4 mai 2010, en leurs observations orales, les conseils des requérantes, ainsi que le représentant de l'Autorité de la concurrence, le représentant du ministre et le ministère public, les requérantes ayant été mises en mesure de répliquer;
Sur ce:
- Sur les recours contre l'ordonnance d'autorisation de visite et de saisie
Considérant que, dans le cadre de l'enquête ministérielle ouverte le 21 juin 2004, relative à des pratiques relevées dans le secteur de la construction et de la régénération de voies ferrées, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Versailles, saisi en application de l'article L. 450-4 du Code de commerce, a autorisé par ordonnance du 23 juin 2004 le chef de la DNECCRF à procéder ou à faire procéder dans les locaux des neuf entreprises, dont ceux des sociétés Séco-Rail et Pichenot Bouillé, aux visites et aux saisies de tous documents nécessaires à la recherche de la preuve des agissements entrant dans le champ des pratiques, prohibées par les points 1, 2 et 4 de l'article L. 420-1 du Code de commerce et l'article 81-1 du traité de Rome, relevées dans ce secteur ainsi que toute manifestation de cette concertation prohibée; que les opérations se sont déroulées le 6 juillet 2004 dans les locaux de l'entreprise Séco-Rail à Chatou, et à Lyon en vertu de l'ordonnance rendue le 2 juillet 2004 sur commission rogatoire par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Lyon ; que les pourvois formés contre ces ordonnances ont été rejetés par deux arrêts de la Cour de cassation (Chambre criminelle) du 3 novembre 2005;
Considérant que la société Colas Rail sollicite à titre principal l'annulation de la décision n° 09-D-25 de l'Autorité de la concurrence, au motif que l'ordonnance d'autorisation de visites et saisies du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Versailles, en date du 23 juin 2004, est entachée de nullité; que la société Vecchietti formule la même demande;
Considérant que la société ETF demande elle aussi l'annulation de cette ordonnance, au motif qu'elle autorisait des saisies globales et indéterminées, et que les pièces utilisées au soutien du grief imputé à la société ETF n'entraient pas dans le champ des visites et saisies ainsi autorisées;
Considérant que devant la cour d'appel, saisie dans le cadre de l'article L. 464-8 du Code de commerce du recours contre la décision de l'Autorité de la concurrence ayant prononcé, à la suite de l'enquête et des opérations ci-dessus rappelées, des sanctions pour des pratiques anticoncurrentielles, la société Colas Rail est recevable à contester la régularité de l'ordonnance d'autorisation de visite et saisie du 23 juin 2004 ; qu'en effet cette faculté a été ouverte par l'article 5 § IV 2e alinéa de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008, qui dispose : " Si l'autorisation de visite et saisie n'a pas fait l'objet d'un pourvoi en cassation ou si cette autorisation a fait l'objet d'un pourvoi en cassation ayant donné lieu à un arrêt de rejet de la Cour de cassation, un recours en contestation de l'autorisation est ouvert devant la Cour d'appel de Paris saisie dans le cadre de l'article L. 464-8 du Code de commerce, hormis le cas des affaires ayant fait l'objet d'une décision irrévocable à la date de la publication de la présente ordonnance ";
Que par contre se pose la question de la recevabilité de la société ETF et de la société Vecchietti à former ce recours alors qu'elles n'étaient pas visées par l'ordonnance en question, qu'aucune visite ni saisie n'a eu lieu dans leurs locaux, qu'en revanche des documents saisis leur sont opposés;
Considérant qu'en dépit de la formulation du texte instituant ce recours spécial, sans précision quant aux personnes auxquelles il est ouvert, celles-ci ne peuvent être que les personnes visées par l'ordonnance ayant autorisé la saisie, puisqu'il ne s'agit que d'une modalité particulière de l'appel institué par l'article L. 450-4 du Code de commerce dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008, destinée à réexaminer des autorisations intervenues dans des affaires n'ayant pas encore abouti à une décision définitive sur le fond;
Que les sociétés ETF et Vecchietti, qui auraient pu, avant comme après les réformes de l'article 450-4 du Code de commerce opérées en 2008 et 2009, former un recours contre le déroulement des opérations dès qu'elles en ont eu connaissance et au plus tard dans les deux mois de la notification de griefs intervenue le 11 avril 2008 en application du dernier alinéa de cet article, mais n'ont pas usé de cette faculté, ne sont par contre pas recevables à former devant la Cour d'appel de Paris, saisie du recours contre la décision au fond de l'Autorité de la concurrence, le recours spécial ouvert par l'article 5 § IV alinéa 2 de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008;
Que seules les personnes ayant subi une atteinte au caractère privé de leur domicile ou une mesure coercitive de saisie de documents personnels soient en droit de critiquer les conditions dans lesquelles l'ordonnance d'autorisation a été rendue;
Que la personne mise en cause au moyen de pièces saisies au cours des opérations n'est pas quant à elle privée d'un accès équitable au juge, ayant le droit de discuter devant l'Autorité de la concurrence, puis éventuellement devant la Cour d'appel de Paris le contenu et la portée des documents qui lui sont opposés;
Considérant que pour soutenir l'irrégularité de l'ordonnance judiciaire prescrivant la visite, la société Colas Rail se fonde en premier lieu sur l'absence d'un contrôle juridictionnel effectif en fait et en droit de cette ordonnance; qu'elle fait valoir en premier lieu qu'à la date à laquelle les opérations litigieuses ont été effectuées, elle n'a pas bénéficié d'un contrôle juridictionnel effectif, au sens de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme (CESDH) et comme l'a jugé la Cour européenne des Droits de l'Homme, notamment dans son arrêt Ravon du 21 février 2008, dans la mesure où le pourvoi en cassation constituait alors la seule voie de recours possible contre la décision d'autorisation de ces opérations ; qu'elle soutient que les dispositions précitées de l'ordonnance du 13 novembre 2008 " ne saurait avoir pour effet de purger rétroactivement cette grave irrégularité ", d'abord parce que leur caractère rétroactif est contraire à l'article 1er du protocole additionnel n° 1 de la CESDH, comme n'étant pas justifié par un " impérieux motif d'intérêt général ", ensuite parce que le nouveau dispositif ne satisfait pas non plus aux exigences de la convention et de la jurisprudence de la Cour européenne au regard d'un recours effectif et du droit à un procès équitable, étant donné que la nouvelle voie de recours est ouverte trop tardivement pour pouvoir offrir un redressement approprié, qu'intervenant après une décision de condamnation prononcée par le Conseil, et devant être jugée par la cour chargée de se prononcer aussi sur le fond du litige, elle ne permet pas de respecter le principe de l'égalité des armes; qu'enfin la société Colas Rail fait valoir que le dispositif instauré par l'article 5 précité de l'ordonnance du 13 novembre 2008 ne constitue pas non plus un recours effectif à défaut d'avoir organisé les modalités d'information des personnes concernées;
Considérant cependant que, même si la seule voie de recours permise à l'époque par l'article L. 450-4 du Code de commerce contre l'ordonnance d'autorisation de visites et saisies, à savoir le pourvoi en cassation, pouvait être regardée comme insuffisante pour assurer aux personnes concernées par de telles mesures un accès à un tribunal répondant aux exigences du procès équitable posées par l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme, et cela nonobstant la possibilité existant à l'époque de contester le déroulement des opérations devant le juge les ayant autorisées, l'exigence d'un recours effectif contre l'autorisation elle-même doit être désormais appréciée au regard de la réforme opérée par l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008;
Considérant que tout d'abord la critique tenant à une prétendue rétroactivité injustifiée des nouvelles dispositions n'est pas pertinente de la part d'une personne qui se voit offrir une nouvelle possibilité de contester une décision de justice, auparavant définitive, lui faisant grief; que cela n'est pas contraire au principe de non rétroactivité des lois nouvelles, fondé sur le souci de la sécurité juridique des citoyens, nullement affectée en l'espèce; qu'il n'y a ici aucune ingérence critiquable du pouvoir législatif dans l'administration de la justice, mais au contraire un nouvelle garantie juridictionnelle accordée au justiciable, l'issue du nouveau recours pouvant être aussi bien l'annulation que la validation de la saisie administrative;
Considérant ensuite que la Cour d'appel de Paris dans le cadre du recours en contestation de l'autorisation de visite et de saisie est tenue d'apprécier en fait et en droit la régularité de la décision du juge des libertés et de la détention au vu des éléments qui lui ont été soumis, ce qui constitue un contrôle juridictionnel effectif; que les incidences de son intervention à un stade trop avancé de la procédure qui aurait déjà produit des effets irréversibles pourraient le cas échéant engendrer une obligation de réparation, mais sont sans répercussion sur le caractère effectif du recours qui est susceptible d'aboutir à l'annulation des sanctions à la suite de l'annulation de l'autorisation de visite et de saisies; qu'en effet la condamnation de la société Colas Rail par l'Autorité de la concurrence n'est pas définitive, et se trouve remise en cause devant la cour; que de plus celle-ci statuera valablement sur les deux recours, sans que cela porte atteinte aux exigences du procès équitable, telles que l'impartialité et l'égalité des armes; qu'aucun principe ne fait obstacle à ce que le même juge examine successivement la régularité d'une étape de la procédure, puis l'affaire au fond; qu'enfin dénier la possibilité d'un procès équitable après une décision de condamnation frappée de recours reviendrait à anéantir le principe même du deuxième degré de juridiction, où les parties sont replacées dans l'état où elle se trouvaient avant la décision frappée de recours;
Considérant enfin que les modalités d'exercice du recours exceptionnel étant clairement précisées à l'alinéa 2 du IV de l'ordonnance du 13 novembre 2008 qui fait expressément référence à l'article L. 464-8 du Code de commerce, la société Colas Rail n'est pas non plus fondée à se prévaloir d'un défaut d'information contrevenant aux exigences de l'article 6 § 1 de la CESDH, du recours qu'elle a d'ailleurs exercé dans les délais requis;
Considérant que la société Colas Rail critique en second lieu les conditions dans lesquelles le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Versailles a accordé l'autorisation sollicitée; que selon elle les éléments communiqués au juge ne permettaient pas de caractériser des présomptions suffisantes de pratiques anticoncurrentielles, que notamment la prétendue forte augmentation des prix ne pouvait pas constituer une présomption car n'étant pas imputable aux entreprises, que de même le déroulement des trois marchés examinés par l'ordonnance ne permettait pas de présumer l'existence de pratiques anticoncurrentielles, qu'en tout cas les éléments fournis par l'administration ne pouvaient pas fonder des mesures qui doivent rester exceptionnelles en raison de leur caractère coercitif et attentatoire aux droits fondamentaux à la protection du domicile;
Considérant que l'article L. 450-4 du Code de commerce, dans sa rédaction en vigueur à la date du 23 juillet 2004, disposait " le juge doit vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée; cette demande doit comporter tous les éléments d'information de nature à justifier la visite ":
Qu'en l'espèce l'ordonnance critiquée, après l'énumération complète des documents, répartis en 6 annexes, présentés avec la requête, contient une analyse détaillée:
- de documents relatifs à un appel d'offres pour la rénovation de la voie ferrée Cannes-Grasse qui, confrontés aux explications d'un membre de la commission de contrôle économique et financier des transports, ont légitimement permis au juge d'en déduire une présomption d'atteinte au libre-jeu de la concurrence dans le déroulement de cet appel d'offres,
- de documents relatifs à la passation d'un marché de travaux pour la réfection de la ligne n° 6 du métro parisien, dont le juge a pu raisonnablement déduire des soupçons de concertation sur des prix supérieurs aux prix concurrentiels et sur une répartition de marchés,
- de documents relatifs à un marché de travaux ferroviaires passé par le Conseil général de l'Isère, montrant notamment des incohérences tarifaires dans les offres des entreprises et d'autres détails concrets pouvant constituer une présomption de l'existence d'une offre de couverture et d'une entente entre les soumissionnaires;
Considérant que peu importe l'existence d'autres causes possibles, relevées par les requérantes comme pouvant expliquer les fortes hausses des prix dans le secteur; ce fait n'étant pas de nature à ôter toute force aux présomptions retenues par le juge de l'autorisation, qui à la différence du juge du fond n'a pas besoin que soient démontrés les manquements aux règles de la concurrence; que d'ailleurs le document invoqué à ce propos par la société Colas Rail a été remis aux enquêteurs seulement le 12 octobre 2004 lors de l'audition d'un directeur de la société TSO (document 11 coté 850 à 902);
Considérant enfin que les visites et saisies autorisées dans des locaux d'entreprises par l'ordonnance du 23 juillet 2004 ne présentaient pas un caractère disproportionné par rapport au trouble à l'ordre public économique engendré par une entente comme celle alors suspectée dans le secteur des travaux ferroviaires;
Considérant par conséquent que contrairement à ce que soutient la société Colas Rail, le juge des libertés et de la détention a autorisé l'administration à faire procéder aux visites et saisies en satisfaisant à son obligation de contrôle de la requête qui lui était présentée dans les conditions fixées par les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce, en s'assurant de sa recevabilité, et de son bien-fondé au vu du caractère suffisant des présomptions avancées ; que sa demande d'annulation de l'ordonnance du 23 juin 2004 n'est donc pas justifiée;
Considérant que de plus l'ordonnance satisfait à l'exigence de précision de l'objet des visites et saisies autorisées en ce qu'elle autorise la saisie de "tous documents nécessaires à la recherche de la preuve des agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par les points 1, 2, et 4 de l'article L. 420-1 du Code de commerce et 81-1 du traité de Rome relevés dans le secteur de la construction et régénération des voies ferrées ainsi que toute manifestation de cette concertation prohibée" et qu'elle autorise des visites dans des lieux limitativement énumérés, correspondant aux locaux d'entreprise œuvrant dans ce secteur et de leur syndicat professionnel; que l'autorisation judiciaire n'était donc ni globale, ni indéterminée, même si elle débordait légitimement le cadre des chantiers particuliers cités à titre d'exemples et de présomptions des pratiques anticoncurrentielles suspectées; que de même elle autorisait la saisie de toute pièce susceptible d'apporter la preuve des comportements ci-dessus définis, et pas seulement des pièces se rapportant aux chantiers particuliers cités; que les sociétés en cause ne sauraient donc soutenir que la décision s'est appuyée sur des pièces saisies n'entrant pas dans le champ de l'ordonnance;
Considérant que par conséquent les moyens d'annulation tenant à l'irrégularité des visites et saisies ne peuvent qu'être écartés;
- Sur les autres moyens tenant à la régularité de la procédure
Considérant que la société ETF demande l'annulation de la décision de l'Autorité de la concurrence en raison de la violation des droits de la défense résultant d'une part d'une instruction menée exclusivement à charge contrairement aux exigences d'impartialité et de loyauté, en ce que " l'Autorité n'a pas fait prévaloir le doute, mais a au surplus prétendu appliquer aux entreprises des exigences probatoires supérieures à celles qu'elle observait elle-même à charge ", et qu'elle a prétendu " retenir comme preuve un passage de la réponse à la notification de griefs d'ETF ", d'autre part en raison du " non respect du contradictoire " en ce que pour contrer des preuves documentaires apportées par les entreprises, la décision s'appuie sur des procès-verbaux qu'elle aurait dû écarter des débats car contenant l'audition d'un cadre de la SNCF convoqué comme témoin lors de la séance de l'Autorité de la concurrence, mais n'ayant pas pu déposer en raison d'un vice de procédure;
Mais considérant que l'Autorité de la concurrence s'est trouvée, pour respecter les règles relatives aux auditions de témoins, devoir renoncer à entendre en séance Monsieur Parmentier du fait qu'il avait assisté aux débats; que pour autant cela n'entache d'aucune irrégularité les auditions de Monsieur Parmentier ayant eu lieu au cours de l'instruction; que les parties auxquelles les procès-verbaux correspondants ont été communiqués dès la notification de griefs, ont été à même de les analyser, de les discuter et de les combattre en apportant des éléments contraires, de telle sorte que le principe de la contradiction a été respecté;
Que la discussion sur la valeur probante des éléments sur lesquels l'Autorité de la concurrence a fondé sa décision relève quant à elle du débat au fond;
- Sur la demande de sursis à statuer
Considérant que le premier président de la Cour d'appel de Versailles a rendu les décisions attendues; que la demande de sursis à statuer n'a donc plus d'objet; qu'elle a été abandonnée à l'audience;
- Sur l'applicabilité du droit communautaire
Considérant que la société Colas Rail et la société Vecchietti reprochent à la décision d'avoir retenu que les pratiques doivent être examinées aussi au regard de l'article 81 du traité CE sans avoir démontré d'affectation sensible du commerce entre États membres; qu'elles font valoir essentiellement que la concurrence étrangère n'était pas présente sur ce marché en raison de barrières tenant notamment aux normes techniques et de sécurité, et de la réglementation du travail;
Considérant qu'il est constant qu'à l'époque des faits les opérateurs originaires d'autres Etats membres de l'Union européenne manifestaient très peu d'intérêt pour le marché français des travaux de régénération des voies ferrées;
Que néanmoins aux § 145 à 147 de sa décision, l'Autorité de la concurrence, après avoir rappelé l'état du droit, a exactement énoncé que " les pratiques mises en cause sont présumées affecter sensiblement le commerce intra-communautaire, en raison des montants des deux marchés de travaux de voies ferrées concernés, considérés globalement, et parce qu'elles couvrent l'ensemble du territoire national de plus, elles sont mises en œuvre par des sociétés d'envergure internationale, comme la société Séco-Rail (devenue Colas Rail) qui est implantée dans d'autres pays européens "; qu'en effet il est établi qu'en 2003 une société espagnole (COMSA) et une société allemande (Heitkamp) se sont manifestées sur ce secteur (cf déclarations de Monsieur Hemmery cote 3550); que les représentants de la SNCF ont déclaré aux enquêteurs que celle-ci cherchait à attirer les opérateurs étrangers pour la rénovation des voies ferrées; que par ailleurs les deux marchés concernés par les pratiques se sont élevés à plus de 55 millions d'euro et étaient composés de lots de travaux dispersés sur tout le territoire national;
Que l'Autorité de la concurrence a donc retenu à bon droit qu'en l'espèce les pratiques visées dans les griefs étaient susceptibles d'avoir affecté sensiblement le commerce entre Etats membres;
- Sur le fond
Considérant que l'article L. 420-1 du Code de commerce dispose que:
" Sont prohibées même par l'intermédiaire direct ou indirect d'une société du groupe implantée hors de France, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à:
1- Limiter l'accès au marché ou le libre-exercice de la concurrence par d'autres entreprises ;
2- Faire obstacle à la fixation des prix par le libre-jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse;
3- Limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique;
4- Répartir les marchés et les sources d'approvisionnement. "
Considérant que l'article 81 du traité instituant la Communauté européenne (devenu article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ci-après TFUE) énonce:
" Sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun... "
Considérant que les pratiques sanctionnées au visa de ces textes par l'Autorité de la concurrence dans sa décision n° 09-D-25 rendue le 29 juillet 2009 ont pour cadre des marchés de travaux passés par la SNCF pour le compte de la société RFF, propriétaire des voies ferrées, selon une procédure d'appels d'offres négociés, les marchés ne pouvant être attribués qu'aux entreprises ayant préalablement obtenu la qualification de la SNCF; que plus précisément sont concernés deux marchés, l'un de 66 lots de travaux à effectuer au premier semestre de l'année 2004, l'autre de 38 lots de travaux à effectuer au second semestre 2004 les lots étant dispersés sur plusieurs régions de la France métropolitaine;
Considérant que s'agissant du premier marché, l'Autorité de la concurrence a estimé que la preuve de la participation à la pratique anticoncurrentielle d'échange d'informations était établie à l'encontre des sociétés Pichenot Bouillé, Séco-Rail, ETF et Vecchietti; qu'elle a retenu en outre contre Séco-Rail devenu Colas Rail la présentation d'offres de couverture, suivies d'effet à l'égard de Pichenot Bouillé, ETF et Vecchietti qui ont été les entreprises moins disantes; que par contre elle a écarté le grief d'une entente de répartition ou une pré-allocation des lots entre les entreprises soumissionnaires;
Considérant que s'agissant du second marché, l'Autorité de la concurrence a retenu le grief de l'échange d'informations antérieur à l'ouverture des plis entre les entreprises Offroy, Séco-Rail, ETF, Vecchietti, et Pichenot Bouillé, mais a écarté le grief d'entente de répartition entre les soumissionnaires du marché;
Considérant que tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché commun; que cette exigence d'autonomie n'exclut pas le droit des opérateurs économiques de s'adapter intelligemment au comportement constaté ou à escompter de leurs concurrents, mais s'oppose rigoureusement à toute prise de contact directe ou indirecte entre de tels opérateurs, ayant pour objet ou pour effet, soit d'influencer le comportement sur le marché d'un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l'on est décidé à, ou que l'on envisage de, tenir soi-même sur le marché; qu'ainsi, lors d'un appel à la concurrence, tout échange d'information préalablement au dépôt des offres est anticoncurrentiel s'il est de nature à diminuer l'incertitude quant au comportement du concurrent, incertitude qui pousse les opérateurs concurrents à faire le maximum d'efforts en terme de qualité et de prix pour obtenir le marché;
Considérant en premier lieu que les requérantes critiquent la décision pour avoir sanctionné des " échanges d'information avant ouverture des plis "; qu'effectivement on peut douter que des échanges qui auraient eu lieu entre le dépôt des offres et l'ouverture des plis portent atteinte à la concurrence; qu'en réalité, l'expression utilisée par l'Autorité de la concurrence s'explique, à défaut de se justifier, par le fait que dans les marchés en question l'ouverture des plis a eu lieu le lendemain ou le surlendemain de la date limite du dépôt des offres, les deux moments étant donc quasi concomitants; que par conséquent si une information relative au montant ou à l'auteur d'une offre ne peut pas se rattacher au résultat des offres, elle est très probablement antérieure au dépôt des offres;
Considérant en deuxième lieu que les entreprises sanctionnées reprochent globalement à la décision de ne pas avoir apporté une preuve suffisante de leur participation aux faits qui leur sont imputés;
Que cependant la preuve d'une pratique anticoncurrentielle par échanges d'informations ne nécessite pas la démonstration d'un acte positif d'échange, tel qu'une rencontre ou une réunion, d'autant plus qu'une prise de contact peut être orale et ne pas laisser de trace; que la preuve d'une entente de cette nature peut donc être apportée par la présomption résultant d'indices graves, précis et concordants; qu'il y aura donc lieu de vérifier, pour chacune des sociétés sanctionnées par l'Autorité de la concurrence, si concrètement les indices recueillis constituent une preuve suffisante de sa participation;
Que par conséquent ce moyen est inopérant, de même que celui consistant à reprocher à la décision de ne pas préciser avec quelle entreprise la requérante aurait échangé des informations; qu'en effet la caractérisation du grief requiert seulement la démonstration que l'entreprise à laquelle il est imputé a volontairement émis à destination d'une entreprise concurrente, ou reçu d'elle, des informations sensibles de telle sorte que la concurrence pouvait en être faussée;
Considérant que les autres critiques relèvent de la discussion sur le caractère probant des indices dans le cadre concret de cette affaire;
Considérant que 21 entreprises ont soumissionné pour le marché du 1er semestre 2004; que pour démontrer le grief d'échanges d'informations reproché aux quatre sociétés précitées, qui ont obtenu des lots, et le grief d'offres de couverture reproché à la société Colas Rail, l'Autorité de la concurrence s'est appuyée sur des documents saisis dans les locaux de la société Pichenot Bouillé et de la société Séco-Rail et sur les déclarations recueillies au cours de l'enquête; qu'après les avoir précisément décrits et analysés dans les § 27 à 65 de sa décision, l'Autorité en a évalué le caractère probant au regard des griefs notifiés (§ 193 à 248);
Considérant que l'Autorité de la concurrence a ainsi comparé (pages 9, 10 et 11 de la décision) deux tableaux dactylographiés listant les 66 lots, rédigés par Monsieur F de la société Séco-Rail: un document, appelé document n° 2, établi manifestement sur la base d'informations provenant des résultats définitifs d'appel d'offres, et un document n° 6 de présentation similaire mais dont les discordances avec le résultat du dépouillement excluent une rédaction postérieure à celui-ci;
Qu'elle a procédé à l'analyse (pages 13 à 16 de la décision) de deux tableaux (documents 11 et 12) dactylographiés datés respectivement des 7/08/03 et du 6/08/03, également rédigés par Monsieur F de la société Séco-Rail, comportant une liste partielle des lots avec des précisions sur leur localisation, les travaux et des colonnes de chiffres, ainsi que des ajouts manuscrits: initiales désignant des entreprises, corrections chiffrées, mentions " ok ", etc...;
Que de l'examen précis de ces documents, confrontés aux explications de leur auteur, l'Autorité de la concurrence a déduit à juste titre que les annotations portées sur le document 11 daté du 7 août 2003 sont bien antérieures à la remise des offres et à l'ouverture des plis, puisque les initiales apposées par M. F ne correspondent pas systématiquement aux entreprises effectivement attributaires (ou moins-disantes) comme il le prétend. L'analyse des corrections apportées par M. F au document 11 montre également que celui-ci a systématiquement corrigé son offre à la hausse lorsque les initiales d'une entreprise concurrente étaient apposées et que l'offre de Séco-Rail était inférieure à celle effectivement proposée par cette société concurrente (à l'exception des deux cas rappelés ci-dessus, le lot n° 9 et le lot n° 61). Ces montants corrigés qui correspondent sauf exception aux offres déposées par Séco-Rail ont les caractéristiques d'offres de couverture, les " OK " confirmant les accords passés entre les entreprises. Ces accords concernent les entreprises dont les initiales sont apposées sur le document 11, soit les entreprises Pichenot Bouillé, Vecchietti, ETF, Olichon, Meccoli et Séco-Rail. " (§ 50)
Que s'ajoute au faisceau d'indices sur des échanges d'information, l'analyse du document appelé " feuillet 2 ", se présentant comme un tableau récapitulatif sous format " excel " établi par Monsieur Z de la société Pichenot Bouillé, comportant en regard de la liste des 66 lots des indications de prix et des lettres ou des chiffres désignant des entreprises; que de l'étude de ce document, en lien avec le document 11 précité, l'Autorité de la concurrence a déduit à juste titre que le fichier " excel " intitulé " feuillé 2 " [sic] modifié pour la dernière fois le soir de l'ouverture des offres, " dans la colonne sans titre ne correspondant pas aux résultats.., mentionne [au moyen d'un code chiffré] des entreprises intéressées par le lot suivant des informations communiquées par elles préalablement à cette ouverture " (§59), étant précisé que pour certains lots (ainsi 23, 25, 57 et 58) on retrouve les mêmes noms d'entreprises dans les documents saisis d'une part chez Séco-Rail d'autre part chez Pichenot-Bouillé, alors qu'ils ne correspondent pas aux résultats de l'appel d'offres, ce qui corrobore le fait que "les entreprises Pichenot-Bouillé et Séco-Rail ont eu connaissance d'informations similaires non validées par les faits et résultant d'un échange d'informations préalable à l'ouverture des plis" (§ 64);
Considérant qu'en plus des sociétés Pichenot Bouillé et Séco-Rail dont émanent les documents, les indices d'échange d'information concernent les sociétés Vecchietti et ETF dont les codes figurent dans la colonne sans titre du feuillet 2 respectivement au regard des lots 23 (code 5) et du lot 57 (12 signifiant un partage ETF codé 1- et Séco-Rail codé 2) alors qu'ils n'ont pas été attribués comme prévu dans cette colonne, mais pour le premier à la société Sodesam et pour le second à la société ETF seule;
Considérant que s'agissant du marché du second semestre 2004, l'Autorité de la concurrence a retenu le grief de l'échange d'informations antérieur à l'ouverture des plis entre les entreprises Offroy, Séco-Rail, ETF, Vecchietti, et Pichenot Bouillé, mais a écarté le grief d'entente de répartition entre les soumissionnaires du marché;
Que pour démontrer le grief d'échanges d'informations reproché aux cinq sociétés précitées qui ont obtenu des lots, l'Autorité de la concurrence a examiné les documents 1, 7, 3, 11, 5, 2 et 4 saisis dans les locaux de la société Pichenot Bouillé, confrontés aux déclarations de leur auteur Monsieur Z, alors président directeur général de la société Travaux Publics Ferroviaires et de la société Pichenot Bouillé, et aux résultats de l'ouverture des offres;
Que l'Autorité de la concurrence a procédé dans les § 70 à 126 de sa décision à l'analyse détaillée de ces documents, qualifiés par Monsieur Z d'outils de veille commerciale, et tous manuscrits à l'exception du document 11 qui est un tableau rédigé sur ordinateur; qu'elle a ensuite bien montré dans les § 249 à 273 que les documents 1, 3 et 11 et 5 contiennent des informations qui ne peuvent pas être postérieures au dépouillement des offres, et qui n'ont pas pu être communiquées par la SNCF qui les ignorait ; qu'elle en a déduit logiquement que ces documents apportaient des indices d'échanges d'information entre les entreprises quant aux lots qui les intéressaient et aux offres qu'elles allaient présenter;
Que sont concernées par ces indices: la société Pichenot Bouillé puisque les informations étaient compilées par son dirigeant, ainsi que les sociétés Séco-Rail devenue Colas Rail, Vecchietti, et ETF auxquelles se rapportent de nombreuses mentions sur ces documents;
Considérant par contre que s'agissant de la société Offroy, elle fait valoir avec raison qu'elle n'est pour rien dans la mention de son nom dans le document 1 à côté des numéros de lots 45 et 47 qui ne l'intéressaient pas et qu'elle n'a même pas visités; que pour le lot 30, auquel son nom est associé dans le document 3 et qu'elle a obtenu en groupement avec TSO, et pour le lot 11, associé à son nom sur le document 5, la discordance entre la réalité et les éléments reportés par Monsieur Z contredit l'hypothèse d'une transmission d'information par elle; que les indices retenus par l'Autorité de la concurrence contre la société Offroy sont donc insuffisants pour constituer la preuve de sa participation à un échange d'informations anticoncurrentiel;
Considérant que pour tenter de contrecarrer les indices les concernant, les quatre autres requérantes font valoir que l'Autorité de la concurrence n'a pas tenu compte des " fuites ", c'est-à-dire des informations sur les concurrents diffusées par la SNCF, ni de façon plus générale du contexte de ces marchés;
Considérant premièrement que l'affirmation par les entreprises que les informations sur leurs concurrents leur étaient données par la SNCF ne sont pas étayées par le dossier; que Monsieur G chef de la division des marchés à la SNCF (Cote 3626) a déclaré au rapporteur:
" Personne à la SNCF ne connaît le montant des offres ni les soumissionnaires avant l'ouverture des plis qui se fait en commission d'ouverture.
Lors des visites de chantiers, des informations concernant les identités des autres entreprises qui sont intéressées par le lot (visite déjà effectuée ou rendez-vous pris) ne doivent pas être données par le maître d'œuvre... C'est contraire à notre code de déontologie. Je ne peux pas, toutefois, vous assurer que cela n'ait jamais eu lieu ".
Que dans sa 2e déclaration (Cote 4507) de Monsieur Parmentier a indiqué:
" La SNCF en 2004 n'avait aucun intérêt à communiquer des informations aux entreprises (il n'y avait pas à l'époque de " liste restreinte pour la négociation " comme c'est le cas aujourd'hui et on ne négociait qu'avec le moins-disant, sauf impossibilité technique de réalisation).
Je ne suis guère favorable au système des " listes restreintes " avec lesquelles le risque de " fuite " est plus important. Il est d'ailleurs toujours dangereux de communiquer des informations car on ne maîtrise pas toujours l'utilisation qui en est faite.
S'agissant des documents que vous me montrez, je ne sais pas si certaines informations ont " fuité " ou pas. Mais je ne vois pas comment ces documents peuvent porter des informations chiffrées, à supposer qu'elles viennent de la SNCF, différentes du montant de l'offre ou du montant d'attribution de l'offre, ou n'étant pas comprise dans la fourchette de ces deux montants tels qu'ils sont indiqués dans le rapport de dépouillement des offres.
[... ] Il n'est pas impossible que les entreprises qui visitent le chantier puissent avoir connaissance des entreprises qui ont visité ce même chantier avant elles, par la simple lecture d'un cahier d'enregistrement. Mais elles ne peuvent avoir connaissance des entreprises qui le visiteront après. "
Qu'ainsi l'existence de " fuites " provenant de la SNCF n'est qu'une hypothèse; que d'ailleurs les représentants des entreprises n'ont pas pu donner aucune précision ni sur leurs interlocuteurs, ni sur les dates;
Que le risque limité de transmission d'informations par la SNCF ne suffit donc pas à contrecarrer les indices d'échanges d'informations entre concurrents avant le dépôt des offres, tels qu'ils sont relevés par l'Autorité de la concurrence;
Considérant deuxièmement que le contexte de l'affaire, mis en avant par la société ETF, c'est-à-dire le recours très limité de la SNCF à la sous-traitance (15 %) par rapport aux travaux de régénération des voies effectués directement par elle, la forme des appels d'offres peu encadrés et laissant place à la négociation après l'ouverture des offres, contexte qui favoriserait la compétitivité entre les sous-traitants, confirmée par les fortes fluctuations de parts de marché, n'est pas incompatible avec l'existence des pratiques anticoncurrentielles ci-dessus décrites, et qui sont révélatrices d'une volonté d'échapper au moins en partie à la baisse des prix résultant d'une vraie lutte concurrentielle;
Que de même est sans incidence sur la démonstration des pratiques l'erreur qu'aurait commise l'Autorité de la concurrence au § 174 de sa décision, en faisant allusion à une remise importante accordée à la SNCF après attribution des lots, alors qu'il s'agissait d'une baisse consentie au cours de la négociation de la SNCF avec le moins-disant dans les offres, donc avant attribution définitive du lot (- 22 % consenti par la société ETF pour le lot 30 du marché du 1er semestre 2004);
Considérant que pour le reste les critiques des sociétés Colas Rail, Vecchietti, ETF et Pichenot Bouillé portent sur les détails des documents; que les prétendues incohérences ou discordances de certaines mentions, ou les lacunes sont cependant insuffisantes pour remettre en cause la pertinence du raisonnement de l'Autorité de la concurrence à partir de l'analyse des documents précités et de leur confrontation avec les autres éléments recueillis au cours de l'enquête et de l'instruction, notamment les déclarations des représentants de la SNCF, et ce même en faisant abstraction du § 265 sur les déductions tirées de la réponse de la société ETF à la notification de griefs;
Considérant qu'en définitive les déductions, forcément limitées, qui peuvent être faites à partir d'un seul document, rapprochées les unes des autres, prennent toute leur force probante par la lumière qu'elles se donnent réciproquement et constituent le faisceau d'indices graves, précis et concordants apportant la preuve que la société Colas Rail, la société Vecchietti, la société ETF et la société Pichenot Bouillé ont échangé des informations avec leurs concurrents avant le dépôt des offres et que la société Colas Rail a pratiqué des offres de couverture au bénéfice de concurrents;
Considérant que par conséquent c'est à bon droit que l'Autorité de la concurrence, en s'appuyant sur un faisceau d'indices précis, graves et concordants, a retenu que les faits reprochés dans les notifications de griefs constituent bien des pratiques contraires aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 81 du traité instituant la communauté européenne (devenu article 101 TFUE) et que les quatre sociétés précitées avaient enfreint les dispositions de ces textes;
- Sur les sanctions
Considérant qu'aux termes de l'article L. 464-2, alinéa 3 du Code de commerce, les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération des pratiques prohibées par le présent titre ; Que le plafond de la sanction pour une entreprise est de " 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours de l'un des exercices clos depuis l'exercice précédent celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre ";
Considérant tout d'abord que les ententes entre entreprises concurrentes sur un même marché commises à l'occasion d'appels d'offres sont parmi les plus graves des pratiques anticoncurrentielles en ce qu'elles aboutissent à tromper le maître de l'ouvrage sur les effets de sa mise on concurrence;
Qu'en l'espèce les entreprises, en se communiquant des informations, ont limité l'intensité de la pression concurrentielle à laquelle elles auraient été soumises si elles s'étaient déterminées de manière autonome; que même si l'on ne peut pas suivre l'Autorité de la concurrence dans son affirmation trop générale et catégorique quant à la nécessité pour les entreprises de préserver leur autonomie vis-à-vis du maitre de l'ouvrage (§ 281), les griefs retenus à l'encontre des quatre entreprises précitées sont, nonobstant la durée limitée d'effet des pratiques (six mois pour chacun des marchés), d'une gravité certaine, d'autant plus que, comme il a été vu plus haut, il n'est nullement démontré que la SNCF était à l'origine de la divulgation d'informations sur le comportement des concurrents; que de plus est concerné le secteur des transports touchant au service public;
Considérant que les entreprises contestent également l'existence du dommage à l'économie;
Que cependant, sans se contenter d'affirmer que le dommage à l'économie est présumé, ce qui est effectivement insuffisant pour caractériser son existence, l'Autorité de la concurrence rappelle justement que les actions qui limitent les effets bénéfiques de l'appel à la concurrence causent à l'économie un préjudice certain qui ne se mesure pas au préjudice particulier subi par le client, et qui existe même si comme en l'occurrence le prix d'attribution des lots a souvent été inférieur à l'estimation faite au préalable par la SNCF;
Que pour apprécier l'importance de ce dommage, l'Autorité de la concurrence a tenu compte à juste titre du montant conséquent des marchés de travaux concernés (55 356 095,42 euro), mais aussi de l'atténuation du dommage grâce au fort pouvoir de négociation du client, déjà évoqué plus haut;
Considérant que le contexte de l'affaire, mis en avant par la société ETF comme il a été vu plus haut, c'est-à-dire le recours très limité de la SNCF à la sous-traitance (15 %) par rapport aux travaux de régénération des voies effectués directement par elle, la forme des appels d'offres peu encadrés et laissant place à la négociation après l'ouverture des offres, contexte qui favoriserait la compétitivité entre les sous-traitants, confirmée par les fortes fluctuations de parts de marché, est sans incidence sur la réalité du dommage causé par les pratiques anticoncurrentielles ci-dessus caractérisées, révélatrices d'une volonté d'échapper au moins en partie à la baisse des prix résultant d'une vraie lutte concurrentielle;
Que de même est sans incidence sur la caractérisation du dommage à l'économie, l'erreur qu'aurait commise l'Autorité de la concurrence au § 174 de sa décision, en faisant allusion à une remise importante accordée à la SNCF après attribution des lots, alors qu'il s'agissait d'une baisse consentie au cours de la négociation de la SNCF avec le moins-disant dans les offres, donc avant attribution définitive du lot (- 22 % consenti par la société ETF pour le lot 30 du marché du 1er semestre 2004) ;
Qu'ainsi, et contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, l'Autorité de la concurrence n'a pas commis d'erreur déterminante dans son appréciation du dommage à l'économie;
Considérant que sur le plan de la situation individuelle des entreprises, l'Autorité de la concurrence a justement rappelé pour la société Colas Rail son chiffre d'affaires propre de 237 millions d'euro réalisé en 2008 et le chiffre d'affaires mondial du groupe Bouygues dans lequel ses comptes sont consolidés, qui s'est établi à 29 613 millions d'euro en 2007; que l'implication importante de la société Séco-Rail devenue Colas Rail dans l'entente ressort de sa participation aux échanges d'informations pour les deux marchés successifs et de la présentation d'offres de couvertures pour le premier, peu important de savoir si elle en a pris l'initiative ou si elle a suivi une incitation;
Que dans ces conditions la sanction de 2 600 000 euro infligée à la société Colas Rail n'est pas disproportionnée au regard des critères généraux et individuels posés par l'article L. 464-2, alinéa 3 du Code de commerce;
Considérant que s'agissant des sociétés Vecchietti et ETF, l'Autorité de la concurrence a commis une erreur en prenant en compte comme facteur aggravant l'existence d'une autre condamnation pour entente alors qu'elle est intervenue postérieurement aux faits de la présente affaire, et que l'ouverture antérieure de l'enquête de la DGCCRF ne peut pas être considérée comme un précédent rappel à la loi justifiant une sévérité accrue;
Que pour la société Vecchietti, l'Autorité de la concurrence a rappelé son chiffre d'affaires propre, à savoir 24 872 215 euro en 2008 ainsi que le chiffres d'affaires du groupe Bouygues auquel elle appartient, déjà cité ci-dessus, de 29 613 millions d'euro; que cette entreprise soutient que la prise en compte du chiffre d'affaires consolidé du groupe Bouygues dans son cas est contraire à l'article 7 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme car à l'époque des faits elle n'appartenait pas à ce groupe;
Mais considérant que l'article L. 464-2, alinéa 3 du Code de commerce impose de retenir le chiffre du groupe Bouygues pour calculer le montant maximum de la sanction pécuniaire encourue, même si les faits sont antérieurs à l'entrée de la société Vecchietti dans le groupe; qu'en effet la loi impose comme référence pour le chiffre d'affaires non pas celui réalisé au moment des faits, mais celui de l'exercice le meilleur depuis celui précédant les faits; que de toutes façons le moyen de la société Vecchietti est inopérant puisque la sanction prononcée (200 000 euro) est inférieure à 10% de son chiffre d'affaires propre;
Que finalement en raison de l'erreur de l'Autorité de la concurrence sur un facteur aggravant, la sanction de la société Vecchietti doit être abaissée à 180 000 euro;
Considérant que la société ETF estime que sa situation individuelle n'a pas été prise en compte dans la sanction dont le caractère est d'autant plus disproportionné par rapport à son rôle dans les pratiques et à son chiffre d'affaires que ses activités sont entièrement dédiées aux travaux ferroviaires et que l'amende de 1 200 000 euro représente une année de son chiffre d'affaires dans le secteur des travaux " hors suite ";
Mais considérant que le montant du chiffre d'affaires du marché précis sur lequel les pratiques se sont déroulées ne figure pas dans les critères de l'article L. 464-2 du Code de commerce; que l'Autorité de la concurrence qui a rappelé le chiffre d'affaires de la société ETF pour l'année 2008, c'est-à-dire 127 600 000 euro, a donc normalement pris en considération le montant de 12 760 000 euro comme plafond de l'amende encourue que la sanction prononcée est inférieure à 1 % du chiffre d'affaires de la société ETF dont les critiques ne sont pas pertinentes, sauf sur l'absence de réitération, ce qui justifie comme pour la société Vecchietti, d'abaisser la sanction à 1 080 000 euro ;
Considérant que la société Pichenot Bouillé demande elle aussi l'annulation de la sanction de 150 000 euro la concernant; que cependant son chiffre d'affaires en 2008 s'est établi à 14 700 000 euro; que compte tenu de son implication dans les faits ci-dessus décrits, et des éléments généraux et individuels rappelés plus haut, la société Pichenot Bouillé est mal fondée à critiquer la sanction prononcée à son encontre;
Considérant que le présent arrêt constitue le titre ouvrant droit à restitution des sommes trop versées au titre de l'exécution de la décision, lesdites sommes assorties des intérêts au taux légal à compter de la notification de l'arrêt, valant mise en demeure; qu'il n'y a donc pas lieu de statuer sur la demande des parties requérantes tendant à cette restitution ;
Par ces motifs, LA COUR, Dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer; Déclare irrecevables les recours de la société Vecchietti et de la société ETF contre l'ordonnance d'autorisation de visite et saisie rendue le 23 juin 2004 par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Versailles; Rejette le recours formé par la société Colas Rail contre l'ordonnance d'autorisation de visite et saisie rendue le 23 juin 2004 par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Versailles; Annule la décision n° 09-D-25 rendue le 29 juillet 2009 par l'Autorité de la concurrence, en ce qu'elle a dit que la société Offroy a enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 81 du traité CE et a prononcé une sanction pécuniaire à son encontre; Rejette intégralement le recours de la société Colas Rail et le recours de la société Pichenot Bouillé contre la décision n° 09-D-25 du 29 juillet 2009; Réformant partiellement la décision n° 09-D-25 du 29 juillet 2009, sur le montant des sanctions, réduit la sanction de la société Vecchietti à 180 000 euro et la sanction de la société ETF à 1 080 000 euro; Rejoue les recours pour le surplus; Condamne la société Colas Rail, la société Vecchietti, la société ETF et la société Pichenot Bouillé aux dépens; Vu l'article R. 470-2 du Code de commerce, dit que sur les diligences du greffier en chef de la cour, le présent arrêt sera notifié, par lettre recommandée avec accusé de réception, à la Commission européenne, à l'Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l'Economie.