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Décisions

CA Bordeaux, ch. soc., 22 mars 1983, n° 3304-81

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Total (SA)

Défendeur :

Dendaletche (Epoux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lataste

Conseillers :

MM. Guirand, Bouscharain

Avoué :

Me Julia

Avocats :

Mes Archer, Vaujour

Cons. prud'h. Bordeaux, du 27 avr. 1981

27 avril 1981

Faits et procédure

La cour est saisie de l'appel de la société Total CFD à l'encontre du jugement rendu le 27 avril 1981 par le Conseil de prud'hommes de Bordeaux qui, dans un différend prud'homal opposant l'appelante aux époux Dendaletche rendait la décision suivante :

" Condamne la société Total à payer aux époux Dendaletche les sommes de 89 539 F et de 4 665 F qui produiront intérêt au taux légal à compter de la demande en justice.

Déboute les époux Dendaletche du surplus de leurs prétentions.

Condamne également la société Total aux dépens qui comprendront les honoraires du technicien.

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement ".

La cour se réfère pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties au jugement attaqué ainsi qu'aux conclusions très détaillées versées au dossier de la cour.

Pour sa part la société Total prie la cour de :

Déclarer prescrites toutes demandes antérieures au 25.03.1972,

Constater le caractère non probant de la comptabilité produite et l'existence de fraudes avouées par les époux Dendaletche eux-mêmes,

Dire et juger en conséquence que les époux Dendaletche doivent être déclarés irrecevables et en tout cas mal fondés en leurs demandes à toutes fins qu'elles comportent.

Subsidiairement :

Dire et juger que les époux Dendaletche ne peuvent prétendre au paiement d'aucune heure supplémentaire ;

Dire et juger que le " niveau minimal de ressources " des époux Dendaletche doit être fixé pour la période 25.03.1972 au 06.03.1975 à la somme de 143 519,52 F, incluant l'indemnité de congés payés pour la dernière période ;

Constater que l'expert n'a procédé que très partiellement à la vérification de la comptabilité des époux Dendaletche ;

Dire et juger en conséquence que les droits des époux Dendaletche ne sauraient être liquidés en prenant en considération les bénéfices d'exploitation tels que déterminés par l'expert.

Dire et juger que les époux Dendaletche ne rapportent pas la preuve - qui leur incombe - des heures supplémentaires qu'ils prétendent avoir effectuées ;

Dire et juger que non seulement cette preuve n'est pas rapportée mais que les éléments du dossier permettent d'établir que les époux Dendaletche n'en ont pas exécuté, les volumes débités dans la station ayant été inférieurs à 60 m3/mois, ce qui, selon la " norme " d'une organisation syndicale de détaillants invoquée par les demandeurs eux-mêmes correspond à un horaire normal de travail (c'est-à-dire 40 H/S par chacun des deux époux) et non pas 84 H/S comme les époux Dendaletche le prétendent abusivement et contrairement à une jurisprudence constante;

Dire et juger que les époux Dendaletche sont mal fondés en leur demande tendant à inclure quelque somme que ce soit dans le calcul de la rémunération minimale garantie au titre des congés payés non pris, ou des dommages et intérêts de ce chef, alors qu'ils ne justifient pas avoir demandé à la société Total d'en prendre ni que celle-ci leur aurait opposé un refus, et qu'au surplus il est constant qu'ils en ont effectivement pris pendant la période de réclamation ;

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les époux Dendaletche de leur demande en paiement d'une indemnité de licenciement alors qu'ils ont eux-mêmes démissionné ;

Dire et juger au contraire que la société Total est créancière des époux Dendaletche de la somme de 26 346 F perçue par eux au titre de l'indemnité de fin de gérance, les deux statuts (légal) (loi de 1941) et conventionnel (AIP du 25.04.1973) ne pouvant se cumuler et les époux Dendaletche ayant opté pour le premier, et celle de 9 773,79 F (solde débiteur de fin de gérance) ;

Condamner les intimés en tous les dépens de première instance et d'appel qui comprendront les frais de Me Julia, dont la présence effective aux débats a été constatée.

De leur côté, les époux Dendaletche demandent à la cour :

- de confirmer le jugement du Conseil des prud'hommes de Bordeaux en toutes ses dispositions et, notamment de les dire recevables en leur demande en paiement de rappel de rémunérations pour toute la période concernant l'exploitation d'un point de vente de la société Total du 17 mars 1970 au 6 mars 1975.

- de confirmer le jugement critiqué en ce qu'il a fixé à la somme de 214 612 F le rappel d'heures de base, à 43 527 F les heures supplémentaires effectivement réalisées et à 4 665 F les dommages et intérêts pour non respect de la législation sur les congés payés.

- de confirmer ledit jugement en ce qu'il a retenu au titre des bénéfices effectivement réalisés par les époux Dendaletche la somme de 168 600 F.

En conséquence,

- de condamner la société Total au paiement de la somme de 94 204 F au titre de rappel de leur rémunération.

- de dire que cette somme portera intérêt au taux légal à compter de la demande introductive d'instance.

- de condamner la société Total à tous les dépens, et notamment aux frais d'expertise.

- de débouter la société Total de sa demande an paiement reconventionnelle à leur égard.

Decision de la cour

Attendu qu'il est utile de rappeler que suivant acte sous seing privé en date du 17 mars 1970, la société Total donnait en location-gérance aux époux Dendaletche une station-service sise à Mérignac en Gironde fonctionnant sous l'enseigne du "Relais de Capeyron" ;

Que cette station était une station de ville ;

Que le 24 avril 1974 un avenant modifiait les clauses du contrat initial et le 6 mars 1975 prenaient fin les relations contractuelles entre les parties ;

Qu'après avoir cessé leur activité pour le compte de la société Total ils l'ont assignée devant le Conseil de prud'hommes de Bordeaux en vue de se voir reconnaitre le bénéfice de la loi du 21 mars 1941 et en vue d'obtenir le paiement d'un rappel de salaires et d'accessoires de salaires ;

Sur l'exception de prescription

Attendu qu'au vu des pièces produites par les époux Dendaletche il s'avère que ces derniers ont saisie le 27 octobre 1975 le greffier du Tribunal d'instance de Bordeaux pour qu'il cite la société Total en conciliation à l'effet d'obtenir des rappels de salaires, d'heures supplémentaires et de congés payés ;

Que cette instance engagée donc en 1975 s'est poursuivie les années suivantes pour aboutir après des incidents de procédure et une mesure d'information à la décision déférée du 27 avril 1981 ;

Qu'il se révèle ainsi que l'exception de prescription soulevée par la société Total, relative au rejet de toute demande de rappels antérieurement au 25 mars 1972, doit être écartée ;

Qu'il s'ensuit que les prétentions des époux Dendaletche doivent être examinées à compter du 2 mars 1970, époque où le contrat de location-gérance a commencé à produire ses effets ;

Sur les demandes des époux Dendaletche

Attendu que l'expert désigné par le tribunal avait pour première mission de déterminer la rémunération théorique dont auraient dû bénéficier les époux Dendaletche si la loi du 21 mars 1941 avait été respectée et pour seconde tâche de rechercher la rémunération effective retirée par les intimés de l'exploitation de la station service ;

Que la créance éventuelle des époux Dendaletche à l'égard de la société Total procède de la différence existant entre ces deux masses ;

Qu'il y a donc lieu d'analyser le travail de l'expert Paumier portant sur le calcul de ces deux masses ;

A - Sur le calcul de la première masse

Attendu qu'il est utile de rappeler que les gérants libre de station-service doivent bénéficier du coefficient 190 prévu par la Convention collective nationale de l'industrie du pétrole dite CCNIP.

Qu'il convient de relever que puisque les intimés sont signataires du même contrat, ils concourent de manière identique à la gestion et à l'exploitation de la station et qu'ainsi aucune discrimination ne doit être pratiquée en ce qui concerne le montant de leur rémunération ;

Que le problème qui est alors soumis à la cour est celui de savoir si les époux Dendaletche peuvent prétendre au paiement d'heures supplémentaires ;

Que si ces heures sont effectivement travaillées, elles doivent être rémunérées dans la mesure où elles ont assuré un profit à la société Total puisque ce travail a permis l'écoulement de produits commercialisés sous sa marque ;

Que l'expert au sujet de ces heures supplémentaires a effectué des recherches minutieuses et a notamment reconstitué les heures de travail en fonction des litrages de carburants écoulés dans la station ;

Que sur ce point il est admis dans la profession que dans une station urbaine un couple de gérants peut très normalement réaliser sans le concours d'une tierce personne des ventes de carburants représentant 60 m3 par mois ;

Qu'à partir de cette base, il convient, comme le précise l'expert, de retenir pour chacun des époux Dendaletche un travail effectif de 48 heures par semaine ;

Que cette estimation de l'expert ne peut être sérieusement contestée par la société Total car il faut prendre en considération les horaires d'ouverture de la station, les temps morts et les heures de pointe avec leur compensation éventuelle, l'absence d'employé à la station, les heures consacrées par Madame Dendaletche à ses occupations ménagères, enfin la fermeture de la station un jour chaque quinzaine à partir de mai 1973 ;

Que la société Total peut difficilement soutenir qu'un gérant de station peut en 40 heures de travail débiter tout à la fois 7 500 litres environ de carburant, effectuer l'entretien de la station, accomplir les taches administratives et comptables, assurer le service à la clientèle, faire des vidanges, graissage, lavages, entretien de véhicules etc... ;

Qu'en se fondant sur cet horaire hebdomadaire de 48 heures et en calculant les heures de travail déterminées par les rendements de la station, l'expert a chiffré à juste titre à 214 612 F le salaire de base des deux intimés, et à 43 527 F le montant des heures supplémentaires formant un total de 258 139 F ;

Que cette somme doit donc être retenue comme constitutive de la première masse, c'est-a-dire correspondant au niveau minimal de ressources ;

Que le montant de 143 519,52 F évalué par la société Total ne correspond vraiment pas à la réalité et ne peut donc être accepté comme niveau minimal de ressources ;

B - Sur le calcul de la seconde masse

Attendu que la cour mesure les difficultés rencontrées par les époux Dendaletche pour tenir une comptabilité matériellement aussi parfaite qu'un travail similaire effectué dans des conditions de continuité et de tranquillité toutes différentes par le comptable d'une grande entreprise ;

Qu'il convient également de noter que la société Total dispose tant en droit qu'en fait de moyens de contrôle privilégiés sur les revenus d'exploitation des gérants ;

Que ces derniers notamment doivent produire leur comptabilité à toute réquisition des inspecteurs de la Compagnie ;

Que certes les pièces comptables examinées par l'expert concernant les ventes des accessoires ou encore les recettes de prestations lui sont apparues un peu sommaires et parfois incomplètes ;

Qu'il échoit cependant d'approuver les méthodes de travail de l'expert et de retenir en définitive comme pertinents dans leur ensemble les résultats auxquels il est parvenu, en évaluant à 168 600 F le montant des bénéfices réalisés par les intimés ;

Qu'il convient donc de retenir cette somme comme représentant la seconde masse qui était à déterminer dans le présent litige ;

C - Sur la différence entre les deux masses

Attendu qu'en comparant la première masse fixée à 258 139 F et la seconde arrêtée à 168 600 F il se révèle que la rémunération restant encore due aux deux époux Dendaletche s'élève à 258 139 - 168 600 = 89 539 F ;

Qu'il convient donc de confirmer sur ce point la décision des premiers juges avec cette précision que la somme de 89 539 F portera intérêts au taux légal à compter du jour de la demande initiale ;

Sur l'indemnité de licenciement

Attendu que c'est à juste titre que le Conseil de prud'hommes a écarté cette prétention formulée par les époux Dendaletche ;

Qu'en effet, ces derniers ayant démissionné de leurs fonctions, ils ne peuvent donc solliciter une telle indemnité ;

Que d'ailleurs, dans leurs écritures d'appel, les intimés ne paraissent pas renouveler leur demande sur ce point ;

Qu'il échoit dès lors de confirmer le jugement attaqué sur ce chef de prétention ;

Sur les dommages et intérêts pour inobservation de la législation des congés payés

Attendu sur les sommes réclamées par les intimés à titre de dommages et intérêts pour non respect de la législation sur les congés payés, que contrairement à ce qu'a décidé le Conseil de prud'hommes leurs prétentions doivent être rejetées ;

Qu'en effet la cour observe d'une part que les époux Dendaletche ont perçu une rémunération portant sur les dix mois de l'année considérée, d'autre part que l'indemnité compensatrice de congés payés ne peut se cumuler avec les salaires intégralement perçus, qu'enfin ils ne rapportent aucune preuve d'une faute de la société Total, base de leur demande, qui résiderait dans le fait de les avoir sciemment empêchés de prendre des congés qu'ils n'ont pas eux-mêmes demandés ;

Que c'est donc à tort que les premiers juges ont accordé aux époux Dendaletche la somme supplémentaire de 4 665 F ;

Sur les demandes reconventionnelles de la société Total

Attendu en premier lieu que la société réclame aux intimés la somme de 9 773,79 F qui d'après elle correspond à un solde débiteur de fin de gérance ;

Qu'à l'appui de ses affirmations elle produit la photocopie d'un relevé non daté accompagné de photocopies de factures diverses dont le contrôle est difficile à faire en l'absence d'explications complémentaires ;

Qu'il est singulier par ailleurs de relever que si vraiment la somme réclamée par la société Total était encore due par les époux Dendaletche, l'expert n'en ait été nullement informé ;

Qu'il s'ensuit que cette prétention de la société appelante insuffisamment justifiée d'une part et vivement critiquée par les intimés d'autre part, doit être rejetée ;

Attendu, en second lieu, que dans ses écritures d'appel, la société Total sollicite le remboursement de la somme de 26 346 F représentant le montant de l'indemnité de fin de gérance allouée aux époux Dendaletche ;

Que dans le dossier de la société appelante il n'existe aucun document permettant à la cour de savoir à quoi correspond cette indemnité, sur quelle base elle repose, à quelle date elle a été payée ;

Qu'en l'absence de la moindre documentation susceptible d'accréditer cette seconde réclamation de la société Total, il convient de l'écarter ;

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, Déclare mal fondé l'appel de la société Total CFD à l'encontre du jugement rendu le 27 avril 1981 par le Conseil de prud'hommes de Bordeaux, Rejette l'exception de prescription formulée par la société Total CFD. Confirme la décision déférée : 1°) en ce qu'elle a condamné la société Total CFD à payer aux époux Dendaletche la somme de quatre-vingt neuf mille cinq cent trente neuf francs (89 539 F) avec intérêts au taux légal à compter de la demande en justice. 2°) en ce qu'elle a débouté les époux Dendaletche de leur demande d'indemnité de licenciement. 3°) en ce qu'elle a condamné la société Total aux dépens qui comprendront les honoraires du technicien. Réformant pour le surplus et statuant à nouveau : Déboute les époux Dendaletche de leur demande de dommages et intérêts pour non respect de la législation sur les congés payés. Y ajoutant : Rejette les demandes formulées par la société Total tendant au remboursement des sommes de neuf mille sept cent soixante treize francs soixante dix neuf centimes (9 773,79 F) et de vingt six mille trois cent quarante six francs (26 346 F) ; Condamne la société Total CFD aux dépens d'appel y compris les droits de plaidoirie.