ADLC, 24 juin 2010, n° 10-D-19
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à des pratiques mises en œuvre sur les marchés de la fourniture de gaz, des installations de chauffage et de la gestion de réseaux de chaleur et de chaufferies collectives
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de M. Simon Genevaz, l'intervention de M. Pierre Debrock, rapporteur général adjoint, par Mme Elisabeth Flüry-Hérard, vice-présidente, présidente de séance, Mme Pierrette Pinot, MM. Emmanuel Combe, Jean-Bertrand Drummen, membres.
L'Autorité de la concurrence (section IV),
Vu la lettre enregistrée le 19 janvier 2006, sous le numéro 06/0010 F, par laquelle la société Ne Varietur a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par Gaz de France ; Vu les articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce modifié ; Vu les décisions de secret des affaires n° 08-DSA-21 du 4 février 2008, n° 08-DSA-42 du 21 mars 2008, n° 08-DSA-140 et 08-DSA-141 du 2 septembre 2008, n° 09-DSA-158 et 09-DSA-159 du 2 septembre 2009 et n° 10-DSA-25 du 26 janvier 2010 ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu l'avis de la Commission de régulation de l'énergie du 12 mars 2009 ; Vu les observations présentées par les sociétés Ne Varietur, GDF Suez et le commissaire du Gouvernement ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint et les représentants des sociétés Ne Varietur et GDF Suez entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 20 avril 2010, le commissaire du Gouvernement ayant été régulièrement convoqué ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
1. Il convient de procéder successivement au rappel de la procédure puis à la présentation des secteurs et des parties concernés, avant de décrire les pratiques en cause.
A. RAPPEL DE LA PROCÉDURE
2. Le 19 janvier 2006, Ne Varietur, société holding du groupe Thion, a saisi le Conseil de la concurrence d'une plainte relative à des pratiques mises en œuvre par la société Gaz de France (devenue en 2008 " GDF Suez ") constitutives, selon elle, d'abus de position dominante. Cette saisine a été enregistrée sous le numéro 06/0010 F.
3. Le 24 octobre 2006, Ne Varietur a transmis au Conseil de la concurrence un dossier complétant sa saisine.
4. Le 10 décembre 2008, en application de l'article R. 463-9 du Code de commerce, le rapporteur général du Conseil de la concurrence a transmis la saisine de Ne Varietur pour avis à la Commission de régulation de l'énergie (ci-après la " CRE "). La CRE a rendu son avis le 12 mars 2009.
B. LES SECTEURS CONCERNÉS
5. Sont concernés par la présente saisine, le secteur de la vente de gaz naturel aux tarifs réglementés et celui de la gestion de moyens de production de chaleur centralisés.
1. LA VENTE DE GAZ NATUREL AUX TARIFS RÉGLEMENTÉS
6. La vente de gaz naturel aux tarifs réglementés est strictement encadrée. En l'espèce, les tarifs dits " à souscription " sont plus particulièrement visés par l'affaire.
a) Le régime juridique applicable
7. Les pratiques en cause ont été mises en œuvre entre les années 2000 et 2006, c'est-à-dire au début du processus de libéralisation des marchés de la vente de gaz naturel. En effet, le 1er août 2000, les grands clients industriels sont devenus éligibles, c'est-à-dire libres de s'adresser au fournisseur de gaz de leur choix au prix du marché. Ils ont été suivis par les consommateurs non-résidentiels qui sont devenus éligibles à leur tour le 1er juillet 2004. Le processus de libéralisation des marchés du gaz naturel s'est achevé le 1er juillet 2007, date à laquelle tous les consommateurs sont devenus éligibles. Cette date marque donc la fin de la distinction entre " clients éligibles " et " clients non-éligibles ".
8. Les clients éligibles qui choisissent de ne pas s'approvisionner en gaz sur le marché libre continuent à bénéficier des tarifs règlementés. Ainsi, c'est toujours la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz qui leur est applicable. En vertu de cette loi, le monopole de la fourniture de gaz est confié, en France, à GDF Suez et aux distributeurs publics locaux dans leur zone territoriale respective.
9. Le régime juridique des tarifs réglementés est encadré par le décret n° 90-1029 du 20 novembre 1990 et par la loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l'électricité et au service public de l'énergie.
10. L'article 3 du décret n° 90-1029, précité, prévoit que " [l]e prix facturé du gaz combustible peut comporter, d'une part, une redevance forfaitaire d'abonnement, d'autre part, le prix de l'énergie effectivement consommée. Chacune de ces composantes peut tenir compte des éléments suivants : 1° La puissance souscrite par le client ; 2° Les quantités effectivement utilisées par celui-ci ; 3° Les conditions d'utilisation, notamment la répartition des quantités demandées au cours de l'année ".
11. Le décret n° 90-1029, ainsi que la loi n° 2003-8, prévoient également que le prix du gaz est fixé par des barèmes déposés auprès du ministre de l'économie et soumis à son approbation, sur avis de la CRE.
12. Il existe ainsi deux types de tarifs réglementés de vente du gaz naturel :
- les tarifs de vente " en distribution publique ", qui concernent les consommateurs raccordés au réseau de distribution et consommant moins de 5 GWh par an ;
- et les tarifs de vente " à souscription ", qui s'appliquent aux consommateurs raccordés au réseau de transport et aux clients raccordés au réseau de distribution consommant plus de 5 GWh par an.
b) Les tarifs à souscription
13. Il existe deux types de tarifs à souscription : le tarif " souscription deux saisons " pour les clients raccordés au réseau de distribution (ci-après le tarif " S2S "), et le tarif " souscriptions transport saisonnalisées " pour les clients raccordés au réseau de transport (ci-après le " tarif STS ").
14. Les tarifs à souscription s'appliquent uniquement à une clientèle professionnelle en raison des caractéristiques techniques d'accès et des volumes de gaz concernés. Les clients s'engagent en effet sur un volume de gaz naturel à consommer (ou " enlèvement "), le prix payé dépendant de la consommation et du débit maximum journalier auquel les clients souscrivent.
15. Le tarif S2S comporte douze niveaux, chacun prévoyant une " prime fixe " (différenciée hiver/été) pour le débit journalier et un prix proportionnel (également différencié hiver/été) pour le gaz consommé. Les douze niveaux de prix correspondent à l'éloignement géographique des communes par rapport au point de raccordement de leur réseau de distribution au réseau de transport de GRT Gaz.
16. Le tarif S2S est également assorti de conditions commerciales particulières, appelées " options ", conçues pour adapter le prix à des conditions de consommation spécifiques. Ces options concernent un nombre limité de clients (500 clients environ).
17. Le tarif STS est quant à lui fonction du coût de transport jusqu'au point du réseau concerné. Il comprend un prix d'abonnement, deux niveaux de prime fixe (une prime fixe annuelle, et une prime fixe dite " de sur-débit d'été "), ainsi que quatre niveaux de prix proportionnels pour le gaz consommé, ces quatre niveaux dépendant de la saison (hiver/été) et de l'enlèvement.
18. Les barèmes des tarifs à souscription sont déposés auprès du ministre de l'industrie lors de chaque mouvement tarifaire. Depuis 2003, ils sont également soumis pour avis à la CRE. L'avis de la CRE est publié au JORF et contient les nouveaux barèmes. Depuis 2004, GDF publie également sur son site internet des informations sur les derniers mouvements tarifaires.
19. Dans un avis sur le mouvement des tarifs à souscription au 1er avril 2003, la CRE a souligné la nécessité d'établir ces tarifs de manière transparente et non discriminatoire. Selon la CRE, ceci signifie que :
- les tarifs à souscription ne peuvent pas donner lieu, en tant que tels, à négociation commerciale ;
- les autres conditions financières et contractuelles, y compris la rémunération de l'interruptibilité et les pénalités en cas d'erreurs de prévision de la consommation d'un site, doivent être harmonisées.
20. L'instruction a révélé que certaines options tarifaires pratiquées par GDF Suez ne faisaient pas l'objet de publicité. Ainsi, dans son avis du 12 mars 2009, la CRE a indiqué que les conditions des ces options n'apparaissent ni dans les barèmes publiés par Gaz de France depuis 2003, ni dans les projets de barèmes tarifaires sur lesquels la CRE est saisie pour avis.
2. LA GESTION DE MOYENS DE PRODUCTION DE CHALEUR CENTRALISÉS
a) Description générale
21. La demande de chaleur peut être satisfaite par l'utilisation de différents systèmes de production de chaleur, dont les principaux sont :
- les " réseaux de chaleur " (ou " chauffage urbain ") qui sont des systèmes consistant à produire de la vapeur ou de l'eau surchauffée à partir d'une ou plusieurs chaufferies ou récupérateurs de chaleur, puis à l'acheminer au moyen d'un " réseau primaire " de canalisations à une sous-station installée dans chaque immeuble raccordé au réseau. La chaleur est ensuite distribuée à l'usager par le réseau, dit " réseau secondaire ", de canalisations de l'immeuble ;
- les " chaufferies collectives " correspondent à un autre système de chauffage collectif reposant sur l'installation de chaufferies. Les chaufferies collectives diffèrent des réseaux parce qu'elles sont des ouvrages plus réduits, les chaufferies collectives produisant généralement de la chaleur pour un immeuble. En outre, les prestations confiées aux opérateurs sont plus circonscrites, et vont
de la fourniture de combustibles à la conduite et/ou à la maintenance des installations ;
- les systèmes de chauffage individuel nécessitant l'installation d'une chaudière individuelle (principalement alimentée au gaz ou au fioul) et des canalisations ;
- le chauffage électrique sans chaudière ni canalisation.
22. Les réseaux de chaleur et chaufferies collectives sont des systèmes de production dits " centralisés ". L'exploitation de ces équipements est généralement confiée à des opérateurs spécialisés, sélectionnés par la voie d'appels d'offres.
Les réseaux de chaleur
23. Les réseaux de chaleur sont des équipements plus étendus, avec une chaufferie centrale qui alimente un réseau de canalisations distribuant la chaleur dans la zone desservie. L'activité d'exploitant de réseaux consiste dans la gestion du réseau en vue de vendre de la chaleur. Les contrats pour l'exploitation de réseaux de chaleur prévoient des tarifications généralement binômes, composées des termes tarifaires suivants :
- R1 : terme tarifaire proportionnel correspondant à la fourniture de combustible ;
- R2 : terme tarifaire fixe correspondant à la répartition des charges fixes entre les différents abonnés.
Les chaufferies collectives
24. Les chaufferies collectives peuvent être alimentées à l'électricité ou fonctionner par la combustion d'une énergie (gaz, charbon ou fioul) ou à l'aide d'une énergie récupérée.
25. Seules les chaufferies utilisant une énergie combustible sont concernées par l'activité d'exploitant de chaufferie puisque " [a]u contraire des installations électriques, les chaufferies fonctionnant à l'aide d'une énergie combustible nécessitent des prestations propres qui sont l'activité principale des exploitants de chaufferies. Ces prestations comprennent, d'une part, une activité de fourniture de produits combustibles autres que ceux entrant dans le champ du monopole de Gaz de France et, d'autre part, une activité de prestations d'entretien et de maintenance des installations " (avis du Conseil de la concurrence n° 90-A-13 du 17 juillet 1990 relatif à la cession à la Compagnie générale des eaux des titres Blanzy-Ouest détenus par la Société nationale Elf-Aquitaine).
Les opérateurs spécialisés
26. Les cinq principaux opérateurs spécialisés dans la gestion de réseaux de chaleur et de chaufferies collectives durant la période concernée par la présente affaire étaient :
- le groupe Veolia, par le biais de sa filiale Dalkia ;
- le groupe Suez, par le biais de sa filiale SES-Elyo (" Elyo ") ;
- le groupe Ne Varietur-Thion, par le biais de ses filiales Soccram et Soparec ;
- le groupe GDF, par le biais de ses filiales Cofathec Services et Cofathec Coriance ;
- et Idex.
27. Depuis la fusion de GDF et Suez, la filiale Cofatech Coriance a été cédée au groupe A2A, et Cofathec Services et Elyo ont été regroupées au sein de la société GDF Suez Energie Services.
28. L'importance respective de ces opérateurs en 2005 en matière de gestion de réseaux de chaleur et de chaufferies collectives peut être estimée comme suit (1) :
<emplacement tableau>
29. Le gaz est la première énergie combustible utilisée pour alimenter les réseaux de chaleur et les chaufferies collectives. Ainsi, la part du gaz naturel dans les énergies combustibles utilisées par les réseaux de chaleur s'élevait à 43 % en 2005. Cette part était estimée à la même époque à 59 % en ce qui concerne les chaufferies collectives.
30. A l'époque des faits, la fourniture de gaz aux réseaux de chaleur et aux chaufferies collectives représentait donc une part non négligeable des débouchés de GDF, estimée, en 2005, entre 11 et 15 % de son chiffre d'affaires.
31. Depuis 2000, les opérateurs de moyens de production de chaleur centralisés sont en mesure d'exercer leur éligibilité pour certains de leurs sites. Ainsi, en 2005 :
- un tiers des volumes de gaz consommés par Dalkia l'était en offre de marché ;
- 30 % des approvisionnements de gaz de Cofathec provenaient de concurrents de GDF sur le marché libre ;
- un quart des volumes de gaz consommés par Elyo l'était en offre de marché ;
- 14 % des volumes de gaz consommés par les réseaux de chaleur exploités par Idex et 12 % des volumes de gaz consommés par ses chaufferies collectives l'étaient en offre de marché.
32. En revanche, durant la même période (2000-2005), Ne Varietur est le seul opérateur de taille significative à avoir choisi de continuer à s'approvisionner aux tarifs réglementés pour la quasi-totalité de ses sites de consommation de gaz.
b) Les activités de GDF Suez dans la gestion de moyens de production de chaleur centralisés
33. Dans les années 1990, GDF a diversifié ses activités en opérant dans des secteurs situés à l'" aval du compteur " dans la chaîne de valeur gazière, à savoir des activités de services étrangères à celles pour lesquelles l'établissement public avait initialement été créé (production et distribution de chaleur, entretien d'équipements de chauffage, etc.). GDF a ainsi créé la société Compagnie française des activités thermiques et climatiques (ci-après " Cofathec "), à la tête d'un groupe de sociétés actives dans l'exploitation et la maintenance d'équipements de chauffage. A l'époque des faits, Cofathec était alors elle-même contrôlée par la société Compagnie gazière d'activités immobilières et industrielles (ci-après " Cogac "), filiale à 100 % de GDF.
34. Cette stratégie de diversification a permis à GDF d'associer une activité de services à la fourniture du gaz naturel. GDF est donc devenu à la fois fournisseur de gaz pour les opérateurs spécialisés dans l'exploitation de réseaux de chaleur et de chaufferies collectives, y compris pour ses propres filiales, et fournisseur de gaz de clients finals disposant d'installations de chauffage individuelles.
35. Parallèlement à ses activités de fournisseur gazier, GDF exerce donc plusieurs formes de concurrence vis-à-vis d'opérateurs comme Ne Varietur. Ainsi, GDF concourt, via Cofatech, aux mêmes marchés d'exploitation de réseaux de chaleur et de chaufferies collectives, et GDF approvisionne les clients finals qui optent pour des équipements de chauffage individuels au détriment, le cas échéant, de moyens de chauffage centralisés.
c) Les relations contractuelles entre GDF et Ne Varietur
La prise de participation de GDF dans le capital de Ne Varietur
36. La société Thion & Cie et ses filiales forment un groupe actif dans le secteur de l'exploitation de réseaux de chaleur et de chaufferies collectives depuis les années 1960. En 2000, les conflits entre les actionnaires ainsi que des difficultés financières ont conduit le groupe Thion à ouvrir son capital. Pour ce faire, le groupe s'est tourné vers GDF, qui a alors accepté de prendre une participation minoritaire dans le capital de Ne Varietur, la société holding du groupe. Pour GDF, l'acquisition de cette participation s'inscrivait dans le cadre de sa politique de diversification d'activités.
37. Le partenariat entre les deux groupes a été structuré comme suit :
- GDF a fait l'acquisition, par le biais de Cogac, de 34 % du capital de Ne Varietur ;
- GDF a également souscrit à des obligations convertibles en actions pour un montant de 22,5 millions d'euro.
38. La prise de participation de GDF, via Cogac, dans le capital de Ne Varietur a conduit les parties à définir un cadre de collaboration. Trois accords conclus en août 2000 (dits les " accords d'août 2000 ") ont ainsi organisé les relations entre GDF et Ne Varietur.
Le contenu des accords d'août 2000
La lettre-accord du 3 août 2000
39. Par lettre en date du 3 août 2000, GDF (via sa filiale Cogac) et Ne Varietur (via ses actionnaires majoritaires) ont convenu de former ensemble une " alliance stratégique en France et en Europe dans le domaine des réseaux de chaleur ".
40. Dans le cadre de cette alliance, il est prévu que Ne Varietur assurera " le développement, tant que faire se peut, du gaz dans les réseaux dont ils sont concessionnaires ". GDF, pour sa part, fera de Ne Varietur (ou du groupe Thion) " son outil de développement dans le secteur des réseaux de chaleur en France et en Europe " et s'engage à lui consentir " les meilleurs tarifs et conditions de paiement que Gaz de France et ses filiales pratiquent pour ses clients dans les secteurs d'activités comparables ".
41. Les parties s'engagent également à " se coordonner afin d'éviter les sources éventuelles de conflit d'intérêts entre Gaz de France et le Groupe Thion ". GDF et Ne Varietur considèrent que les engagements pris dans la lettre du 3 août 2000 sont " un élément déterminant et indivisible de nos accords conclus à ce jour " (cotes 190-191).
Le protocole d'accord du 3 août 2000
42. Par un protocole d'accord, également daté du 3 août 2000, les parties ont prévu que la société Cogac prendra une participation à hauteur de 34 % dans le capital de Ne Varietur. Les parties ont en outre convenu de la signature d'une convention d'actionnaires " afin d'assurer l'équilibre de leurs relations au sein de la Holding [Ne Varietur] et de permettre à Cogac de participer aux décisions stratégiques concernant le Groupe Thion " (cote 155).
La convention d'actionnaires du 17 août 2000
43. Le 17 août 2000, Cogac et les actionnaires de Ne Varietur ont signé une convention d'actionnaires (cotes 166-188). Cette convention prévoit un certain nombre de mécanismes permettant à GDF de prendre connaissance des opérations commerciales de Ne Varietur. Ainsi :
- le conseil d'administration de Ne Varietur comprend trois administrateurs représentant GDF (2) (sur huit administrateurs) (article 4.1 (a) (i) et (ii)) ;
- les conseils d'administration de Soccram et Thion comprennent au moins un administrateur GDF (article 4.1 (a) (i)) ;
- le conseil d'administration de Ne Varietur approuve chaque année le budget annuel et le plan stratégique du groupe Thion pour les trois années suivantes (article 4.1(b)) ;
- les décisions stratégiques, qui incluent notamment les engagements commerciaux de plus de 800 000 euro ou de plus de 5 ans, sont soumises à une délibération préalable du conseil d'administration et à l'approbation d'au moins un administrateur GDF (article 4.1 (d) et annexe D) ;
- le conseil d'administration de Ne Varietur se réunit au moins quatre fois par an pour délibérer sur les affaires du groupe Thion (article 4.2 (a)) ;
- un rapport comprenant le compte d'exploitation du groupe Thion, sa situation de trésorerie, l'évolution de son activité et ses perspectives commerciales, financières et industrielles est remis chaque trimestre aux trois administrateurs GDF (article 4.2 (b)) ;
- Cogac peut procéder à des audits des sociétés du groupe Thion et a " à ce titre un accès, sans restriction, aux livres, registres, bureaux, installations, biens, personnels, conseils et comptables " de ces sociétés (article 4.3) ;
- les trois administrateurs GDF au conseil de Ne Varietur siègent à un " comité commercial " dont l'objet est d'examiner les contrats de concession et les contrats d'exploitation conclus par les sociétés du groupe Thion et d'assurer le suivi des relations du groupe Thion avec les municipalités, les exploitants et les co-concédants (article 4.4).
C. LES ENTREPRISES CONCERNÉES
1. GAZ DE FRANCE DEVENUE GDF SUEZ
44. La société GDF Suez est une société anonyme de droit français issue de l'absorption en 2008 de Suez par Gaz de France. GDF Suez est la société holding d'un groupe de sociétés actives tout au long de la chaîne de valorisation énergétique, dans l'électricité et le gaz naturel, d'amont en aval.
45. GDF Suez est l'opérateur historique pour la fourniture de gaz naturel en France. Le groupe reste, avec les entreprises locales de distribution, le fournisseur de gaz naturel aux tarifs réglementés.
46. A l'époque des faits, les activités de GDF Suez en matière de chauffage étaient regroupées au sein de Cofathec. Les activités de Cofathec étaient elles-mêmes confiées à deux filiales, à savoir Cofathec Services, active dans l'exploitation de chaufferies collectives, et Cofathec Coriance, active dans la gestion de plusieurs réseaux de chaleur en France.
47. Les liens capitalistiques existant entre ces différentes entités à l'époque des faits sont décrits dans le schéma suivant :
<emplacement tableau>
48. A l'époque des faits, le résultat net consolidé de la société Cofatech a évolué comme suit :
<emplacement tableau>
49. Le 28 mai 2008, l'activité d'exploitation de réseaux de chaleur de GDF a été cédée à la société A2A en application des engagements conditionnant l'autorisation de la fusion GDF/Suez par la Commission européenne.
50. Par ailleurs, GDF Suez a intégré les activités d'exploitation de réseaux de chaleur et de chaufferies collectives anciennement exploitées par Elyo, une filiale de l'ancien groupe Suez. Ces activités sont désormais intégrées avec les activités d'exploitation de chaufferies collectives de Cofathec dans GDF Suez Energie Services, une filiale à 99,99 % de GDF Suez, et exploitées sous la marque " Cofely ". L'activité de Cogac consiste désormais essentiellement en la détention de 34 % du capital de Ne Varietur et d'une participation dans une société immobilière.
51. Le chiffre d'affaires mondial consolidé de GDF Suez s'est élevé à 83,1 milliards d'euro en 2008. L'activité réseaux de chaleur et chaufferies collectives représente entre 1,5 % et 2 % de ce chiffre d'affaires.
2. Ne Varietur
52. La société Ne Varietur est une société anonyme de droit français, holding d'un groupe de sociétés actives dans l'exploitation de réseaux de chaleur et de chaufferies collectives.
53. Les activités de Ne Varietur en matière de chauffage sont principalement conduites par la société de chauffage, de combustible, de réparation et d'appareillage mécanique (ci-après " Soccram ") pour l'exploitation de réseaux de chaleur, et la société parisienne d'exploitation de chauffage (ci-après " Soparec ") pour l'exploitation de chaufferies. Ces sociétés sont détenues par Ne Varietur et ses filiales, notamment la société Thion & Cie.
54. Les liens capitalistiques entre ces entités au 19 décembre 2006 étaient les suivants :
<emplacement tableau>
55. Depuis 2000, GDF détient 34 % du capital de Ne Varietur par l'intermédiaire de Cogac.
56. Le chiffre d'affaires mondial consolidé de Ne Varietur s'est élevé à 284,5 millions d'euro en 2008. L'activité réseaux de chaleur et chaufferies collectives représente 70,3 % de ce chiffre d'affaires.
D. LES PRATIQUES RELEVÉES
1. RAPPEL DU CONTEXTE DANS LEQUEL LES PRATIQUES ONT ÉTÉ MISES EN OEUVRE
L'interprétation des accords d'août 2000
57. A la suite des accords d'août 2000 décrits plus haut, les relations entre GDF et Ne Varietur ont commencé à se détériorer progressivement. La mésentente entre les parties est attestée par les comptes-rendus de réunions et les échanges de correspondance intervenus entre elles en 2002. Il ressort de ces pièces que GDF et Ne Varietur s'opposent sur l'interprétation à donner aux accords d'août 2000.
L'interprétation des accords par Ne Varietur
58. Ne Varietur considère que, par les accords d'août 2000, GDF s'est engagée à renoncer à concurrencer les activités de Ne Varietur. Ainsi, selon elle, " le comportement des filiales du Groupe Gaz de France n'était pas conforme aux engagements pris ni à l'intérêt du Groupe. De partenaires supposés, elles se révélaient être des concurrents " (cote 3065).
59. Par ailleurs, dans une lettre en date du 21 septembre 2002, adressée à M. X..., président de Cogac, le président de Ne Varietur, M. Y..., a indiqué que l'accord du 3 août 2000 " s'oppose directement à la possibilité pour le groupe Gaz de France et en particulier ses filiales Coriance et Cofathec de se porter candidats à l'obtention de contrats de gestion déléguée de réseaux de chaleur pour lesquels le groupe Thion et en particulier sa filiale Soccram sont également candidats " et met en demeure Cogac " de retirer ou de renoncer à [ses] candidature[s] pour l'obtention des contrats [de gestion de réseaux de chaleur pour lesquels Soccram est également candidate] " (cotes 2745-2746).
L'interprétation des accords par GDF
60. Pour GDF, les accords d'août 2000 n'impliquent pas que les filiales de Cogac renoncent à concurrencer celles de Ne Varietur. Ainsi, par une lettre en date du 30 septembre 2002 adressée au président de Ne Varietur, le président de Cogac a indiqué qu'" il est patent qu'empêcher l'une ou l'autre des filiales de Cogac de se porter candidate à l'attribution de la concession d'un réseau de chaleur serait contraire aux principes élémentaires en droit interne et communautaire de la concurrence " et qu'en conséquence, " Coriance et Cofathec Services [...] soumissionnent de manière autonome et responsable, lorsqu'elles peuvent apporter une réponse satisfaisante pour la collectivité concernée et profitable pour elles-mêmes ", précisant que " [t]out autre agencement serait attentatoire au libre jeu de la concurrence et par là même répréhensible [...] et cela n'a jamais été l'intention de Cogac " (cotes 2332-2333).
La suspension partielle des accords d'août 2000
61. L'application des accords d'août 2000 a été partiellement suspendue par une décision du conseil d'administration de Ne Varietur du 6 septembre 2001 pour protéger la confidentialité des secrets d'affaires du groupe vis-à-vis d'un concurrent. Les comités commerciaux prévus dans la convention d'actionnaires dont l'objet consistait dans l'examen des éléments essentiels de l'activité commerciale des sociétés du groupe contrôlé par Ne Varietur n'ont jamais été réunis, à l'exception de deux réunions fin 2002 dans un but différent, à savoir la discussion des contentieux existant entre les deux groupes.
Les contentieux judiciaires entre les deux groupes
62. Les mauvaises relations entre les groupes Thion et GDF ont donné lieu à plusieurs contentieux judiciaires initiés devant le Tribunal de commerce de Paris.
63. Ainsi, GDF a notamment formé un recours à l'encontre de Ne Varietur en raison du refus de cette dernière de lui permettre d'effectuer un audit des sociétés du groupe en application de l'article 4.3 de la convention d'actionnaires du 17 août 2000. Ne Varietur invoquait en effet qu'un tel audit était contraire au droit de la concurrence.
64. Par jugement en date du 21 juin 2005, le Tribunal de commerce de Paris a relevé que les informations concernées par l'audit prévu à l'article 4.3 de la convention d'actionnaires (à savoir les " livres, registres, bureaux, installations, biens, personnels, conseils et comptables ") ne constituaient pas des informations " sensibles " au sens du droit de la concurrence. Après avoir souligné que Cogac était " prête à se limiter aux informations non "sensibles" ", le tribunal a jugé que le refus d'audit opposé à GDF par Ne Varietur constituait une violation grave de la convention d'actionnaires du 17 août 2000.
65. Par ailleurs, le 30 juin 2005, Ne Varietur a formulé contre GDF plusieurs demandes de réparation. Ne Varietur reprochait notamment à GDF d'avoir violé les conditions de leur partenariat, en concurrençant ses activités d'exploitant de réseaux de chaleur et en refusant d'appliquer à Ne Varietur les meilleurs conditions tarifaires, para-tarifaires et de paiement pour ses fournitures de gaz. Le 6 mars 2008, GDF a introduit à son tour une action contre Ne Varietur pour obtenir le remboursement de ses obligations convertibles en actions souscrites en 2000.
66. Les deux contentieux ont été joints le 16 juin 2008. Par jugement du 1er décembre 2008, le tribunal a rejeté les demandes de réparation de Ne Varietur en constatant que les accords entre les parties n'impliquaient pas que GDF et ses filiales renoncent à leur autonomie concurrentielle. Le tribunal a également considéré que l'application d'une politique tarifaire discriminatoire par GDF n'était pas démontrée, étant donné le contrôle étatique strict auquel sont soumis les tarifs réglementés de vente de gaz. Enfin, le tribunal a condamné Ne Varietur à payer à GDF la somme de 22,5 millions d'euro en remboursement des obligations souscrites par GDF en 2000.
67. Ne Varietur a interjeté appel de ce jugement le 12 décembre 2008. Par arrêt du 25 mars 2009, la Cour d'appel de Paris a soumis la procédure de remboursement des obligations à une évaluation préalable de la valeur des actions de Ne Varietur et Soccram mais a confirmé le jugement du 1er décembre 2008 pour le reste.
68. L'essentiel des réclamations de Ne Varietur évoquées dans ces procédures a été repris dans le cadre de sa saisine devant le Conseil de la concurrence.
2. LES PRATIQUES MISES EN OEUVRE PAR GDF ET Ne Varietur
a) Les faits relevés à l'occasion de la consultation de la ville de Reims en 2001-2002 pour la délégation du service public de production, de transport et de distribution de chaleur
Les échanges d'informations entre GDF et Ne Varietur
69. Le 8 juin 2001, la ville de Reims a publié un appel d'offres pour une délégation de service public de production, de transport et de distribution de chaleur. Les sociétés Soccram et Cofathec Coriance ont chacune fait acte de candidature le 27 août 2001 (cote 8802).
70. Par délibération du conseil municipal de la ville de Reims du 24 septembre 2001, quatre candidats ont été admis à présenter une offre, à savoir les sociétés Dalkia, Soccram, Cofatech Coriance et Elyo (cote 8791). Par lettres du 26 décembre 2001, les candidats ont été informés que la date de dépôt des offres était fixée au 28 février 2002 (cotes 8775 à 8778).
71. Comme en atteste le procès-verbal de la réunion du conseil d'administration de Ne Varietur du 6 septembre 2001, la candidature de Cofatech Coriance a fait l'objet d'une discussion entre les représentants de GDF et ceux de Ne Varietur (cotes 4065 à 4072).
72. En effet, il est indiqué : " Monsieur Y... [président de Ne Varietur] précise que, dans certains cas, une bonne coopération a pu être enregistrée entre Jean-Pierre Z... [directeur général de Coriance] et Massaoud A... [directeur du développement du groupe Thion] ", mais que " ce volet a été affecté par la candidature de Cofathec pour le renouvellement de la Délégation de Chauffage Urbain de Reims dont Soccram est l'exploitant depuis 1968. Pour Monsieur Y..., cette réponse s'inscrit en contradiction formelle avec les accords signés l'été dernier. Monsieur Y... interroge donc le Conseil pour savoir quel comportement il convient d'adopter lors des prochains Conseils de Ne Varietur, Thion et Soccram, quant aux informations commerciales, contractuelles et financières que la société a à transmettre au Groupe GDF en vertu des accords signés le 17 Août 2000. Monsieur Y..., sachant les impacts économiques, des informations divulguées en Conseil Ne Varietur, Thion et Soccram, demande aux membres du Conseil s'il doit continuer à divulguer ces informations en séance ou s'il doit suspendre cette information. Il signale qu'une autre affaire est également le théâtre de la non application des accords d'Août 2000 : il s'agit de Saint Dizier pour laquelle nous sommes désormais trois en concurrence : Dalkia, Cofathec et Soccram [...]".
73. L'avis des administrateurs de GDF sur le sujet est exprimé par le président de Cofatech, M. B..., de la manière suivante : " Pour le dossier de Reims, il indique qu'il y a eu des discussions entre les deux groupes sur le renouvellement de la Délégation de Service Public du Chauffage Urbain de Reims jusqu'au milieu de l'été, et que c'est faute de parvenir à une vision partagée par les deux Groupes, et donc à un accord sur la façon de traiter son renouvellement, que Coriance, a fait le choix de se porter candidat " (cotes 4068 et s.).
74. Dans la suite du procès-verbal de la réunion du 6 septembre 2001, il est indiqué que " Marc C... [censeur, représentant de la société L-A Finances, actionnaire minoritaire de Ne Varietur] l'interroge [M. Y..., président de Ne Varietur] alors pour savoir si GDF a eu connaissance des chiffres sur l'économie de ce contrat et quelles sont ses sources d'information ? Thierry Y... lui répond que lors de l'audit diligenté par GDF l'an dernier, préalablement à leur prise de participation dans Ne Varietur, le Cabinet Marceau Investissement a audité ce contrat et a disposé de toutes [c]es données. Monsieur B... précise, néanmoins, qu'à cette époque, ils n'avaient pas l'idée de soumissionner pour Reims et que les informations détenues par Coriance sur ce dossier ont été collectées sur le terrain par l'intermédiaire des services extérieurs et non fournies en conseil de Ne Varietur, Thion ou Soccram ou dans le cadre de l'audit réalisé préalablement à l'entrée de Cogac dans le capital de Ne Varietur [...] ".
75. S'agissant de l'importance du contrat de la ville de Reims, selon M. Y..., le président de Ne Varietur, " il s'agit d'un contrat important pour Soccram mais qu'il se refuse à divulguer des données chiffrées dans ce contexte et réitère la question qu'il a posée aux membres du Conseil ". Ensuite, " Monsieur D... [administrateur représentant la société AB 2000, actionnaire minoritaire de Ne Varietur] demande à Monsieur B... [président de Cofatech] s'il est possible de trouver une solution sur Reims, ce à quoi Monsieur B... répond que " tout est possible " et qu'il y a également d'autres affaires visées par nos accords ". Enfin, " Thierry Y... [président de Ne Varietur] interroge le Conseil pour savoir s'il doit continuer à divulguer des informations au sein des Conseils de Ne Varietur, Thion et Soccram ou s'il doit suspendre leur diffusion ? [...] Le Conseil, après en avoir délibéré, prend, à l'unanimité, la décision de suspendre la diffusion des informations commerciales, contractuelles et financières que la société a à transmettre au Groupe GDF en vertu des accords signés le 17 Août 2000, jusqu'à la date de sa prochaine réunion ".
76. La suspension de la diffusion d'informations commerciales, contractuelles et financières de Ne Varietur à GDF, a été confirmée lors des conseils d'administration de Ne Varietur les 14 novembre 2001, 21 mars 2002, 2 octobre 2002, 4 février 2003 et 24 juin 2003.
77. Certains échanges d'informations commerciales ont cependant eu lieu après le 6 septembre 2001.
78. En effet, le 19 novembre 2001, une réunion s'est tenue entre des représentants de Ne Varietur et GDF en présence du président de cette société. Selon les déclarations du président de Ne Varietur, lors de cette réunion, " Monsieur E... a signifié qu'il souhaitait, malgré les accords conclus, que les filiales de GDF répondent aux consultations publiques lancées pour les DSP de chauffage urbain, même si elles devaient se trouver en compétition avec les filiales du Groupe Thion-Ne Varietur, au moins sur le 1/3 des affaires au fur et à mesure qu'elles se présenteraient. Monsieur Y..., qui n'était pas en position de s'opposer aux décisions du Groupe GDF, et bien qu'il ait fait état des accords conclus, n'a pu obtenir de Monsieur E... que la concession suivante : que GDF et ses filiales ne concurrencent pas le Groupe Thion-Ne Varietur dans les consultations portant sur les DSP dont ce dernier était sortant. En conséquence, Monsieur E... a accepté que son Groupe se retire de la consultation en cours sur REIMS " (cotes 9296 à 9298). A cours d'une audition, le vice-président de Soccram a également déclaré : " Le point culminant [de la discorde entre Ne Varietur et GDF] a été l'opération de Reims (en 2002), où nous étions concessionnaires du réseau de chaleur et pour lequel Coriance a décidé de se porter candidat. Ceci a donné lieu à des discussions en haut lieu (entre le Président, M. Y..., et le Président de Cofathec, M. B...) et en Conseils d'administration ce qui a finalement conduit au retrait de Coriance, qui n'a pas remis d'offre. " (cote 4295).
79. Par ailleurs, lors du conseil d'administration du 17 janvier 2002, " Monsieur Thierry Y... [président de Ne Varietur] évoque tout d'abord l'affaire de Reims, laquelle constitue une cible commerciale majeure pour le Groupe, et précise que la date limite de remise des offres est fixée au 28 février 2002. Le Président indique que Coriance n'a pas retiré sa candidature et signale à ce sujet qu'un abonné du réseau de chaleur de Reims aurait soulevé le caractère illicite de la réponse de deux filiales du même Groupe à cet appel d'offres " (cote 4031).
80. Le 28 février 2002, parmi les quatre candidats admis à présenter une offre, seule Cofatech Coriance n'en a pas déposé. Le motif de son abstention était le suivant : " il apparaît en définitive que l'installation d'une cogénération de 12 MWe ne permet pas, à ce jour, une modification sensible de l'équilibre financier de cette affaire et ne permet donc pas à Coriance d'amener une plus-value significative dans cette opération " (cote 4086).
81. Le rapport d'analyse des offres de la ville de Reims avait noté à cet égard que les offres des candidats, concernant une option envisagée qui consistait à financer la construction d'une cogénération d'une puissance de 12 MW électriques, " ne présentent aucun intérêt économique. Cette conclusion est identique à l'argumentaire présenté par COFATHEC pour justifier son abandon du dossier " (cote 8725).
82. Le 21 mars 2002, le président de Ne Varietur a informé le conseil d'administration de Ne Varietur du retrait de Cofathec Coriance en ces termes : " Monsieur Thierry Y... informe le conseil du retrait de Cofathec du projet de Reims conformément à l'accord d'actionnaires et dans la ligne des discussions qu'il a eues avec le Président de Gaz de France, Monsieur E..., le 19 Novembre 2001 " (cote 4086). Ce procès-verbal a été approuvé par les administrateurs de GDF le 16 mai 2002 (cotes 12330 à 12334).
83. Par délibération du 23 septembre 2002, le conseil municipal de la ville de Reims a attribué le contrat de délégation de service public à Soccram.
Les nouveaux éléments apportés par GDF Suez en cours de procédure
84. En réponse à la notification des griefs, GDF Suez a versé au dossier de nouveaux éléments sur les pratiques concernées.
Les déclarations des dirigeants concernant la réunion du 19 novembre 2001
85. GDF a versé au dossier trois déclarations d'anciens dirigeants, en poste à l'époque des faits.
86. Dans une déclaration en date du 16 novembre 2009, l'ancien président directeur général de GDF, M. E..., a indiqué au sujet de la réunion du 19 novembre 2001 : " Bien que huit années se soient écoulées, je suis en mesure de vous préciser que cet entretien, auquel assistait également le Directeur Général Délégué, Bernard X..., a porté uniquement sur les difficultés d'application dont se plaignait Monsieur Y..., quant aux accord passés lors de la prise de participation de Gaz de France dans le Groupe Thion, en août 2000, et sur les relations tendues qu'il entretenait avec certains représentants du Groupe que je présidais alors. L'entretien s'est limité, à mon niveau, à des généralités tendant à améliorer le climat dont se plaignait Monsieur Y... et je réfute les propos qu'il me prête, n'étant aucunement entré dans un tel détail d'organisation, très éloigné de mes responsabilités de Président Directeur Général d'un Groupe tel que Gaz de France [...] " (cote 15179).
87. Dans une déclaration en date du 26 novembre 2009, l'ancien PDG de Cofathec, M. B..., a quant à lui exposé s'agissant de cette réunion : " A l'occasion de cette réunion, j'atteste par la présente qu'il a été réaffirmé par Monsieur E... que les sociétés des deux groupes avaient vocation à être en concurrence selon leurs intérêts propres et qu'il n'a pas été donné, en dépit des demandes réitérées de M. Y..., un quelconque accord afin que les filiales de Gaz de France ne soumissionnent pas en concurrence avec une entreprise du Groupe Thion, que cette dernière soit sortante ou non " (cote 15174).
88. Dans une déclaration en date du 4 décembre 2009, l'ancien directeur général délégué de GDF, M. X..., a indiqué : " Concernant l'affaire de Reims, je peux confirmer avoir participé à la réunion du 19 novembre 2001 mais les propos que Thierry Y... prête à Monsieur E... sont totalement faux. En effet, la finalité de cette réunion, pour Gaz de France, était de comprendre d'où venaient les difficultés entre nos deux groupes et si ces dernières ne résultaient pas, avant tout, de problèmes tenant aux personnes. Les participants à cette réunion ont très rapidement compris que les conflits provenaient des velléités de Monsieur Thierry Y... qui souhaitait, avant toute chose, obtenir des tarifs de gaz naturel totalement dérogatoires. L'appel d'offres de Reims n'a, dans mon souvenir, jamais été évoqué lors de cette entrevue et Monsieur E... n'a jamais donné son accord sur le fait que Coriance renonce à concurrencer Soccram lorsque cette dernière était sortante sur certains appels d'offres. Ce n'était d'ailleurs pas du tout son rôle en qualité de Président du Groupe Gaz de France [...] " (cote 15182).
Les raisons du retrait de Cofatech Coriance
89. GDF a par ailleurs indiqué, qu'en matière de délégation de service public, il était dans l'habitude de Cofathec Coriance de ne remettre une offre que dans 60 à 75 % des appels d'offres auxquels elle candidatait, puisque ces procédures, caractérisées par deux phases successives distinguant la sélection des candidats admis à présenter une offre et la remise des offres, incitent les entreprises à faire acte de candidature même lorsqu'elles ne sont pas sûres de déposer une offre et ce, afin d'obtenir les caractéristiques précises des prestations requises par la délégation de service public.
90. GDF a également précisé que les difficultés financières de Cofathec, avérées début 2002, avaient conduit le groupe à reconsidérer la candidature de leur filiale à des délégations de service public nécessitant des investissements importants. En effet, l'ancien PDG de Cofathec, M. B..., a indiqué dans sa déclaration du 26 novembre 2009 : " [...] le Groupe Cofathec en 2001 rencontrait de grosses difficultés financières : celles-ci étaient pleinement avérées au tout début de 2002 et exigeaient la mise en œuvre au plus vite de mesures de redressement ; [...] au final, la rentabilité du groupe apparaissait très obérée à l'époque des faits. En conséquence, dès le début de 2002, la politique générale du Groupe Cofathec, en accord avec la maison-mère Gaz de France, avait pour priorité le redressement de la situation financière tant en France qu'en Italie [...] d'où pour la filiale Coriance détenue à 100 %, la nécessité de reconsidérer ses projets en matière d'acquisition de nouvelles DSP impliquant des investissements importants. Dans ces conditions, l'acquisition de la DSP de Reims ne pouvait plus être considérée comme une opportunité intéressante pour le Groupe Cofathec " (cotes 15174 et 15175).
b) Les faits relevés à l'occasion de la consultation de la communauté d'agglomération de Cergy-Pontoise de 2005-2006 pour la délégation du service public de production, de transport et de distribution d'énergie calorifique
91. En 2005, la communauté d'agglomération de Cergy-Pontoise a publié un appel d'offres pour une délégation de service public pour la production, le transport et la distribution d'énergie calorifique sur le territoire de l'agglomération. Le 15 avril 2005, les sociétés Elyo, Cofatech Coriance, Dalkia et Soccram ont été admises à candidater.
92. L'instruction a révélé qu'à l'occasion de cet appel d'offres, Ne Varietur avait transmis des informations à GDF.
93. Cette transmission s'inscrivait dans le contexte du contentieux initié par GDF à l'encontre de Ne Varietur en raison du refus de cette dernière de lui permettre d'effectuer un audit des sociétés du groupe en application de l'article 4.3 de la convention d'actionnaires du 17 août 2000 et de l'arrêt du tribunal de commerce du 21 juin 2005 qui s'en est suivi (cf. paragraphes 63 et 64).
94. Le jugement du tribunal de commerce du 21 juin 2005 par lequel celui-ci a estimé que le refus d'audit en cause constituait une violation grave de la convention d'actionnaires a suscité des débats au sein du conseil d'administration de Ne Varietur.
95. Ainsi, lors de la réunion du 30 juin 2005, le président de Ne Varietur a indiqué que se posait la question " du contenu des informations transmises au Conseil d'Administration de Ne Varietur, comme d'ailleurs aux autres instances citées dans les Accords d'Août 2000. Le Président se demande si nous devons, aujourd'hui, à la suite de ce jugement, communiquer au Conseil les informations sensibles sur le marché de la société ".
96. Le débat suivant a alors commencé : " En ce qui concerne les informations sensibles, Monsieur Bernard X... [administrateur GDF] fait remarquer que le jugement mentionne qu'un certain nombre de précautions devaient être prises. [...] Le Président répond à Monsieur Bernard X... [administrateur GDF] qu'il lui semble important que le Conseil se prononce sur la communication ou non d'informations sensibles sur la société [...]. Monsieur Jean Pascal F... [administrateur GDF] intervient pour indiquer que le tout est de savoir s'il est du ressort du Conseil d'Administration de traiter des points tels que le prix de revient ou des détails d'appels d'offres ou si c'est à l'équipe de management de le faire. [...] Monsieur Jean Pascal F... [administrateur GDF] indique au Président qu'il n'a jamais été dit que Cogac voulait avoir communication d'informations dites sensibles, comme le mentionne d'ailleurs le jugement en page 8 : " Attendu que Cogac a fait preuve au cours des réunions du conseil d'administration des 6 et 20 Septembre 2001, puis du 16 Mais 2002 et par ses lettres du 14 Mai 2003 - proposant un accord de confidentialité - du 19 juin au 30 juillet 2003 - qu'elle était soucieuse du respect des dispositions légales relatives à la concurrence et prête à se limiter aux informations non " sensibles ". [...] Monsieur Charles G... [PDG de la société MBB, filiale à 99,9 % de Thion & Cie] intervient pour confirmer que toutes ces questions ont été débattues dès Août 2000 et que beaucoup d'informations ont été échangées à ce moment-là puisque nous nous attendions à une politique commune de développement ; malheureusement cela n'a pas été le cas et nous nous sommes retrouvés très rapidement en concurrence, ce qui rendait dangereuse l'application de cette mesure. " Je ne pense pas ", poursuit Monsieur Charles G..., " qu'à l'origine les Administrateurs se soient opposés à la communication d'informations, bien au contraire. Et si un Conseil a décidé à l'unanimité de cesser la diffusion d'informations, c'est bien parce que ceci posait un problème " " (3107-3108). Le conseil d'administration a finalement voté pour maintenir la suspension de la communication d'informations sensibles.
97. Lors de la réunion du conseil d'administration de Ne Varietur du 17 octobre 2005, les discussions entre les parties sur la question de la transmission d'informations ont repris : " [le président de Ne Varietur souligne que] les administrateurs sont pénalement responsables des échanges d'informations dans les conseils d'administration. [...] Le président [...] répète [à un administrateur GDF] qu'il ne souhaite pas que Gaz de France ait accès à des informations non communicables. Monsieur Bernard X... [administrateur GDF] intervient pour distinguer les informations financières des informations commerciales, seules ces dernières ne pouvant être effectivement communiquées. Le Président rappelle que l'ensemble des informations qu'elles soient commerciales ou financières, qu'elles portent sur la politique de recrutement, les frais généraux, etc. sont des éléments constitutifs des prix de revient de l'entreprise et ne sont pas communicables [...] ".
98. Enfin, lors du conseil d'administration de Ne Varietur du 22 novembre 2005, auquel participaient deux administrateurs GDF, MM. X... et K..., le président de Ne Varietur a indiqué que le jugement du tribunal de commerce du 21 juin 2005 imposait " la reprise des transmissions d'informations prévues au contrat d'actionnaires et notamment les décisions du Conseil sur les opérations stratégiques. A ce titre y figurent les appels d'offres relatifs à des contrats de plus de 800 000 euro et d'une durée supérieure à 5 ans. [...] Aujourd'hui, un appel d'offres relève de ces stipulations à savoir la consultation lancée pour la conclusion d'une délégation de service public pour la production et la distribution de chaleur de la Communauté d'agglomération de Cergy-Pontoise. La note économique réalisée par les services est remise en séance à l'ensemble des administrateurs, Monsieur Patrick H... en expose les principaux éléments, à savoir :
- date de remise des offres le 16 janvier 2006 ;
- nombre de MWh concernés : 320 000 MWh, Monsieur Patrick H... rappelle à cet égard que le dernier appel d'offres important auquel le groupe Thion a répondu au Grand Lyon concernait 280 000 MWh. [...]
- chiffre d'affaires prévisionnel : entre 14 et 15 millions d'euro ;
- effectif à reprendre : 33 personnes ;
- délégataire sortant : ELYO [...] ;
- opération représentant environ 30 000 équivalent logements ; [...]
Monsieur Patrick H... indique que le volume d'investissement à réaliser est important et nécessite donc l'accord du Conseil puisque la réponse à la consultation s'articule autour des solutions techniques suivantes :
- mise en conformité des installations existantes : environ 12 millions d'euro ;
- mise en place de nouveaux investissements dans le cadre du développement durable :
* solution de co-combustion sur la chaudière charbon existante : 6 millions d'euro,
* mise en place d'une petite cogénération de 10 MW pour assurer une source de production complémentaire : 8 millions d'euro,
* mise en place d'une chaudière gaz permettant d'éviter la mise en conformité de la chaudière fioul : 6 millions d'euro.
Soit un total d'investissements d'environ 36 millions d'euro.
Monsieur H... ajoute que l'offre du Groupe se situe à environ 48 euro/MWh sachant que la fourchette de prix de la collectivité est comprise entre 45 et 50 euro/MWh [...].
Le Président, pour compléter les propos de Monsieur Patrick H... et répondre plus précisément à la question des chances du Groupe de remporter cet appel d'offres, indique au Conseil qu'en l'occurrence il semblerait qu'au moins quatre candidats aient présenté une offre : Dalkia, Elyo, Coriance et le Groupe Thion et qu'on peut en déduire que nous avons une chance sur quatre de gagner à moins que Monsieur Bernard X... ait des informations sur la participation éventuelle d'autres candidats.
Monsieur Bernard X... répond qu'effectivement, à sa connaissance, ces quatre entreprises au moins devraient répondre à cet appel d'offres " (cotes 3094-3096).
99. La " note économique " distribuée lors du conseil d'administration aurait concerné l'offre que Ne Varietur envisageait de déposer pour le marché de la communauté de l'agglomération de Cergy-Pontoise. Cette note détaille l'analyse technique du réseau et des investissements requis, les hypothèses d'exploitation retenues par Ne Varietur, y compris les investissements envisagés, le bilan économique et le prix au MWh correspondant (cotes 4274 et s.).
100. Dans sa déclaration en date du 4 décembre 2009, l'ancien directeur général délégué de GDF, M. X..., a reconnu avoir reçu la note économique : " [...] je peux attester que " la note économique " nous a été remise par Messieurs Thierry Y... et Patrick H... en conseil d'administration du Ne Varietur le 22 novembre 2005, alors que nous n'avions jamais sollicité de leur part de telles informations et que ce sujet ne figurait pas à l'ordre du jour de cette réunion ".
101. Un débat sur la légalité de cet échange d'informations au sein du conseil d'administration de Ne Varietur du 22 novembre 2005 s'est à nouveau engagé : " Le Président rappelle qu'il attire l'attention du Conseil depuis plusieurs mois sur ce sujet et qu'à son sens, des débats plus approfondis du Conseil sur l'appel d'offres de Cergy-Pontoise constituent à son sens une infraction, ce dont les administrateurs, et en particulier les représentants de Gaz de France, semblent ne pas avoir conscience, alors qu'une situation de conflit d'intérêts existe au sein même du Conseil. Toutefois, le Président ajoute que malgré l'appréciation qu'il peut porter sur cette situation et dont il a fait part à de nombreuses reprises, il est aussi de son devoir de ne pas exposer la société à une autre décision défavorable des tribunaux, bien que Ne Varietur ait évidemment fait appel du jugement du 21 juin. [...] Monsieur Albin I... [administrateur Ne Varietur] souhaite qu'il soit inscrit au procès-verbal qu'en attendant ces consultations, il refuse d'être informé de ce qui se passe entre deux concurrents directs sur les marchés publics. Monsieur Denys J... [administrateur Ne Varietur] intervient pour préciser qu'il est également mal à l'aise depuis l'évocation de l'appel d'offres de Cergy-Pontoise et qu'il estime qu'il n'est pas souhaitable de constituer le comité commercial.
Monsieur Bernard X... indique que si le Conseil doit effectivement se prononcer sur les niveaux d'investissements qu'est autorisé à faire le Groupe Thion, il n'a pas besoin de connaître, pour ce faire, le prix du MWh de chaque appel d'offres examiné. [...] Monsieur Bernard X... indique qu'à son sens il est bon que le Conseil soit amené à se prononcer sur des montants d'investissement, sans avoir à connaître dans ce cadre des niveaux de prix auxquels le Groupe répondra dans les différents appels d'offres. [...] Monsieur Bernard X... répète qu'il n'a pas besoin de connaître l'ensemble de ces éléments et en particulier le prix final de l'offre du Groupe Thion aux appels d'offres, ni les solutions techniques pour se prononcer sur les investissements à effectuer " (cote 3098-3099).
102. Lors du conseil d'administration de Ne Varietur du 30 novembre 2005, une note juridique, concluant à la possible qualification de l'échange d'informations du 22 novembre 2005, comme infraction à l'article L. 420-1 du Code de commerce, a été distribuée aux administrateurs. La réaction des administrateurs GDF a été la suivante : " Messieurs Bernard X... et Jean-Pascal F... [administrateurs GDF] indiquent qu'ils répondront à cette consultation, mais que le Conseil n'est pas le lieu pour débattre de ce sujet. [...] Monsieur Bernard X... [administrateur GDF] tient alors à préciser que les éléments relatifs à l'appel d'offres de Cergy Pontoise qui lui ont été remis lors du dernier Conseil d'Administration ont été consignés dans un coffre-fort " (cote 3083).
103. En annexe du procès-verbal du conseil d'administration de Ne Varietur du 30 novembre 2005, M. X... a demandé à ce que soit rajoutée une note dans laquelle il est indiqué que le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 21 juin 2005, qui ne concerne que le droit d'audit, n'impose pas l'échange d'informations sensibles au conseil d'administration de Ne Varietur. Par conséquent, Cogac refuse " de participer à toute réunion du comité commercial. Pour les mêmes raisons, nous continuons à nous opposer à ce qu'en notre présence des informations commercialement sensibles puissent être débattues au sein du Conseil d'administration de Ne Varietur ". M. X... précise en outre " à titre personnel, que les informations qui ont été remises à chaque administrateur lors de la réunion du 22 novembre 2005, ont été placées par mes soins dans un coffre et n'ont fait l'objet d'aucune communication " (cote 3088).
104. La communauté de l'agglomération de Cergy-Pontoise a reçu quatre offres le 16 janvier 2006 et, parmi celles-ci deux offres distinctes de la part de Cofathec Coriance et de Soccram.
105. Par délibération en date du 7 novembre 2006, le contrat de délégation a été attribué à Dalkia.
3. LES PRATIQUES DÉNONCÉES PAR NE VARIETUR ET LES ÉLÉMENTS RECUEILLIS AU COURS DE L'INSTRUCTION
a) Les pratiques dénoncées
106. Dans sa saisine, Ne Varietur considère que sont abusifs les comportements suivants :
- l'opacité entretenue par GDF sur les conditions d'accès à ses différents tarifs réglementés, à ses ristournes et conditions " para-tarifaires ", ainsi que l'application discriminatoire de ces tarifs et conditions " para-tarifaires " ;
- l'absence de " ventilation " des tarifs de GDF entre le prix du gaz et le prix de son transport ;
- les pratiques discriminatoires par lesquelles GDF aurait favorisé ses filiales à l'occasion de procédures de mise en concurrence ;
- une pratique de prix prédateurs de GDF, consistant à octroyer des aides commerciales à ses nouveaux clients de manière à favoriser le chauffage individuel au gaz naturel au détriment des réseaux de chaleur ;
- le soutien de GDF à sa filiale Cofathec ;
- l'exercice de pressions sur des fournisseurs alternatifs de gaz et des partenaires ou repreneurs industriels de Ne Varietur ;
- la demande, par GDF, de remboursement en numéraire des obligations émises en 2000 par Ne Varietur.
107. Parmi ces pratiques, seules celles relatives à l'application opaque et discriminatoire des conditions " para-tarifaires " de GDF ont été constatées par l'instruction. En effet, les services d'instruction de l'Autorité de la concurrence ont écarté les autres comportements dénoncés par Ne Varietur considérant, à la suite des vérifications opérées et conformément à l'avis de la CRE du 12 mars 2009, que ceux-ci manquaient en fait et en droit. Ce constat qui a été exposé et développé dans la notification des griefs n'a pas été contesté par la saisissante, ni dans ses observations, ni lors de la séance.
b) Les éléments recueillis au cours de l'instruction
Présentation des conditions particulières de vente au tarif S2S
108. La saisine dénonce le refus d'application, par GDF, des " meilleures conditions paratarifaires de Gaz de France ". Ne Varietur relève en particulier l'existence de deux conditions particulières de vente associées au tarif S2S dont elle aurait dû bénéficier.
109. GDF a créé des " options " applicables au tarif S2S dont le but est d'" adapter le prix à des types de consommation très particuliers " (cote 9323). Selon GDF, ces options concerneraient quelques centaines de clients. Les deux options qui font l'objet de la saisine sont les suivantes :
- l'option " sans aléa climatique d'hiver " (ou l'option " SAC ") consistant en une ristourne plafonnée pour les sites dont la consommation ne connaît pas de grande amplitude l'hiver (i.e., les cogénérations). Cette option est accordée aux clients s'engageant à consommer entre 90 % et 105 % de leur quantité déclarée l'hiver et à avoir un profil de consommation très proche du maximum quotidien (c'est-à-dire dont la modulation - le rapport entre la consommation et le débit - est de 135 jours minimum l'hiver). Lorsque cet engagement est respecté, le client est remboursé de 40 % de l'écart, en valeur, entre sa consommation d'hiver en " première tranche " (c'est-à-dire les premiers 3 GWh consommés) et en " deuxième tranche " (consommation au-delà du seuil de 3 GWh), dans la limite de 3 GWh/an ;
- l'option " mensualisation de première tranche " (ou l'option " MPT ") qui consiste en un échelonnement mensualisé du paiement des enlèvements durant la première tranche pour les clients au tarif S2S. Cette option permet donc aux consommateurs concernés de lisser le coût du gaz sur l'année contractuelle puisque le tarif S2S se caractérise par un prix de facturation des enlèvements en première tranche supérieur à celui pratiqué en seconde tranche.
110. L'instruction a révélé que l'existence des options applicables au tarif S2S n'est mentionnée ni dans les barèmes tarifaires de GDF, ni sur les plaquettes commerciales de l'entreprise. Les conditions générales de vente des tarifs S2S ne mentionnent quant à elles que la possibilité de souscrire à des conditions particulières de vente en cas d'effacement ou d'interruptibilité. Ainsi, ces conditions ne font pas mention des autres options applicables, et notamment des options " SAC " et " MPT ".
111. Dans son avis du 12 mars 2009, la CRE indique qu'elle n'a jamais été saisie de ces options.
112. Selon GDF, elles étaient néanmoins connues de l'ensemble des opérateurs puisque diffusées par les autorités de tutelle, les organisations professionnelles et les conseillers commerciaux de GDF.
113. Les autorités de tutelle de GDF ont expliqué à cet égard qu'elles avaient effectivement été informées de la mise en place des options en cause. Cependant, elles n'ont pas eu connaissance d'une quelconque mesure de publicité ou de communication effective de ces options aux clients depuis leur entrée en vigueur.
114. L'information diffusée par GDF au sujet des options était donc essentiellement orale, et effectuée au moment des discussions commerciales pour l'approvisionnement d'un site donné aux tarifs réglementés, selon le processus suivant : " L'option [sans aléa climatique d'hiver] concerne un nombre de clients de l'ordre de 150. Elle était connue des clients : ceux-ci nous disent comment ils vont consommer. C'est ensuite au conseiller commercial d'expliquer l'applicabilité des options " (cote 9326). En vertu du système mis en place par GDF, il appartient donc à ses conseillers commerciaux de déterminer l'applicabilité des options en fonction de la consommation prévisionnelle des clients et, le cas échéant, d'en proposer ou non la souscription.
115. Par lettres du 20 juin 2005, plusieurs sociétés contrôlées par Ne Varietur ont demandé à GDF de leur communiquer une description générale des options applicables depuis 2000 et pour la période actuelle (cotes 227-237). GDF a cependant refusé de communiquer cette information par lettre du 29 juillet 2005, au motif que la demande de Ne Varietur, concernant une période passée et s'inscrivant dans un contexte contentieux, n'était pas fondée sur une motivation légitime. GDF n'a pas non plus communiqué d'information à Ne Varietur sur les options applicables au moment de sa demande (cotes 238-240).
116. Il ressort des déclarations recueillies pendant l'instruction que l'information des autres opérateurs depuis la mise en place des options SAC (1999) et MPT (1998) a varié selon les entreprises interrogées. Ainsi, Dalkia et Cofely (pour le compte de l'ancienne Elyo) ont indiqué avoir été informées de l'existence de ces options dès la fin des années 1990 et début 2000.
117. Idex, qui avait initialement expliqué ne pas connaître l'option SAC, a cependant versé au dossier un contrat d'approvisionnement, daté de septembre 1999, aux termes duquel la société en bénéficie. De même, Idex a bénéficié de l'option MPT lors de la signature d'un contrat d'approvisionnement pour un de ses sites en septembre 2002.
118. Ne Varietur, quant à elle, a indiqué ne pas avoir été informée de l'existence des options SAC et MPT jusqu'en 2005. Elle aurait ainsi appris l'existence de ces options lors de l'embauche d'un ancien employé de Dalkia en 2005.
L'application des options SAC et MPT
119. Il ressort de l'instruction que Dalkia a utilisé l'option SAC sur 11,5 % de ses sites en 2008-2009, et l'option MPT pour 85 % de ses sites au tarif S2S. De même, Elyo dispose de l'option MPT pour un nombre significatif de ses sites.
120. En ce qui concerne Idex, l'opérateur n'a bénéficié de l'option SAC que sur un seul site de consommation. A cet égard, Idex a versé au dossier des éléments attestant, selon elle, qu'elle aurait dû bénéficier de cette option sur au moins trois autres sites dont la consommation était bien adaptée, sans que GDF ne le lui propose. S'agissant de l'option MPT, Idex a déclaré n'en avoir bénéficié que sur un seul site, en raison de l'insuffisance de transparence quant à l'applicabilité de l'option.
121. Enfin, pour ce qui est de Ne Varietur, l'instruction a permis d'identifier deux sites de consommation qui auraient dû bénéficier de l'option SAC, puisque leur consommation correspondait aux conditions d'application de l'option. Ces sites sont listés dans le tableau suivant :
<emplacement tableau>
122. Enfin, Ne Varietur a identifié sept sites de consommation qui auraient dû, selon elle, bénéficier de l'échelonnement de paiement de l'option MPT, à savoir des sites situés à Melun, Angers, Dammarie, Le Mans, Moulins, Pontoise, Rennes et St Germain. GDF, sans contester ce constat, a versé au dossier une liste d'autres sites de Ne Varietur ayant bénéficié de l'option mensualisation de première tranche.
E. LES GRIEFS NOTIFIÉS
123. Au vu des éléments qui précèdent, les griefs suivants ont été notifiés le 21 octobre 2009 :
" 1- S'agissant du marché pertinent que détermine l'appel d'offres de la ville de Reims du 28 février 2002 pour la délégation du service public de production, de transport et de distribution de chaleur, il est fait grief aux sociétés GDF Suez et Ne Varietur de s'être concertées sur le partage, entre elles, du marché et le retrait de la société Cofathec Coriance de la procédure d'appel d'offres, cette concertation ayant eu pour objet de restreindre la concurrence entre les entreprises et de faire obstacle à la libre fixation des prix et pour effet de tromper la ville de Reims quant à la réalité et à l'étendue de la concurrence, faits prohibés par les articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE.
2- S'agissant du marché pertinent que détermine l'appel d'offres de la communauté de l'agglomération de Cergy Pontoise du 16 janvier 200[6] pour la délégation du service public de production, de transport et de distribution d'énergie calorifique, il est fait grief aux sociétés GDF Suez et Ne Varietur d'avoir échangé antérieurement au dépôt des offres des informations relatives à la candidature de Soccram, y compris le montant des investissements projetés et du prix de l'offre envisagée, pratique constitutive d'une entente qui a eu pour objet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché et pour effet de tromper la communauté de l'agglomération de Cergy Pontoise quant à la réalité et à l'étendue de la concurrence s'exerçant entre les entreprises soumissionnaires, faits prohibés par les articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE.
3- Il est également fait grief à GDF d'avoir abusé de sa position de monopole sur le marché de la vente de gaz aux tarifs réglementés en appliquant des conditions de vente de manière opaque et discriminatoire, faits prohibés par les articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 [du traité] CE".
II. Discussion
124. Seront successivement examinés :
- la procédure,
- l'applicabilité du droit l'Union,
- le bien-fondé des griefs,
- les sanctions.
A. SUR LA PROCÉDURE
125. Les moyens de procédure portent sur :
- la prétendue prescription des faits (1) ;
- la prétendue partialité de l'instruction (2) ;
- le versement au dossier d'un avis de clémence (3).
1. SUR LE MOYEN TIRÉ DE LA PRESCRIPTION DES FAITS
126. Ne Varietur considère que les faits relatifs à la procédure de délégation de service public pour la production, le transport et la distribution de chaleur par la ville de Reims, ayant servi de support au grief n° 1, sont prescrits. En effet, ces faits se rapporteraient à une réunion datant du 19 novembre 2001. Or, l'existence d'une éventuelle entente anticoncurrentielle n'aurait " intéressé " le rapporteur de l'Autorité de la concurrence qu'à partir du 11 avril 2008, soit plus de cinq ans après la réunion concernée.
127. L'article L. 462-7 du Code de commerce, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008, dispose que " L'Autorité de la concurrence ne peut être saisie de faits remontant à plus de cinq ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction ".
128. Ainsi que le Conseil l'a rappelé dans sa décision n° 07-D-11 du 28 mars 2007 relative à des pratiques mises en œuvre à l'occasion de marchés publics de travaux routiers passés par le Conseil général de la Marne, la ville de Reims et le district de Reims : " [...] La pratique illicite d'entente sur appel d'offres est constituée par la remise des offres faites par les entreprises, c'est-à-dire, au plus tard, à la date de clôture de l'appel d'offres " (paragraphe 89).
129. En l'espèce, la date limite de dépôt des offres pour la délégation de la ville de Reims était le 28 février 2002. Le délai de prescription commençait donc à courir le lendemain de ce jour, soit le 1er mars 2002.
130. S'agissant de la durée du délai de prescription, il convient de rappeler que, comme l'a jugé la Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 12 décembre 2006, Toffolutti SA, le régime de la prescription quinquennale introduit par l'ordonnance n° 2004-1173 du 4 novembre 2004 est d'application immédiate aux faits pour lesquels l'ancienne prescription triennale n'était pas acquise à la date d'entrée en vigueur de l'ordonnance, soit le 6 novembre 2004. Dans la présente affaire, la prescription triennale n'ayant pas été acquise à la date de l'entrée en vigueur de l'ordonnance précitée, le régime de la prescription quinquennale s'applique bien aux faits de l'espèce.
131. Or, il est de jurisprudence constante que la saisine du Conseil de la concurrence par une entreprise interrompt le cours de la prescription (voir arrêt de la Cour d'appel de Paris du 11 septembre 2001, Ordre des avocats de Nice). Il est également établi que cette interruption a une portée générale, dans la mesure où " un acte tendant à la recherche, la constatation ou la sanction de pratiques anticoncurrentielles, même s'il ne vise que [...] une partie seulement des faits commis, interrompt la prescription [...] pour l'ensemble des faits dénoncés dès lors que ceux-ci présentent entre eux un lien de connexité " (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 26 juin 2007, Guerlain et al).
132. En l'espèce, la saisine du Conseil de la concurrence par Ne Varietur le 19 janvier 2006 a donc valablement interrompu la prescription, avant l'expiration du délai de 5 ans qui avait commencé à courir le, 1er mars 2002.
133. Il résulte de ce qui précède que les faits relatifs à la procédure de délégation de service public pour la production, le transport et la distribution de chaleur par la ville de Reims, reprochés dans la notification de griefs ne sont pas atteints par la prescription.
2. SUR LE MOYEN TIRÉ D'UNE PRÉTENDUE PARTIALITÉ DE L'INSTRUCTION
134. GDF Suez soutient que l'instruction a été menée à " charge " en se fondant de manière quasi-exclusive sur des procès-verbaux de conseil d'administration de Ne Varietur, rédigés uniquement par le président de Ne Varietur, M. Y..., dans un contexte de contentieux récurrents entre les deux parties. Or, selon GDF Suez, ces procès-verbaux auraient été rédigés de manière à constituer des éléments à charge contre elle, ce qui aurait d'ailleurs amené les administrateurs GDF à en réfuter le contenu à plusieurs reprises. GDF Suez soutient ainsi que, dans ces conditions, il appartenait au rapporteur de corroborer les procès-verbaux litigieux avec les autres pièces du dossier, ce qu'il n'aurait pas fait en l'espèce.
135. Cependant, il résulte d'une jurisprudence constante que le rapporteur fonde la notification des griefs sur les faits qui lui paraissent de nature à en établir le bien-fondé et dispose d'un pouvoir d'appréciation quant à la conduite de ses investigations (voir, notamment, arrêt de la Cour d'appel de Paris du 24 janvier 2006, Ordre des avocats au barreau de Marseille). Ainsi, la circonstance que la notification de griefs soit en l'espèce fondée en partie sur des éléments dont l'une des parties mises en cause conteste le caractère probant ne constitue pas en soi un indice de partialité, dès lors qu'il était loisible à cette partie d'en faire état dans la discussion sur le bien-fondé des griefs et d'apporter tous les éléments utiles à sa défense.
136. Par ailleurs, contrairement à ce qu'affirme GDF Suez, pour établir les pratiques reprochées, le rapporteur ne s'est pas fondé de manière quasi-exclusive sur les procès-verbaux de conseil d'administration de Ne Varietur. Au contraire, il s'est également référé à plusieurs autres éléments parmi lesquels : les déclarations des parties mises en cause, l'examen de leur comportement concret sur les marchés pertinents, les dossiers relatifs aux procédures d'appels d'offres ainsi que les éléments transmis par les collectivités publiques concernées (cf. paragraphes 69 à 83 et 91 à 105).
137. Dans ces conditions, le moyen tiré d'une instruction prétendument partiale doit être écarté.
3. SUR L'UTILISATION D'UN AVIS DE CLÉMENCE ÉTRANGER À LA PROCÉDURE
138. En réponse à la notification des griefs, pour étayer sa thèse selon laquelle il est impossible de caractériser un échange d'informations dans le cas où les informations recueillies par une entreprise auprès de ses concurrents l'ont été de manière unilatérale, le conseil de GDF Suez n'a pas hésité à verser au dossier un avis de clémence rendu par le Conseil de la concurrence dans une affaire étrangère à la présente procédure et dont il disposait en sa qualité de conseil de l'entreprise à l'initiative de la demande de clémence concernée.
139. Mais le régime juridique qui s'attache aux avis de clémence, figurant au IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce, prévoit que : " à la suite de la démarche de l'entreprise ou de l'organisme, l'Autorité de la concurrence, à la demande du rapporteur général ou du ministre chargé de l'économie, adopte à cette fin un avis de clémence, qui précise les conditions auxquelles est subordonnée l'exonération envisagée, après que le commissaire du Gouvernement et l'entreprise ou l'organisme concerné ont présenté leurs observations ; cet avis est transmis à l'entreprise ou à l'organisme et au ministre, et n'est pas publié ".
140. Il résulte de ces dispositions, en premier lieu, qu'un avis de clémence n'a pas pour objet de qualifier une pratique au regard du droit de la concurrence mais vise seulement, comme il est indiqué, à préciser les conditions dans lesquelles l'entreprise ou l'organisme à l'initiative de la demande de clémence peut bénéficier d'une dispense ou d'une réduction de sanction dans le cadre de la dénonciation à l'Autorité de la concurrence d'une pratique d'entente anticoncurrentielle. Un tel avis ne s'insère donc pas dans la pratique décisionnelle de l'Autorité de la concurrence sur les pratiques anticoncurrentielles.
141. En second lieu, un avis de clémence est un document strictement confidentiel qui ne doit être communiqué qu'aux personnes limitativement énumérées au IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce précité. En effet, la confidentialité attachée à ce document est indispensable au bon fonctionnement de la procédure de clémence puisque soit l'avis est favorable et, dans ce cas, il précède la mise en œuvre de mesures d'investigations qui doivent rester secrètes soit l'avis est défavorable, notamment pour insuffisance de preuves et l'entreprise demanderesse doit pouvoir encore disposer de la possibilité de renouveler sa démarche sur la base d'éléments de preuve supplémentaires, tout en se voyant garantir la confidentialité.
142. Il convient par ailleurs de souligner que la violation de la confidentialité des avis de clémence est sanctionnée par les dispositions de l'article L. 463-6 du Code de commerce, qui prévoient qu'" est punie des peines prévues à l'article 226-13 du Code pénal, la divulgation par l'une des parties des informations concernant une autre partie ou un tiers et dont elle n'a pu avoir connaissance qu'à la suite des communications ou consultations auxquelles il a été procédé ". De même, l'article 226-13 du Code pénal, applicable à de telles divulgations, prévoit que " la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euro d'amende ".
143. En l'espèce, le fait pour le conseil de GDF Suez d'avoir versé à la procédure un avis de clémence n'ayant aucun lien avec la présente affaire méconnaît les dispositions visées ci-dessus. En effet, tout d'abord, GDF Suez n'était pas fondée à invoquer un avis de clémence au soutien d'une argumentation dans le cadre d'une discussion sur le bien-fondé d'un grief. Ensuite, en diffusant auprès de tiers, en l'occurrence GDF Suez et Ne Varietur, l'avis de clémence en cause, le conseil de GDF a porté atteinte à la confidentialité qui s'attache à ce document et au bon fonctionnement de la procédure de clémence. A cet égard, l'argument de GDF Suez consistant à soutenir que l'extrait de l'avis de clémence qui a été divulgué " ne contient aucune information concernant une partie ou un tiers " parce qu'il aurait été anonymisé et ne concernerait qu'une appréciation du Conseil de la concurrence sur la valeur des preuves soumises à l'appui d'une demande de clémence est inopérant, dès lors que la confidentialité qui s'attache à un avis de clémence porte sur l'ensemble du document.
144. Pour l'ensemble des motifs qui viennent d'être exposés, l'avis de clémence transmis par le conseil de GDF, dans des conditions qui suscitent à tout le moins la réprobation de l'Autorité, sera écarté de la procédure.
B. SUR L'APPLICABILITÉ DU DROIT DE L'UNION
145. Tous les griefs ont été notifiés sur le fondement du droit national et du droit communautaire de la concurrence. GDF Suez conteste que les pratiques en cause aient pu affecter le commerce entre Etats membres au sens des articles 81 et 82 du traité CE, devenus 101 et 102 TFUE.
146. Dans ses lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité (JO 2004, C 101, p. 81), la Commission européenne rappelle que " les articles 81 et 82 du traité s'appliquent aux accords horizontaux et verticaux et aux pratiques abusives d'entreprises qui sont "susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres" " (point 1).
147. Se fondant sur le traité CE et les lignes directrices de la Commission, le Conseil de la concurrence, approuvé par la Cour d'appel de Paris, a considéré que trois éléments doivent être démontrés pour établir que des pratiques sont susceptibles d'avoir sensiblement affecté le commerce entre Etats membres : l'existence d'échanges entre Etats membres portant sur les produits ou les services faisant l'objet de la pratique, l'existence de pratiques susceptibles d'affecter ces échanges et le caractère sensible de cette possible affectation (voir décision n° 08-D-30 du 4 décembre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre par les sociétés des pétroles Shell, Esso SAF, Chevron Global Aviation, Total Outre Mer et Total Réunion et l'arrêt de la cour d'appel du 24 novembre 2009).
148. En l'espèce, il convient de distinguer les griefs d'ententes sur appels d'offres (griefs n° 1 et 2) et le grief d'abus de position dominante (grief n° 3).
1. EN CE QUI CONCERNE LES GRIEFS D'ENTENTES SUR APPELS D'OFFRES (GRIEFS N° 1 ET 2)
149. GDF Suez souligne que les pratiques en cause ont été mises en œuvre sur des marchés de taille locale, dans des régions non frontalières et non attractives. Elle allègue également que comme la Commission européenne l'a indiqué dans sa décision de concentration Gaz de France/Suez du 14 novembre 2006, les marchés de la gestion de réseaux de chaleur sont de dimension nationale puisque seuls les opérateurs français répondent aux appels d'offres. En tout état de cause, compte-tenu de la faible position des parties sur les marchés en cause et de la taille locale des deux marchés affectés, il ne pourrait être soutenu que le prétendu accord entre ces deux entreprises affecte le commerce intracommunautaire.
150. En l'espèce, dans la mesure où des opérateurs de dimension européenne provenant des autres Etats membres, étaient susceptibles de répondre aux appels d'offres lancés par la ville de Reims et la communauté d'agglomération de Cergy-Pontoise, les pratiques en cause ont pu affecter le commerce intracommunautaire.
151. Les griefs n° 1 et 2 seront donc examinés au regard de l'article 81 du traité CE, devenu 101 TFUE.
2. EN CE QUI CONCERNE LE GRIEF D'ABUS DE POSITION DOMINANTE (GRIEF N° 3)
152. GDF Suez fait valoir que dans la mesure où les tarifs réglementés sont uniquement proposés sur le territoire français, les pratiques en cause n'ont pu avoir aucune incidence sur le commerce au sein de l'Union européenne. GDF se fonde également sur la dimension nationale des marchés de la gestion de réseaux de chaleur.
153. Dans ses lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce, précitées, la Commission européenne a indiqué s'agissant des abus de position dominante couvrant un seul Etat membre que " Lorsqu'une entreprise, qui occupe une position dominante couvrant l'ensemble d'un Etat membre constitue une entrave abusive à l'entrée, le commerce entre Etats membres peut normalement être affecté " (point 93).
154. En l'espèce, le monopole légal détenu par GDF Suez pour la vente de gaz naturel aux tarifs réglementés sur la quasi-totalité du territoire national a pour conséquence que tout client professionnel provenant d'autres Etats membres de l'Union européenne susceptible d'exercer une activité requérant l'utilisation du gaz comme énergie primaire peut être affecté par les comportements mis en œuvre par GDF Suez qui concernent l'application de ses tarifs.
155. Il résulte de ce qui précède que la pratique de discrimination notifiée au titre du grief n° 3 peut être qualifiée au regard de l'article 82 du traité CE, devenu 102 TFUE.
C. SUR LE BIEN-FONDÉ DES GRIEFS
156. La définition des marchés pertinents (1), précédera l'examen des pratiques (2).
1. SUR LA DÉFINITION DES MARCHÉS PERTINENTS
157. L'analyse des pratiques en cause au regard des articles L. 420-1 et 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE, devenu 102 du TFUE suppose tout d'abord de définir les marchés pertinents.
158. Ainsi que l'a souligné le Conseil de la concurrence dans son rapport annuel pour 2001, le marché, au sens où l'entend le droit de la concurrence, est défini comme le lieu sur lequel se rencontrent l'offre et la demande pour un produit ou un service spécifique. En théorie, sur un marché, les unités offertes sont parfaitement substituables pour les consommateurs qui peuvent ainsi arbitrer entre les offreurs lorsqu'il y en a plusieurs, ce qui implique que chaque offreur est soumis à la concurrence par les prix des autres.
159. Une substituabilité parfaite entre produits ou services s'observant rarement, le Conseil regarde comme substituables et comme se trouvant sur un même marché les produits ou services dont on peut raisonnablement penser que les demandeurs les considèrent comme des moyens alternatifs entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande.
160. Il convient de définir les marchés de produits et de services avant de préciser leur dimension géographique.
a) Sur les marchés de produits et de services
161. Le Conseil s'est prononcé à plusieurs reprises sur la définition des marchés pertinents dans le secteur des activités de chauffage (voir, notamment, décisions n° 99-D-51 du 20 juillet 1999 relative à des pratiques constatées dans le secteur des applications thermiques de l'énergie et n° 03-D-44 du 17 septembre 2003 relative à des pratiques relevées dans les secteurs du chauffage collectif au gaz et des compteurs d'énergie thermique ainsi que l'avis n° 07-A-08 du 27 juillet 2007 relatif à une demande du Conseil d'Etat à propos des tarifs de vente du gaz naturel en distribution publique). Ainsi, le Conseil a distingué le marché des installations de chauffage de celui de la fourniture de gaz naturel, tout en reconnaissant l'existence d'un lien de connexité entre ces deux marchés. En outre, il a considéré que le marché de la vente de gaz aux tarifs réglementés constituait un marché distinct de celui de la vente de gaz sur le marché libre. En aval, le Conseil par ailleurs a retenu l'existence des marchés de gestion de réseaux de chaleur et de chaufferies collectives sur lesquels sont actifs, en l'espèce, Cofathec et Ne Varietur. Enfin, les appels d'offres lancés par la ville de Reims et la communauté d'agglomération de Cergy-Pontoise constituent chacun deux marchés pertinents distincts.
Sur le marché des installations de chauffage et celui de la vente de gaz naturel
162. Dans son avis n° 07-A-08 du 27 juillet 2007, précité, le Conseil de la concurrence a rappelé, d'une part, la distinction entre le marché des installations de chauffage et celui de la vente de gaz naturel, et d'autre part, le lien de connexité existant entre les deux marchés (paragraphes 21 à 29 de l'avis).
Sur la distinction entre les deux marchés
163. Le chauffage fait appel à plusieurs sources d'énergie possibles (bois, charbon, chauffage urbain, électricité, fioul, gaz). Mais la concurrence entre ces diverses sources d'énergie se réalise par le moyen du choix d'un type d'appareil de chauffage, pour lequel l'utilisateur peut mettre en compétition les fabricants de matériels de chauffage pour répondre à ses besoins.
164. La rencontre d'une demande et d'une offre spécifiques au stade de l'investissement initial a donc conduit la jurisprudence à définir un marché pertinent des installations de chauffage sur lequel les choix faits déterminent ensuite, pour une longue période, la nature de l'énergie qui sera consommée. Ainsi, " la rencontre entre l'offre et la demande prend d'abord la forme du choix, opéré par le demandeur, entre plusieurs options technologiques qui déterminent, de façon d'ailleurs plus ou moins rigide, le type d'énergie qui sera ensuite utilisé ; [...] c'est ainsi au stade du choix des équipements que se prend la décision essentielle ; [...] c'est donc principalement là que joue la concurrence entre les différentes énergies " (décision n° 99-D-51, précitée).
165. Le mode de chauffage choisi impose, en règle générale, l'installation d'équipements ne pouvant fonctionner qu'avec une énergie donnée. Passé le stade de ce choix, le consommateur n'est plus en mesure d'arbitrer entre les différentes sources d'énergie. Dès lors, " [s]'agissant des consommateurs qui ont fait le choix de chaudières thermiques, la majorité d'entre eux a opté de façon relativement rigide en faveur d'une alimentation par le gaz, le fioul ou le charbon ; [...] il convient de considérer que ceux d'entre eux qui ont fait le choix d'une alimentation par le gaz ne peuvent adresser leur demande qu'à des offreurs de gaz, ce qui conduit à considérer qu'il existe un marché du gaz " (décision n° 99-D-51, précitée). Le consommateur doit donc, s'adresser aux seuls fournisseurs commercialisant l'énergie adaptée au fonctionnement de ses équipements, ce qui a conduit la jurisprudence à individualiser un second marché pertinent, distinct de celui des types d'appareils installés et des énergies qui les alimentent, en l'occurrence le marché de la vente de gaz naturel.
Sur l'existence d'un lien de connexité entre les deux marchés
166. L'existence de deux marchés pertinents distincts doit cependant tenir compte des liens de connexité existant entre ces deux marchés " Le Conseil a estimé qu'il existait un lien de connexité suffisant entre le marché du gaz et celui de la fourniture d'énergie destinée au chauffage et que GDF était donc en mesure d'abuser, sur le second marché, de la position dominante qu'il occupe sur le premier " (décision n° 03-D-44, précitée, paragraphe 37).
Sur les marchés de la vente de gaz naturel
167. Toujours dans son avis n° 07-A-08 du, 27 juillet 2007, précité, le Conseil de la concurrence a considéré qu'il existe, d'une part, le marché libre du gaz naturel et, d'autre part, le marché réglementé (paragraphe 30).
168. Ainsi, le marché libre du gaz naturel se définit comme celui de la rencontre entre l'offre des fournisseurs de gaz, dont GDF, et la demande des clients ayant choisi d'exercer les droits conférés par l'éligibilité, à un prix établi par la rencontre de l'offre et de la demande.
169. A côté de ce marché libre, existe un marché spécifique de la vente du gaz naturel aux tarifs réglementés : c'est le marché réglementé, qui peut être défini au vu des caractéristiques propres à ces ventes, tenant à leur dimension nationale, à la réglementation du prix de vente, et à la situation de monopole de vente reconnue à GDF.
170. La fourniture du gaz aux clients non-éligibles et aux clients éligibles restés aux tarifs réglementés est assurée en monopole par GDF, qui dessert 95 % du territoire national raccordé au réseau de distribution. Ce monopole a été établi par l'article premier de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 et a été confirmé par l'article 3 de la loi n° 2003-8 du 3 janvier de 2003.
171. Durant la période concernée par le cas d'espèce, le marché libre ne constituait pas une offre alternative pour les non-éligibles puisqu'ils n'y avaient pas droit. De même, le marché réglementé n'offrait pas d'alternative aux éligibles ayant exercé leurs droits puisque cet exercice était irréversible. Sur les deux marchés pertinents, d'une part libre et d'autre part réglementé, les conditions de la concurrence étaient radicalement opposées : concurrence totale sur le marché libre, absence de concurrence sur le marché réglementé servi par un monopole régulé. Il s'agit donc de deux marchés distincts.
Sur le marché de la gestion déléguée des réseaux de chaleur
172. L'activité de gestion d'équipements de chauffage centralisés diffère selon le type d'équipement concerné.
173. Ainsi, les réseaux de chaleur comprennent une chaufferie centrale qui alimente un réseau de canalisations distribuant la chaleur dans la zone desservie. L'activité d'exploitant de réseaux de chaleur diffère de celle d'exploitant d'autres équipements de chauffage en ce qu'elle consiste en la gestion d'un réseau dont l'exploitant est le propriétaire ou dont la gestion lui a été confiée en vue de vendre de la chaleur.
174. La Commission européenne a ainsi retenu que le marché de la gestion déléguée des réseaux de chaleur (à l'exclusion des réseaux gérés en régie) constituait un marché pertinent distinct, dont les caractéristiques sont les suivantes :
- la majorité des réseaux est gérée par le biais de délégations de service public, dont la durée varie entre 12 et 24 ans. La concurrence sur ce marché se manifeste donc à l'occasion du renouvellement des délégations ;
- les concessions sont soumises aux dispositions des articles L. 1411-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales ;
- les principales sources d'énergie primaire utilisées en France sont le gaz (52 %), l'incinération d'ordures ménagères (22 %), le charbon (15 %), et le fioul (9 %) ;
- la source d'énergie primaire utilisée pour générer la chaleur dans le réseau est le plus souvent définie par le contrat de délégation de service public, le choix étant fait par la commune qui délègue la gestion de son service public ;
- les variations de prix de l'énergie primaire sont répercutées aux consommateurs du réseau selon des formules convenues entre l'autorité délégante et le délégataire (voir décision GDF/Suez du 14 novembre 2006, paragraphes 933 et s).
175. GDF considère cependant que les réseaux de chaleur ne constituent pas un marché pertinent au sens du droit de la concurrence, puisque la concurrence entre les énergies s'exerce au stade amont au moment du choix des équipements. Selon GDF, le seul marché pertinent serait celui de la fourniture de l'énergie destinée au chauffage des bâtiments.
176. Il résulte néanmoins de ce qui précède, qu'une fois le choix de l'équipement effectué, il existe bien un marché distinct sur lequel les exploitants de réseaux de chaleur sont en concurrence pour l'obtention de contrats.
177. Cette activité a une existence propre, distincte et située en aval de l'activité de fournisseur d'énergie destinée au chauffage domestique, qui est bien susceptible de prendre place sur un marché pertinent distinct au sens du droit de la concurrence. La gestion de réseaux de chaleur constitue donc un marché pertinent.
Sur les marchés constitués par les appels d'offres lancés par la ville de Reims et la communauté d'agglomération de Cergy-Pontoise
178. Selon une jurisprudence constante, chaque marché passé sur appel d'offres, qu'il s'agisse de marchés publics ou de délégations de service public, constitue un marché pertinent. Ce marché résulte de la confrontation concrète d'une demande du maître d'ouvrage et des propositions faites par les candidats qui répondent à l'appel d'offres (voir, notamment, décision n° 05-D-19 du 12 mai 2005 relative à des pratiques mises en œuvre dans le cadre des marchés de construction d'ouvrages d'art pour la réalisation de l'autoroute A84, dite "Route des Estuaires", dans le département de la Manche, paragraphe 88).
179. En l'espèce, les appels d'offres lancés par la ville de Reims et la communauté d'agglomération de Cergy-Pontoise peuvent donc être considérés comme deux marchés pertinents distincts.
b) Sur la dimension géographique des marchés
180. Ainsi que l'a rappelé le Conseil dans son rapport annuel 2001 (page 102), la délimitation d'un marché de produits s'entend sur une zone géographique définie, soit parce que l'analyse faite du comportement de la demande n'est valable que sur cette zone géographique, soit parce qu'il s'agit de la zone géographique à l'intérieur de laquelle les demandeurs se procurent ou peuvent se procurer le produit ou le service en question.
En ce qui concerne le marché des installations de chauffage
181. Le Conseil de la concurrence a déjà eu l'occasion de préciser que, s'agissant d'opérateurs présents sur l'ensemble du territoire, le marché des installations de chauffage présentait une dimension nationale (décisions du Conseil de la concurrence n° 99-D-51 du 20 juillet 1999 relative à des pratiques constatées dans le secteur des applications thermiques de l'énergie et n° 03-D-44 du 17 septembre 2003 relative à des pratiques relevées dans les secteurs du chauffage collectif au gaz et des compteurs d'énergie thermique).
En ce qui concerne le marché de la vente de gaz naturel
182. En matière de vente de gaz aux tarifs réglementés, GDF détient un monopole légal de dimension nationale, à l'exception des zones relevant des distributeurs publics locaux. Ces zones ne sont cependant pas concernées dans la présente affaire puisque seuls sont visés les comportements adoptés par GDF. Or, GDF dessert 95 % du territoire national raccordé au réseau de distribution. Le marché géographique pertinent s'agissant de la vente de gaz aux tarifs réglementés correspond donc au territoire couvert par GDF.
En ce qui concerne les marchés de gestion d'équipements de chauffage centralisés
183. Dans la décision GDF/Suez précitée, la Commission européenne a considéré que les marchés de la gestion de réseaux de chaleur étaient de dimension nationale (cf. paragraphe 150).
184. Les éléments au dossier ne conduisent pas à modifier cette conclusion.
2. SUR L'EXAMEN DES PRATIQUES
a) Sur le grief n° 1 relatif à la procédure de délégation de service public de la ville de Reims de 2001-2002
Rappel des éléments ayant fondé le grief notifié
185. Par le grief n° 1, il est reproché à GDF et Ne Varietur de s'être concertées à l'occasion de l'appel d'offres lancé par la ville de Reims le, 8 juin 2001, pour réserver le marché à Soccram, Cofathec Coriance s'abstenant quant à elle de déposer une offre, contrairement à son intention initiale. Dans la notification de griefs, il est retenu qu'une telle pratique est constitutive d'une entente anticoncurrentielle prohibée par les articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE. L'existence de l'entente était fondée sur les éléments constatés aux paragraphes 69 à 83 de la présente décision, à savoir :
- le constat de l'indépendance initiale des candidatures de Soccram et Cofathec Coriance le 27 août 2001, à la délégation de service public de Reims ;
- les demandes répétées de la part des administrateurs de Ne Varietur de voir Cofatech Coriance se retirer de la procédure d'appel d'offres lancée par la ville de Reims et l'indication par un administrateur de GDF qu'il était possible de résoudre cette question lors du conseil d'administration de Ne Varietur du 6 septembre 2001 ;
- le retrait effectif de Cofatech Coriance, qui s'est abstenue de déposer une offre le 28 février 2002 ;
- la mention, dans le procès-verbal du conseil d'administration de Ne Varietur du 21 mars 2002, que ce retrait se plaçait " dans la ligne des discussions [que le président de Ne Varietur] a eues avec le Président de Gaz de France, Monsieur E..., le 19 Novembre 2001 " et l'approbation de ce procès-verbal par les administrateurs GDF, le 16 mai 2002 ;
- la déclaration du président de Ne Varietur selon laquelle les discussions du 19 novembre 2001 avaient conduit GDF à accepter de ne pas concurrencer les filiales de Ne Varietur (cf. paragraphe 78) ;
- la déclaration du directeur général adjoint de Soccram corroborant les faits (cf. paragraphe 78) ;
- le compte-rendu par GDF des discussions du 19 novembre 2001, confirmant que ces discussions avaient eu lieu ;
- le fait que le motif d'ordre technique donné par GDF pour justifier son retrait de la procédure ait été donné à la ville de Reims très tardivement.
Sur l'appréciation des éléments apportés par GDF Suez en cours de procédure
186. Il résulte de la jurisprudence des juridictions communautaires que lorsqu'une " entente impliqu[e] [...] deux parties seulement, la contestation du contenu de la déclaration d'[une partie] par [l'autre partie] suffit à ce qu'il soit exigé que d'autres éléments de preuve viennent l'étayer " (arrêt du TPICE du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T-38/02, Rec. p. II-4407, point 285).
187. En l'espèce, Ne Varietur prétend que, lors de la réunion du 19 novembre 2001, les représentants de GDF ont donné leur accord pour que Cofatech Coriance renonce à concurrencer Soccram lors de l'appel d'offres lancé par la ville de Reims en 2001. Cette présentation des faits est corroborée par le procès-verbal du conseil d'administration de Ne Varietur du 21 mars 2002, dans lequel il est indiqué que le retrait de Cofatech Coriance se plaçait " dans la ligne des discussions [que le président de Ne Varietur] a eues avec le Président de Gaz de France, Monsieur E..., le 19 Novembre 2001 " et l'approbation de ce procès-verbal par les administrateurs GDF, le 16 mai 2002.
188. En réponse à la notification de griefs, GDF Suez a versé au dossier de nouveaux éléments sur les pratiques reprochées. Ainsi, elle a transmis trois déclarations d'anciens dirigeants de GDF en poste à l'époque des faits (paragraphes 85 à 88). Elle a par ailleurs développé les raisons pour lesquelles Cofatech Coriance avait finalement décidé de se retirer de la procédure d'appel d'offres lancée par la ville de Reims (cf. paragraphes 89 et 90).
189. Ainsi, dans leurs déclarations, les anciens dirigeants de GDF contestent l'existence d'un quelconque accord qui serait intervenu avec Ne Varietur lors de la réunion du 19 novembre 2001, afin que Cofatech Coriance se retire de la procédure d'appel d'offres. Selon GDF Suez, le retrait de Cofatech Coriance aurait au contraire été décidé sur le fondement de motifs économiques rationnels propres à l'entreprise.
190. A cet égard, elle souligne la spécificité de la procédure de sélection des délégataires de services publics et l'intérêt, pour un opérateur incertain de déposer une offre, de faire néanmoins acte de candidature. Par ailleurs, dans sa déclaration, l'ancien président directeur général de Cofathec, M. B..., a souligné les difficultés financières du groupe à l'époque des faits, difficultés qui ont conduit la filiale Cofatech Coriance à reconsidérer ses projets en matière d'acquisition de nouvelles DSP (cf. paragraphe 90).
191. Les déclarations versées au dossier par GDF Suez sont corroborées par une lettre adressée à Ne Varietur par le président de Cogac, après l'attribution du marché, soit le, 30 septembre 2002, mais aux termes de laquelle celui-ci avait indiqué : " il est patent qu'empêcher l'une ou l'autre des filiales de Cogac de se porter candidate à l'attribution de la concession d'un réseau de chaleur serait contraire aux principes élémentaires du droit interne et communautaire de la concurrence. [...] Dans cet esprit, vous noterez que Coriance et Cofathec Services ne se portent pas systématiquement candidates contre une société du Groupe Thion dans ces appels d'offres, mais soumissionnent de manière autonome et responsable, lorsqu'elles peuvent apporter une réponse satisfaisante pour la collectivité concernée et profitable pour elles-mêmes. Tout autre agencement serait attentatoire au libre jeu de la concurrence et par là même répréhensible, même à l'intérieur d'un groupe, et cela n'a jamais été l'intention de Cogac et plus généralement du Groupe Gaz de France " (cotes 2332-2333).
192. Ensuite, l'existence de motifs économiques rationnels propres à l'entreprise est confortée par l'exacte concordance entre le changement de stratégie du groupe Cofatech annoncé en 2002 par le président directeur général de Cofathec, M. B..., et le redressement de la situation financière de la société à la même période (cf. paragraphe 48). Elle est également corroborée par les justifications données par Cofathec à la ville de Reims pour expliquer son retrait de la procédure : " il apparaît en définitive que l'installation d'une cogénération de 12 MWe ne permet pas, à ce jour, une modification sensible de l'équilibre financier de cette affaire et ne permet donc pas à Coriance d'amener une plus-value significative dans cette opération " (cote 8747). Le bien-fondé de ce motif est d'ailleurs confirmé par le rapport d'analyse de la ville de Reims lui-même, qui soulignait que les offres des candidats, concernant une option envisagée qui consistait à financer la construction d'une cogénération d'une puissance de 12 MW électriques, " ne présentent aucun intérêt économique. Cette conclusion est identique à l'argumentaire présenté par Cofathec pour justifier son abandon du dossier " (cote 8725).
193. Ainsi, il n'est pas démontré que la décision de retrait de Cofatech Coriance résultait d'une entente anticoncurrentielle conclue avec Ne Varietur. Cette décision semble au contraire la manifestation d'un comportement autonome de cette entreprise.
194. Dans ces conditions, la pratique visée sous le grief n° 1 n'est pas établie.
b) Sur le grief n° 2 relatif à la procédure de délégation de service public de la communauté de l'agglomération de Cergy-Pontoise de 2005-2006
Rappel des éléments ayant fondé le grief
195. Au titre du grief n° 2, il est reproché à GDF et Ne Varietur d'avoir échangé des informations à l'occasion de l'appel d'offres, lancé en 2005, par la communauté de l'agglomération de Cergy-Pontoise pour la délégation de service public de production, de transport et de distribution d'énergie calorifique.
196. Dans la notification des griefs, il est relevé que, lors du conseil d'administration de Ne Varietur du 22 novembre 2005, les représentants de Ne Varietur ont communiqué à l'ensemble des administrateurs, y compris aux administrateurs GDF présents, MM. X... et K..., des données, ainsi qu'une note économique sur l'offre que Ne Varietur envisageait de soumettre à la communauté de l'agglomération de Cergy-Pontoise dans le cadre de l'appel d'offres concerné. Les données communiquées auraient porté sur les investissements, leur montant ainsi que le prix projetés par Ne Varietur. Malgré cet échange d'informations précédant le dépôt des offres, GDF et Ne Varietur, par le biais de leurs filiales respectives, Cofathec Coriance et Soccram (en groupement avec la société CI2E), ont présenté deux offres distinctes concurrentes le 16 janvier 2006.
L'examen des éléments constitutifs de la pratique
197. Les parties ne contestent pas la matérialité de l'échange intervenu, tel qu'il est attesté par les procès-verbaux des conseils d'administration de Ne Varietur.
198. GDF Suez ne conteste pas non plus qu'une transmission unilatérale d'informations puisse être considérée comme anticoncurrentielle. Dans son rapport annuel pour 2006, le Conseil de la concurrence a en effet indiqué, se fondant sur l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 15 juin 1999 (SOLATRAG), que " la volonté commune d'échanger des informations n'exige pas la réciprocité. [...] une communication unilatérale d'informations suffit ". GDF Suez conteste en revanche l'existence de l'entente en invoquant principalement le fait que l'accord de volontés entre les parties n'est pas caractérisé, en l'absence de preuves démontrant l'adhésion de GDF à l'échange d'informations. En effet, GDF se serait à plusieurs reprises distanciée publiquement de la pratique, comme en attestent les procès-verbaux des conseils d'administration de Ne Varietur.
199. Selon GDF Suez, l'échange d'informations en cause s'expliquerait uniquement par la volonté de Ne Varietur de piéger GDF. Pour le démontrer, GDF se fonde sur l'hostilité de Ne Varietur à son égard à l'époque des faits et sur la contradiction entre la transmission d'informations reprochée et l'attitude habituelle de Ne Varietur, consistant à refuser toute transmission d'informations. La seule explication crédible à la pratique reprochée serait non pas une concertation, mais la volonté de Ne Varietur de pousser GDF à la faute en lui présentant une alternative impossible : soit les administrateurs GDF acceptaient la transmission d'informations pour se prononcer sur les investissements envisagés en endossant un risque au regard des règles de concurrence, soit ils refusaient cette communication en s'exposant alors à une mise en jeu de leur responsabilité en tant qu'administrateur. La preuve de la volonté de nuire de Ne Varietur serait en outre démontrée par le caractère volontairement erroné des données transmises. GDF Suez en conclut que, comme l'a jugé la Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 4 février 2003, dès lors qu'il existe une explication crédible à la transmission d'informations, l'entente ne peut être caractérisée.
200. Ne Varietur considère également que l'élément essentiel d'une entente, à savoir l'adhésion volontaire des parties à un objectif commun, ferait défaut en l'espèce. A cet égard, elle a allégué qu'après une longue résistance elle a été contrainte par GDF, et en vertu du jugement du Tribunal de commerce de Paris du 21 juin 2005, prononçant l'exécution forcée des accords d'août 2000, de procéder à la diffusion des informations en cause. Par ailleurs, elle fait valoir que la pratique reprochée n'a pu avoir aucune conséquence sur la procédure de délégation de Cergy-Pontoise puisque qu'elle a volontairement communiqué à GDF des informations erronées qui ne correspondaient pas à l'offre qu'elle comptait déposer.
201. En matière de marchés publics et de délégations de services publics, il est de jurisprudence constante que l'échange d'informations entre concurrents préalablement au dépôt des offres est constitutif d'une entente anticoncurrentielle (voir notamment décision n° 01-D-13 du 19 avril 2001 relative à la situation de la concurrence dans le secteur du transport public de voyageurs dans le département du Pas-de-Calais). La jurisprudence exige toutefois que la pratique mise en œuvre soit le résultat d'une volonté commune des entreprises concernées de se comporter d'une manière déterminée sur le marché ou de diminuer l'incertitude devant entourer le comportement de chacune. Ainsi, une transmission unilatérale d'informations ne constitue une pratique d'entente anticoncurrentielle que si elle résulte d'une volonté commune des parties d'atteindre l'un ou l'autre de ces objectifs.
202. Dans l'affaire CGU Courtage, un courtier d'assurances avait, avant le lancement d'un appel d'offres public pour lequel il souhaitait être candidat, effectué une consultation de l'ensemble des acteurs potentiellement intéressés et recueilli dans ce cadre certaines indications sur les prix envisagés par ses concurrents. Le Conseil de la concurrence avait écarté la qualification d'entente anticoncurrentielle au motif qu'" il n'est pas démontré que la pré-consultation effectuée, même si elle a permis à la société Groupalpha de connaître le niveau des prix des futurs concurrents, aurait débouché sur une action concertée dont les participants auraient eu conscience qu'elle avait pour objet, ou pouvait avoir pour effet, de limiter l'accès au marché, ou de faire obstacle à la libre fixation des prix ". La Cour d'appel de Paris avait confirmé cette décision, en précisant que : " le comportement unilatéral d'un opérateur économique n'entre pas dans les prévisions [de l'article L. 420-1], lequel implique que soit constatée l'expression de la volonté commune des entreprises en cause de se comporter d'une manière déterminée sur le marché considéré " (décision n° 02-D-76 du 19 décembre 2002 relative à une saisine de la société CGU Courtage concernant un marché public de l'OPAC de Villeurbanne, paragraphe 36, et arrêt de la Cour d'appel de Paris du 2 juillet 2003, SA Gan Eurocourtage).
203. En l'espèce, la qualification d'entente anticoncurrentielle suppose de déterminer si la transmission des informations litigieuses par Ne Varietur et leur réception par GDF, lors du conseil d'administration du 22 novembre 2005, expriment une volonté commune des parties d'adopter un comportement déterminé sur le marché ou de réduire l'incertitude sur le comportement qu'elles ont l'intention d'adopter sur celui-ci, en examinant d'abord la volonté de Ne Varietur, puis celle de GDF, lors de la procédure d'appel d'offres de Cergy-Pontoise.
204. Il ressort des procès-verbaux des conseils d'administration de Ne Varietur, tenus entre juin et novembre 2005, que la pratique reprochée est intervenue dans un contexte de conflits entre les parties portant principalement sur le refus de Ne Varietur de permettre à GDF de procéder à un audit des sociétés du groupe, en application de l'article 4.3 de la convention d'actionnaires du 17 août 2000. Préalablement à la réunion du 22 novembre 2005, le président de Ne Varietur s'était opposé de manière constante à la communication à GDF de données sensibles, et un débat s'était alors engagé entre les parties sur les conséquences à tirer du jugement du tribunal de commerce du 21 juin 2005, aux termes duquel il avait été établi que " le refus de droit d'audit prévu dans la convention d'actionnaires constitue une violation grave de celle-ci ". A plusieurs reprises, lors des conseils d'administration des 30 juin, 17 octobre et 22 novembre 2005, Ne Varietur avait interpellé GDF sur la difficulté d'appliquer les termes de la convention d'actionnaires, tout en respectant le droit de la concurrence. GDF, quant à elle, a toujours considéré qu'un tel problème ne se posait pas dans la mesure où elle n'avait jamais sollicité la communication d'informations confidentielles (cf. paragraphes 95 à 102).
205. Ne Varietur fait valoir qu'aux termes du jugement prononcé par le Tribunal de commerce de Paris le 21 juin 2005, elle se serait vue imposer la communication à GDF d'informations sensibles sur les contrats importants. Mais Ne Varietur explique que, bien loin de proposer à son actionnaire minoritaire un partage d'informations sensibles, elle lui aurait communiqué sciemment des données erronées, afin de préserver ses propres chances de remporter l'appel d'offres en cause. En particulier, au cours du conseil d'administration du 22 novembre 2005, elle avait indiqué que le prix offert par sa filiale Soccram se situerait à environ 48 euro/MWh, alors même que l'offre définitive de cette dernière a été de 39,80 euro/MWh. Quant aux autres données, celles-ci auraient déjà été dans le domaine public.
206. GDF Suez soutient, pour sa part, une même version des faits en soulignant que la note économique remise aux administrateurs GDF par le président de Ne Varietur lors du conseil d'administration du 22 novembre 2005 contenait soit des données publiques présentes dans le cahier des charges de l'appel d'offres, soit des considérations d'ordre général, soit encore des informations fausses.
207. La confrontation des informations figurant dans la note économique avec l'offre finalement déposée deux mois plus tard par Soccram, la filiale de Ne Varietur, révèle les différences suivantes :
- prix du MWh : 48 euro dans la note économique, contre 39,60 dans l'offre définitive ;
- cogénération : la note économique précise " notre choix s'est porté sur une cogénération de type Mars 100 positionnée à l'intersection de l'Oise et de l'A 15 sur la commune de Pontoise ", alors qu'aucune cogénération n'est proposée dans l'offre définitive ;
- la cocombustion est présentée dans la note économique comme comprise dans l'offre de base, faisant appel à une chaudière bois de 30 MWh avec une chaudière gaz d'une puissance de 60 MWh, sur un site non précisé. Or, dans l'offre définitive, il s'agit d'une variante indépendante de l'offre de base, prévue pour une durée plus longue que l'offre de base (20 ans contre 13), avec une puissance bois de 8 MW, et une puissance gaz de 40 MW ;
- dans la note économique, la mise en conformité des installations existantes est évaluée à 1 million d'euro pour le charbon, 4 millions d'euro pour les cuves de fuel, soit 5 millions d'euro au total. Il est également prévu à ce titre une " mise en conformité du bâtiment " pour 1 million d'euro ainsi qu'une chaudière gaz en géothermie, pour un montant supplémentaire de 2,8 millions d'euro. Ces deux dernières propositions n'apparaissent pas dans la note de synthèse de la collectivité. Au total, la mise en conformité est évaluée devant le conseil d'administration à 12 millions d'euro. Dans l'offre finale à la collectivité, le montant total de la mise en conformité est évalué à 3,196 millions d'euro ;
- le traitement architectural de la chaufferie existante est évalué à 0,5 million d'euro dans la note économique alors que l'offre finale l'a présenté comme une variante estimée à 1,165 million d'euro ;
- au total, l'investissement prévu s'élève à 36,3 millions d'euro dans la note économique, avec la précision que " cet investissement, similaire à celui proposé pour le grand Lyon, ne doit pas être considéré comme surdimensionné ". En revanche, dans le dossier remis à la collectivité, l'investissement s'élève à 6,3 millions d'euro sans la variante " cocombustion ", ou 21 millions d'euro avec cette variante.
- les autres données évoquées dans la note économique reprennent les informations de l'appel d'offres ou évoquent en termes généraux les questions que pose ce projet.
208. Au terme de cet examen, il apparait qu'aucune des données précisant les choix d'investissement techniques ou financiers de la filiale Soccram dans la note économique n'est reprise, de façon cohérente ou proche de l'estimation initiale, dans la proposition finale.
209. Certes, en matière d'échange d'informations préalable au dépôt des offres, la Cour d'appel de Paris juge de manière constante qu'" il n'est pas déterminant pour la caractérisation de l'infraction que les prix alors envisagés n'aient pas été ceux finalement proposés ". En effet, la jurisprudence n'exige pas que les informations transmises soient conformes à l'offre finalement déposée, des évolutions étant naturellement susceptibles d'intervenir dans la rédaction des projets après l'échange d'informations litigieux.
210. En l'espèce, les différences constatées pourraient s'expliquer par l'évolution de l'offre durant les deux mois écoulés entre la réunion du conseil d'administration du 22 novembre 2005 et la date de remise des offres, le 16 janvier 2006. Une autre explication pourrait être que Ne Varietur n'en était qu'au début du processus de préparation de son offre lors de l'échange d'informations litigieux.
211. Toutefois, comme en témoignent les documents remis par la communauté d'agglomération de Cergy-Pontoise, l'élaboration d'une offre dans le cadre d'un marché, tel que celui en cause, est un processus complexe nécessitant plusieurs mois de travail pour aboutir à un projet de plus de mille pages. L'ampleur des différences constatées entre les données des deux projets entre le conseil d'administration du 22 novembre 2005 et la date de remise des offres le 16 janvier 2006, y compris dans l'architecture de l'offre, ne peut donc pas s'expliquer par des modifications marginales qui seraient intervenues en fin de processus d'élaboration de l'offre.
212. Quant au caractère éventuellement préliminaire des données transmises par Ne Varietur, une telle explication n'est pas cohérente avec l'importance qu'elle attachait au dossier, ni avec la qualité de l'offre finalement remise. Par ailleurs, dans le cadre d'un échange d'informations, il aurait été logique qu'elle fasse mention, dans la note économique ou dans le procès-verbal du conseil d'administration du 22 novembre 2005 du caractère préalable et susceptible d'évolution des données qu'elle transmettait à son partenaire, ce qui n'est pas le cas.
213. Si elles sont marquées, les différences entre ces documents ne suffisent pas, en tant que telles, pour considérer que les données communiquées à GDF par Ne Varietur n'ont pas réduit l'incertitude entre les deux sociétés. Toutefois, dans le contexte très particulier décrit au paragraphe 204 ci-dessus, il est vraisemblable que Ne Varietur a sciemment transmis à GDF des données totalement différentes de celles contenues dans l'offre de Soccram finalement déposée, dans l'unique objectif de simuler une exécution du jugement du tribunal de commerce et de convaincre GDF de l'impossibilité juridique d'une telle exécution, tout en trompant GDF sur la réalité de son offre future, afin de continuer à concurrencer activement la filiale de GDF dans le cadre de l'appel d'offres lancé par la communauté d'agglomération de Cergy-Pontoise.
214. Du reste, comme le relève par ailleurs Ne Varietur, il n'était à l'évidence pas dans l'intérêt de la société de communiquer de façon unilatérale, sans contrepartie possible, à un concurrent direct avec lequel les relations étaient extrêmement tendues, des informations essentielles, au risque pour elle de favoriser la proposition de son concurrent et de ne pas emporter le marché dont l'importance pour elle était établie.
215. De même, il parait surprenant que Ne Varietur ait volontairement choisi le cadre des débats de son conseil d'administration pour mettre en œuvre une pratique anticoncurrentielle non sollicitée, à l'initiative du président de ce conseil, qui souligne en outre à plusieurs reprises de façon explicite le caractère anticoncurrentiel de l'échange, en présence d'administrateurs étrangers à Ne Varietur et à GDF et dans des termes repris dans des procès-verbaux de réunions largement diffusés, destinés à être conservés sans limitation de durée.
216. Eu égard à l'ensemble des éléments qui précèdent, il n'est pas établi que Ne Varietur ait manifesté une quelconque volonté de s'entendre avec GDF.
217. En ce sens, la Cour d'appel de Paris a déjà eu l'occasion de rappeler qu'un échange d'informations n'est anticoncurrentiel que s'il porte sur le comportement que les parties envisagent d'adopter sur le marché, ce qui exclut un échange tel que celui en cause en l'espèce, compte tenu du contexte propre à la présente affaire. Ainsi, selon la Cour d'appel de Paris " le seul échange d'informations antérieurement au dépôt des offres constitue une entente lorsque, comme en l'espèce, ces informations portent sur les prix que les soumissionnaires envisagent de proposer, réduisant ainsi sensiblement l'incertitude sur la stratégie des concurrents et donc l'autonomie de prise de décision des entreprises concernées " (voir arrêt du 13 décembre 2005, Appia Revillon). Toujours selon la Cour d'appel de Paris, " une entreprise doit s'abstenir de participer à toute prise de contact directe ou indirecte, ayant pour objet ou pour effet d'influencer le comportement sur le marché d'un concurrent actuel ou potentiel ou de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l'on envisage de tenir soi-même sur le marché " (voir arrêt du 3 novembre 2009, Compagnie française de transport interurbain SA).
218. Dans le cas présent, comme il vient d'être vu, les éléments du dossier montrent que le comportement de Ne Varietur ne peut s'analyser que comme un comportement unilatéral, certes extrêmement contestable, et non comme l'expression d'une volonté de sa part de dévoiler le comportement qu'elle entendait adopter sur le marché concerné et de réduire l'incertitude propre au déroulement des marchés publics. Il n'est donc pas nécessaire d'examiner plus avant le comportement de GDF quant à la pratique en cause.
219. Il convient néanmoins de souligner qu'en acquérant une participation significative dans le capital d'une entreprise concurrente, qui lui donnait une représentation au conseil d'administration et des droits particuliers en cas d'investissements importants, tels que ceux exigés dans les appels d'offres, GDF Suez aurait immédiatement dû mettre en place une procédure permettant d'écarter toute possibilité d'entente et notamment d'échange d'informations anticoncurrentiel. Au lieu de quoi, GDF Suez a adopté une attitude ambigüe, réclamant à Ne Varietur, y compris dans le cadre de contentieux introduits devant le tribunal de commerce, les informations auxquelles le pacte d'actionnaires lui donnait théoriquement accès, sans jamais définir de façon précise et incontestable la liste des données pouvant faire l'objet d'une communication dans le respect du droit de la concurrence. Ce faisant, elle s'est volontairement exposée au risque de participer à une entente, et particulièrement à des échanges d'informations anticoncurrentiels, dont elle n'aurait pu, en l'espèce, se distancier qu'en quittant immédiatement la réunion du conseil d'administration dès lors qu'un tel sujet était abordé.
220. Il résulte de ce qui précède qu'il n'est pas établi, compte-tenu des circonstances très particulières au cas de l'espèce, que Ne Varietur et GDF Suez auraient, par l'échange d'informations intervenu lors du conseil d'administration de Ne Varietur du 22 novembre 2005, mis en œuvre une pratique d'entente anticoncurrentielle prohibée par les dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE, devenu 101 TFUE.
c) Sur le grief d'abus de position dominante (grief n° 3)
Rappel du grief notifié
221. Par le grief n° 3, il est reproché à GDF d'avoir abusé de sa position dominante sur le marché de la vente de gaz aux tarifs réglementés en appliquant les options au tarif S2S (dites " sans aléa climatique " ou " SAC " et " mensualisation de 1ère tranche " ou " MPT ") de manière opaque et discriminatoire. La notification des griefs était fondée sur plusieurs exemples concrets d'inapplication des options concernées à plusieurs sites de consommation de Ne Varietur et d'Idex, un opérateur concurrent sur le marché de la gestion de réseaux de chaleur, qui en remplissaient pourtant les conditions.
Sur les justifications et les éléments versés au dossier par GDF
222. Dans la notification des griefs, il avait été reproché à GDF d'avoir mis en œuvre une pratique discriminatoire à l'encontre de trois sites d'Idex en les privant de l'application de l'option SAC. Cependant, comme l'a précisé GDF Suez dans ses observations, cette option n'était en réalité pas applicable aux sites identifiés puisque ceux-ci bénéficiaient d'un approvisionnement interruptible, incompatible avec l'option SAC. Il en résulte que l'inapplication de l'option SAC à Idex repose sur une justification objective et ne peut être reprochée en tant que telle à GDF.
223. Par ailleurs, s'agissant de l'inapplication quasi-généralisée de l'option MPT aux sites exploités par Idex constatée dans la notification de griefs, GDF a démontré que la société a en réalité bénéficié de l'option MPT non sur un seul site de consommation, comme le prétend Idex, mais sur onze sites répartis de manière uniforme sur le territoire national. Dans ces conditions, le constat du défaut d'application de l'option MPT aux sites exploités par Idex est contredit par les éléments communiqués par GDF.
224. En revanche, le défaut d'application des options SAC et MPT aux sites de Ne Varietur identifiés dans la notification de griefs n'est pas réellement contesté, GDF se bornant à observer ne pas avoir reçu de demande de Ne Varietur ou de ses filiales en vue de se voir appliquer les options.
225. S'agissant de l'application de l'option SAC, GDF Suez a fourni des données complètes sur les sites de Ne Varietur approvisionnés au tarif S2S et ne bénéficiant pas de cette option. Il ressort de ces données qu'entre 2003 et 2008, étant donnée leur consommation effective, un nombre très faible de ces sites auraient pu bénéficier de l'option SAC (entre deux et neuf sites de consommation selon les années).
226. En tout état de cause, le simple constat de l'inapplication de l'option SAC à des sites qui auraient pu en bénéficier ne démontre pas que GDF a fait une application discriminatoire de cette option. En effet, les cogénérations approvisionnées au tarif S2S arbitrent entre l'option SAC et la rémunération versée par EDF en contrepartie de leur disponibilité en hiver pour produire de l'électricité en cas de besoin de pointe (les cogénérations se déclarent ainsi " dispatchables "). Cette considération tend donc à relativiser la part déjà très marginale des sites n'ayant pas bénéficié de la ristourne SAC alors que leurs conditions de consommation le permettaient.
227. L'impact sur le marché des cas concrets d'inapplication des options SAC constatés au dossier, limités à deux sites de Ne Varietur pour la période antérieure à l'année 2005, apparaît en outre très limité, compte tenu du nombre total de sites approvisionnés au tarif S2S sur le territoire national (plusieurs milliers de sites selon les années entre 1999 et 2004). Il en va de même des sites n'ayant pas bénéficié de l'option MPT, au nombre de sept. En outre, il n'est pas possible de considérer que Ne Varietur a fait l'objet d'un traitement discriminatoire postérieurement à 2005. En effet, selon les déclarations de la saisissante, celle-ci avait pleinement connaissance des options SAC et MPT à cette date mais s'est délibérément abstenue d'en demander l'application à GDF dans le but d'alimenter le contentieux commercial introduit contre cette dernière. Les quelques cas évoqués ci-dessus ne suffisent donc pas à eux seuls à établir l'existence d'une pratique de discrimination anticoncurrentielle.
228. Il résulte de ce qui précède que la pratique de discrimination visée par le grief n° 3 n'est pas établie, sans qu'il soit besoin de répondre aux autres arguments développés par GDF Suez en réponse à la notification des griefs.
Decision
Article 1er : Il n'est pas établi que les sociétés GDF Suez et Ne Varietur ont enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE, devenu 101 TFUE, au titre du grief n° 1, lors de l'appel d'offres lancé par la ville de Reims pour la délégation du service public de production, de transport et de distribution de chaleur.
Article 2 : Il n'est pas établi que les sociétés GDF Suez et Ne Varietur ont enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE, devenu 101 TFUE, au titre du grief n° 2, lors de l'appel d'offres lancé par la communauté de l'agglomération de Cergy-Pontoise pour la délégation du service public de production, de transport et de distribution d'énergie calorifique.
Article 3 : Il n'est pas établi que la société GDF Suez a enfreint les dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE, devenu 102 TFUE, au titre du grief n° 3 d'abus de position dominante.
Notes :
1 Sources : décision de la Commission européenne du 14 novembre 2006, aff. COMP/M.4180, Gaz de France/Suez, § 967 et s. et évaluations communiquées par GDF (cotes 2289 et 2533 et s.), Ne Varietur (cotes 2041 et 1401 et s.), Idex (cote 9355), Cofely (cotes 9460 et 14392) et Dalkia (cotes 8958 à 8960).
2 Ces administrateurs sont désignés par l'expression " administrateurs GDF " dans la convention. Il sera donc fait référence aux " administrateurs GDF " pour désigner les administrateurs de Ne Varietur issus de GDF, Cogac, ou leurs filiales.