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Décisions

Cass. com., 13 juillet 2010, n° 05-14.331

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Google France (SARL)

Défendeur :

Viaticum (SA), Luteciel (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Rapporteur :

M. Sémériva

Avocat général :

Mme Batut

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié, SCP Waquet, Farge, Hazan

TGI Nanterre, 2e ch. , du 13 oct. 2003 ;…

13 octobre 2003

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 10 mars 2005), que la société Google France (la société Google) propose aux annonceurs un service dénommé "Adwords" leur permettant, moyennant la réservation de mots-clés, de faire apparaître de manière privilégiée les coordonnées de leur site en marge des résultats d'une recherche sur Internet, en cas de concordance entre ces mots et ceux contenus dans la requête adressée au moteur de recherches de cette société sur Internet ; que les sociétés Viaticum et Luteciel, qui exploitent un site Internet pour leur activité de prestations de services de tourisme, ont poursuivi la société Google en contrefaçon de marques dont elles sont titulaires, déclinant les expressions "bourse des vols", "bourse des voyages" et "BDV", au motif que la présence de telles expressions dans une requête privilégiait, en raison de la réservation de tels mots-clés, le contact avec des sites concurrents ; que par arrêt du 20 mai 2008, la Cour de cassation a interrogé à titre préjudiciel la Cour de justice des Communautés européennes ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société Google fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande d'annulation des marques des sociétés Viaticum et Luteciel, alors, selon le moyen : 1°) alors qu'en soulevant d'office le moyen tiré de ce que l'activité consistant à centraliser les offres des compagnies aériennes et des voyagistes ne serait pas une activité d'agence de voyages relevant de la loi n° 92-645 du 23 juillet 1992, la cour d'appel a violé l'article 16 du Code de procédure civile ; 2°) que les sociétés Viaticum et Luteciel reconnaissaient expressément se livrer "à l'activité consistant à rassembler sur une même plate-forme commerciale un grand nombre d'offres émanant de compagnies aériennes et de voyagistes multiples" ; qu'en décidant que la société Viaticum n'aurait pas eu l'activité de réunir les offres émanant directement de compagnies aériennes et de voyagistes, la cour d'appel a violé l'article 4 du Code de procédure civile ; 3°) qu'en tout état de cause, en se bornant à décider que l'activité pour laquelle les dénominations "bourse des vols" ou "bourse des voyages" étaient purement descriptives n'était pas celle de la société Viaticum ni celle d'agence de voyage, sans rechercher si cette activité n'était cependant pas incluse dans les services liés au tourisme pour la désignation desquels les marques précitées avaient été globalement enregistrées et dont elles pouvaient servir à décrire une des qualités, la cour d'appel a violé l'article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel n'a relevé nul moyen d'office dès lors que les sociétés Viaticum et Luteciel soutenaient dans leurs conclusions d'appel que leur activité ne correspondait à aucun égard à la définition de la notion de bourse, ni n'a dénaturé ces conclusions, puisqu'elle admet la définition même du site en cause comme étant un lieu de rencontre des opérateurs ;

Et attendu, en second lieu, qu'en retenant que la qualification de bourse s'appliquerait au site Internet de la société Viaticum si, sur celui-ci, les compagnies aériennes et les tour-opérateurs vendaient directement leurs billets d'avion et leurs circuits touristiques aux passagers et touristes, la société Viaticum n'intervenant alors que comme prestataire technique et non comme agence de voyage, mais que tel n'étant pas le cas, le terme "bourse" ne désignait pas une agence de voyages, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a pu retenir que ce terme n'était pas descriptif des produits ou services désignés ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le deuxième moyen : - Attendu que la société Google fait encore grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en déchéance des marques des sociétés Viaticum et Luteciel, et de l'avoir condamnée pour contrefaçon, alors, selon le moyen : 1°) qu'en relevant d'office la fin de non-recevoir tirée de ce qu'elle aurait été irrecevable, pour défaut d'intérêt à agir, à contester le maintien en vigueur des marques en ce qu'elles avaient été déposées pour des produits ou services autres que ceux pour lesquels elle était poursuivie en contrefaçon, la cour d'appel a violé l'article 16 du Code de procédure civile ; 2°) qu'en application de l'article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle, la similitude entre les produits ou services ayant fait l'objet d'une exploitation et ceux qui n'ont pas été exploités ne fait pas obstacle à la déchéance que le déposant a encourue au regard des produits ou services pour la désignation desquels il ne justifie pas d'un usage sérieux ; qu'en décidant que l'exploitation de la marque devait donc valoir pour les produits ou services similaires, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; 3°) qu'en se bornant à relever la réalité des sites Internet de vente de billets de voyages et de séjours touristiques, sans rechercher si les sociétés Viaticum et Luteciel, qui reconnaissaient se contenter de rassembler un grand nombre d'offres émanant de compagnies aériennes et de voyagistes, justifiaient d'un usage effectif de leurs marques pour désigner des prestations "d'organisation de voyages et de visites touristiques" et "d'accompagnement de voyageurs" qui étaient en tant que telles revendiquées à leur dépôt, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu que l'action en déchéance de marque supposant l'existence d'une entrave aux activités de la partie qui poursuit cette déchéance, la cour d'appel, qui a vérifié si le texte sur lequel la demande était fondée pouvait recevoir application au regard des faits débattus, n'a relevé nul moyen d'office en constatant que les marques en cause n'étaient pas, s'agissant de certains produits ou services, opposées par les sociétés Viaticum et Luteciel, et en a exactement déduit, abstraction faite des motifs erronés, mais surabondants, critiqués par les deux dernières branches du moyen, que, dès lors qu'il n'était pas prétendu que quelque autre circonstance serait propre à caractériser une telle entrave, cette action était irrecevable en ce qu'elle concernait ces produits ou services ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le troisième moyen, pris en sa quatrième branche : - Vu les articles L. 713-2 et L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle ; - Attendu que pour dire que la société Google avait commis des actes de contrefaçon des marques des sociétés Viaticum et Luteciel, l'arrêt retient que cette dernière ne pouvait pas proposer dans son outil de suggestion de mots-clés l'achat des mots-clés "bourse aux voyages" ou "bourse de voyages" ou encore "bdv com", sous prétexte qu'ils figuraient parmi les plus souvent demandés, sans s'être livrée à une recherche sérieuse des droits éventuels de tiers sur ces mots ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit (23 mars 2010, C-236-08 à C-238-08) que le prestataire d'un service de référencement sur Internet qui stocke en tant que mot-clé un signe identique à une marque et organise l'affichage d'annonces à partir de celui-ci, ne fait pas un usage de ce signe au sens de l'article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive 89-104 ou de l'article 9, paragraphe 1, du règlement n° 40-94, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et sur le quatrième moyen, pris en sa première branche : - Vu l'article 6-I-2 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 ; - Attendu que pour écarter l'application du texte susvisé à l'activité de prestataire de positionnement payant sur Internet exercée par la société Google France, l'arrêt retient que cette dernière tente d'opérer une confusion entre cette activité et celle de son moteur de recherche, et que sont vaines ses tentatives de se voir reconnaître le bénéfice de dispositions légales ou jurisprudentielles applicables aux intermédiaires techniques ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que la Cour de justice de l'Union européenne a notamment dit pour droit, dans sa décision précitée, que l'article 14 de la directive 2000-31-CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur, dite "directive sur le commerce électronique", doit être interprété en ce sens que la règle y énoncée s'applique au prestataire d'un service de référencement sur Internet lorsque ce prestataire n'a pas joué un rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle des données stockées, la cour d'appel, qui n'a pas examiné l'existence de ce rôle actif, n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 mars 2005, entre les parties, par la Cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris.