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Décisions

Cass. com., 13 juillet 2010, n° 06-20.230

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Google France (SARL), Google Inc. (Sté)

Défendeur :

Louis Vuitton Malletier (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Rapporteur :

Mme Farthouat-Danon

Avocat général :

Mme Batut

Avocats :

SCP Hémery, Thomas-Raquin, SCP Piwnica, Molinié

Cass. com. n° 06-20.230

12 juillet 2010

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 juin 2006) , que les sociétés Google Inc. et Google France proposent un service publicitaire permettant aux annonceurs, par le choix de mots-clés, de déclencher, lors d'une recherche de l'internaute contenant ces mots, l'affichage, en partie droite de l'écran, sous la rubrique liens commerciaux, des coordonnées de leur site associées à un court message publicitaire, selon un classement qui est fonction de la somme que l'annonceur est prêt à verser et de l'importance des sollicitations dont le site est l'objet ; que ces sociétés proposent à l'annonceur, pour choisir les mots-clés, d'avoir recours à un générateur de mots-clés ; que la société Louis Vuitton Malletier, titulaire des marques françaises Louis Vuitton, L et V, et de la marque communautaire Vuitton a fait constater que, lors de l'utilisation du moteur de recherche Google, la saisie des termes constituant ses marques faisait apparaître sur la partie droite, en tête de liste des résultats de la recherche, des annonces pour des sites proposant pour certains des produits contrefaisants ; qu'elle a assigné les sociétés Google France et Google Inc. afin de voir constater qu'elles avaient commis des actes de contrefaçon de ses marques française et communautaire, de concurrence déloyale, porté atteinte à son enseigne et son nom de domaine, et commis des actes de publicité trompeuse ; que par arrêt du 20 mai 2008, la Cour de cassation a interrogé à titre préjudiciel la Cour de justice des Communautés européennes ;

Sur le premier moyen pris en sa première branche : - Vu l'article 46 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour retenir la compétence des juridictions françaises pour statuer sur les faits constatés sur l'ensemble des sites Google, constater des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale, et prononcer une mesure d'interdiction couvrant l'ensemble des sites Google accessibles depuis la France, l'arrêt retient qu'il n'est pas fait grief aux sociétés Google d'actes de commercialisation de produits contrefaisants perpétrés sur le réseau, mais d'offrir une prestation publicitaire permettant à des annonceurs de promouvoir sur différents sites Google, français et étrangers, des sites marchands qui contrefont les marques et les produits Vuitton ; qu'en raison du mode de diffusion propre à Internet, l'ensemble des sites sont accessibles et visibles depuis le territoire national, de sorte que les actes de contrefaçon allégués par la société Louis Vuitton Malletier étant, suivant l'appréciation qui doit être portée au fond, susceptibles de causer un préjudice nécessairement subi en France, les juridictions nationales sont donc compétentes pour connaître de l'action engagée, peu important la langue dans laquelle les sites sont rédigés dès lors que d'une part ils reproduisent les produits argués de contrefaçon revêtus des marques en cause et que, d'autre part, il est mis à la disposition des internautes des fonctionnalités de traduction ; qu'il retient encore que le lieu du fait générateur de la contrefaçon alléguée, ou le lieu où le fait dommageable s'est produit n'est pas situé à l'étranger, mais sur le territoire français puisque la visualisation par les internautes des annonces litigieuses s'effectue à partir de ce territoire ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si les annonces litigieuses étaient destinées au public de France, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Sur le deuxième moyen : - Vu l'article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986, interprété à la lumière de la directive 2000-31-CE du 8 juin 2000 ; - Attendu que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit (C-236-08, 23 mars 2010) que l'article 14 de la directive 2000-31-CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur dite "directive sur le commerce électronique", doit être interprété en ce sens que la règle y énoncée s'applique au prestataire d'un service de référencement sur Internet lorsque ce prestataire n'a pas joué un rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle des données stockées ; que s'il n'a pas joué un tel rôle, ledit prestataire ne peut être tenu responsable pour les données qu'il a stockées à la demande d'un annonceur à moins que, ayant pris connaissance du caractère illicite de ces données ou d'activités de cet annonceur, il n'ait pas promptement retiré ou rendu inaccessibles lesdites données ;

Attendu que pour refuser aux sociétés Google le bénéfice de ce texte, l'arrêt retient qu'elles ne se bornent pas à stocker des informations publicitaires qui seraient fournies par des annonceurs mais qu'elles déploient une activité de régie publicitaire, d'abord, en organisant la rédaction des annonces, en décidant de leur présentation et de leur emplacement, ensuite, en mettant à la disposition des annonceurs des outils informatiques destinés à modifier la rédaction de ces annonces ou la sélection des mots-clés qui permettront de faire apparaître ces annonces lors de l'interrogation du moteur de recherche et, enfin, en incitant les annonceurs à augmenter la redevance publicitaire "coût par clic maximum" pour améliorer la position de l'annonce ; qu'il ajoute que le service Adwords est présenté sur les différents sites Google sous la rubrique et le lien hypertexte "publicité", avec le slogan "votre publicité avec Google" et cette précision "le ciblage à partir de mots-clés augmente la pertinence de votre publicité", et que l'activité publicitaire ainsi déployée constitue l'essentiel du chiffre d'affaires qu'elles réalisent ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche : - Vu les articles L. 713-2 et L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle, et l'article 9, paragraphe 1, du règlement n° 40-94 du 20 décembre 1993 ; - Attendu que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que le prestataire d'un service de référencement sur Internet qui stocke en tant que mot-clé un signe identique à une marque et organise l'affichage d'annonces à partir de celui-ci, ne fait pas un usage de ce signe au sens de l'article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive 89-104 ou de l'article 9, paragraphe 1, du règlement n° 40-94 ;

Attendu que pour dire que les sociétés Google Inc. et Google France ont commis des actes de contrefaçon de marque, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que l'outil générateur de mots-clés qu'elle mettent en œuvre fait usage, reproduit et imite les termes Louis Vuitton, Vuitton et LV, en association avec les mots copie, imitation, répliques ; qu'en opérant une recherche à partir de la marque Louis Vuitton, apparaissent, en face de la liste des résultats de la recherche, dans la colonne de droite intitulée liens commerciaux, plusieurs sites commercialisant ouvertement des contrefaçons ; que la reproduction et l'usage ainsi opérés par l'intermédiaire de l'outil de suggestion sont en relation directe avec les produits visés par les marques dont la société Louis Vuitton Malletier est titulaire ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Sur le cinquième moyen : - Vu l'article L. 121-1 du Code de la consommation ; - Attendu que pour dire que les sociétés Google ont réalisé une présentation de publicité de nature à induire en erreur les internautes sur l'origine et les qualités substantielles des biens ainsi proposés, l'arrêt retient que la mention "liens commerciaux", sous laquelle sont regroupés les sites litigieux, est trompeuse en elle-même, dès lors qu'elle laisse entendre que le site, affiché en partie gauche de l'écran, entretient des rapports commerciaux avec ceux qui apparaissent sous cette rubrique de sorte que, en l'espèce, le site de la société Louis Vuitton Malletier apparaît être, aux yeux d'un internaute, en relation commerciale avec les sites litigieux dont le caractère publicitaire n'est pas contestable, de sorte que ce dernier peut ainsi penser, en s'adressant à une entreprise inscrite sous la rubrique "lien commercial", que celle-ci dispose de produits authentiques ; qu'il retient encore que le tribunal a justement jugé que si les sociétés ne participent pas directement à la rédaction des messages publicitaires, il n'en demeure pas moins qu'elles les font apparaître sous la rubrique liens commerciaux dont l'intitulé est particulièrement trompeur ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans caractériser en quoi la prestation de la société Google constituait une publicité relevant de l'application du texte susvisé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Et attendu que la cassation de l'arrêt du chef de la contrefaçon entraine la cassation par voie de conséquence des dispositions de l'arrêt qui ont, en se déterminant par rapport à l'usage déclaré contrefaisant, retenu l'existence d'actes de concurrence déloyale ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 juin 2006, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.